Vingt ans après
Retour en Algérie
Par Christiane Pascual


1982. Ma sœur Jeanine et son mari sont en poste à Akbou, en Kabylie. C'est l'occasion pour moi de faire le voyage pour les y retrouver. Beaucoup de difficultés pour obtenir nos visas pour ce séjour touristique.
Du tourisme ? une blague. Après beaucoup d'échanges avec Jeanine, documents à remplir, attestations de séjour chez eux, enfin nous avons nos visas.
Traversée en Méditerranée mouvementée, tempête force 7, pour nous quatre, Alain, Stéphanie, 10 ans, Mickaël, 5 ans, tout va bien, nous intégrons nos couchettes, nous ne sommes pas malades
Arrivée Oran, Jeanine est là, passage à la douane, avec la police, beaucoup de palabres, ils sont suspicieux, peu aimables, nos passeports, visas et adresse du lieu de séjour sont bons, nous ne répondons pas, de guerre lasse, ils nous laissent passer.

Akbou


Nous récupérons notre voiture et nous partons sans tarder pour Akbou. Je ne vois rien d'Oran à notre arrivée. Il fait très chaud, nous arrivons en Kabylie, la bas nous avons l'interdiction de nous déplacer dans la montagne, les grottes restent la dernière demeure de nombreux Pieds-Noirs, pas question de s'y déplacer.

Le séjour en Kabylie, rien d'intéressant, si ce n'est le plaisir d'être avec ma sœur. Nous y avons souffert de la faim. Des œufs à trier pour éliminer les pourris, des pâtes à condition de les écumer pour supprimer les charançons, un poulet, voilà en gros l'essentiel de nos repas là-bas. Les viandes, à Akbou, posées sur tables en plein soleil, rien de réfrigéré, les mouches, le sang, nous ne nous y risquons pas.


Mon beau-frère dirige une entreprise française, la concession où vivent les équipes tant française qu'étrangère, dispose d'une petite piscine juste creusée dans la roche, nous voulons, avec ma fille, nous y rafraîchir, mais nous ne pouvons y rester : le gardien rôde, nous ne voulons pas qu'il nous voit en maillot de bain, il nous dit de venir chez lui, qu'il aura du raisin à nous donner ! Je me mets en colère, il s'en va. Je rentre, je le dis à Jeanine, le soir, mon beau-frère lui intime l'ordre de ne plus pénétrer dans la concession, nous ne l'avons plus revu.

Nous restons quelques jours et le jour de repos de mon beau-frère, ils souhaitent nous emmener en Méditerranée à Bejaia, anciennement Bougie. Nous-nous installons dans une crique, personne, vite les maillots de bain.
Mais la mer est moche, elle est noire, je ne comprends pas. Jeanine éclate de rire : " Mais tu ne vois pas que ce sont les oursins dans le fond de l'eau !" c'est incroyable, les Algériens ne les ramassaient pas, le fond de l'eau en est recouvert, impossible encore une fois de se baigner. Jeanine me dit : " Mais tu n'as encore rien vu, tu comprendras lorsque tu iras à Oran."

Nous voulons passer une nuit sur la côte, revoir les complexes touristiques Les bungalows n'ont plus de porte, plus de volet, même les prises électriques ont été arrachées, tout ce qui peut être volé a été démonté. Il y a quand même un bureau d'accueil, nous payons pour une nuit. Notre bungalow ne dispose pas de l'électricité, quant à la douche, nous ne pourrions y laver un chien. Nous passons la nuit sur nos serviettes éponge et partons à la première heure le lendemain matin.

Oran



Enfin, nous partons pour Oran tous les quatre. Première visite : mon école primaire Montplaisant. Dans mes souvenirs, comme l'escalier d'accès  me semblait grand, j'ai souvenir lors de gros orages, de mon père chaussé de ses bottes en caoutchouc venant nous chercher, moi sur ses épaules, Paul à la main.











