Par Marc RIBES.


Alger


Eh bien oui, je suis un rapatrié d’Algérie plus communément appelé un Pied-Noir, né à Alger le 21 juin 1951 au 7, rue du Dey, tout près des Trois-Horloges et de l’hôpital Maillot (militaire et civil) en plein cœur de Bab-El-Oued..

Ma famille :

Mon père Christophe Ribès, né le 9 mai 1917 à Alger à la Carrière Jaubert, fils de Antoine Ribès-Puig, né le 26 juillet 1885 à Jàvea (Espagne) et de Louise Fornès-Escriva, née le 3 janvier 1890 à Setta-Minarosa (Alicante, Espagne).

Ma mère Francisca Vidal, née le 25 février 1923 à Alger, fille de Andrés Vidal, né le 13 mars 1884 à Gandia (Valence, Espagne) et de Agueda Lloret, née le 14 novembre 1889 à Benissa (Espagne).

Mes frères : Christian Ribès né le 23 avril 1945 à Alger, Jean-Pierre Ribès, né le 21 août1947 à Alger, Robert Ribès, né le 5 juin 1949 à Alger.

Alger

Port d’Alger : à gauche vers le Champ de Manœuvre, la place des Martyrs (auparavant place du Gouvernement) à droite Bab-el-Oued avec sur les hauteurs la Basilique de Notre- Dame d’Afrique. (Cliquer pour agrandir).


A l'époque, nous habitions un petit lotissement ressemblant à une arène d’architecture italienne. On y accédait par une petite cour, un porche qui menait dans un couloir très sombre pour arriver dans une très grande cour baptisée " la cour des miracles ".

Celle-ci était séparée en son milieu par une cloison de bois pour distinguer deux entrées différentes, le n°7 par la rue du Dey, le n°5 par le Boulevard Champagne. De notre côté au fond il y avait un très grand puits recouvert par sécurité.

C'était une véritable arène avec des logements sur trois étages, sur une façade les entrées donnaient sur la cour et sur l'autre se trouvaient des paliers avec des balcons en fer forgé tout du long. "Nous étions entourés
d'un très bon voisinage

et on s'y plaisait..."
Pour nous c’était le terrain de foot idéal, malgré le chahut, nous n'avions aucun problème avec les locataires. Nous logions au rez-de-chaussée dans un appartement qui devint un peu étroit au fil du temps, sans commodité, ni eau chaude ni sanitaires mais des toilettes communes à chaque étage. Mon père, bricoleur, avait réussi à faire une salle de bains et des toilettes à l’extérieur, à l’époque on ne regardait pas le confort, on s’adaptait à tout.

Nous étions entourés d’un très bon voisinage et on s’y plaisait. Nous étions à proximité de toute notre famille : oncles, tantes et grands-parents, non loin de la montagne et surtout très près de la mer. Quand on posait la question à ma maman " où va-t-on cette après-midi," elle répondait "où le vent nous pousse", ça voulait dire chez les mamies.

La promenade commençait par la traversée de l’Avenue des Consulats en passant sur les rails et rampes des tramways. Puis la place Lelièvre, très beau site très animé avec un square, l’église Saint-Joseph, des terrains de pétanque, des commerces, l’école Lelièvre où mon frère Christian était scolarisé, des vendeurs ambulants de pizzas, de calenticas, de glaces et le café "Carrio" où l’on retrouvait deux fidèles clients, mon père et mon grand-père, attablés à l’extérieur.

Alger

Eglise Saint-Joseph, place Lelièvre
Alger

Square place Lelièvre.


Nous passions ensuite rue Jean-Jaurès chez ma tata D’Amico, sœur de ma maman, récupérer mon cousin et ma cousine, du même âge que nous, nous étions inséparables, pour aller vers la Basseta petit quartier dont la population était en majorité espagnole de Valence, maltaise, italienne. Très pauvre, la plupart travaillaient à la carrière Jaubert à l’extraction de la roche qui a servi à la construction des édifices de la ville d’Alger et des arcades du port.

Nous traversions la Place du Tertre, avec ses lavoirs, ses commerçants, le cinéma Rialto et où tout le monde parlait le "pataouète". Mes grands-parents maternels habitaient rue Camille-Douls juste derrière le cinéma, un logement situé au 4e étage. On y accédait par une cour où se trouvait les sorties de secours. Une belle aubaine pour nous, on avait fait des trous dans les portes en bois pour voir les films à l’œil. Mais on n’a jamais vu un film entièrement, tellement on faisait du chahut, le videur nous jetait. Aujourd’hui ce cinéma est transformé en garage. Ce quartier a vu naître beaucoup d’artistes connus comme Michel Gesina (musicien), les humoristes Robert Castel, Marthe Villalonga, la famille Hernandez et des vedettes du football algérois comme Buades, Landi, Baeza et mon oncle Vidal André.

