Par Laurent Quevilly.

Qui étaient ces pêcheurs puisant leur subsistance de la Seine avant d'être appelés par la Marine vers des aventures inattendues. De Barneville à Yainville, suivons une famille : les Chéron...

Il y a deux sortes de gens
Il y a les vivants
Et ceux qui sont en mer


Brel, l'Ostendaise, d'après Aristote
Je suis doublement Chéron. Mes deux grand-mères portaient en effet le même nom. Toutes deux ont leurs racines sur la rive gauche de la Seine bien qu'il soit impossible d'établir un lien entre elles.

Attestés dans la presqu'île d'Anneville, mes Chéron paternels auront traversé le fleuve pour Duclair avant de s'établir à Saint-Paër. Là, existait une autre famille de ce nom qui, elle, semble originaire de Quevillon.

Du côté de ma mère, ces Chéron-là vinrent de Barneville s'établir à Jumièges où là aussi existait une autre famille de ce nom sans affinités apparentes.
Mes Chéron maternels eurent manifestement le pied plus marin que les devanciers de mon père. Mais je note toutefois un capitaine de navire chez mes ancêtres paternels : François Chéron, originaire d'Yville. Cet arrière-grand-oncle était établi à Duclair dans les années 1750, marié à Catherine Leblond qui lui donna trois enfants.  
Hélas, conducteur de la voiture d'eau de Caudebec, il mourut jeune et voici son acte de décès :
Clin d'œil généalogique

Pierre Siméon Chéron 1769-1843
&1803 Marie Rose Legay 1772-1822      
      |      
      Félix Auguste Chéron 1808-1879
&1834 Rose Désirée Lambert 1809-1885      
      |      
      Pierre Delphin Chéron 1838-1908
&1866 Adelaïde Pascaline Mauger 1846-1927            |        
      Julia Chéron 1872-1919
&1896 Emile Mainberte 1872-1917      
      |      
      Andréa Mainberte 1912-1958
&1937 Raphaël Quevilly 1906-1994      
      |      
      Laurent Quevilly 1951


"L'an mil sept cents cinquante quatre, le vendredy quinzième jour de février, a été inhumé dans cette église par moi prestre desservant de Yainville en présence du sieur curé de ce lieu le corps de François Chéron conducteur de la voiture de Caudebec âgé de viron trente cinq ans en présence d'Anthoine Chéron, laboureur, de la paroisse d'Yville-sur-Seine, son frère et Claude Leblond, de cette paroisse, son beau-père qui ont signé le présent avec nous le susdit jour et an.
Anthoine Chéron, Claude Leblond. J. Cauvin prêtre, Perier vicaire."

De Barneville à Jumièges


Avant la Révolution, les Chéron de ma mère vivaient donc sur les hauteurs de Barneville. De là, Pierre Siméon Chéron, était descendu s'établir de l'autre côté de l'eau, à Jumièges, et plus précisément aux Sablons. Ce fils de bûcheron avait vingt ans à la prise de la Bastille. Pierre Siméon fut tour à tour pêcheur et journalier, comme beaucoup de petites gens ici. Pêcheur, il pratiquait un métier jusque là inféodé aux moines et échappa aux humiliants serments d'allégeance qui venaient d'être abolis.  Nos Chéron seront des pêcheurs "d'en-bas", par opposition aux pêcheurs "d'en haut" localisés entre Rouen et Vernon. Au-delà de Honfleur étaient enfin les pêcheurs d'estuaire. La Seine était à l'époque bien plus large qu'aujourd'hui. 

En 1803, sous Napoléon, le gars de Barneville épousa Marie Rose Legay, du Mesnil, qui lui donna une fille et trois garçons, donc Félix-Auguste que nous allons bientôt suivre.

Pierre-Siméon ramène dans ses filets l'alose qui, au printemps joli, remonte la Seine pour frayer. La pêche du premier saumon, le plus noble des poissons, donne toujours lieu à une petit f$ete.. Après l'alose nous arrivent la feinte, les flondes, l'anguille, l'éperlan... Et puis il y a les poissons sédentaires que son la carpe, le brochet, les brèmes...

Après la saison des aloses, Pierre Siméon s'en va souvent livrer des fruits en bateau jusqu'à Caudebec. La pêche au poisson blanc assure la subsistance durant neuf mois de l'année. Celle au saumon migrateur permet de renouveler le matériel. C'est sa femme qui s'en va vendre à domicile le poisson dans des bannettes en osier. Pêcheur, son protecteur est saint Pierre. Pierre Siméon a ses superstitions. Embarquer à bord des œufs durs, c'est à coup sûr perdre sa marée.


Veuf en 1822 après vingt ans de vie commune, Pierre Siméon Chéron se remaria un an plus tard à Marie Elisabeth Huley, native de Honguemare, canton de Routot, veuve elle aussi d'un Jumiégois. La nouvelle femme de Pierre Simon a perdu son premier mari mais aussi ses parents dans des circonstances étonnantes. Ils sont tous morts à quelques jours d'intervalle. La mère, Marie Madeleine Dugenétey, le 16 juin 1817 à Jumièges. Le père, Nicolas Huley, le 21 juin à Honfleur, le mari, le 22 à Jumièges.
Avant de convoler, Pierre Siméon se rendit en l'étude de maître Deshayes, notaire et historien de Jumièges, pour sceller un contrat de mariage. Nous étions le 16 février 1823.

