
Mon père Christophe Ribès, né le 9 mai 1917 à Alger à la Carrière Jaubert, fils de Antoine Ribès-Puig, né le 26 juillet 1885 à Jàvea (Espagne) et de Louise Fornès-Escriva, née le 3 janvier 1890 à Setta-Minarosa (Alicante, Espagne).
Ma mère Francisca Vidal, née le 25 février 1923 à Alger, fille de Andrés Vidal, né le 13 mars 1884 à Gandia (Valence, Espagne) et de Agueda Lloret, née le 14 novembre 1889 à Benissa (Espagne).
Mes frères : Christian Ribès né le 23 avril 1945 à Alger, Jean-Pierre Ribès, né le 21 août1947 à Alger, Robert Ribès, né le 5 juin 1949 à Alger.
A l'époque, nous habitions un petit lotissement ressemblant à une arène d’architecture italienne. On y accédait par une petite cour, un porche qui menait dans un couloir très sombre pour arriver dans une très grande cour baptisée " la cour des miracles ".
Celle-ci était séparée en son milieu par une cloison de bois pour distinguer deux entrées différentes, le n°7 par la rue du Dey, le n°5 par le Boulevard Champagne. De notre côté au fond il y avait un très grand puits recouvert par sécurité.
C'était une véritable arène avec des logements sur trois étages, sur une façade les entrées donnaient sur la cour et sur l'autre se trouvaient des paliers avec des balcons en fer forgé tout du long. | "Nous étions
entourés d'un très bon voisinage et on s'y plaisait..." |
Nous étions entourés d’un très bon voisinage et on s’y plaisait. Nous étions à proximité de toute notre famille : oncles, tantes et grands-parents, non loin de la montagne et surtout très près de la mer. Quand on posait la question à ma maman " où va-t-on cette après-midi," elle répondait "où le vent nous pousse", ça voulait dire chez les mamies.
La promenade commençait par la traversée de l’Avenue des Consulats en passant sur les rails et rampes des tramways. Puis la place Lelièvre, très beau site très animé avec un square, l’église Saint-Joseph, des terrains de pétanque, des commerces, l’école Lelièvre où mon frère Christian était scolarisé, des vendeurs ambulants de pizzas, de calenticas, de glaces et le café "Carrio" où l’on retrouvait deux fidèles clients, mon père et mon grand-père, attablés à l’extérieur.
![]() Eglise Saint-Joseph, place Lelièvre
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![]() Square place
Lelièvre.
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Nous
passions ensuite rue Jean-Jaurès chez ma tata
D’Amico, sœur de ma
maman, récupérer mon cousin et ma cousine, du
même âge que nous,
nous étions inséparables, pour aller vers la
Basseta petit quartier
dont la population était en majorité espagnole de
Valence,
maltaise, italienne. Très pauvre, la plupart travaillaient
à la
carrière Jaubert à l’extraction de la
roche qui a servi à la
construction des édifices de la ville d’Alger et
des arcades du
port.
Nous
traversions la Place du Tertre, avec ses lavoirs, ses
commerçants, le cinéma Rialto et
où tout le monde
parlait le "pataouète". Mes grands-parents maternels
habitaient rue Camille-Douls juste derrière le
cinéma, un logement
situé au 4e
étage. On y accédait par une cour où
se trouvait les sorties de
secours. Une belle aubaine pour nous, on avait fait des trous dans
les portes en bois pour voir les films à
l’œil. Mais on n’a
jamais vu un film entièrement, tellement on faisait du
chahut, le
videur nous jetait. Aujourd’hui ce cinéma est
transformé en
garage. Ce quartier a vu naître beaucoup d’artistes
connus comme
Michel Gesina (musicien), les humoristes Robert Castel, Marthe
Villalonga, la famille Hernandez et des vedettes du football
algérois
comme Buades, Landi, Baeza et mon oncle Vidal André.
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Sur ce site immense où était extraites la pierre et la chaux se trouvait un terrain de moto-cross où se disputait le championnat de France et d’Algérie. Le logement servait de QG, infirmerie, vestiaire, garage et nous étions aux premières loges près des pilotes et des sponsors, on avait ainsi les premiers gadgets, portes clefs, bilboquets, briquets, stylos, photos des pilotes. Chaque année ma grand-mère était la présidente d’honneur et donnait le départ. Une fois les courses terminées, les enfants prenaient possession des lieux, un bout de bâton pour le guidon, un morceau de carton sur lequel on inscrivait le numéro de moto de son idole et c’était parti pour un tour de circuit en courant et imitant le bruit du moteur.
Dans cette carrière on y trouvait toutes sortes de végétation tels que des figuiers, des grands cactus figuiers de barbaries, des roseaux. Tout autour il y avait des grottes troglodytes où vivaient des familles algériennes avec lesquelles nous étions amis.
Chez mes grands-parents c’était une véritable ferme, on y trouvait des élevages de lapins, cochons d’indes, poules, canards ainsi que des chats. C'est là que, pour fêter pâques, toute la famille se réunissait autour d’une grande paëlla suivie de la traditionnelle distribution de mona à chaque enfant, gâteau de chez nous genre brioche en forme de dôme sur lequel ma grand'mère posait un œuf avec sa coquille avant la cuisson.
A deux pas de chez nous il y avait l’hôpital Maillot où on était autorisé à assister aux séances de cinéma pour tenir compagnie aux militaires malades ou convalescents. Dans la cour il y avait des gazelles dans le museau desquelles les militaires s’amusaient à mettre des cigarettes histoire de les voir fumer.
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Photo de la maternelle école Sigwalt, je suis au 2e rang assis, 4e en partant de la gauche. | Photo en CE2,école Lutaud, en haut le 3e de droite à gauche. |
Nous étions scolarisés à l’école Sigwalt qui allait de la maternelle au CM2. A côté se trouvaient le commissariat, la mairie, la place des messageries et la célèbre épicerie algérienne tenue par Moussa plutôt un grand bazar genre caverne d'Ali Baba où il y avait de tout. Les enfants y faisaient le plein de bonbons avant d’entrer à l’école. En Algérie on ne disait pas un épicier mais un "moutchou".
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![]() La rue du Dey (D.R.) Ci-contre, l'école Sigwalt (Photo: Guy Balzano). |
Plus bas, en longeant le boulevard du Triolet qui séparait le terrain d’hélicoptère de l’hôpital, se trouvait le stade Marcel-Cerdan et la plage des deux chameaux où on passait le week-end en famille. Mon père avec mes oncles y installait des bâches et tout le monde mangeait et dormait sur place malgré la proximité de notre habitation. Mon père, bon nageur, était dans son élément, il faisait son "marché" : oursins, poulpes, moules et poissons, les femmes préparaient les pizzas, calentitas, paëllas ainsi que les produits de la pêche.
Fin 1957, les services sociaux nous ont poussé à partir pour aller habiter dans les HLM flambants neufs du quartier du Champs-de-Manœuvre, situés à 4 km de Bab-El-Oued entre la place du Gouvernement où se trouve la casbah et Belcourt, deux quartiers dont la population était en majorité musulmane.
Nous emménageâmes dans un bel immeuble de 15 étages, au 5e dans un appartement plus spacieux avec deux chambres, salle à manger, cuisine et salle de bains. A proximité, on trouvait tous les commerces, la poste, un marché couvert, l'hôpital Mustapha où travaillait ma mère ainsi qu'une immense école (Charles-Lutaud) qui regroupait maternelle, collège, lycée et même une section sport étude. Mon père était également plus près de son travail. En face, il y avait des terrains de jeux immenses avec un énorme bassin pour faire des balades en bateau et du modélisme, une mini-gare avec le train qui faisait le tour des jardins gratuitement aux enfants, des terrains de pétanque, une piste de patins à roulettes.
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La mini-gare et son train | |
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La patinoire | Le bassin |
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L'école Charles-Lutaud |
"Malheureusement, c'est à cette époque que la guerre est arrivée en ville... " |
Malheureusement c’est à cette époque que la guerre est arrivée en ville. Au début, il y a eu des manifs avec des échauffourées entre la population et les forces de l’ordre puis tous les jours des attentats, plastiquages, grenades, bombes. Le soir à l’heure du couvre-feu commençait une guerre plus rude avec le FLN, l'OAS et l’armée française, tandis que les Pieds-Noirs faisaient retentir leurs casseroles au son de "Algérie Française". |
Que de mauvais moments, toutes les nuits les forces de l’ordre mitraillaient les immeubles et nous étions réfugiés en pleurs auprès de ma mère. On ne profitait pas de notre chambre, mes parents par sécurité nous faisaient dormir parterre dans le couloir.

