Établie en 1914 à Oran, la famille Pascual vécut un temps faubourg Gambetta. D'abord maison Segarra, 38, rue Charcot, puis rue Arloing. Ces deux voies parallèles reliaient la place Fontanelle aux Falaises où venait mourir en beauté la Méditerranée. Et puis les Pascual se rapprochèrent du port pour investir, avenue de Tunis, les beaux immeubles EGA (Électricité Gaz d'Algérie).
La mer n'était donc jamais loin : aux Falaises comme à la plage de Canastel. Tout proche était aussi le lycée Ali-Chekkal, du nom d'un partisan de l'Algérie française abattu en 57 par le FLN. Yvette y fut scolarisée. Quand la guerre arriva. Quel fut le quotidien des jeunes Oranaises ? Yvette et sa sœur Christiane vont le dépeindre par petites touches. Autant de tranches de vie qui nous mèneront jusqu'à Yainville. Mais avant cela, feuilletons l'album de famille...

La première photo d'Yvette...



L'Andalousie ? Bogotá ? Santiago-de-Cuba ? Non, Oran où les Pascual, d'origine espagnole, ne furent pas dépaysés. Voici leur petit immeuble de la rue Arloing où, au premier étage, sont nés la plupart des enfants. En bleu figure la maison Ibañez. Au lieu du bâtiment rose s'étendait jadis un champ...

La famille Pascual

L'histoire de la famille Pascual illustre celle de bien des Pieds-Noirs. Elle met en scène des personnages attachants, affrontant avec panache de perpétuels déracinements. Et l'adversité...

1) Les grands-parents

D'abord côté partenel...

José Pascual-Gilabert est né le 5 février 1885 à Elche (Alicante) de Geronimo Pascual et Ana Gilabert. Après avoir été militaire et agriculteur, il émigra en Algérie et fut enregistré à Oran le 16 juin 1914.

Mais avant cela, il convola avec :


Maria Catalina Fernandez-Payá
n, née le 9 janvier 1892 à Gádor (Almeria), de Francisco Fernandez et de Dolorès Payán. Hispanisante, elle finira ses jours à Yainville sans son époux, mort à Oran dans les années 50. Elle est décédée à l'hôpital Charles-Nicolle, de Rouen, le 7 février 1965.
Et côté maternel...
Andrès Grégorio Uros, né à Sidi-Bel-Abbès en un lieu sans doute idylique pour s'appeler le Mamelon des Palmiers. Il vit le jour le 29 novembre 1899, de José Uros, journalier et Isabel Paudo. Ce couple, avant d'émigrer en Algérie, s'était formé à Bacarès, Alméria, le 19 mai 1898. Les cheveux châtain clair, ouvrant des yeux verts sur le monde, Andrès fut mobilisé en 1918. Affligé d'une cataracte traumatique à l'œil gauche, il fut bientôt versé aux services auxiliaires mais, jugé "apte à tous les fronts", Andrès fit donc campagne contre l'Allemagne avant d'être affecté plus de deux ans au Maroc. En février 1921, on le renvoya dans ses foyers, à Arbal. En 40, c'est à sa demande qu'il rejoint de nouveau l'armée française. On le retrouve alors au sein du prestigieux 2e régiment de Spahis, ces fiers cavaliers dont la cape rouge se détachait, hiératique, sur des paysages dorés de soleil. Démobilisé le 25 septembre suivant, il se retira 4, avenue du Dr-Strass, faubourg Gambetta.

Andrès fut d'abord maçon puis tonnelier. Il épousa le 27 mai 1922 à Saïda :

Incarnación Pinilla, née à Boukhanéfis (Oran) le 25 mai 1892 de Ramon Pinilla-Bartholomé, journalier et Maria Antonia Ximénès qui accouchait à 43 ans. Parvenue à l'âge de 40 ans, Incarnación dut être hospitalisée en France et décéda à Niort le 15 juillet 1932.

2) Les parents

José Pascual-Fernandez, né le 26 février 1914 à Melilla (enclave espagnole au Maroc relevant de la province de Malaga), décédé à Biscarosse en 2012 à 97 ans. A l'autre bout de sa longue vie, José était encore nourrisson quand ses parents émigrèrent du Maroc espagnol en Algérie française.

A 24 ans, alors qu'il était forgeron et demeurait chez ses parents, rue Charcot, il épousa le 19 mars 1938 :

Renée Marie Uros-Pinilla, née à Sidi-Bel-Abbès (Oran), rue Biancourt, le 20 février 1912 et déclarée en mairie par sa mère, Incanación Pinilla. Veuf, Andrès Uros était présent au mariage de sa fille. Les parents du marié aussi, José Pascual père exerçant alors le métier de sandalier.