Félix reprend la barre

Pêcheur fut aussi Félix, le fils de Pierre Siméon Chéron. Né au Conihout en 1808, il ne fut pas inscrit sur les registres des mousses. Mais tout à coup, le 31 mars 1831, le voilà patron du Bienfaisant, faisant la pêche à Jumièges. Cette première campagne s'achève le 31 octobre. Mais il n'est encore que novice et le navire n'est pas sien. Il appartient à Jacques Adolphe Prunier, un garçon de son âge qui, infirme, se déplace avec des béquilles et demeure au Mesnil.
Félix Auguste épouse, le 10 septembre 1834, Rose-Désirée Lambert. Elle avait eu, plus d'un an auparavant, un enfant né de père inconnu. Félix reconnaîtra ce garçon mais il conservera le patronyme  de sa naissance : Lambert. Celui-ci s'éloignera de la presqu'île. On le retrouvera cultivateur à Varengeville et il mourra voiturier au hameau des Vieux.
Les Lambert sont une famille qui se partage entre la terre et l'eau. Fille de Paul Lambert et Catherine Nepveu, Rose, la désirée de Félix Chéron, est dite cultivatrice à son mariage en 1834. Mais "pêcheur" quatre ans plus tard. Quant à Félix, on le dit tantôt marin, tantôt pêcheur. Félix mesure 1,68 m, châtain, les yeux gris, le front haut, le nez long, la bouche petite, le menton rond et un visage ovale.
Sitôt marié, il rembarque en octobre, sur le Bienfaisant de maître Prunier.

Le 8 juillet 1835, nouvelle campagne avec Prunier. Face au service militaire, avec le grade de matelot de 3e classe, il fut ajourné le 2 décembre de cette année-là, ayant alors deux enfants.
Le 22 décembre 1836, il débarque à Rouen et rembarque sur le même deux jours plus tard.
A l'inspection de 1837, il est définitivement réformé par le capitaine de vaisseau-inspecteur pour avoir perdu toutes ses molaires. On le porta le 24 décembre à la matricule des hors services. Son ami Prunier aussi...
Félix et sa femme Rose sont désormais pêcheurs. Le couple use du tramail, un filet de 200 à 300 mètres de long et pêche à la j'tée. Mais pour piéger les anguilles, il faut user du gord, sorte d'entonnoir que l'on jette au fond de l'eau dans les endroits peu profonds.
Deux types de navires sont alors en vogue sur la Seine : la chaloupe à clin, souvent construite à La Mailleraye et qui peut recevoir un mât, la Norvégienne, introduite au XIXe par les Scandinaves.

Les enfants de Félix Chéron

Le couple eut au moins huit enfants dont mon arrière-grand-père, Pierre-Delphin, en 1838. Un autre, Louis Jules, sera domestique et mourra à 31 ans.
On note en 1842 la naissance d'une fille au prénom original : Olinda, attestée au recensement de 1851. Me Peschard la note sous le prénom d'Olympe Eugénie en 1878 lorsqu'elle se marie à Rouen avec Pierre Appolonius Léguillon, tuteur d'un orphelin de père, Charles-Louis Elie et résidant 7, rue du Bois-Guilbert.
Sosthène Ludovic, le petit dernier, eut de Marie Hardy, de Barneville, une enfant hors mariage, Marie Angelina. Trois ans plus tard, en 1875, le couple régularisa sa situation. Sosthène était alors Mataf à Toulon. Il deviendra douanier à Rouen puis au Mesnil dans l'une des nombreuses brigades postées le long de la Seine, le commerce fluvial étant important. Celle du Mesnil comptait six gabelous, nom hérité de la gabelle et donné à ceux qui percevaient les taxes sur le sel. Sosthène Chéron fut adjoint au maire du Mesnil.


En 1838, on retrouve Félix sur le bateau de pêche n° 131. il débarque à Duclair le 2 avril 1839. Le 27, il embarque comme patron sur la Bonne intention, son nouveau navire lancé en 1834 à La Mailleraye...
Dès lors, Félix navigue sans discontinuer sur le même. Après avoir perdu son père en 1842 puis son ami Prunier en 1846, Félix Auguste fit construire en 1857 un nouveau navire de pêche de un tonneau, à La Mailleraye, appelé encore La Bonne intention. Il navigera à bord jusqu'à sa mort.

Pierre-Delphin le bien nommé

Pierre Delphin, mon arrière-grand-père, est né à Jumièges le 11 mars 1838. Son prénom d'usage est Pierre mais j'aime à lui ajouter son second prénom en queue de poisson pour le différencier de son fils...

Photo : Pierre Delphin Chéron au mariage de sa fille Suzanne avec Raoul Chandelier à Boscherville et 1906. Il porte sa médaille d'Italie...

Le 11 novembre 1850, à 12 ans, il débute sa carrière comme mousse puis novice sur La Bonne Intention, le navire de son père armé à la pêche fraîche. Plusieurs campagnes successives le mènent jusqu'en 1855.
Le 19 octobre 1855, il continue son noviciat sur la Pauline, armée à Dieppe, mais le 23, il entre à l'hôpital de Rouen. Son débarquement du navire est daté du 25 octobre.

Et il fait naufrage !


Le 16 février 1856, Pierre embarque à Rouen, toujours comme novice, sur la Constance Augustine, caboteur de Dunkerque puis met sac à terre à Trouville le 29 février. Le 25 mars, au Havre, le voilà novice sur le sloop l'Augustine, d'Honfleur, qui fait naufrage le 18 décembre 1856. Pierre-Delphin est sauf et achève ainsi amariné son noviciat.

Le 18 février 1857, devenu matelot sur L'Helvétie, il quitte Rouen pour Marseille. Là, il embarque le 27 mars sur l'Algérie et revient à Rouen. Nouvel embarquement le 16 mai 1857 sur les Trois Marguerite, de Bordeaux, qui le mène le 31 août à Dunkerque.

Sa guerre d'Italie...


