![]() 1888. Le sieur Fosse a fait preuve d'imagination en dessinant près de l'église un moulin à vent. Celui de Jumièges ? Aucun meunier n'a jamais été attesté en tout cas dans la prairie du Grand-Marais. |
Le tintement de la cloche de Yainville, un dimanche matin d'hiver, quand le soleil éblouit la gelée blanche et que la neige anoblit toutes choses... S'il est un monument qui me tient à cœur, c'est bien l'église Saint-André. C'est là que reposent mes devanciers. J'y ai été l'enfant de chœur d'un saint homme et je puis vous affirmer, sans risque d'être démenti par les archives du Vatican, qu'aucun prêtre n'aura jamais connu servant si maladroit depuis la crucifixion.
L'église
de ma jeunesse
avait une fonction
sociale de toute première
importance. C'était encore le seul lieu où se
retrouvaient chaque semaine un si
grand nombre de Yainvillais dans leur "comestume" du dimanche.
C'est
l'église de Yainville qui m'a fait aimer
les vieilles
pierres. Elle était notre château
féodal, la mémoire du village. Combien de
fois ai-je essayé de déchiffrer les inscriptions
de tombes moussues et
tout de guingois. Combien de fois suis-je allé coller mon
nez contre le carreau
des deux petites chapelles funéraires. Celle de la famille
Boulanger qui passait pour avoir été les
châtelains d'Yainville avant Sacha Guitry. Celle
d'Émile Silvestre, l'ancien carrier de Claquevent et maire
d'Yainville dont
le portrait, sur une plaque de verre, semblait nous
dévisager à travers la
pénombre. Lui, le si bon Chrétien à
qui
mon
grand-père devait un mois de prison pour une histoire de
bout de ficelle...
Sans doute un simple oratoire est-il à l'origine de l'église Saint-André. Il fut dressé près de la seule entrée percée dans l'immense talus défensif qui, jadis, barrait l'entrée de la presqu'île. Aussi n'est pas définitivement exclu que ce sanctuaire ait eu d'abord une fonction militaire puis religieuse à ses origines, voire un mélange des deux. Après tout, le cas de figure se rencontre ailleurs. Mais va pour une église primitive.
Comme
l'abbaye de Jumièges,
le temple yainvillais, s'il existait déjà, aura
été ravagé par les vikings. Et sans doute abandonné en 845. Guillaume Longue
Épée, le 20 février 930, restitua le
lieu à l'abbaye de Jumièges. On dut
alors élever sur des ruines un nouveau sanctuaire en
pierres de Caumont.
L'assassinat du duc de Normandie, en 942, suspendit les travaux. L'an 1027, Robert le Magnifique, Ier duc de Normandie ordonna l'achèvement du chantier sous la forme globale où nous apparaît l'église aujourd'hui. Des fouilles archéologiques en diraient plus sur l'historique avancé ici. Mais les premiers fidèles en tout cas n'étaient pas encore Français. Mais bien Normands. C'étaient les sujets d'un duc disposant d'une indépendance de fait malgré sa vassalité envers le roi Robert II.
Le clocherLe
clocher de Yainville, "grosse tour
carrée des plus primitives"
nous dit
l'abbé Cochet, est assis entre la
nef et l'abside, épaulé par de puissants
contreforts. Réalisé avec un savoir-faire
avancé,
il s'inspire des tours de
Jumièges. Lui-même a servi de modèle
à celui de Bliquetuit, quelque
deux siècles plus tard. Et l'on voudrait que
l'église de
New-Haven l'ait pris pour modèle. Nous verrons ce qu'il en
est
vraiment...
Le premier étage du clocher présente des arcatures plaquées à angles vifs qui dessinent comme des fenêtres que l'on aurait condamnées. Cette architecture me rappelait Jumièges et l'âme naïve que j'étais ne comprenait pas pourquoi nos devanciers s'étaient ainsi calfeutrés. | ![]() Comme des fenêtres que l'on aurait condamnées. Mais non... |
Sans doute les bâtisseurs avaient-ils été dérangés dans leur travail par le Diable en personne ! En réalité, ces arcatures aveugles relèvent d'un style décoratif courant, rythmant et allégeant l'aspect général du clocher en faisant la transition entre un rez-de-chaussée fermé et l'étage campanaire ouvert à tous vents. Un style inspiré de l’architecture lombarde et notamment diffusé par les Bénédictins de Cluny.
Le présente sur
trois faces un grand arc en plein-cintre encadrant deux
étroites baies géminées
séparées par une colonnette.
Côté nord, cette dernière est
curieusement
spiralée. Certain y ont vu une inspiration
pré romane.
D'autres une modification plus récente permettant
d'améliorer l'acoustique de la cloche et de la
protéger des
intempéries.
Des cloches, Yainville en comptait
deux en 1789. Aujourd'hui, une seule suffit. Beaucoup plus sobre est la quatrième
ouverture, à l'arrière du clocher, de forme
rectangulaire.
Enfin, sous la haute toiture en hache, typique des régions à forte pluviométrie, court une corniche à modillons que je comparais aux créneaux d'une forteresse. Plus prosaïquement, il s'agit d'un dispositif d'évacuation des eaux pluviales. Le tout est couronné d'un coq que perdra quelques plumes, comme vous le verrez. En attendant, bien campé sur sa girouette, il symbolise avec superbe vigilance et résurrection.
La façade ouest
C'est celle du portail d'entrée avec son arc semi-circulaire fait de sobres voussures. Je me souviens de ces enterrements où les Communistes de la centrale, alors nombreux, se tenaient obstinément à l'extérieur du porche pour assister à la cérémonie.
Façades ouest et sud
Photo : Édith Lebourgeois.
