Par Marc RIBES.

(Suite et fin de la 1ère partie)


Le départ                          



Après les accords d'Evian du 18 mars 1962, la population française d'Algérie a commencé son exode vers la France.
" Un véhicule du FLN
mitraillait le long
des quais...
"
En ce qui nous concerne, nous sommes partis les uns après les autres en catastrophe. Fin mars mon frère aîné Christian est parti avec mon oncle car le FLN enlevait les jeunes de 18 ans pour les torturer et les tuer, nous avons eu leur visite peu de temps après son départ.

Nous l'avions accompagné jusqu'au port et en revenant un véhicule du FLN mitraillait le long des quais, nous avons eu juste le temps de nous mettre à l’abri derrière des voitures. Pour ma mère c’était la deuxième fois qu’elle subissait cette situation, un jour, en sortant de son travail.

Pour Jean-Pierre, Robert et moi, ma maman, travaillant à l’hôpital Mustapha dans un service géré pas des religieux, elle avait réussi à nous faire partir avec d’autres enfants dont les parents travaillaient dans le même service. Le départ fut rude, partir sans les parents dans la précipitation en laissant tous nos souvenirs d’enfance, les copains, les affaires personnelles, les jouets, sans bagage personnel. Les magasins ayant tous été plastiqués et on ne trouvait plus de valises, mon père en avait confectionné une en contre-plaqué pour nous trois, elle était grande et surtout très lourde. Il avait pris soin de la vernir et collé des étiquettes avec notre nom et avait nommé un responsable qui était Jean-Pierre.

Nous étions avec les autres enfants réunis sur le quai au pied du bateau, il y avait foule et d’énormes bousculades. Qui des 2 500 passagers allait monter le premier pour avoir la meilleure des 1 350 places disponibles ? On était fiers de voyager sur ce beau paquebot qu’était le Kairouan. Un dernier au revoir aux parents avant de monter sur la passerelle au bout de laquelle on nous plaça dans la cale du bateau. 

Tous les passagers étaient entassés, les personnes âgées sur des transats en bois et le reste sur leurs bagages ou à même le sol. Je n’étais pas bien grand mais ma tête n’était pas loin du plafond. Voyant tous les gens en pleurs avec de gros bagages, on comprenait très bien que l’on ne reverrait plus notre pays et on aurait tous voulu être sur le pont pour admirer et voir s’éloigner une dernière fois notre merveilleux pays qu’est l’Algérie avec en toile de fond le port d’Alger avec ses arcades, la place du gouvernement avec la casbah et sur les hauteurs Notre- Dame-d’Afrique.

Alger Alger


Malgré les événements, nous nous entendions tous bien dans le quartier, de même qu'à l'école, toutes origines confondues et nous n'aurions jamais pensé nous quitter sans même se dire un au revoir, mais nous gardions espoir de peut-être se revoir un jour.
Après trois heures de navigation et une fois au large, on nous fit monter sur le pont pour prendre l’air, mais il fallait rester dans les cordages. Pour moi, pas de cordages, pris de mal de mer, mon ange-gardien, Jean-Pierre, est resté avec moi dans les toilettes toute la traversée, de temps en temps il me soulevait pour admirer les dauphins par le hublot. Quant à Robert, il s'était fait des copains et visitait le bateau. 

Après une journée, nous sommes arrivés à Port-Vendres. Mon calvaire allait continuer dans le car qui nous amenait en Ariège, 250 km et quatre heures de route, à la Bastide-de-Sérou dans un magnifique château, le Val-Larbont, géré par des religieux. Nous qui n’étions pas pratiquants, il a fallu s’adapter à un régime strict et sévère ; prière matin, midi et soir, faire sa chambre, laver les couloirs, aider à faire du pain bénit et le distribuer le week-end à l’église. Un garçon faisait une bêtise, c'était la punition pour tout le monde, faire le tour du château de nuit en slip et tricot de peau. Nous y sommes restés cinq mois avant d'être recueillis chez mon oncle à Bordeaux en attendant mes parents. 

Ma maman est arrivée fin août, seule, après avoir été agressée devant l'immeuble par des Algériens, elle dut son salut à un Algérien habitant dans l'immeuble. Grâce aux réseaux sociaux j'ai pu retrouver le fils de cette personne.

Mon père travaillant à EGA, centrale du Hamma, était resté en attendant sa mutation et essayer de trouver un conteneur pour déménager ce qui nous appartenait. Surprise, nous l'avons vu arriver à Bordeaux en octobre sans rien et en bleu de travail. Les Algériens, après avoir défoncé la porte du logement, avaient pris possession des lieux et des biens et attendaient mon père pour vraisemblablement le tuer. Un voisin algérien habitant au-dessus de chez nous, lui a fait signe de son balcon de ne pas monter et est descendu pour l'accompagner au port afin qu'il puisse quitter l'Algérie en vie.
Après nos retrouvailles, mon père a eu sa mutation avec regret pour la Normandie. Il fallut une fois de plus s'éloigner de la famille.