De la classe 58, il fut recruté avec le contingent du canton de Duclair sous le numéro 27. C'était un blond au yeux bleus mesurant 1,69 m. Un bel homme.
Levé pour le service le 1er septembre 1857, il ne délègue pas et est dirigé sur le port de Cherbourg. On l'admet le 19 septembre à la division. Puis il part à celle de Brest le 1er novembre. Le 20, il est à bord de l'Yonne comme passager et débarque à Toulon le 27 décembre. Il embarquera sur le Suffren le 1er juillet 1858 puis passe sur l'Algésiras le 5 mars 1859. Lancé quatre ans plus tôt, le navire fait partie de la flotte napoléonienne engagée dans la guerre d'Italie. 90 canons, navire à hélice, coque bois, il porte le pavillon du contre-amiral Jurien de la Gravière. Pierre-Delphin y est canonnier de 2e classe. A ce poste, Chéron va participer à la deuxième guerre d'indépendance italienne qui voit s’affronter l’armée franco-piémontaise et celle de l’empire d'Autriche. Sa conclusion permettra la réunion de la Lombardie au royaume de Sardaigne et posera la base de la constitution du royaume d’Italie.
 L'Algésiras part de Toulon le 5 mars avec les vaisseaux Eylau, Napoléon et la frégate L'Impétueuse,
  C'est le 26 avril 1859 que la population de Gênes salua de ses acclamations les premiers régiments de l'armée d'Italie entrés dans sa rade. C'étaient les 54e, 57e, 71e et 78e régiments de ligne, c'étaient aussi les turcos ou tirailleurs algériens; c'était encore la seconde légion étrangère. L'Algésiras, excellent marcheur considéré comme le souverain des mers par Gravière, le Redoutable et la Dryade avaient amené ce premier corps de dix mille hommes environ, aidés par les gros transports à vapeur l'Ulloa, le Mogador et le Christophe-Colomb. Pendant tout le temps que dura le débarquement, les hourras continuèrent, et les premiers soldats qui touchérent le rivage furent littéralement étouffés dans les embrassades. Quand le premier drapeau passa de l'Algésiras sur l'embarcation, tous les chapeaux se levèrent, et Gènes entière, par un mouvement spontané, s'inclina devant le drapeau français comme devant le labarum de l’Italie.
Débarquement de troupes françaises dans le port de Gênes. Sur cette gravure de Le Breton, d'après un croquis envoyé par M.C. Dubreuil, sont représentés de gauche à droite le Redoutable, en arrière plan le Mogador et le Christophe-Colomb, au centre la Dryade, en arrière-plan L'Ulloa enfin à droite l'Algésiras, commandé par le contre-amiral C.A Julien Lagravière.
Le reportage du
débarquement de Gênes

Cliquer sur les images
Je mesure comme le monde est petit. Parmi les soldats débarqués par la flotte française figurait un certain Jean-Marie Déguignet dont je devais plus tard retrouver les mémoires dans une HLM de Quimper.

C'est à l'amiral de la Gravière qu'incombe l'organisation du blocus de Venise en juin 1859, mais l'armistice de Villafranca, signé le 7 juillet, interrompt ces opérations de l'escadre qui devait appareiller le 8 pour attaquer la ville.

En mars 1860, L'Algésiras, au sein d'une division commandée par Pâris, quitte Brest pour Toulon puis Naples où le dernier roi des Deux Siciles se débat contre les Garibaldiens. La Marine française assure les communications maritimes avec Naples jusqu'à la capitulation de la ville en septembre.

Mais réunissant plus de trois années de service, on finit par débarquer Chéron et le congédier le 1er octobre 1860.

Médaillé d'Italie


Pierre-Delphin reprend son métier de matelot en embaquant sur la Marie Thérèse, armé à Bordeaux le 22 novembre 1860. Débarquement à Dunkerque le 5 octobre 1861. Le 19, il trouve un embarquement à Boulogne sur l'Emma. Il regagne ce port le 20 février 1862.
A Dunkerque, le 7 mars 1862, le voilà sur la Pensée qui rallie la Guadeloupe et débarque au Havre le 16 juin.  

La médaille d'Italie lui fut décernée à Rouen le 23 juin 1862. C'est une médaille en argent portant la légende Campagne d'Italie 1859 et la liste des batailles livrées : Montebello, Palestro, Turbigo, Magenta, Marignan, Solférino.

Mais le voilà de nouveau levé le 25. On le dirige encore sur Cherbourg. Admis aux spécialités, il embarque le 11 juillet 62 à bord du Turenne. Il en débarque le 22 mai 1863 pour passer à la division de Brest. Retour à Cherbourg le 16 juin. On le congédie le 25.

9 juillet 1863. Pierre Delphin embarque à Rouen sur la Joséphine. Il en débarque le 30 décembre. Toujours à Rouen, le 1er avril 1864, il grimpe à bord de la Jeune Aline et débarque à Dunkerque le 21 octobre. Là, le 13 décembre, il retrouve La Pensée.

Son mariage


Alors qu'il vivait chez ses parents avec son frère Jules, Pierre Delphin Chéron a épousé Pascaline Mauger le 13 septembre 1866. Cette fille d'Heurteauville est aussi d'une famille de marins. On retrouvera des Mauger sur tous les bacs et sur les gribanes de Silvestre, aux carrières d'Yainville. Le mariage civil eut lieu en présence de Louis Jules Chéron, domestique, 26 ans, Jumièges, frère de l'époux, l'oncle Louis Augustin Lambert, pêcheur, 54 ans qui naviguait avec le père du marié, Charles Gruley, l'instituteur et Edouard Desmoulin, facteur demeurant à Duclair, ami de l'épouse, 42 ans. C'est Aimé Lepel-Cointet, le propriétaire de l'abbaye, qui officia à la mairie.

Ses affectations



Le lieu de naissance des onze enfants Chéron, de 1867 à 1882 va  passer de Jumièges (1867, 1869), à Guerbaville (1872, 1875), Heurteauville, passage du Trait (1877, 1878, 1882, 1884), et enfin Yainville (1885, 1886 et 1888).