3) Les enfants

Joseph, né le 5 janvier 1936, Renée, le 17 février 1937, tous deux nés rue Charcot à Oran. Puis rue Arloing viendront Liliane, le 15 novembre 1938. Roger, le 20 octobre 1940, Yvette le 10 juin 1944, Jeanine, le 16 mai 1947, Paul, le 13 juin 1949 et enfin Christiane le 26 avril 1952.

José et Renée Pascual, unis pour le meilleur et pour... la paella ! Ici, un dimanche à Canastel, au bord de la mer. 

Mais il est temps de céder la parole à Yvette qui nous conduit à l'école oranaise...


Ali-Chekkal

Par Yvette PASCUAL

Avant d’évoquer le lycée, je me souviens de ma scolarité à Montplaisant. Pas des voisines de classe dont je n’ai pas gardé le souvenir précis, mais de l’ambiance, des jeux dans la cour, de l’attente de la maîtresse, en rang chahuteur devant la porte fermée de la classe….
J’ai en mémoire une maîtresse que je crois avoir eue en dernière année. Elle était gentille et vraiment belle. Une allure calme quand elle se déplaçait, une attitude empreinte de douceur avec les élèves que nous étions, Elle avait des cheveux châtains qu’elle torsadait en un chignon souple, posé sur le début du cou. Je l’aimais et elle me le rendait bien, c’est vraiment cette impression que j’en ai gardée. Je ne sais pas si elle existe encore, tant d’années sont passées, mais où qu’elle soit, ici ou ailleurs… je lui adresse une pensée émue.



Yvette, petite à Gambetta, 4e en haut à gauche (entre les garçons). Jeanine, ma sœur, 2e rang en bas, 2e à côté de la fillette au ruban blanc. (Cliquer pour agrandir)


La classe des Moyens...

.... et des plus grandes
Seul petit document de scolarité
à Montplaisant.

Ensuite la deuxième phase que j’ai aimée dans cette scolarité chaotique à l’image des événements, c’était Ali-Chekkal.

Je ne crois pas que beaucoup de copines pouvaient se targuer d’habiter aussi près du lycée.

EGA et Ali-Chekkal étaient mitoyens par un mur qui les séparait. Et malgré cette proximité, j’étais assez souvent une des dernières arrivées, j’attendais la sonnerie et je devais accélérer le pas, voire courir, le long du mur avant d’atteindre la porte d’entrée.


J’avais de l’allure avec mon petit cartable ou alors mes affaires sous le bras. Je pouvais me le permettre, je n’avais pas loin à aller. Ma mère était folle lorsqu’elle me voyait, j’ouvrais grand le placard de la chambre des filles où mes affaires scolaires étaient rangées pour chercher à toute vitesse le livre qu’il fallait en regardant d’un œil le cahier de texte et encore quand je ne revenais pas sur mes pas pour encore chercher un truc oublié…C’était exactement ça par moment !


2 février 1957. Le lycée Ali-Chekkal. Au loin, Santa-Cruz...

J’avais de très bonnes capacités, mais un peu cossarde parce j’aimais trop la rue et donc je faisais tout au dernier moment.

Combien de soirs j’ai squatté les toilettes pour réviser une compo et pour ne pas gêner le sommeil des grands, ou alors dans la cuisine, porte fermée. Pour excuse, je dois dire qu’il faisait toujours trop beau, et quand je me mettais à travailler, j’entendais, de ma chambre, les autres en bas dans la cour, qui jouaient ou discutaient, et donc je ne pouvais pas résister, je laissais livre ou cahier, et je descendais quatre à quatre les escaliers pour les rejoindre.

En 4e, année 58-59, Yvette est en haut, première à gauche. Collection Renée et Christiane Cerda, reproduite sur le site Oran des années 50. Ont été identifiées 1 Marie Thérèse Fournier, 2 Mimouna Hassan, 3 Annie Soriano, 4 Simone Dahan, 5 Adjila Benamar, 6 Josette Pasyor, 7 Claudette Juan, 8 Alberte Boiy, 9 Marie-Anne Lacombe, 10 Denise Judicielli, 11 Marie-Louise Genet, 12 Daniele Lebrun, 13 Michèle Havas, 14 Christiane Cerda, 15 Simone Garcia, 16 Renée Brun, 17 Hélène Hassan, 18 Yasmina Bouazouza, 19 Fatima Aoudjh, 20 Marie-Antoinette Goreta, 21 Marise Darmon, 22 Nicole Bourgeois, 23 Charlette Plantalat, 24 Miaza Primodesta, 25 Daniele Oustri, 26 Annie Ruvira, 27 Fanny Lasri, 28 Marie-Paule Palombo, 29 Hélène Frida, 30 Yvette Pascual, 31 Anne-Marie Lubrano, 32 Marie-Claude Benaouda, 33 G Sananes, 34 Charbitre, 35 Michèle Braemi, 36 Paule Monot, 37 Colette Baseunana, 38 Marie-Noëlle Bryn.