Le cahier d'appel de 1961 où figure Christiane est conservé à l'école Montplaisant.
Je frappe personne ne répond, c'est alors qu'une jeune fille algérienne nous demande ce que nous cherchons, je lui explique que je suis née à Oran et que j'aimerais pénétrer dans cette école qui fut la mienne. Elle nous explique que la directrice de l'école des filles est partie au bled, mais que le directeur de l'école de garçons est chez lui, elle se propose de nous y conduire.

Nous faisons la connaissance de ce Monsieur charmé de nous recevoir avec gentillesse et courtoisie. Il nous offre le thé, Nous discutons un long moment et, pour résumer, il nous explique pour les Algériens l'impossibilité de quitter le territoire, d'une part parce que les salaires dérisoires ne leur permettraient pas et surtout d'autre part, parce que aucun visas ne leur serait accordé, " nous sommes chez nous, oui, mais nous sommes privés de liberté", nous dit-il.


Miramar, le front de mer...

Nous-nous quittons bien tristes de cette visite. Notre petite accompagnatrice nous propose de nous accompagner à l'EGA, " tout sera plus facile pour toi", me dit-elle. Avec elle, nous montons dans notre ex-appartement. La porte s'ouvre sur une Algérienne d'une quarantaine d'années, la présentation en arabe faite, elle ouvre grand la porte, m'embrasse, me dit d'entrer que je suis ici comme chez moi, me dit qu'elle est la seule locataire depuis notre départ. Je fais un pas et aussitôt une odeur de poivrons frits me projette 20 ans en arrière, le même parfum, je lui dis : "Tu fais une salade de poivrons ? Oui, viens je suis en train de les éplucher" et là, je ne peux plus bouger, je laisse passer Alain et les enfants et je reste tétanisée en pleurs, un trop plein d'émotions ! Elle est gentille, elle me rassure, me prend par la main, me dit : " reprends-toi, ça va aller, rentre, mon mari va bientôt arriver de la centrale je veux qu'il fasse votre connaissance",  mais je ne peux plus bouger, je pleure, je lui assure que je vais revenir, que cela ira mieux le lendemain, elle me fait promettre et nous laisse partir. Quel échec ! ma réaction imprévisible m'a seulement permis d'apercevoir la salle à manger, les coussins par terre, la table basse, la théière et c'est tout. Je n'ai pas eu la force de voir notre belle cuisine, la salle de bains, nos chambres... quel gâchis ! j'ai pris en photo nos boîtes à lettres, plus quelques autres, je n'ai pas su faire la visite de nos aires de jeux à mes enfants, c'était trop difficile.

Notre petite accompagnatrice nous quitte elle aussi en larmes, elle nous explique qu'elle a 17 ans et que dans huit jours ses parents vont la marier à un homme de l'âge de son père. Je souffre pour elle.



Nous avons eu le temps d'aller au cimetière sur la tombe de mon grand-père paternel. Alors que les cimetières sont restés territoires français et que l'entretien est financé par la France, nous voyons les tombes éventrées, les vierges et statues cassées, décapitées, toutes les tombes sont saccagées, les mauvaises herbes et les arbres poussent partout. Nous avons quand même trouvé la tombe du Pépé que nous avons nettoyée avec le peu que nous avions sur nous et je l'ai prise en photo, elle faisait partie des rares tombes passées au travers du pillage.

Nous sommes également allés en centre-ville, les Nouvelles Galeries, avec leur escalator en panne, bien entendu rempli de poubelles, cartons, cuvettes et autres en plastique Made in China, le tout entassé en vrac et encore une photo discrète, quel gâchis, nous qui pensions pouvoir acheter de quoi manger, nous avons déchanté. Alors direction Santa-Cruz, nous ne pouvions partir sans y aller. Il s'agit d'une chapelle qui domine le port d'Oran construite en contrebas du fort de Santa-Cruz. Enfin, de l'air et là nous comprenons l'expression de Jeanine, tu n'as encore rien vu ! Nous voyons le port d'Oran vide, pas un bateau de pêche, aucun navire, même pas une barcasse à rames, les Algériens ne pêchent pas, mais alors de quoi se nourrissent-ils ? Sans doute trop fatiguant de pêcher, nous en avons vu pourtant des hommes assis par terre partout en ville...