Batelier à Guerbaville. Pierre Delphin Chéron est batelier à Guerbaville lorsque, le 19 juillet 1867, son épouse, Pascaline Mauger, exerçant la même profession que lui, accouche chez ses parents au passage de Jumièges d'une première fille, Delphine Désirée. Pierre Mauger, le grand-père maternel de l'enfant, est également batelier, quant à Félix Chéron, le grand-père paternel, il est pêcheur. Tous résident rive droite. En 1866, les Mauger avaient encore à leur charge une gamine de 7 ans, Adolphine, fille naturelle due aux oœuvres d'un médecin, fils du maire de Duclair, le Dr Cavoret.

Batelier à Jumièges. Quand Georgette Pascaline, seconde fille du couple Chéron, nait, le 9 août 1869, ses parents, toujours bateliers, résident section du Passage à Jumièges. Le grand-père maternel, Pierre Mauger, y est toujours batelier.

Marin à Guerbaville. En 1872, alors que naît ma grand-mère Julia, le couple Chéron a retrouvé Guerbaville et Pierre Delphin le métier de marin. Pascaline est désormais sans profession. Le couple habite hameau de la Douillère, entre le bourg de La Mailleraye et le Passage du Trait, sur Heurteauville. Le notaire Corniquet est alors maire, son adjoint étant Guillaume Duvrac, 72 ans. Sur les quais, les chantiers de construction navale d'Edouard Lefranc sont encore actifs et des gribanes, des trois-mâts s'y profilent parmi foule de petites unités.
En 1875, naît mon grand-oncle Pierre Chéron qui, plus tard, sera une figure d'Yainville et un saint-bernard pour la famille Mainberte

Marin et passeur à Heurteauville. Au recensement de 1876, Pierre Chéron apparaît au Passage du Trait, à Heurteauville, avec la qualité de marin.
En 1877 Pascaline Mauger accouche d'un garçon, Gustave, le futur passeur d'Yainville.
Pierre  Chéron, en 1878, est matelot à bord du Louise-Désirée, sloop de 62 tonneaux construit à La Mailleraye en 1843 et appartenant à Lécuyer & Paine. Il est sous les ordres de Louis Troudé, de Guerbaville. Matelots : Théodore Anquetil, Alphonse Poultier. Il navigue entre Rouen et Villequier.
Après Neveu, Cauvin est le fermier du passage du Trait et de l'annexe d'Yainville. Signé le 18 décembre 1873, son bail court jusqu'au 31 décembre 1878 et s'élève à 950 F, sans aucune subvention. En décembre 1877, le sieur Cauvin demande une révision de ce bail. L'essor du marché de Routot a fait fuir les marchands qui se rendaient à celui de Duclair. De plus, depuis le 1er janvier 1876, la voiture publique de Rouen à La Mailleraye a cessé d'emprunter le passage du Trait.

Fin juillet 1879, Emile, un jeune garçon de 19 ans, membre d'une troupe de saltimbanques dirigée par Henri Metbach, se rendit au Passage du Trait pour y faire boire et baigner des chevaux appartenant à l'Administration. L'un deux ne voulant se mettre à l'eau, il le chevaucha et le fit allez vers le fleuve à reculons. Quand la bête perdit pied. Notre équipage tomba à la renverse dans la Seine. Emile eut beau tenter de paralyser les mouvement du cheval en le saisissant par l'encolure, l'homme et l'animal furent entraînés au fond de l'eau. Leurs corps furent retrouvés plus tard. Cet accident eut lieu sur la rive traitonne...

C'est toujours à Heurteauville que Pascaline Mauger met au monde un autre garçon le 10 octobre 1879, François, son mari est alors dit "batelier" et déclare ne savoir signer.

Le recensement de 1881 présente Pierre comme "passager et débitant" dans le même quartier du Passage du Trait, à Heurteauville. Sa fille Delphine, 14 ans, exerce déjà le métier de couturière. Elle enseignera son savoir à ses autres sœurs. Débutant, Pierre Delphin ? Ce sera désormais la seconde corde de son arc.

La mort du père


Félix Chéron, le père de Delphin, est décédé le 7 juin 1879 à 6 h du matin en son domicile du Conihout. A 70 ans, il exerçait toujours la profession de pêcheur. Son matelot n'était autre que son beau-frère, Louis-Augustin Lambert. Après avoir pratiqué la pêche sur l'Indépendant, maître Fournier, Lambert naviguait avec Félix depuis 1839. Quarante ans ! Avec juste quelques infidélités dans les années 50 pour l'Indépendant. En 1837, il avait été réformé de l'armée pour carie du fémur avec ankylose de l'extrémité inférieure gauche. Son fils Louis Lambert était le perruquier du village.
Pêcheur aussi, Gustave Savary, voisin de Félix, âgé de 32 ans et le garde-champêtre, Auguste Fournier, 59 ans, un ami, furent les témoins de sa mort. Chrétien, le nouveau maire de Jumièges, signa l'acte de décès.

En 1880, en mémoire à son père, Pierre Delphin fit constuire un bateau de pêche à La Mailleraye qu'il baptista la Bonne Intention. Il l'arma encore en 1881 et 1882, année où Augustin Pierre Deconihout, de Jumièges, lui vendit le Jeune Pierre, construit la même année à la Mailleraye, du port de un tonneau. Pierre-Delphin l'utilisa pour la pêche jusqu'en 1886. Ce navire n'a pas réarmé par la suite.

Le 7 novembre 1880, la mère de Pierre-Delphin vendit à Modeste Stanislas Deconihout une cour masure close et édifiée, contenant 37 ares 60 moyennant le prix principal de 4.400 F outre les charges et réserve d'usufruit de la maison et du jardin. A Victrice Stanislas Lambert une prairie de 15 a pur 300 F, à Nicolas Valentin Porgueroult, une prairie de 8 ares contre 325 F.