Pour parler des livres, rien n’a changé, on ne les consultait pas des masses, tout comme nos jeunes actuels, dont les livres restent neufs, faute d’avoir été souvent feuilletés.
Dans ce lycée, avec les filles de mon âge, nous avons vécu une première adolescence heureuse, vraiment heureuse.
Ce grand établissement était moderne comme on ne peut l’imaginer. Tout y était conçu, pour une réussite exemplaire.

 

J’adorais le dessin, la bio, la musique, la couture et encore plus, par-dessus ça, le sport avec sa salle où on se déshabillait en discutant et se marrant, c’était la récré… et le prof devait nous brusquer en nous ramenant à l’ordre d’un coup de sifflet strident !

Je m’éclatais en sport, j’étais vraiment douée. Je faisais de tout, j’étais engagée dans l’athlétisme…la course, le lancé de poids, le grimpé de corde, le saut ! J’aimais tout. En sport collectif je faisais du handball. J’ai d’ailleurs une anecdote quant à ce sport. On passait la visite médicale au Lycée, et le docteur m’avait dit, tu es trop maigre, il faut trop courir dans ce sport…j’ai vraiment ça en mémoire, je ne sais plus du coup si j’en avais été empêchée de faire du hand.

Certaines matières enseignées me plaisaient aussi, le français, la poésie, et encore l’histoire géo…quand je les travaillais !

En première langue j’avais l’anglais, je m’en sortais assez bien, à condition d’apprendre évidemment. En 4ème quand il a fallu choisir une deuxième langue, mon cher Père a voulu que je prenne l’arabe. J’avais beau lui dire que l’espagnol serait préférable, puisque je le parlais, j’avais essayer de défendre mon point de vue, sans le convaincre…Non, et je me souviens de ces mots « l’arabe te sera plus utile.. » tu parles ! Donc va pour l’arabe.

« Et donc on apprenait l'arabe...» Mais, s’il y a deux matières pour lesquelles, malheureusement, je n’étais pas douée, ce sont les maths et ensuite l’arabe.

Les maths je les travaillais, je demandais de l’aide, mais sans vrai succès et l’arabe, je l’écrivais super bien, pour ça pas de problème mais le reste, ouf, dur, assez dur…En extérieur, chez eux, certaines copines le parlaient un peu, moi vraiment pas du tout. A l’EGA je ne me souviens pas avoir entendu des copains discutant, même un peu, en arabe.
Et donc, comme toute chose qui marque, là aussi je me souviens très bien du prof d’arabe. Elle semblait âgée, je me rappelle d’une petite bonne femme, maigrichonne, portant un chignon sur la nuque et habillée d’une jupe plissée, qu’elle remontait tout le temps !!!! Ah aussi un pull posé sur ses épaules, une voix à fort accent et une façon de tenir ses mains serrées ou doigts croisés.

Et donc cette 4e où on apprenait l’arabe était en majorité composée d’élèves musulmanes. On s’entendait bien, et surtout on dansait, quelquefois, pendant les interclasses. C’est là que j’ai, un peu, appris à taper le rythme sur les tables et à bouger comme elles. Quel bonheur !










On discutait aussi beaucoup, pendant la pose du matin ou de l’après midi, je ne me souviens plus à quelle heure cela avait lieu, on s’asseyait par terre, ou sur un bord de trottoir et on tchatchait.

Et à nouveau un souvenir flash d’une discussion, car ce sont elles, les copines musulmanes qui nous ont appris le fameux soir du mariage chez eux et le symbole de la virginité. Vous parlez d’une affaire à l’époque. Chacune nous échangions certaines petites choses, oh ! si peu ...

Eh oui, les jeunes filles parlaient de sexualité aussi. Faute de pratiquer, on apprenait !!!

Yvette à Canastel. Elle a 16 ans !...

On changeait souvent de classe, les profs, eux, ne bougeaient pas. Il fallait regarder le tableau à l’entrée, juste à droite. Sur la gauche, c’était les bureaux de la direction du lycée, donc, sur ce tableau, on cherchait nos salles, on ne disait pas classe, et ensuite on grimpait les marches et on galopait dans les couloirs.