Au loin, mais tout au loin en pleine mer, le seul flottant, un navire de guerre russe !

Photos de la centrale, du port, de notre petite église, clocher transformé en minaret et les falaises, nos si belles falaises recouvertes, mais complètement recouvertes de poubelles, de détritus de papiers, de plastique, c'est une puanteur ! Mais d'où sortent-ils tant de déchets et d'immondices puisque la consommation est quasi-nulle, nous l'avons constaté sur place et nous en avons fait les frais.


En 1982, devant le lycée, ma sœur Jeanine et ses deux enfants.

Nous repartons vers Akbou pour la fin de notre séjour et dans la campagne oranaise et, à perte de vue, nous voyons les vignobles envahis par les mauvaises herbes, ils sont quand même encore restés identifiables,  les vergers à l'abandon c'est un désastre ! Alain et moi ne comprenons pas, idem trop fainéants pour travailler la terre ? quel gâchis !

Lorsque je montrerai nos diapos à mon père il s'étonnera de voir tant de cailloux dans la falaise. " ce ne sont pas des cailloux papa, ce sont les poubelles et direct dans la mer ! "
 Nous sommes également allés a Canastel, en cherchant bien, j'étais certaine de retrouver la villa que notre grande sœur louait, mais nous ne sommes pas les bienvenus et des gamins nous lancent des cailloux, nous avec deux enfants, avons aussitôt abandonné nos recherches et sommes partis. Nous longeons la côte, toutes les villas ont été pillées, abandonnées, ne subsiste que les murs et toiture.

Quoi d'autre ? la tristesse de voir les parcs et jardins non entretenus, les petites maisons de plein pieds entourées de murs de parpaings, de planches, le tout en récup sur du démontage d'autres maisons bien entendu.
Les beaux balcons des appartements en ville ou sur le front de mer bardés d'antennes et de linge qui pendouille.
Les voitures abandonnées par les Pieds-Noirs hors d'âge, Panhard, Dauphine, Caravelle ou autre Peugeot 403 et qui roulent encore mais dans un état lamentable.
Sur les bâtiments les impacts de balles ont été rebouchés, effacés en partie, mais aucun entretien n'est réalisé, murs décrépis et câbles électriques forment le décor.
Nous finissons notre séjour en Kabylie, là-bas, rien de particulier à faire, aucune visite, aucune balade.

Alors, en 1982, l'argent des millions de barils de pétrole ne semble pas profiter au peuple. Alors, cette guerre qui débute en 1954, ces milliers de morts, ces tortures qu'ont subi nos pauvres Harkis, ces viols, toute cette misère, pour ce résultat-là ?

Nous rentrons le cœur gros et mon petit Mickaël, 5 ans à l'époque, qui nous dit qu'il aimerait retourner un jour en Algérie " parce que c'est le plus beau pays du monde !" Voilà la conclusion de mont petit bonhomme faite avec son regard d'enfant, il avait su trier le beau du très laid. Et si j'avais pu lui montrer mon beau pays tel que je l'ai connu 20 ans auparavant, mais à cette époque nous ne faisions pas beaucoup de photos et les caméras étaient un luxe.

J'ai toujours le désir un jour de revoir mon pays, mais sachant ici en France tout ce que les Algériens, Tunisiens et autres Marocains nous ont fait subir, nous font subir,  et nous ferons encore subir, quel serait mon ressenti ? Et de plus six décennies après notre départ. ? Est-ce que le jeu en vaudra la chandelle ? Et pourtant mes enfants et petits-enfants, comme j'aimerais les emmener par la main sur les pas de ma belle enfance.

L'Algérie reste gravée en lettres de sang dans mon cœur. Si le gouvernement de De Gaulle n'avait pas baissé les bras, quel beau département nous aurions, Le gaz, le pétrole, les vins, fruits et légumes, la pêche, le tourisme, la Côte d'Azur à côté serait restée la petite sœur de la Méditerranée.