Patron du Passager du Trait


Mais dans le même temps qu'il pratiquait la pêche, Pierre Delphin naviguait au bornage à bord du Passager du Trait.Ce navire de cinq tonneaux a été lancé en 1850 au Trait et appartient à Silvestre, le carrier d'Yainville. Pierre Delphin en est le patron de février 1881 à septembre 82. Après quoi, il cède la barre à Guérin. Puis Agnès qui le pilote plusieurs années.
Durant cette période, le 10 janvier 1882, une fille Martine, vient au monde chez nos Chéron alors que le couple habite au Passage du Trait, côté Heurteauville.

Le Jeune Pierre

A bord du Jeune Pierre, seul, Pierre Delphin va mener plusieurs campagnes à la pêche fraîche du 21 octobre 1882 au 8 janvier 1884. Le 25 décembre 83, quand naît sa fille Marie à Heurteauville, il est dit batelier. Ce qui confirme que Pierre Delphin mène conjointement les métiers de passeur et de pêcheur. Martine et Marie eurent les mêmes témoins de naissance : Fortuné Cuffet, un cultivateur et Octave Pestel, alors instituteur d'Yainville, futur maire du Trait.

Du 9 janvier au 26 avril 1884, Pierre Delphin remplace Ernest Landrin à la barre des Deux Sœurs, construit en 1870 à La Mailleraye et appartenant à Bénard. Il accuse près de 20 tonneaux et navigue au bornage. Après Pierre cède le commandement à Arsène Deroutot, du Trait.

Un café à Yainville


On a vu que Pierre Delphin versait dans la limonade à Heurteauville. Ou plutôt son épouse tandis qu'il navigue. Le 29 septembre 1884, Pierre Chéron signe un bail tenir le café du Passage à Yainville. Il s'agit d'un bâtiment à usage de commerce avec écurie, remise, cour et jardin, le tout contenant environ 45 ares. Il lui en coûtera 300 F l'an. Le bailleur est un homonyme, Ursin-François Chéron. Epoux d'Elise Folloppe, ce Chéron-là est cultivateur et propriétaire à Duclair, ferme des Graviers. On le verra notamment vendre à la commune de Saint-Paër un verger qui va servir à la voie de grande communication n° 63. Il sera parmi les jurés du concours du grand marché du mardi saint. Chevalier du Mérite agricole, conseiller municipal de Duclair, il mourra en 1911.

En attendant, voilà les Chéron cafetiers. Mais Pierre Delphin ne cesse pas pour autant de naviguer. Dès le 1er octobre 1884, à La Mailleraye, il remplace Gustave Savary à la barre du Berthe-Marguerite, sloop construit à Honfleur en 1873, du port de 35,32 tonneaux et appartenant à Sabatier, carrier de Yainville. Entre temps, du 3 au 5 janvier, Pierre Delphin aura pratiqué la pêche à bord du Jeune Pierre. Il descend du Berthe-Marguerite le 4 mai 1885 à Rouen et réarme dès le 5 mai. Pierre Delphin en assure le commandement jusqu'au 25 novembre et débarque à La Mailleraye. Savary reprendra le navire en décembre...

Le Passager du Trait est devenu le Passager d'Yainville en janvier 1885. Le 2 août de cette année-là, naît Suzanne Chéron, au café du Passage à Yainville. Antoine Betembos, un cordier, fut témoin. Pierre Delphin est alors marin mais Pascaline, qui fut d'abord batelière, puis sans profession, puis ménagère est cette fois... cafetière ! Elle a 38 ans.  Le carrier Silvestre est alors maire.

En septembre 1886, à 40 ans, Pascaline Mauger accouche encore d'une fille, Hyacinthe, qui ne vivra que neuf mois. Elle mourra En juillet 1887. Pascaline est redevenue ménagère pour l'état civil. Est-ce à dire que l'expérience du café a été éphémère ou demeure anecdotique ? Quant à Pierre Delphin, il est toujours batelier. Yainville compte un autre professionnel du nom d'Eugène Vautier. La famille Mauger est bien implantée dans la commune. Il y a Louis Arsène, lui aussi batelier, Ernest Tranquille, marin...

 Le 15 janvier 1888 mourut à Yainville Pierre Mauger, 44 ans, batelier. Le 11 mars, Pierre Dephin fut classé Hors Service. On le dit alors présent et inactif à La Mailleraye. En août, il eut de Pascaline un dernier enfant, Louis.

En octobre 1890 s'acheva à la chapelle du Bout-du-Vent une mission rassemblant 120 paroissiens et prêchée par le RP Marcellin, franciscain d'Amiens. Heurteauville venait de connaître neuf années sans curé avant l'arrivée de l'abbé Masson. Nos archives familiales conservervent une petite croix de pacotille, souvenir de mission.

L'année 1891, Pierre était toujours dit batelier à Yainville et sa femme journalière. Mais, aux yeux de l'Administration, il ne semble plus naviguer depuis trois ans. Sous leur toit, Delphine, 24 ans, couturière depuis maintnenant dix ans continue d'initier ses sœurs... Quant à Gustave, le voilà qui s'essaye au métier de maçon. Mais non, ce garçon est fait pour être marin...

Patron du bac d'Yainville


Le 3 janvier 1892, Pierre Delphin retrouve le Passager d'Yainville avec Gustave son fils pour mousse et les Lesage père et fils pour matelots. Noël Petit, personnage haut en couleurs du canton, en est cette fois le propriétaire et l'armateur Ce cocher bien connu sur nos routes et aussi une grande gueule et un politicard local dont nous narrons ailleurs les fraques. L'équipage de Pierre ? Louis Lesage est né en 1840 à Canteleu, Armand en 1875.
En août, le couple Chéron est endeuillé. Louis, le petit dernier, rend l'âme. Il allait avoir quatre ans. Pierre Delphin est alors dit passeur d'eau.

