Oran 1962
J'ai
10 ans
!...
Par Christiane Pascual
Dernières
années d'insouciance à Oran. La petite Chistiane
entourée de sa famille...
(Cliquer pour agrandir)
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Tout
d'abord, le soleil, la mer notre cher
Méditerranée qui coule dans nos veines. Nos jeux
dans les cours de nos immeubles de l'EGA, corde à sauter,
patins à roulettes, les parties de cache-cache, de balle au
prisonnier, les dînettes avec nos poupées et
l'école, ma chère maîtresse, belle
comme un
soleil, brune, cheveux longs, yeux bleus.
« Désormais,
vous n'irez plus
à l'école ! ... » |
Elle
me confiait en fin
d'année les livres à recouvrir. Pour le carnaval,
à ses côtés nous confectionnions les
tenues en papier crépon.
L'hiver, nous
amenions à
tour de rôle des épluchures d'orange que nous
suspendions au dessus du four à bois. Que la classe sentait
bon !... Et puis un matin, maman me dit : " Non ma fille,
désormais vous n'irez plus à l'école !
..." |
Le FLN balançait des
grenades
dans les cours
d'écoles pendant les récréations...
Nous attendions tous les CM1
avec joie et appréhension, la grande classe un jour !
"Les jeux ont repris..."
Pendant
prés de deux
années, nous ne sommes plus
retournés à l'école. Mais quand
même, pour nous, les jeux ont repris. Un jour, devant nos
immeubles dans l'avenue des cris, les gosses nous sortons je vois une
femme qui tire un adolescent par sa veste, dans un camion deux Arabes
tirent de leur côté, elle hurle : "
C'est mon fils,
pitié ! "
des adultes sont sortis
également, le
jeune homme est lâché, il tombe par terre le
camion démarre, cette femme, ce jour-là, lui a
juste sauvé la vie, elle explique qu'il ne s'agit pas de son
fils,
grâce à cette femme, il ne fut pas
emmené au village pour être
égorgé, comme cela se produisait.
Christiane
entourée
de
Liliane,
Yvette et Paul...


Les
accords d'Evian du 18 mars 1962 qui prévoyaient la fin des
hostilités entre les forces françaises et
algériennes se traduisirent par un cessez-le-feu
applicable sur tout le territoire algérien dès le
lendemain 19 mars.
Ces accords, loin de
régler le
problème algérien, eurent pour
conséquence de lancer à partir du 17
avril une campagne d'enlèvements contre les
Français et les Harkis.
L'inaction des forces françaises eut
également pour conséquence une
longue période de violence meurtrière qui perdura
de longs mois. La
brutalité des méthodes du commandant du
corps d'armée, le général
Joseph Katz, a
soumis la
population pied-noire à une
violente
répression. Les forces armées abandonnaient les
Français d'Algérie, le
couvre-feu fut instauré, les véhicules militaires
s'orientaient vers
nos habitations...
"Les
soldats arrivent..."
Nous, les enfants
commençons à comprendre nos parents,
l'interdiction de sortir, l'impossibilité de retourner
à l'école.
« J'entends encore
le bruit des 12.7. Effrayant... » |
Puis
des soldats arrivent,
il y en a partout, les choses vont s'arranger, mais non, des chars se
positionnent dans l'avenue devant nos immeubles et le soir, ils nous
mitraillent, nous descendons tous dans les caves, entassés
les uns contre les autres.
Les fenêtres volaient en
éclats, j'entends encore le bruit des 12.7. Effrayant. |
Nous,
nous habitions au premier étage, trop bas pour que les
balles détruisent tout dans l'appartement, mais
dès le second étage et au-dessus,
c'était la destruction. Les lendemains nous allions dans nos
cours ramasser les douilles, à celui ou celle qui
en trouverait le plus.
Un après-midi, des CRS,
des
gendarmes ou des solats, je
ne savais le définir, viennent taper à
la porte de l'appartement pour
fouiller dans toutes les pièces à la recherche
d'armes que les
Pieds-Noirs auraient en leur possession pour se défendre.
Maman m'avait
rassurée : "N'ai
crainte ma mie ! " Les choses s'étaient bien
passées
dans mon souvenir, mais papa, le soir, racontait qu'il avait appris que
certaines portes de voisins avaient été
défoncées à coups de bottes
et
l'appartement dévasté. Nous étions
tombés par chance sur des militaires
cordiaux.
Blindé
léger type Scout-car positionné entre une
station-service et l'immeuble des Pascual.
Un
début
d'après-midi, un coup de feu, une jeune femme hurle, elle
vient chercher de l'aide, elle est couverte de sang, son mari est
étendu par terre, en sang.... On entendra les adultes en
parler, elle accompagnait son mari à la centrale EGA, un
camion est passé, le FLN, une balle dans la tête.