Allez assez de regret, il est temps de fermer ce livre.

  Il faudra un jour que je prenne le courage de revoir nos diapos, cela pourrait faire l'objet d'un prochain envoi. Mes boites sont restées fermées depuis 1982, mais un jour, peut-être, qui sait ?


Christiane PASCUAL.



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Marc Ribès. Très beau récit plein d'émotion d'Yvette et Christiane. Un parcours de vie similaire au mien (Grands parents Espagnols, parents et enfants nés en Algérie, difficultés d'adaptation et l'acceptation en France).
Au travers des commentaires et le manque de réactions de la part d'amis pourtant très proches, on s'aperçoit 60 ans après que les pieds noirs ne sont toujours pas très bien acceptés. A chacun ses opinions et ses convictions, que nous n'avons pas la prétention de faire changer. On ne peut pas refaire l'histoire. Cet extrait du livre " Pieds Noirs, les bernés de l'Histoire" écrit par Alain Vincenot répond bien à bon nombre de jugements encore présents aujourd'hui.
"Nous avons fêté le 1er novembre le 60e anniversaire du début de la guerre d’Algérie et à ce titre, je trouve que les Pieds-Noirs ont été victimes d’une grande injustice, car on les a considérés comme d’affreux colons exploiteurs, alors que la plupart d’entre eux étaient des gens humbles: employés, ouvriers et petits paysans qui vivaient dans les mêmes quartiers que les arabes. J’ai voulu rétablir une certaine vérité sur les Pieds-Noirs qui étaient loin d’être «cousus d’or» comme on pouvait le penser à l’époque."
Nos récits que Laurent QUEVILLY nous a permis de raconter sur notre vécu avant et après la guerre dans ce merveilleux pays sont autant de témoignages laissés à nos enfants et petits-enfants, dédiés à la mémoire de nos anciens.

Yvette Rabout. Hooo Marco c'est exactement ça, je ne retire aucun mot de ce beau message, tu imagines Marc, toi tu peux l'imaginer, je vais avoir 78 ans bientôt, j'en avais à peine 18 au départ, et j'ai toujours au fond du cœur cette douleur inconsolable. Je rêve très souvent que je reviens chez moi. Et en même temps j'ai la rage pour mes parents qui qu'ont plus revu leur coin de vie. Est ce que ceux qui ne comprennent pas encore, peuvent juste se dire "ils ont tout perdu, leur vie, leurs amis, juste même les quelques jouets, les livres, les affaires de classe..."

Édith Lebourgeois. Merci Christiane.

Michèle Cottin. Je reconnais Stéphanie !

Annexe
Je reviendrai

De bon matin je partirai, seule, droit devant moi par les chemins, par les bois et par les routes aussi. Sans me retourner, sans même un regret, avec pour seul bagage mes mains qui ont tant travaillé, sans rien dedans, libérées de toutes les entraves. Humble, j'irai, l'âme en paix, la tête vidée de ce qui fût, le cœur juste en surcharge d'une tristesse ténue pour ceux que j'ai aimés et que je laisserai. Je marcherai longtemps, soleil, pluie, jour ou nuit, rien n'y fera, j'avancerai. Empreinte d'une force irrésistible, mes pas l'un devant l'autre se poseront et mon corps se dépouillera petit à petit. A peine, je laisserai de jolis cailloux blancs, des morceaux de ma vie, la légère trace de mon passage, juste pour vous dire, j'étais là et je ne suis plus et tout au bout, où s'arrête la terre, désincarnée, je volerai comme l'aile fragile du papillon, portée par le souffle chaud du vent qui m'a attendue, la mer je traverserai, je volerai. D'instinct, je trouverai l'endroit exact que je cherchais dans ce cimetière tout là-bas où repose mon grand-papa, alors, je le sais, je serai arrivée. Je lui dirai tu n'es plus seul, je suis venue. Enfin apaisée, doucement, je me coucherai sur la dalle tout réchauffée, au calme je dormirai pour ne plus jamais me réveiller.

Yvette PASCUAL
2006

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