Bouclage du champ de manœuvre par l'armée française
Le matin, le quartier était bouclé, les militaires fouillaient tous les logements pour chercher des armes et emportaient en montagne la population masculine de 18 ans et plus pour contrôler les papiers d’identité. C’était un défilé de camions militaires, mon père faisait la navette, il revenait et repartait le lendemain, la faute à une parabole qu’il avait confectionné et installé sur une fenêtre pour mieux capter la radio. Du coup, l'armée croyait que c’était lui qui émettait les Chaussettes noires. Il n’a jamais voulu l’enlever, préférant faire un tour à la montagne.
Les Paras occupaient les parkings d’immeubles et l’armée française la moitié de notre école. Il était établi que les garçons avaient classe le matin et les filles l’après-midi.
Du coup, pendant deux ans, le blocus des rues du quartier qui durait la matinée nous empêchait d’aller en classe et l’après-midi on se mettait en péril en allant voir les dégâts de la nuit. Avec Robert, on avait pris l’habitude, en début d’après-midi, d’aller au jardin regarder jouer un accordéoniste aveugle et les boulistes. Un jour une voiture du FLN leur a jeté une grenade qui a fait 12 morts, par chance, ma mère était en repos et nous étions restés à la maison. | " Un jour, deux personnes ont
assassiné mon
instituteur algérien sous nos yeux..." |
Le danger était partout. Un jour, au début de la guerre, quand on allait encore à l’école, alors que tous les élèves étaient en rang dans la cour, deux personnes ont assassiné mon instituteur algérien sous nos yeux, il était le père de deux enfants jumeaux qui étaient parmi nous. ■
Marc RIBES
Le grand départ



Par Marc Ribès 13/03/2022 à 17:19:31
Par Ginette Legras 08/03/2022 à 21:46:29
Par Anne-Marie Vago 08/03/2022 à 21:44:44
Entre ta mère et la mienne c'était une très forte amitié.
J’aimais beaucoup aller boire le café chez Me Ribes avec ma grand-mère. Je garde le souvenir d’une dame extrêmement gentille, souriante, accueillante.
Difficile d’imaginer qu’elle avait pu vivre tout cela !
Par Alain PICARD 25/02/2022 à 17:25:16
Par David RIBES 25/02/2022 à 17:21:20
Par Catherine Mercier 25/02/2022 à 17:13:13
Par Didier BIDAUX 25/02/2022 à 17:09:51
Les Ribès, 2e partie :

L'Algérie vue d'ici :

Les Pieds-Noirs d'Yainville :

Vautier, l'homme contre :

Leboucher, le modéré :

Jean-Louis le Spahi :

Rue Paul-Janet :

Vingt ans après :

E.G.A :

Ali-Chekkal :

J'ai 10 ans !...