5 Juillet 1962


C’était fini, en ces jours lumineux,
Transparents, d’un été enfin calmé,
Chacun pouvait se dire le malheur
La douleur, la peine sont terminés.

Nous partirons, mais avant respirons,
Allons une dernière fois marcher,
Parcourir les rues, regarder les maisons,
Toucher les murs et sentir le vent léger.

Et remplir nos yeux de tant de beauté,
Encore un peu s’arrêter,
Quelques minutes de bonheur volées,
Fragiles et légères, un si doux abandon.

Et puis le bruit et les fous sont arrivés,
Brutaux, sans pitié, pétris de haine,
Ne respectant pas la trêve déclarée,
Ils ont, en peu de temps, tout saccagé.

La victoire n’était-elle pas suffisante,
Leur joie devait elle avec pareille hargne,
De mal et d’horreur, se faire triomphante
Ivres de vengeance, ils ont semé la peine.

Enlevé, tué, martyrisé les innocents
Caché la forfaiture, dissimulé le crime
Pour planter au fond du cœur des Parents
Le poignard encore chaud des victimes

Plaie ouverte, plaie béante de souffrance
D’un mal jamais guéri et qui pleure en gouttes
Pour dire, à mots couverts, le vide de l’absence
Et la rage et la peine qui étouffent.

Reposez en paix ô vous qui êtes restés,
Dans ce pays, que vous avez aimé
Et, que nos pensées en ce 5 juillet d’été
Viennent caresser la terre où vous dormez.

Avec tout mon respect et toute mon affection
Aux Familles qui souffrent toujours et pleurent
Le vide, jamais comblé, de leurs chers disparus.


Yvette PASCUAL

  Quatre poèmes sur "Là-Bas"

Nos jeunes filles | Notre langue | L'oubli | 5 juillet 1962

BONUS

Lundi, jour de lessive et de grand vent…

Pépica a changé ses lits, sur sa terrasse, haute comme trois pommes et maigre comme un jour sans pain, elle se bat avec les draps mouillés, lourds, bras tendus, pieds sur la pointe, se hissant au maximum pour les poser sur le fil à linge, toujours trop haut pour elle, moitié étouffée par les 3 pinces à linge qu’elle tient dans sa bouche, et quelle manque d’avaler tant un vent violent lui colle la toile blanche sur la figure, enfin, au bout de quelques minutes d’effort elle y arrive,

Faut dire que ces draps elle les a ramenés de là bas, ils avaient servi de sacs pour y mettre quelques affaires de la mémé du pépé, de la tante, une toile rude comme une bâche de marin mais inusable la preuve, ils servent encore. Elle y tient à ses draps la Pépica, cadeau de mariage, qu’elle avait brodés, amoureusement, de deux initiales entrelacées,

Pépica pestant dans son dentier, bouche à moitié fermée, Purée, de purée, qu’est ce que j’ai fait de laver aujourd’hui, il ferait beau qu'il disait à la météo l'autre pingouin, mais le vent hein, le vent, il s’est levé dans la nuit, j’ai intérêt à remettre des épingles, il n'était pas prévu le vent et dans ce pays du midi, le vent, quand il souffle, si tu lèves un peu les pieds il t’envoie à l’autre bout de la rue, Elle en savait quelque chose, elle qui ne pesait rien ou presque et qui devait, quand elle sortait, se lester de son sac à main, puits de trésors où elle se trimballait de tout,

Que même le voisin Sauveur, qui est cocu le pauvre comme pas deux, les jours de grand vent, il n’osait pas sortir de peur de se coincer les ramures. Ho il faut bien rire un peu.

La Pépica, penchée sur la rue, jupe soulevée, souffle un peu, curieuse toujours. Cette terrasse c’est son mirador, quand elle veut prendre , en douce, la température de sa rue, elle y monte, et justement, pieds à peine touchant le sol, elle regarde la sortie de l’immeuble d’en face où habite sa meilleure copine.

La porte s’ouvre, Gracieuse, en sort avec Juanico son homme, accroché à son bras, Il l’a tient toujours sa moitié le Juanico, autrement il ne peut pas la suivre,
Faut dire que Juanico, il a trop usé et abusé de l’anis, alors il tangue un peu, dès le matin, pas trop mais il cherche toujours son point d’équilibre. Dans sa tête s’est greffé une boussole qui indique, entre deux verres, le bistrot du coin, là il y arrive tant bien que mal.