"Je sais que
nous allons partir..."
A
partir de là, je sais que nous allons partir, partir
où ? je n'ai aucun souvenir de la préparation de
nos malheureuses valises, je n'ai emmené aucune
poupée,
aucun jouet, aucun cahier d'école ni livre... Encore
à ce jour, je ne comprends pas. Aucun souvenir de notre
départ pour le port, le voyage quelques traces, fatiguant,
malodorant, aucun souvenir du Kairouan,
aucun souvenir de notre
arrivée à Port-Vendres.
«
Si
tu restes,
tu mourras ! » |
Mon
père et mon
frère aîné Jo étaient
restés en Algérie, c'est papa qui reviendra le
premier. Mon frère Jo ne doit la vie qu'à un ami
Algérien qui lui avait dit : "
Pascual, il faut que tu
partes
vite, le FLN parle, je sais des choses, si tu restes, tu mourras !" |
Et
Jo
trouve un médecin sur le départ qui lui fait un
certificat de contagion avec soins en France. Enfin, il part. |
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Nous
sommes tous en France. Direction les Pyrénées,
Escouloubre-les-Bains. Une forêt, un cours d'eau, il fait
beau et chaud, nous les enfants sommes plutôt bien.
En
route
pour la Normandie,
étape prolongée à Escouloubre. La
maman et la
grand-mère de Christiane, Renée et Catalina
Pascual...
Et
nous écoutions "J'entends siffler le train"...
Nous
repartons pour Lyon,
en bord de Saône, pas bien, une
maison
dans une friche EDF, nous sommes envahis de moustiques, les nuits sont
terribles et nous écoutions " Et j'entends siffler le train
" de Richard Anthony. |
Yainville...
Puis papa arrive et nous
partons tous pour Yainville, idem : aucun souvenir de ce
périple, quelques traces de valises qu'il faut
traîner, du
voyage en train qui ne finit pas...
Puis
nous arrivons à
Yainville. Et là, mais nous sommes où ? C'est ici
que nous vivrons désormais ?
Puis les choses s'arrangent
comme toujours avec les enfants, j'ai dix ans, Paul et moi
fonçons dans la forêt, il fait beau comme en
Algérie, dans la prairie derrière la rue
Paul-Janet nous cueillons des coquelicots, nous courons
après les
papillons, nous grimpons aux arbres.
Tout va bien, puis
septembre
arrive et nous rentrons à l'école. Pour moi,
direct le CM1. Puis, très vite, il fait froid, nous n'avons
que
des kabigs bretons, des chaussettes courtes, puis très
froid,
tout le temps froid en 1962-1963, la Seine charriait des
glaçons. Froid en sport dans le champ près de
l'école, froid pendant les cours de catéchisme,
froid dans l'église, froid pour charrier le chardon, le
linge qui gelait dehors.
Première
maison près de
la famille Gelmi, ensuite près de la famille
Ribès, Marco,
mon ami, Robert, l'ami de Paul. Ma chère Michèle
Andrieu,
nous ne nous sommes plus quittées, ces années
scolaires. Elle, rouquine, moi, brune, elle, son accent
méditerranéen, moi mon accent pied-noir, nous
étions faites pour nous entendre.
Christiane,
la brune Oranaise et Michèle, la rousse Marseillaise
encadrent
ici la Normande Edith Lebourgeois pour une revue gitane en
1966...
Mauvais souvenirs...
"Les amitiés se sont
liées..."
Bon,
aucun
intérêt d'en dire plus... Les mois et les
années ont passé, nous nous sommes
adaptés, les amitiés se sont liées,
filles et garçons, toi cher Laurent, Jean-Marie et tous et
toutes les autres, je ne les citerai pas, crainte d'en oublier beaucoup.
"...le
temps des copains et de l'aventure", chante Françoise Hardy
en
1962, quand Chistiane débarque à Yainville. Elle
est
entourée ici quelques années plus
par Didier
Pourhomme et son cousin Laurent Quevilly
dans un jardin
public de la
cité EDF. (Photo : Luc Aurélien).
Puis je me suis
mariée avec Alain, nous avons fait trois beaux enfants qui
nous ont donné sept petits-enfants. Nous sommes
retournés en Algérie en 1982 avec ma fille, 10
ans,
et mon fils, 5 ans à l'époque, mais cela devrait
faire partie d'un autre chapitre de notre vie. Mon souhait ? y
retourner un jour avec mes enfants, avant que l'âge ne nous
en empêche.
Yainville fait partie
désormais de mon ADN, qui l'eût cru.
Christiane
PASCUAL.
(*) Source sur les
accords
d'Evian
à Oran : Jean Tenneroni/Le
Figaro,
5 juillet 2021.
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