On chahutait aussi un peu… Par contre, quand c’était un jour de compo, plus de bruit… le stress était palpable.
Ce stress on le retrouvait en fin d’année quand on consultait les panneaux avec les résultats, passera, passera pas….

En sortant des cours, à quelques-unes on allait faire la queue au kiosque à bonbons, juste au tournant à gauche. Cette dame-tronc, oui elle était toujours assise, était gentille comme tout. Elle vendait de tout, réglisses, caramels, piroulis sur un petit bois de vives couleurs vert, rouge et jaune aussi je crois, délicieux et que l’on suçait… des petites boites en forme de dominos avec de tout petits cachous, on en versait plusieurs dans la bouche et cela arrachait !!! et plein d’autres choses, des gâteaux aussi…..

Comme je n’avais pas beaucoup de route pour revenir chez moi, j’attendais le car avec les copines qui devaient le prendre ou alors je faisais un brin de conduite avec une autre avec laquelle je m’entendais super bien.
J’ai vu aller avec les copines jusqu’à la place des Victoires, ou alors sur le front de mer pour raccompagner, après avoir été prévenir vite fait ma mère que j’allais me promener un peu…


Promenade le long du front de mer. Surtout le soir...

Voilà quelques petits moments vécus avant les événements plus graves qui ont fait que ce lycée fut occupé par l’Armée. J'étais alors en 3e. Ma scolarité s'arrêta là avec l'arrivée des militaires...

Je me souviens les avoir vus, par les fenêtres qui donnaient sur l’EGA, nous faire des signes avec une ou deux bestioles naturalisées et trouvées en salle de sciences ou bio, je ne sais plus …

Et, toujours pour l’anecdote, quelques jeunes troufions venaient sur le mur de séparation lycée/EGA, pour discuter avec les filles.

De même, on se faisait siffler ou envoyer quelques paroles, quand on longeait le mur du lycée pour aller faire les courses…


Près du mur de séparation...        

  Comme toutes les constructions faites avant, ce collège, devenu lycée, a toujours fier allure !!!

Yvette PASCUAL.


En 1982, devant le lycée, ma sœur Jeanine et ses deux enfants.

Pour suivre : E.G.A.  


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Par Yvette Rabout 05/03/2022 à 12:49:55 Pour ceux qui n'ont pas connu, sur les deux photos des immeubles, vous avez devant le Bt A, nous étions au premier les 3 fenêtres partant de la gauche sur la première photo, au rez-de-chaussée juste au dessous de chez nous, c'était le concierge, et puis l'autre bâtiment c'était le B et le troisième le C, on ne le voit pas. Les tirs venaient vers le haut des bâtiments B et C qui étaient criblés de balles et de tir de mortier. Juste comme vous l'avez vu un peu sur la première, il y avait le lycée, on voit un peu le mur, qui a été occupé par l'Armée. Et bien évidemment, sur les terrasses, il n'y avait pas de paraboles ! Mon frère ainé et ma sœur sont assis sur les fameuses cheminées, on entendait le souffle je suppose que l'air venait depuis tout le bas. Sur la petite photo où je suis debout en pantalon et chignon, c'était un peu avant le départ, et vous avez une vue sur une partie de cette fameuse cour ou terrain, qui entourait les immeubles. On voit un peu sur le côté une petite, si mes souvenirs sont exacts, c'était la sœur des Fugen. 

Par Anne-Marie Avenel 04/03/2022 à 18:35:54 Bravo Yvette pour ton récit. 

Par Yvette Rabout 03/03/2022 à 14:49:37 Merci. Sur la photo, numéro 2, la jeune musulmane à nattes, je m'en souviens très bien, était super douée en français, en tout d'ailleurs, mais surtout en français, studieuse elle réussissait. Son frère jouait du violon. Je ne sais pas si cette dame, maintenant, existe encore, elle est certainement en Algérie. Bien entendu je me souviens de certaines, mais il faut dire, que pour moi, comme pour d'autres, nous n'imaginions pas devoir quitter tout, le traumatisme a été si fort, que cela a occulté bien des souvenirs. 

Par Michèle Demares 02/03/2022 à 21:31:19 J'ai lu vos témoignages très touchants et qui résonnent ces jours-ci malheureusement. C'est un travail de mémoire très riche, détaillé, émouvant. Bravo à vous! 

Par Boutard 01/03/2022 à 12:42:09 Comme j'ai suivi l'histoire de Marc , je lis la vôtre également qui est très intéressante.

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