Par Laurent QUEVILLY
Imaginez Yainville sans son clocher. Et il n'y a plus de Yainville! Eh bien, c’est ce qui allait arriver quand, vers 1840, la fabrique de Jumièges eut ce projet insensé :En dessinant l'église d'Yainville en 1888, le sieur Fosse a fait preuve d'imagination en lui donnant pour voisin immédiat le moulin à vent de Jumièges. Aucun meunier n'a jamais été attesté dans la prairie du Grand-Marais.
Le tintement de la cloche de Yainville, un dimanche matin d'hiver, quand le soleil éblouit la gelée blanche et que la neige anoblit toutes choses... S'il est un monument qui me tient à cœur, c'est bien l'église Saint-André. C'est là que reposent mes parents, mes grands-parents, Emile et Julia Mainberte, née Chéron, des êtres chers comme ma tante Hjoerdis et sa mère Marie...
J'y ai été enfant de chœur et je puis vous affirmer, sans risque d'être démenti par les archives du Vatican, qu'aucun prêtre n'aura jamais connu servant si maladroit depuis la crucifixion. L'église de ma jeunesse avait une fonction sociale de toute première importance. C'était encore le seul lieu où se retrouvaient chaque semaine un si grand nombre de Yainvillais. Hormis les Communistes, cela s'entend, que j'ai vu se tenir en dehors de l'église, devant le portail ouvert, lors des grands enterrements.
C'est
l'église de Yainville qui m'a fait aimer
les vieilles
pierres. Elle était notre château
féodal, la mémoire du village. Combien de
fois ai-je essayé de déchiffrer les inscriptions
de vieilles tombes moussues et
tout de guingois. Combien de fois suis-je allé coller mon
nez contre le carreau
des deux petites chapelles funéraires. Celle des
châtelains qui avaient
précédés Guitry. Celle
d'Émile Sylvestre, l'ancien carrier de Claquevent, dont
le portrait, sur une plaque de verre, semblait nous
dévisager à travers la
pénombre. Lui, le bon Chrétien qui avait foutu
mon
grand-père en prison pour une histoire de bout de ficelle...
Sans
doute un simple oratoire est-il à l'origine de
l'église Saint-André. Il fut
édifié près de la seule
entrée percée dans l'immense talus qui, jadis,
barrait
toute la presqu'île.
Comme
l'abbaye de Jumièges,
le sanctuaire de Yainville fut
ravagé par les vikings. Et sans doute fut-il
abandonné dès 845. Guillaume Longue
Épée, le 20 février 930, restitua le
lieu à l'abbaye de Jumièges. Alors, on dut
élever sur les ruines primitives un nouveau sanctuaire en
pierres de Caumont.
L'assassinat du duc de Normandie, en 942, suspendit les travaux. L'an 1027, Robert Ier, duc de Normandie ordonna l'achèvement du chantier.
Le
clocher de Yainville, "grosse tour
carrée des plus primitives" nous dit
l'abbé Cochet, est assis entre la
nef et l'abside, épaulé par de puissants
contreforts. Il s'inspire des tours de
Jumièges. Lui-même a servi de modèle
à celui l'église de Bliquetuit, quelque
deux siècles plus tard. Et peut-être à
l'église de New-Haven comme nous le
verrons plus loin...
Le premier étage présente des arcatures plaquées à angles vifs qui dessinent comme des fenêtres que l'on aurait condamnées. Cette architecture me rappelait Jumièges et l'âme naïve que j'étais ne comprenait pas pourquoi nos devanciers s'étaient ainsi calfeutrés. | ![]() comme des fenêtres que l'on aurait condamnées... |
Sans doute les bâtisseurs avaient-ils
été
dérangés dans leur travail par le Diable en
personne! Le second
étage
était bien ouvert à tous vents, lui !
Il présente sur
trois faces un grand arc en plein-cintre encadrant deux
étroites baies géminées
séparées par une colonnette.
Côté nord, cette dernière est
curieusement
spiralée, ce qui trahirait une origine préromane.
Enfin, sous la haute toiture
en hache, court une corniche à modillons que je comparais
aux créneaux d'une
forteresse.
Sur un mur extérieur, le graffiti d'un vaisseau concourrait à vous faire rêver. En cherchant bien, on en aurait trouvé d'autres. J'ignorais encore que mes ancêtres mêmes avaient comptés parmi les premiers Terre-Neuvas. Mais ces dessins leur étaient même antérieurs. On nous dit du XIVe ou XVe siècle...
Photo : Fondation de France, campagne 2022 pour la restauration de l'église d'Yainville. Graffiti localisé sur le mur occidental.
La nef, elle, est du XIe siècle et ses fenêtres, trois de chaque côté, étaient plus modestes à l'origine. Un septième vitrail, double, surmonte la grande porte d'entrée. On trouve des traces de meurtrières étroites sur le mur nord. Dans ce même mur, un porche latéral a été percé au XVIe siècle, puis condamné.
De la Révolution à 1840, notre belle église servit de grange. Sauvée in extremis par la volonté d'un paroissien et l'intérêt des savants, elle fut restaurée en 1845. On édifia alors la sacristie. Mais l'édifice n'était pas pour autant à l'abri des injures du temps.
Le chœur, lui, se termine par un chevet en hémicycle, une abside en cul du four datant des XIe et XIIe siècles. Un contrefort, très plat, est percé d'une fenêtre. Ce qui ne se voit qu'à Ecajeul, Fiquefleur ou encore Rocqueville. Comme à Saint-Valentin, de Jumièges, les trois fenêtres du chœur, étroites vues de l'extérieur, sont de larges rectangles à l'intérieur. Ajoutez à cela une baie sur la face sud de la tour, sans doute aménagée au XVIe siècle. Voilà pour les détails techniques...
Vite entrons |
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