P : Hé Néna où tu vas si tôt ?
La néna qui cherche qui l’interpelle,
P : Hou, hou, là nénica, je suis là, lève ta tête,
Main en visière, Gracieuse, reconnaissant la voix, regarde en haut,
G : Ah ça y est je te vois Pépica tu es déjà à ta lessive de si bon matin,
P : Hé oui parce qu’après j’aurai plus le temps, et pourtant du temps il lui en reste vue qu’elle est veuve et vit seule,
G : Je comprends ma fille, mais descend, je vais te dire, et de souffler, la main prés de la bouche, les voisins ils n’ont pas besoin de savoir.
Pépica qui n’attendait que ça, curieuse comme deux chouettes un soir de pleine lune, leur ouvre sa porte,
P : Venez, venez prendre un petit café,
Gracieuse et son Juanico, toujours tenu au bras, s’installent dans la cuisine,
G : Fesses posées, avec un soupir, ma pauvre il nous en arrive une belle,
P : L’œil allumé, comme un merlan frais, quoi qu’est ce qui vous arrive, parce que je me disais la Gracieuse qui aime bien son lit le matin, déjà dehors,
G : Obligés ma fille, on a été obligés de se lever fissa, d’abord on n’a pas beaucoup à rester avec toi, là tout de suite, hein Juanico, le susdit opine de la tête,
P : Sur la toile cirée, à grosses fleurs, brillante comme un cheveu gominé de Roja, Pépica pousse les deux bols à raz bord d’un café noir, serré à réveiller un mort et qui embaume la cuisine, elle va chercher dans le placard une mouna, déjà entamée .
G : Oh ma fille tu as fait la mouna, moi j’ai plus envie d’en faire.
P : Oui, ma Carmencita et mon gendre sont venus dimanche, tu sais mon gendre le patos, il aime, quand il vient à la maison, manger comme chez nous, alors j’ai fait la paëlla et la mouna en dessert.
G : De soupirer, tu as de la chance avec ta fille va, c’est pas comme moi.
P : Qui n’a que cette seule fille, s’assoie et d’une voix pressée, quoi ta fille, la Désirée.
G : Oui, elle, la bien nommée, que je me demande pourquoi ma mère elle m’a dit de l’appeler Désirée, celle là et de regarder son Juanico d’un œil noir.

Le Juanico ne pipe mot, la tasse près du nez il boit à petits coups le liquide brûlant, de toute façon, ce buanatchon, il n’a jamais rien dit dans la famille c’est toujours sa moitié Gracieuse qui a tout dirigé et fais ci, et fais ça, du coup lui, pour lever la pression, comme le couvercle de la cocotte, il va compenser, au petit café, " La Belle Oranaise ", avec les copains en tapant le carton, et comme eux, parce qu’il fait soif, de temps en temps, il lève le coude.
Ce bistrot sympa "A La Belle Oranaise" est tenue de mère en fille depuis l’arrivée de la famille. Juliette la mère avait son bistrot au pont de Gambetta, jeunette elle faisait la joie de tous ses clients, Et ici elle a continué, bonne fille, joviale, accueillante, gentille, tout le monde l’aimait et l’aime encore cette mamy qui tout naturellement a passé la main à sa fille aînée Rosemonde, qui, à son tour, accueille avec le même esprit dans le bistrot que lui a légué sa mère, ses vieux clients pieds noirs.

P : Raconte que tu me fais tourner les sangs.
G : Tu connais ma Désirée, la dernière des 8 que j’ai eus, brave, belle, mais restée à 35 ans, un peu tontica et de regarder à nouveau son homme.
P : Oui, oui continue.
G : Non mais il faut que je te dise.

Et Gracieuse de se répéter pour la nième fois.
P : Les yeux au ciel soupire, elle se prépare à écouter en pensant si fort, que la Gracieuse, si elle n’était pas prise dans son délire, pourrait l’entendre la Pépica qui continue de penser… Gracieuse, Gracieuse, elle l’aime bien, sa copine, même beaucoup, surtout qu’elles ont été élevées dans la même cour à Gambetta, la Gracieuse, mais déjà le prénom, on se demande qui lui a donné, fallait le chercher, bon, avec sa rissa qui lui fend la bouche chaque fois qu’on se voit, et les tonterias qu’on se dit, gracieuse, c’est sur, elle l’est, mais le reste, mama…la nature a pas été bien regardante, vous voyez le canard, et bien un peu comme ça, la pauvre, les deux pieds en ouverture qui lui donne une marche dandinante et les tétas alors.

P : Partie dans ses pensées, elle sursaute
G : Dis, tu m’écoutes ou tu rêves, que j’ai pas beaucoup de temps.
P : Non, non ma fille, vas y je suis toute oreille.
G : Hier presque à la fin du film, le téléphone sonne, j’ai sursauté tu peux pas savoir que j’ai failli mourir de peur, oui je mettais légèrement assoupie.
P : Ah oui et pourquoi tu as sursauté.
G : Ben, c’est la sonnerie, on ne m’appelle jamais, surtout si tard.
P : Alors quoi, qu’est ce qu’il y avait.
G : C’est à cause de ma fille Désirée.
P : Quoi ta fille, elle n'est pas chez toi là.
G : Non, elle est enfermée.
P : Enfermée ta fille ?
G : Oui chez les poulets.
P : Les poulets, quoi les poulets, tu perds la tête.
G : Non néna, tu sais, chez les agents de la police.
P : Où ça au commissariat de l’autre quartier là bas plus loin.
G : Oui tu as tout compris.
P : Compris ? Mama mais qu’est ce qu’elle t’a encore fait ta Désirée.