1893 : L'équipage du Passager est composé des Lesage. Le mousse est toujours Gustave Chéron. On peut suivre sa destinée sur la page consacrée au bac de Yainville:

1894 : Pierre-Delphin Chéron a 56 ans quand il marie une fille à Yainville, il est toujours dit "passeur d'eau" et son épouse cabaretière. Le café du Passage n'est donc pas fermé. L'équipage est encore composé de Louis Lesage et Gustave Chéron mais on trouve en outre Emile Crevel, novice né en 1876 au Trait ; François Chéron, autre fils de Delphin, novice lui aussi enfin François Vautier, né à Guerbaville en 1868, matelot et Pierre Julien, né à Jumièges en 1849. Pierre Delphin débarqua du Passager d'Yainville en février 1895. Louis Albert Mauger prit la relève. La famille !...

Pauvre pêcheur
...

Aussitôt, Pierre-Delphin se consacra à la pêche fraîche, sur  le Pauvre Pêcheur, construit à Dieppedalle en 1878, non ponté, 1 tonneau, ancré à La Mailleraye, et lui appartenant. Ses fils sont à bord : François Georges Chéron comme mousse et Gustave Chéron pour novice. Avec François, il mène encore quelques campagnes jusqu'au 31 décembre 1898. Là s'arrêta officiellement son long cours. La veuve Lesage, de La Mailleraye, racheta le bateau et le confia à Pierre-Marie Julien, natif de Jumièges, que l'on avait vu sur le bac d'Yainville sous les ordres de Pierre Delphin.

 Le parcours de François

 
Photo : François Chéron prise à Cherbourg où se situtait le premier dépôt des équipages de la flotte. Frère de François, Gustave a connu la même affectation. Le photographe, Victor Mas, opère 22, rue Tour-Carrée où il a succédé à Varlet. Deux médailles sont venues le récompenser, l'une à Cherbourg en 1886, l'autre à l'exposition universelle de  Barcelone en 1888.
Mousse sur le Passager d'Yainville du 22 juin 1894 à janvier 1895. Puis  sur le Pauvre Pêcheur de son père. Là, il devient novice le 24 mars 1896. Le 11 octobre 97, il déclare vouloir continuer la navigation et consentir à son inscription définitive. Il devient matelot le 2 avril 1898.
Après avoir quitté le navire de son père, le 29 septembre 1898, il est noté Inscrit maritime au conseil de révision de Duclair en 1899. Son dossier militaire de comportera dès lors aucune autre mention, sinon la date de son décès.

Pierre est un garçon d'1,73 m, blond, les yeux bleus. Levé par la Marine nationale le 13 octobre 1899, il va de Rouen à Cherbourg où il fait ses classes au 1er dépôt jusqu'au 1er janvier 1900. Dès lors, le matelot de 3e classe va alterner les embarquements avec les séjours à terre. En voici le détail :

Navire Le Stationnaire annexe, Lorient, 1er janvier - 1er juin 1900, où il est formé à la spécialité de fusilier auxiliaire.
Cuirassé d'escadre Le Formidable, Lorient, 1er juin - 1er octobre 1900.
2e dépôt, Brest, 1er octobre 1900 - 1er avril 1901.
Cuirassé d'escadre Le Courbet, Brest, 1er avril - 1er octobre 1901.
2e dépôt, Brest, 1er octobre - 13 octobre 1901.
1er dépôt, Cherbourg, 13 octobre - 16 octobre 1901.
Garde-côtes cuirassé Le Requin, Cherbourg, 16 octobre 1901 - 3 février 1902.
Le Nièvre, Cherbourg, 13 mars - 31 août 1902.
5e dépôt Rapatriés, Toulon, 31 août - 24 septembre 1902.
5e dépôt, Toulon, 24 septembre - 30 octobre 1902.


Pierre-Delphin et Pascaline Mauger entourent leur fils. Cette photo fut sans doute prise à Yainville au cours d'une permission de François.

François fut réformé le 16 octobre 1902 pour des "infirmités contractées hors des armées de Terre et de Mer." Dès lors, il est classé Hors Service.

Les premier bords de Gustave


Gustave Chéron est né le 28 mars 1877 à Heurteauville, hameau du Passage du Trait. Son père, Pierre Delphin, était alors batelier. Témoins de sa naissance : Arthur Lhonorey, cultivateur de 35 ans, fils du fameux Lhonorey qui avait tâté des Assises pour délit d'opinion.  Second témoin  : le cantonnier Fortuné Cuffel, bref, deux hommes qui se trouvaient sous la main en mairie.
Blond aux yeux bleus, Gustave débuta sa carrière en embarquant à Duclair comme mousse de ses cousins Mauger à bord de la Clémentine, le 20 juillet 1891, un bachot de 58 tonneaux appartenant à Lefranc, de La Mailleraye et manœuvré par Gustave et Louis Mauger, navire qu'il quitte le dernier jour de décembre.
Il devient ensuite le mousse de son père à bord du bac d'Yainville le 3 janvier 1892.
Le 31 janvier 1895, il embarque à la Mailleraye et remplace ce jour-là son jeune frère François, mousse lui aussi. Du 14 au 27 mars 1895, le voilà novice à bord du Pauvre Pêcheur et fait la pêche avec son père et son jeune frère.

Un navire dont se souviendront les Yainvillais : c'est le Felix-Faure qui, de mai à septembre, assurait la liaison entre Rouen et Le Havre. Et ce, de 1896 à 1936. Il succédait à toute une série de "passagères", ainsi nommait-on ces bateaux et le premier avait été le Duchesse de Berry, en 1821. Les passeurs de bacs se devaient d'aller chercher où conduire les voyageurs à bord des vapeurs lors de leurs escales. Le Félix Faure fit naufrage près d'Yville.
Ces légendes familiales...