Alger Alger
La Basseta, place du Tertre

Nous reprenions notre route, direction la carrière Jaubert où mes grands-parents paternels habitaient avec mon oncle et ses trois enfants dans un logement de fonction attenant à l’usine de chaux dans laquelle travaillait mon grand-père comme contremaître et gardien.

Sur ce site immense où était extraites la pierre et la chaux se trouvait un terrain de moto-cross où se disputait le championnat de France et d’Algérie. Le logement servait de QG, infirmerie, vestiaire, garage et nous étions aux premières loges près des pilotes et des sponsors, on avait ainsi les premiers gadgets, portes clefs, bilboquets, briquets, stylos, photos des pilotes. Chaque année ma grand-mère était la présidente d’honneur et donnait le départ. Une fois les courses terminées, les enfants prenaient possession des lieux, un bout de bâton pour le guidon, un morceau de carton sur lequel on inscrivait le numéro de moto de son idole et c’était parti pour un tour de circuit en courant et imitant le bruit du moteur.

Alger

Dans cette carrière on y trouvait toutes sortes de végétation tels que des figuiers, des grands cactus figuiers de barbaries, des roseaux. Tout autour il y avait des grottes troglodytes où vivaient des familles algériennes avec lesquelles nous étions amis. 

Chez mes grands-parents c’était une véritable ferme, on y trouvait des élevages de lapins, cochons d’indes, poules, canards ainsi que des chats. C'est là que, pour fêter pâques, toute la famille se réunissait autour d’une grande paëlla suivie de la traditionnelle distribution de mona à chaque enfant, gâteau de chez nous genre brioche en forme de dôme sur lequel ma grand'mère posait un œuf avec sa coquille avant la cuisson. 

A deux pas de chez nous il y avait l’hôpital Maillot où on était autorisé à assister aux séances de cinéma pour tenir compagnie aux militaires malades ou convalescents. Dans la cour il y avait des gazelles dans le museau desquelles les militaires s’amusaient à mettre des cigarettes histoire de les voir fumer. 

Alger Alger
Photo de la maternelle école Sigwalt, je suis au 2e rang assis, 4e en partant de la gauche. Photo en CE2,école Lutaud,  en haut le 3e de droite à gauche.

Nous étions scolarisés à l’école Sigwalt qui allait de la maternelle au CM2. A côté se trouvaient le commissariat, la mairie, la place des messageries et la célèbre épicerie algérienne tenue par Moussa plutôt un grand bazar genre caverne d'Ali Baba où il y avait de tout. Les enfants y faisaient le plein de bonbons avant d’entrer à l’école. En Algérie on ne disait pas un épicier mais un "moutchou".
Alger Alger
 La rue du Dey (D.R.)

 
Ci-contre, l'école Sigwalt (Photo: Guy  Balzano).
Chaque été, on avait droit aux faiseurs de pluie. C'était un groupe de musiciens algériens (instruments : tambours de peaux de chèvre, trompettes, flûtes à anche en roseau, darboukas, crotales ou castagnettes en fer...) qui jouait pour faire "tomber la pluie". Bien sûr cela ne marchait jamais mais ils repartaient quand même avec quelques pièces. En guise de pluie, une année, on a eu droit à une invasion de grosses sauterelles rouges, il y en avait tellement que nous avons été alertés par la sirène, les rues en étaient recouvertes d'une épaisse couche. Tous les gamins du quartier les ramassaient dans des boites à chaussures pour les apporter, contre une petite pièce, à un locataire de notre immeuble qui les faisait griller pour les manger.

Plus bas, en longeant le boulevard du Triolet qui séparait le terrain d’hélicoptère de l’hôpital, se trouvait le stade Marcel-Cerdan et la plage des deux chameaux où on passait le week-end en famille. Mon père avec mes oncles y installait des bâches et tout le monde mangeait et dormait sur place malgré la proximité de notre habitation. Mon père, bon nageur, était dans son élément, il faisait son "marché" : oursins, poulpes, moules et poissons, les femmes préparaient les pizzas, calentitas, paëllas ainsi que les produits de la pêche.