L'arrivée à Yainville

Nous sommes arrivés à Yainville le 11 novembre 1962 à 11 h 30, les représentants d’EDF, M. Bronnec, des RH, et M. Printemps, chauffeur, sont venus nous accueillir à la gare de Rouen. Ils nous font découvrir la Normandie et notre futur village sous la neige, une première pour nous, nous n'en n'avions jamais vu, de plus nous étions en tenue d'été.

En ce jour de commémoration, nous avons dû faire une halte forcée devant le monument aux morts pour laisser place au recueillement des anciens combattants. Mon père en profita pour descendre faire le plein de cigarettes et se désaltérer avec une anisette chez Jeannette, patronne du café de l'église, mais il avait oublié qu’on n’était pas à Bab-El-Oued et que l'anisette n'était pas connue par ici. Quelques jours après, Jeannette s'était approvisionnée de ce précieux breuvage et mon père devint un de ses plus fidèles clients. 

On s'arrêta au Centre social voir M. Ferrer, collègue à mon père ayant également été muté à la centrale, avant d'arriver à notre logement, 26, rue Paul-Janet, un trois pièces avec sellier, jardin. Ce dernier était meublé avec le nécessaire pour commencer notre nouvelle vie : couchages, table et chaises de cuisine, cuisinière, vaisselle…qu'il a fallu rembourser chaque mois sur la paye de mon père.

Alger Alger
A Yainville avec ma maman. Nous venons d'arriver. 1964 : les quatre frères Ribès rue Paul-Janet. Christian est militaire.

On découvrit que l’on n’était pas les seuls rapatriés dans cette rue, étaient déjà présentes les familles Vago, Pascual, Vivaldi, Perez, Furlani. On a eu du mal à s’adapter à tous ces changements, nous devions repartir de zéro sans notre famille dont nous étions très proches, sans aucun bien à nous, devoir racheter tout le mobilier, l’électroménager, des vêtements adaptés au climat de la Normandie et cela avec le modeste salaire de mon père.
Ce dernier essayait de trouver des solutions, il faisait des heures supplémentaires en semaine et bien souvent le week-end, ma maman elle, pleurait toute la journée. Voyant ma mère en pleurs, la famille Vago venait nous chercher pour nous réconforter et passer un moment avec eux. Nous sommes restés très proches. On était également très amis avec nos voisins Pascual, Legras et Michaux et toutes les familles de cette rue étaient formidables.

Le poste radio, souvenir de mon père. Mon oncle lui avait ramené dans son conteneur d’Algérie. Il fonctionne encore.

Mes grands-parents qui vivaient avec ma tante à Bordeaux n'ont pas supporté cet exode sont décédés quelques mois après leur arrivée.
Quant à nous, très vite on s’était fait des copains : Paul Pascual, Jean-François Perez, Alain et Philippe Ferrer, également rapatriés et des Normands : Laurent Quevilly, Didier Pourhomme, Alain Pichon, les frères Bloyer, Lefèvre, Gelmi, Cabin, tous des copains d’école ou de football, sans oublier les filles Anne-Marie Vago, Christiane Pascual, Michèle Andrieu, Danièle et Nicole Desmarest, Danièle Dumont.

" Les ennuis pour moi
allaient commencer... "
Christian ayant signé une licence de foot à l’USY et à la recherche d'un emploi s'est vu proposer un poste à l’huilerie par M. Combe président du club et directeur de l’usine. Jean-Pierre fit sa rentrée au collège à Caudebec et Robert et moi en primaire à Yainville. Deux ans sans aller à l'école, nous avions accumulé beaucoup de retard. Les ennuis pour moi allaient commencer, j’ai très vite été la tête de turc des instituteurs.

Un jour pendant la récréation, un carreau de fenêtre a été brisé par une petite balle en mousse, me trouvant à proximité de l’instituteur qui nous surveillait, je fus le coupable idéal, il m’attrapa et me gifla si violemment que le midi en rentrant à la maison j’avais encore les marques de doigts sur le visage. L'après-midi, mon frère aîné m’a accompagné pour avoir des explications avec ce maître et lui rendit la gifle. Bien que l’élève coupable soit venu se dénoncer, je n’ai jamais eu d’excuses de sa part.