La tradition familiale voudrait que Gustave ait été matelot sur
le Quevilly, lancé en 1896 aux chantiers de Grand-Quevilly et qui transportait du pétrole entre Philadelphie et Rouen. Mais les traditions familiales... Je n'ai pas retrouvé Gustave parmi les marins du Quevilly. En revanche, son cousin, Louis Henri Mauger, né à Yainville en 1881, embarqua  bien comme novice le 17 décembre 1898 sur le fameux quatre mâts et passa matelot le 3 juin suivant. Il est encore attesté à bord en 1900. Gustave Chéron se contentera de réaliser plus tard une maquette en bouteille du Quevilly qu'il voyait souvent passer sous ses yeux. La relique fut conservée religieusement par son fils Bernard qui hérita aussi de cette passion du modélisme.

Lire l'épopée du Quevilly:


Le 4 avril 1895, inscrit maritime, Gustave est levé par la Royale avec le grade de matelot de 3e classe. Il arrive le 5 au 1er dépôt des Equipages de la Flotte, autrement dit à Cherbourg. Le 31 mai 1895, il navigue à bord de l'Ibis. Le 1er octobre 1896, on le nomme seconde classe.

Retour au dépôt le 5 mai 1897. Après quelques mois à terre, il rembarque pour un an à bord de la canonnière cuirassée Cocyte le 8 septembre 97. Lancé sept ans plus tôt, ce navire est armé de six canons pour la défense des ports et les combats contre les torpilleurs. Avec 110 hommes d'équipage, il peut accueillir 1.800 passagers. Cette affectation le mène jusqu'au 4 octobre 1898, date de son congé définitif.
Gustave est libéré étant inscrit maritime et réunissant 42 mois au service de l'Etat.
Et dispensé de toute période d'exercice. On le retrouve matelot à bord des Quatre Frères, le 25 mai 1900, au départ de La Mailleraye. Il y reste jusqu'au 26 juillet.

Le Café du Quai


En 1901, Pierre Delphin Chéron, à 63 ans, n'est plus marin mais est encore recensé comme débitant à Yainville. Il tient manifestement le café du Passage. Son fils Gustave est alors matelot chez Guibert tandis que sa fille Martine exerce le métier de couturière. Mais la famille va quitter Yainville pour Duclair et laisser sa maison à la famille de Julia Chéron et Emile Mainberte, lui aussi marin chez Guibert à cette époque...

Le 25 mars 1902, Pierre Chéron va tenir pour 600 F de Célestin Lamy, du Mesnil, le fonds de commerce du café du Quai, à Duclair. C'est une maison avec jardin et verger. Toujours en 1902, nous avons vu plus haut que François Chéron est réformé de la Royale. Il regagne Duclair.

En 1903, la cousin Gustave Mauger allait prendre le commandement du bac à aubes. La même année 1903, la liste électorale fait bien apparaître Pierre-Delphin comme débitant, route de Caudebec. Son fils François est qualifié de marin et réside au hameau de Saint-Paul. Hélas, on va le pleurer...

La légende familiale voudra que, Marin d'Etat, il disparut au Tonkin à 26 ans. En fait, il est mort à Duclair en 1903. François figure cette année-là sur la liste électorale de Duclair avec la qualité de marin et réside au hameau de Saint-Paul. Le 12 novembre, il meurt à 24 ans sans avoir repris la navigation d'une tuberculose pulmonaire. C'était cela ces fameuses "infirmités"dont la Marine ne reconnut pas la responsabilité.
Si un Chéron fit campagne au Tonkin, c'est son frère Pierre qui s'était engagé dans le Génie puis fut versé dans l'Artillerie de Marine et fit la guerre d'Annan..

Son passé brûle



En 1906, Pierre-Delphin apprit peut-être par la presse que le bâtiment sur lequel il avait fait sa guerre d'Italie, l'Algésiras, reconverti en navire-école pour les mécaniciens, fut détruit par un spectaculaire incendie à Toulon, catastrophe qui fit trois victimes. Avec 102 années d'existence, c'était le doyen de la flotte. J'ai dans mes archives, couplée avec une médaille d'Italie, une carte postale d'un certain Yver adressée à son frère, à bord du Stilbé, armateurs Quellec et fils, à Rouen : "Je t'envoie en carte l'Algésiras qui a brûlé complètement dimanche, tu as dû le savoir si tu lis les journaux..." Bref, ce fait-divers fit du bruit.*

En octobre, toute la famille est réunie à Boscherville où Suzanne épouse Raoul Chandelier.
 Cliquer pour agrandir.

Le 15 mai 1907, Pierre et Pascaline eurent le bonheur de marier leur fille Martine au fils d'une sommité du groupe Mustad, Einar Topp. Elle le suivit en Norvège mais mourut de tuberculose cinq mois plus tard. Son autre fille, Marie, présente au chevet de sa sœur revint en Normandie mettre au monde une fille mais Topp partit aussitôt pour les Etats-Unis puis refit très vite sa vie en Norvège.

Le parcours de Gustave


Son père, Pierre Delphin, s'étant retiré à Duclair, Gustave Chéron avait 23 ans quand s'ouvrit un siècle nouveau. Et c'est à Duclair qu'il se maria, le 18 septembre 1901, avec Adèle Blanche Rotou, une fille originaire d'Orival. Allez savoir pourquoi, on la surnommera Tante Marie-Gus. Gus sans doute pour Gustave. Mais Marie ?... Il lui faudra mettre au monde quatre enfants morts-nés avant de pouvoir élever deux garçons: Bernard et Louis.