Ce narthex est encadré par une demi-douzaine de graffiti plus ou moins lisibles. Sauf deux qui nous paraissaient insolites. Ils représentaient grossièrement des voiliers. J'ignorais encore que mes ancêtres, comme Jehan de Mainberte, avaient compté parmi les tout premiers Terre-Neuvas au XVIe siècle. Mais ces dessins leur étaient même antérieurs. On nous dit du XIVe ou XVe siècle. Ils nous ramènent au temps où Port-Jumièges comptait un chantier naval et sans doute aussi Yainville.
Graffiti d'une navire fluvial localisé sur le mur occidental. (Photo : Fondation de France, campagne 2022 pour la restauration de l'église d'Yainville.)
Au dessus du portail se voit une fenêtre à meneaux. Elle est dotée de deux vitraux décoratifs avec des motifs en losanges. Ce type d'ouverture n'est pas typique de l'art roman primitif. Son rajout et ses vitraux d'une facture économique servent simplement à éclairer l’arrière de la nef et à réhausser l'entrée d'une certaine dignité, sans excès ornemental.
La façade nordPhoto : Marc Ribès.
Bien
que l'entrée d'une église se situe rarement au
nord,
symboliquement considéré comme "le
côté de l'ombre", l'église
d'Yainville en a compté deux, aujourd'hui
condamnées. L'une simplement de
l'intérieur de
l'église. L'autre totalement.
La relève entre ces
deux
entrées latérales de l'église se
serait
opérée aux XVIe siècle à
l'occasion du
profond remaniement connu par Saint-André. Les trois baies
visibles à présent ont été
ouvertes lors des travaux
entamés
en 1844 pour la réouverture au culte de l'église
et
ornées
de vitraux aux motifs géométriques. Du coup, des
traces
de deux anciennes baies sont encore lisibles dans la pierre de cette
façade. Notamment une meurtrière. Ainsi notre
sanctuaire
se sera-t-il adapté au fil des siècles pour des
raisons
liturgiques, défensives, climatiques ou simplement
pratiques,
liées à l'évolution
intérieure de
l'église. Près du portail se voit un seul
graffiti.
Enfin c'est sur cette façade, au pied du clocher, qu'a été rajoutée une sacristie en 1845. Elle respecte l'architecture originale.
Côté est
C'est celle où se situe l'abside semi
circulaire. Le
chœur de l'église est en effet contenu dans une structure en cul du four datant des
XIe et XIIe siècles.
Un
contrefort central, très plat, est percé d'une
fenêtre. Ce qui ne se voit qu'à
Ecajeul, Fiquefleur ou encore Rocqueville. Le contrefort est, par
définition, un élément de renfort destiné
à contrebuter la poussée des voûtes ou de la
toiture. Percer un contrefort affaiblit potentiellement sa fonction
structurelle. c’est à cet endroit que les efforts de
poussée convergent, donc théoriquement l’un des
points les plus sollicités. Mais ici, la dimension modeste de
l'abside minimise la fragilisation de la structure. La
maçonnerie est massive, l'ouverture étroite.
Sur ce contrefort est gravé un graffiti. Comme à Saint-Valentin, de Jumièges, les trois fenêtres du chœur, étroites vues de l'extérieur, sont de larges rectangles à l'intérieur.
J'ai
encore dans l'oreille le crissement des pas sur le gravier quand je
contournais l'abside par l'étroit sentier qui me menait
à la tombe de ma mère. Allons-y...
Elle aussi a été profondément remaniée. D'abord au XVIe siècle avec l'ouverture d'un fenestrage gothique flamboyant de 2,30 m de large, style reconnaissable à son arc brisé et son remplage ornemental. L’ajout d’une grande baie peut correspondre à un besoin d’éclairage accru à une époque où la liturgie évolue. Le siècle est marqué par une importance croissante du chœur, la mise en valeur des autels, l'introduction de la musique. Dans les années 1830, la baie était en piteux état. Il lui manquait la moitié de ses meneaux qui seront reconstitués en 1845.

D.R.
Comme la façade nord, la sud aura droit à ses trois nouvelles baies néo-romanes lors de la grande restauration du XIXe. Du coup, ce mur garde aussi les cicatrices des anciennes ouvertures. Proche du clocher, l'une des bais qui fut obstruée était à l'origine de forme ogivale avec un arc supérieur orné d’un motif en courbe inversée.
Sous la baie gothique se voit une percée rectangulaire donnant sur le chœur et qui fut peut-être rouverte lors de la remise en service de l'église. A cette époque, de la terre fut déblayée au pied de ce mur pour neutraliser les infiltrations si bien que le cimetière se trouve a un niveau supérieur que le pourtour de l'édifice.
C'est de ce côté de l'église que reposent mes parents, mes grands-parents maternels, Émile Mainberte et Julia Chéron. Mais aussi des êtres chers comme ma tante Hjoerdis et sa mère Marie. Il y avait dans cette partie du cimetière un carré réservé aux enfants. Une sorte de solidarité teintée de compassion nous poussait parfois vers ces sépultures blanches où les noms nous étaient pourtant inconnus. Il se disait que dormaient là des anges...
Le décor est plantéVoilà, nous avons bouclé le tour de notre belle église. Jamais, nous ne nous serions douté qu'elle servit de grange à la Révolution. Abandonnée cinquante ans, il aura fallu la volonté du premier maire d'Yainville, l'entêtement des habitants, l'intérêt des savants et l'oreille compréhensive de l'Administration pour qu'elle soit sauvée in extremis. On édifia alors la sacristie. Mais je parle, je parle et quelqu'un vient d'ouvrir le portail. On y va ?
Vite
entrons |
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