Alger

Bab-El-Oued avec les lieux d’habitations de ma famille. (Cliquer pour agrandir)

Fin 1957, les services sociaux nous ont poussé à partir pour aller habiter dans les HLM flambants neufs du quartier du Champs-de-Manœuvre, situés à 4 km de Bab-El-Oued entre la place du Gouvernement où se trouve la casbah et Belcourt, deux quartiers dont la population était en majorité musulmane.

Nous emménageâmes dans un bel immeuble de 15 étages, au 5e dans un appartement plus spacieux avec deux chambres, salle à manger, cuisine et salle de bains. A proximité, on trouvait tous les commerces, la poste, un marché couvert, l'hôpital Mustapha où travaillait ma mère ainsi qu'une immense école (Charles-Lutaud) qui regroupait maternelle, collège, lycée et même une section sport étude. Mon père était également plus près de son travail. En face, il y avait des terrains de jeux immenses avec un énorme bassin pour faire des balades en bateau et du modélisme, une mini-gare avec le train qui faisait le tour des jardins gratuitement aux enfants, des terrains de pétanque, une piste de patins à roulettes.

Alger Alger
La mini-gare et son train
Alger Alger
La patinoire Le bassin

L'école Charles-Lutaud

"Malheureusement,
c'est à cette époque
que la guerre est arrivée en ville... "
Malheureusement c’est à cette époque que la guerre est arrivée en ville. Au début, il y a eu des manifs avec des échauffourées entre la population et les forces de l’ordre puis tous les jours des attentats, plastiquages, grenades, bombes. Le soir à l’heure du couvre-feu commençait une guerre plus rude avec le FLN, l'OAS et l’armée française, tandis que les Pieds-Noirs faisaient retentir leurs casseroles au son de "Algérie Française".
Les paras intervenaient dans les quartiers musulmans. Tous les jours, la population était au courant du programme de la soirée par l’OAS qui émettait sur les ondes radio la soirée à venir : " Nuit des bombes incendiaires ", " Nuit des 100 bombes ". Tout le monde était à l’écoute auprès de sa radio, le message était lancé avec la chanson des chaussettes noires, " Tu parles trop ".

Que de mauvais moments, toutes les nuits les forces de l’ordre mitraillaient les immeubles et nous étions réfugiés en pleurs auprès de ma mère. On ne profitait pas de notre chambre, mes parents par sécurité nous faisaient dormir parterre dans le couloir.



Bouclage du champ de manœuvre par l'armée française

Le matin, le quartier était bouclé, les militaires fouillaient tous les logements pour chercher des armes et emportaient en montagne la population masculine de 18 ans et plus pour contrôler les papiers d’identité. C’était un défilé de camions militaires, mon père faisait la navette, il revenait et repartait le lendemain, la faute à une parabole qu’il avait confectionné et installé sur une fenêtre pour mieux capter la radio. Du coup, l'armée croyait que c’était lui qui émettait les Chaussettes noires. Il n’a jamais voulu l’enlever, préférant faire un tour à la montagne.

Les Paras occupaient les parkings d’immeubles et l’armée française la moitié de notre école. Il était établi que les garçons avaient classe le matin et les filles l’après-midi.

Du coup, pendant deux ans, le blocus des rues du quartier qui durait la matinée nous empêchait d’aller en classe et l’après-midi on se mettait en péril en allant voir les dégâts de la nuit. Avec Robert, on avait pris l’habitude, en début d’après-midi, d’aller au jardin regarder jouer un accordéoniste aveugle et les boulistes. Un jour une voiture du FLN leur a jeté une grenade qui a fait 12 morts, par chance, ma mère était en repos et nous étions restés à la maison.  " Un jour, deux personnes ont assassiné mon instituteur algérien
sous nos yeux..."

Le danger était partout. Un jour, au début de la guerre, quand on allait encore à l’école, alors que tous les élèves étaient en rang dans la cour, deux personnes ont assassiné mon instituteur algérien sous nos yeux, il était le père de deux enfants jumeaux qui étaient parmi nous.


Marc RIBES

Pour suivre :

Le  grand départ


UN COMMENTAIRE ?

 
 


Par Quevilly 06/07/2024 à 16:39:50
Marco n'a pas dû voir ta question. Il me semble que ses grands-parents maternels sont André Vidal, né le 13 mars 1884 à Gandia (Valence) et Agueda Lloret, née le 14 Novembre 1889 à Benissa.