Gustave aurait cessé de naviguer de 1900 à 1903. Son dossier militaire nous dit en effet : "rayé de l'inscription maritime le 26 juillet 1903 par application de l'art. 15 de la loi du 24 décembre 1896 ayant cessé de naviguer depuis trois ans." Ce même 26 juillet, on le passe dans la réserve de l'Armée de Mer.
Le 21 novembre 1903, l'Armée le localise à Yainville. Ce dossier présente une contradiction car l'on indique que Gustave a été dispensé en 1901 et 1903 de période d'exercice au motif qu'il était... inscrit maritime. Le 4 avril 1905, il est passé dans la réserve de l'Armée de Terre.

Il est à penser que de 1903 à 1906, Gustave se loua comme journalier à divers patrons. Le 3 janvier 1906, le voilà réinscrit maritime. Il embarque à La Mailleraye comme patron du Roberte Jeanne.  C'est une gribane de 30 tonneaux lancée à Rouen en 1893 et appartenant au carrier Sabatier. Gustave a pour matelot son beau-frère, Henri Mainberte. Mon grand-père ! Le passager du bac d'Yainville est alors Célestin Levesque.
Après un été sans naviguer, Gustave prend le commandement au Havre du sloop Saint-Simon. Jusqu'en mai 1907. Nouvel été sans naviguer. Une vingtaine de jours sur le bac de Jumièges, et notre turbulent Gustave revient sur le Saint-Simon. Pendant ce temps, à Yainville, on note
un incident en octobre 1908 : Le steamer autrichien Zichy, en montant la Seine à destination de Rouen s’est échoué sur le banc d'Yainville. Il est rentré au Havre pour se faire examiner par un scaphandrier.
La veille de Noël 1908, Gustave Chéron embarque pour quelques jours à Rouen sur le vapeur Figaro. Du 5 mars au 23 juillet 1909, il commande la gribane Georges André. Puis retrouve le Figaro, armé à Lorient cette fois. Bref, tout ce remue-ménage nous amène au 1er janvier 1910, date à laquelle Gustave Chéron devient le patron du Passager d'Yainville.  (Lire la suite de son épopée :)
 

La maison de Gustave Chéron et d'Adèle Rotou, dite "Tante Marie-Gus". Ils ont pour voisin leurs cousins Mainberte. C'est l'une des habitations du village de Claquevent qui fut rasé après-guerre. Marie-Louise Mainberte et son mari, Marius Hangard, leur succédèrent un temps dans cette habitation.

La mort de Delphin


Pierre Delphin est mort à Duclair le 13 mai 1908 à 70 ans. Que savait-il alors exactement du destin de ses filles avant de rendre l'âme. Martine a succombé à la tuberculose six mois plus tôt à Oslo, Marie est maintenant enceinte de son beau-frère norvégien.

Pierre Delphin était-il bigot ? On a retrouvé un Petit livre d'offices et de prières publié en 1886 par l'archevêque de Rouen, primat de Normandie. Cet exemplaire porte la mention manuscrite "M. Chéron, à Yainville". M. pour Monsieur ou pour Marie ? Plutôt la première hypothèse. Une main a rajouté au crayon "A. Mainberte". Ma mère, très croyante paraît-il, aura sans doute hérité de cet ouvrage dont la couverture est en faux ivoire.

Née en 1912, notre mère, Andréa Mainberte, n'aura pas connu son grand-père. En revanche, elle gardera le souvenir de sa grand-mère. Dès le 9 août 1908, elle céda en effet son fonds de commerce à Georges Fernand Persil. Regagna-t-elle de suite le café du Passage, à Yainville, tenu alors par les Mainberte ? Toujours est-il qu'elle est au mariage de Marie-Louise Mainberte en 1924. Marie-Louise qui racontait que, conduite sur les lieux de la photographie de groupe, au studio Deschamps, elle resta obstinément de l'automobile. Il fallut user de trésors de persuasion pour qu'elle en descende et prenne enfin sa place au premier rang.
Pascaline est décédée à Yainville en 1927 après vingt années de veuvage, ayant perdu cinq de ses enfants.

Laurent QUEVILLY.


Une sœur originale


Avant de mourir, mon arrière grand-père éprouva sans doute la satisfaction de voir sa fille entrer en 1907 dans la famille de l'inventeur le plus prisé de Norvège. Mais bien avant cela, Pierre Delphin Chéron, eut une sœur originale. D'abord, ellle se prénommait... Olinda. Et elle se maria sur le tard. A 36 ans, elle épousa à Rouen un rentier de 64 ans. Lui aussi donnaît dans la rareté puisqu'il s'appelait Appolonius Léguillon.
Avec près de 30 ans de différence d'âge, nos deux tourtereaux mirent un peu de temps à concevoir un héritier. Mais une petite fille finit par venir au monde le 30 mai 1889 et on la prénomma forcément Désirée.
L'un de ses témoins fut un cousin de l'enfant. Son nom ? Eugène Noël. Fichtre ! Né en 1816, surnommé le père la bêche, c'est l'une des plus grandes plumes du Journal de Rouen, l'auteur de plusieurs ouvrages, le bibliothécaire de la capitale normande. L'homme n'a plus que dix ans à vivre avant que l'on songe à lui élever une statue dans le Jardin des Plantes.
Avec un tel parrainage, notre Désirée ne pouvait qu'évoluer chez les érudits. Elle épousa à son tour un licencié ès-lettres, Marcel Sarthou, qui, la rosette à la boutonnière, finira sa carrière comme Inspecteur d'Académie du Pas-de-Calais après avoir écrit quelques livres qui font toujours référence.
Au bras de son érudit de mari, Désirée vint-elle rendre visite à son oncle, Pierre Delphin Chéron, le passeur du bac d'Yainville, le mastroquet de Claquevent et des quais de Duclair ? On peut rêver...


Sources

Registres paroissiaux et état civil de Barneville, Duclair, Jumièges etc.
Archives de l'inscription maritime.
Recensements de la population.
Baux du café du Passage et du café du Quai : Jean-Claude Quevilly.

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