Notre instituteur se donnait un malin plaisir à mettre en concurrence Normands et Pieds-Noirs, que ce soit en sport ou en cours. Si un Normand était moins bon que nous, il était réprimandé et moqué. Il m’avait isolé dans le fond de la classe avec un Normand et ne s’intéressait pas du tout à nous, il avait installé une table dans le couloir pour nous et il arrivait parfois qu'on ne rentrait pas du tout dans la classe. Il avait pris l’habitude en passant près de moi de me frapper sur la tête avec un roseau et, un jour, j'ai attrapé sa main pour prendre le roseau et le casser.
L'année scolaire n'était pas terminée, mais ce fut mon dernier jour d’école. Il me pria de partir et de me présenter au concours d’entrée au CET du Trait. Avec deux années de retard, il ne me donnait aucune chance de réussite. Or, surprise j’ai été admis, " merci M. M……. vous avait bien fait ", du coup j’avais deux ans d’avance sur ma scolarité.

J’avais pris conscience qui fallait que je travaille un peu plus, je fis mais trois années au CET et j’obtins mon CAP de traceur de coques sans grande difficulté. Mon bon classement m'a permis d’être embauché au Chantier naval du Trait en 1968.
Robert, après avoir obtenu son CAP d'ajusteur en 1966, travaillait à l’huilerie. Quant à Jean-Pierre, après un court passage à l'huilerie, il s'est lancé dans une carrière dans la Gendarmerie.

Alger Alger
Mon père et sa première Mob, rue Paul-Janet Corvée de charbon dans la cité EDF.

Mon père était très attristé de ne plus avoir ses loisirs préférés qu'était la pêche en mer et à pied, ainsi que d'attraper des oiseaux, chardonnerets et canaris pour les écouter chanter qu'il relâchait. Grand fumeur, la cigarette a eu raison de lui, il décéda le 4 octobre 1970 d’un cancer aux poumons. 

AlgerPour moi, le départ au service militaire arrivait. Resté seul avec ma mère, mes frères étant mariés, je fis une demande pour être exempté en tant que soutien de famille. Ce ne fut pas simple car je retrouvais une fois de plus mon instit secrétaire de mairie qui refusa de me donner les documents nécessaires. Je me suis donc rendu à la mairie du Trait et 15 jours après je recevais mon carnet militaire en tant que réserviste.

Il n'a pas été le seul à avoir des difficultés à accepter la venue des Pieds-Noirs. Nous avons été confrontés à des personnes qui nous tenaient pour responsables des départs au combat des jeunes militaires français, bien souvent elles avaient un membre de leur famille dans ce cas. On nous prenait pour des Algériens et subissait des remarques telles que : " Ta femme n'est pas voilée ? " (faites à mon père dès notre arrivée) ou " Vous parlez bien le français ", ou encore " Vous manger du cochon ? ". Au CET un élève de ma section, dès qu'il s'approchait de moi, imitait le cochon. Un jour, je lui ai cassé le nez, il a arrêté ses imitations.

Mon père étant décédé, EDF nous a demandé avec insistance de libérer le logement. Une fois de plus il a fallu déménager et s'éloigner de nos amis Pieds-Noirs ainsi que des bons voisins de cette rue. La mairie nous proposa un appartement dans les immeubles flambant neufs du centre. On y emménagea mais, quelques mois après, je me mariais et ma mère se retrouva seule. Mais j'obtins à mon tour un appartement situé dans l'immeuble en face du sien, ce qui la réconforta. On sut plus tard que EDF, suite au décès d'un de ces agents, n'avait pas obligation de leur demander à quitter leur logement.

" A partir de ce jour,
je me suis senti bien intégré...
"
En 1973, j'ai eu l'occasion de faire la connaissance de la personne chargée du recrutement à la centrale. Mon nom lui rappelant mon père et il me fit savoir qu’à son décès j’étais prioritaire pour être embauché. Ce fût fait, après une formation, j'obtins un poste à la centrale.

C'est alors que deux personnes de l’atelier, MM. Bréard et Dupoux, m'ont fait découvrir le poste de travail de mon père. Je constatais que trois années après son décès rien n’avait été déplacé, établi, table de travail avec son cendrier, paquet de cigarette Gauloises, briquet, stylo, son outillage qu’il avait pris soin de marquer avec ses initiales, son tabouret, il restait encore la bricole en cours, des petites lanternes en fer forgé.
Je me rappelle de cette journée avec beaucoup d’émotion, quel exemple de camaraderie et de respect, je n'ai eu que des mots de sympathie à son égard de la part des personnes qui l’ont côtoyé. A partir de ce jour je me suis senti bien intégré dans la commune.

Alger



Alger

Les lanternes et cadres en fer forgé que fabriquait mon père à la centrale.

Nouveau coup dur pour maman, le 4 octobre 1974, quatre ans après mon père, jour pour jour et même heure, Robert est décédé des suites d'une agression lors d'un match de foot, laissant derrière lui sa femme avec ses deux petites filles.