Par martinez 14/06/2023 à 17:25:24
Salut. tu écris que tes grands parents maternels habitaient la maison Mari rue Camille-Douls ....tous les miens y habitaient Comment s'apellait ta grand-mère que j'ai du connaitre .Salutations fraternelles

Par Marc Ribès 13/03/2022 à 17:19:31
Merci Marie, ma mère a beaucoup souffert. Des l'arrivée en France avec les décès de sa sœur du diabète, après de sa mère, 2 mois après son père d'ennuis, puis mon père et mon frère Robert. Ta mamie était aussi très gentille. Le petit clan pied-noir Maman, Mme Vago, Mamie Pastor et Mme Vivaldi. Bisou

Par Ginette Legras 08/03/2022 à 21:46:29
Ah mes petits voisins bons souvenirs bises

Par Anne-Marie Vago 08/03/2022 à 21:44:44
Que de souvenirs Marc, tu m'as bouleversé, félicitations.
Entre ta mère et la mienne c'était une très forte amitié.

Par Marie Pastor 08/03/2022 à 21:42:28
Difficile de se mettre à la place des expatriés. Merci pour ces récits.
J’aimais beaucoup aller boire le café chez Me Ribes avec ma grand-mère. Je garde le souvenir d’une dame extrêmement gentille, souriante, accueillante.
Difficile d’imaginer qu’elle avait pu vivre tout cela !

Par Yvette Rabout 28/02/2022 à 11:51:05
bravoooo, je reconnais bien de notre vécu. Je voulais dire a Catherine, oui des apparts étaient réservés à des familles pn. Par exemple quand je me suis mariée avec Claude en août 1966, par un Curé impliqué, nous avions eu un logement en face des sapins, sur Bihorel, un r de chaussée, au premier c'était une famille harky, en face au r de chaussée un couple âgé juifs, et la famille qui a gardé mon ainé Frédéric, puisque je travaillais, était des Rodriguez, toujours à Bihorel. Il y en avait bien d'autres, il n'y avait qu'à voir et entendre les parties de boules...Et oui aussi, mon père José, était chaudronnier, quand il est parti à la retraite, le grand chef dont je ne sais plus le nom, avait fait, une belle proposition à mon père pour qu'il reste, je me souviens, pauvre père, il avait refusé, il avait dit, il aurait dû y penser avant. Son côté andalou qui avait réagi. pauvre de mon père. Mes ami(e)s nos parents étaient des gens biens, et il a été tellement difficile de s'intégrer, même moi, j'avais tout juste 18 ans, y compris pour le travail ça n'a pas été facile, et puis le froid, nous avons souffert du froid, je parle de l'hiver et des pluies. Il nous a fallu rentrer dans le moule ! Après cela a été plutôt sympa, les petits flirts, les copains, nous étions si jeunes si pleins de vie.

Par Alain Lamy 25/02/2022 à 18:45:08
Super intéressant ce manuscrit, très beau témoignage

Par Alain PICARD 25/02/2022 à 17:25:16
C'est avec grand plaisir que j'ai lu ta jeunesse en Algérie, car partir dans de telles circonstances... J'ai bien connu ton père ainsi que Pascual en tant que chaudronnier Dumont, Terrones etc. !!! Que de souvenirs ! Je te félicite pour avoir écrit tous ce texte. Salut Marc Ribès

Par David RIBES 25/02/2022 à 17:21:20
Superbe, merci à M. QUEVILLY pour sa démarche auprès de mon père

Par Chantal FERON 25/02/2022 à 17:18:21
J'ai très bien connu. Moi je suis revenue d'Algérie en 1960 dans des drôles circonstances.

Par Catherine Mercier 25/02/2022 à 17:13:13
Un témoignage émouvant ! Dans les années 60 , à Rouen, des Pieds-Noirs étaient relogés dans les immeubles nouvellement construits aux Sapins. J'y allais voir une copine de collège et effectivement constatais la pauvreté du mobilier. Ces gens-là avaient tout laissé derrière eux.

Par Didier BIDAUX 25/02/2022 à 17:09:51
Superbe témoignage et très émouvant !

Par Boutard 25/02/2022 à 13:15:23
Nous habitions le 78 rue Paul janet avec mes parents alexis et Yvonne mon frère Didier , ma sœur marie-Claire. Que de souvenirs ! Bravo pour votre histoire
Liens



Les Ribès, 2e partie :
L'Algérie vue d'ici :
Les Pieds-Noirs d'Yainville :
Vautier, l'homme contre :
Leboucher, le modéré :
Jean-Louis le Spahi :
Rue Paul-Janet :
Vingt ans après :
E.G.A :

Ali-Chekkal :
J'ai 10 ans !...