Enfant de Saint-Pierre-de-Varengeville, Jean-Louis est le fils de mon cousin Jules, dernier puisatier du canton. Lui, il a eu 20 ans dans les Spahis. Témoignage...

  C'est le 1er janvier 1962, à 20 ans, que Jean-Louis fut appelé en Algérie. " Et pas de gaîté de cœur. Avant d'être incorporé, j'avais signé plusieurs manifestes contre cette guerre. Nous étions les premiers à effectuer 18 mois. D'autres, avant nous, avaient été incorporés bien plus longtemps et je me souviens des manifestations de Rouen quelques années auparavant..."

Jean-Louis fera ses classes au Lido, à 10 km d'Alger. Le Lido ? Nous étions bien loin du cabaret mythique.
" C'était une belle plage. On y gardait une cinquantaine de Pieds noirs récalcitrants. Oui, des partisans de l'Algérie française. Oh ! ils n'étaient pas malheureux. Nous non plus du reste. Passé trois mois, je suis parti dans le bled..."

Voilà Jean-Louis dans le prestigieux 9e régiment de Spahis algériens. Commandée par le lieutenant-colonel de Saint-Péreuse, c'est une unité de cavalerie de l'armée d'Afrique fondée en 1921. Passons sur ses pages plus ou moins glorieuses. Depuis 1960, le 9e RS est positionné sur les hauts plateaux de l'Oranais. " J'ai été affecté à Aflou, la porte du désert. On était 60 avec 120 chevaux. Chacun deux ! J'avais jamais grimpé sur un canasson..." Si le 9e a conservé un peloton monté par escadron, il est motorisé depuis peu. "Dans le bled, on patrouillait. J'aimais assez les armes et j'étais tireur sur blindé quand on est remonté jusqu'à Tiaret. Mais on n'a jamais connu d'accrochage et, fort heureusement, je n'ai pas eu l'occasion de faire feu. Si j'avais tué quelqu'un, j'aurais bien du mal à vivre ça aujourd'hui..."

Le soldat normand pourrait vous écrire un roman de "son" Algérie. Il garde par exemple un souvenir radieux de la basilique de Santa-Cruz, sur les hauteurs d'Oran. " Le bedeau nous y a servi du rôti en nous faisant écouter des gospels, du Ray Charles... Figure-toi qu'il y avait un juke-bok dans la chapelle."

A Alger, Jean-Louis participera aux opérations de maintien de l'ordre. " J'ai même gardé les studios de la télévision. Un jour où De Gaulle parlait depuis Paris, on le voyait bien à l'image. Mais sa voix était couverte par celle de l'OAS. C'était le directeur de la télé qui assurait le doublage..."

Les rapports entre militaires et Pieds noirs n'étaient pas toujours évidents. Une constante. Beaucoup de familles métropolitaines attribuaient alors les causes du conflit aux Français d'Algérie " Moi, j'étais plutôt interdit de ville car je m'engueulais plus souvent avec eux qu'avec les Arabes..." Cela dit, Jean-Louis aura connu des Pieds noirs non seulement attachants mais victimes d'une barbarie aveugle. " A Bel-Abès, un couple nous apportait des bouquins. Un dimanche, ils ont été égorgés. La femme qui était avec eux aussi. Quand on a alerté le lieutenant, celui-ci préférait manifestement rester au lit. Alors, on a insisté. "C'est des civils ou des militaires ? nous a-t-il demandé. Tu parles d'une question. Le couple est mort. Conduite à l'hôpital, leur amie en a réchappé..."



D'autres mauvais souvenirs reviennent encore en mémoire. Comme ce jour où fut tué un Zouave à Alger. " En représailles, sans en référer aux officiers, les soldats ont vidé aussitôt les raletiers et descendu une bonne vingtaine d'innocents dans les rues, ça c'est passé dans la Casbah..."

La torture ? " Je n'ai jamais été confronté à ce problème. On est tombés sur de sacrés gradés. C'étaient des Messieurs ! Notre capitaine avait été enfant de troupe à 14 ans. On le saluait spontanément tous les matins. Les autres officiers, on leur disait simplement bonjour. Une fois, un lieutenant nous a fait des histoires pour ça. Son rapport à ses supérieurs à fini à la corbeille. A Bel-Abès, les Légionnaires étaient des types biens et nos rapports avec eux excellents. A leur mess, par exemple, jamais ils ne nous auraient laissé régler une tournée..."

Le 1er septembre 1962, ce fut la dissolution du 9e RS. Une dernière prise d'armes eut lieu au camp de l'Emir, près de Tiaret et rassembla le régiment pour les adieux à son étendard avant qu'il ne prenne la route pour l'Hôtel des Invalides.

Jean-Louis aura conduit jusqu'à Oran les derniers Pieds Noirs et des Harkis en GMC. " Nous ignorions que nous n'avions pas le droit de faire embarquer les Harkis. Ils devaient rester là. Et mourir sur place. Massacrés. Quant aux Pieds noirs, c'étaient ceux qui, sans le sou, n'avaient pas eu les moyens de s'embarquer avant. Ils n'avaient plus rien. Certains abandonnaient leur voiture sur le port, les proposaient aux militaires..."

Une marche forcée valut à Jean-Louis d'être libéré huit jours plus tôt que prévu, le 21 juin 63. Ce qu'il garde comme sentiment de cette guerre ? " C'est trop bête que ça ce soit terminé comme ça.. On a refusé la citoyenneté aux Arabes. Il fallait mieux les traiter.. ."



 





 
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Entretien organisé en janvier 2022 par l'entremise du regretté Major Lajeunesse, Rouen. C'étaitmon cousin et je fus le garçon d'honneur de son mariage.


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L'Algérie vue d'ici :

Les Pieds-Noirs d'Yainville :
Les Ribès : Alger
Les Ribès : le grand départ
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