A la fermeture de la centrale, en 1984, j'ai effectué une reconversion dans les RH du GRPT Normandie (Groupe Régional de Production Thermique).

En 2006, pour mon départ à la retraite mes collègues m'ont offert le voyage en Algérie, billet d'avion et hôtel réservés pour mai 2007. Hélas, je dus l'annuler, ma mère ayant été hospitalisée un mois avant, j'ai préféré rester près d'elle. Elle décéda trois mois plus tard.

A mon grand regret, je n'ai jamais eu l'occasion de faire ce voyage.

Aujourd’hui, j’habite toujours Yainville et chaque jour je pense à mon pays : que serions-nous devenus là-bas ?

Marc RIBES.

UN COMMENTAIRE ?

 
 

 Yves Rabout : bravoooo, je reconnais bien de notre vécu. Je voulais dire a Catherine, oui des apparts étaient réservés à des familles pn. Par exemple quand je me suis mariée avec Claude en août 1966, par un Curé impliqué, nous avions eu un logement en face des sapins, sur Bihorel, un r de chaussée, au premier c'était une famille harky, en face au r de chaussée un couple âgé juifs, et la famille qui a gardé mon ainé Frédéric, puisque je travaillais, était des Rodriguez, toujours à Bihorel. Il y en avait bien d'autres, il n'y avait qu'à voir et entendre les parties de boules...Et oui aussi, mon père José, était chaudronnier, quand il est parti à la retraite, le grand chef dont je ne sais plus le nom, avait fait, une belle proposition à mon père pour qu'il reste, je me souviens, pauvre père, il avait refusé, il avait dit, il aurait dû y penser avant. Son côté andalou qui avait réagi.😪pauvre de mon père. Mes ami(e)s nos parents étaient des gens biens, et il a été tellement difficile de s'intégrer, même moi, j'avais tout juste 18 ans, y compris pour le travail ça n'a pas été facile, et puis le froid, nous avons souffert du froid, je parle de l'hiver et des pluies. Il nous a fallu rentrer dans le moule ! Après, cela a été plutôt sympa, les petits flirts, les copains, nous étions si jeunes si pleins de vie.

Marie Pastor Difficile de se mettre à la place des expatriés. Merci pour ces récits. J’aimais beaucoup aller boire le café chez Me Ribes avec ma grand-mère. Je garde le souvenir d’une dame extrêmement gentille, souriante, accueillante. Difficile d’imaginer qu’elle avait pu vivre tout cela !

Marc Ribes Merci Marie, ma mère a beaucoup souffert. Des l'arrivée en France avec les décès de sa sœur du diabète, après de sa mère, 2 mois après son père d'ennuis, puis mon père et mon frère Robert. Ta mamie était aussi très gentille. Le petit clan pied-noir Maman, Mme Vago, Mamie Pastor et Mme Vivaldi. Bisou.

Didier Bidaux. Superbe témoignage et très émouvant !

Marc Ribès Merci Didier, tu sais que ton père faisait équipe avec le mien à la centrale comme magasinier. Désolé pour ta proposition de conférence.

Didier Bidaux Non, je ne savais pas ce qu'il faisait ! 😉

David Ribès superbe, merci à Mr QUEVILLY pour sa démarche auprès de mon père.

Martial Rodriguès Superbe.

Alain Picard superbe reçit salut marco


Ginette Legras Ah mes petits voisins bons souvenirs bises.

Marc Ribès Merci Ginette, je n'oublie pas ta petite famille, les filles et Jean. Un vrai plaisir d'avoir fait un bout le chemin avec vous. Ma mère parlait souvent de vous. Bisous.

Yvette Rabout tu sais Marco, ce serait super sympa, de revoir les enfants pn et même les enfants dont les pères et frères ont travaillé à l usine (les parents malheureusement, ne plus là...). Une réunion avant qu'il ne soit trop tard.


Anne Marie Avenel Que de souvenirs Marc, tu m'as bouleversé, félicitations. Entre ta mère et la mienne c'était une très forte amitié, Anne-marie Vago
.

Marc Ribès Merci Anne Marie, on a eu des mères exceptionnelles.


Yvette Rabout  coucou Anne Marie, bonjour, je te fais un gros bisou Yvette
.

Anne-Marie Avenel ça fait plaisir d'avoir de tes nouvelles gros bisous également.

Liens



Les Ribès, 1ère partie :
L'Algérie vue d'ici :
Les Pieds-Noirs d'Yainville :
Vautier, l'homme contre :
Leboucher, le modéré :
Jean-Louis le Spahi :
Rue Paul-Janet :
Vingt ans après :
E.G.A :

Ali-Chekkal :
J'ai 10 ans !...