Parce que la Désirée, elle n’a fait que ça donner du tracas de toute petite, déjà sa naissance, pour la Gracieuse et le Juanico, c’était le cadeau surprise qu’ils se sont fabriqué, involontairement, pour leurs vieux jours. Il s’est oublié le Juanico.
Et elle, le sousto passé à l’annonce de sa grossesse, elle a accepté mais elle s’est longtemps demandé comment elle a pu, presque ménopausée, et son Juanico qui était au ralenti, faire ce dernier enfant, oui comment elle a pu être prise, bref, es la vida, elle n’a pas regretté après devant cette petite beauté que la sage femme lui a posée, encore toute mouillée, sur le ventre.
Et puis faut dire que maintenant, ils sont bien contents de l’avoir, leur grande fille, les frères et sœurs partis, parce qu’elle est increvable pour le boulot Désirée, elle fait tout à la maison et elle les gâte ses vieux parents, elle te leur fait une vie douce, Gracieuse elle se garde juste la cuisine à faire, Désirée ramène les courses et Gracieuse se met aux fourneaux, enfin !

G : Tu sais que Désirée travaille en usine, elle n’a pas été longtemps à l’école, alors depuis toujours elle est là, avec tout un tas de smicards, comme elle.
P : Oui et alors.
G : Et bien, dans ces copains de galère, il y a des glandestinos.
P : Quoi des glandestinos, qu’est ce que tu racontes.
G : Oui, il y en a qui n’ont pas la carte.
P : La carte, la carte de quoi ?
G : Pos tu n’écoutes pas les informations ou quoi toi, et ben la carte pour rester en France.
P : Ah oui ceux là ? qu’est ce que tu veux, mon gendre qui est flic, le mari de ma Carmencita, que c’est un gentil géant, un ancien de l’équipe de Perpignan, alors Pierre mon gendre dit qu’il y en a beaucoup en irrégularité mais que ce n’est pas leur faute parce que pour certains, ils ont fait racine ici depuis des ans et des ans.
G : Voilà tu as tout compris et ma fille, elle les connaît tellement dans le travail. qu’elle a participé.
P : Quoi participer, à quoi participer.
G : A la manifestation.
P : Qué manifestation, il y a eu une manifestation et alors.
G : Moi, Pépica, je te dis, je sais pas où tu vis, tu as pas regardé les informations depuis longtemps toi.
P : Oh moi les informations, la télé, à part les feux de l’amour que ça me fait l’évasion, un ou deux films, le reste non ça me fout les cafards.
G : Ah ! je comprends mieux alors. Et bien certains collègues de travail à la Désirée ils doivent faire attention de ne pas trop sortir, ne pas aller n’importe où parce qu’ils n’ont pas les papiers, juste quelques uns ont le permis de séjour périmé depuis des lustres y mas, quant aux autres, ils sont rentrés en fraude pour le travail.
P : Çà j’ai bien compris et ta fille la dedans.
G : Dis tu as vu le physique de ma fille, elle a pris, de son grand père, l’émigré espagnol, la couleur de la peau et ses cheveux.
P : Et ben quoi, elle est belle ta fille.
G ; Oui mais elle passe pas pour une suédoise, si tu vois ce que je veux dire.
P : Ah oui et alors.
G : Eh bien dans la manifestation, elle était au milieu du défilé avec ceux de toutes couleurs, qui hurlaient à pleine voix avec leurs banderoles, Ils voulaient aller jusqu’aux hautes autorités, mais c’est que la police elle l’entendait pas de la même oreille.
P : J’ai compris ma fille, j’ai compris.
G : Et bien la police les a fait reculer, et eux voulaient avancer, donc il y a eu un va et vient que je te dis pas et ma bourrique de Désirée elle était dans tout ce bazar.
P : Je la connais ta fille, elle devait hurler plus que les autres.
G : Tu as tout compris, alors la police en a eu marre et ils ont en accroché quelques
uns et les ont montés dans les camions, conclusion elle a fini en cellule.
P : Et comment tu l’as su.
G : Attend je t’ai pas dit, elle était de sortie ma Désirée chez justement des copines et copains de travail, tu penses qu’elle m’a pas dit ce qu’elle allait faire. A 35 ans je peux pas l’attacher quand même,donc j’étais pas inquiète.
P : Oui mais comment tu as été prévenue.
G : Attend que je te dise encore, cette bourrique était sans son sac et donc sans papier, je pense la tonta, qu’elle voulait être comme les autres.
P : Oui mais tu ne me dis toujours pas comme tu as su.
G : Et bien, sans papier comme les autres, à gueuler comme les autres, noiraude comme les autres, la police ne croyait pas ce qu’elle lui disait, à la fin, tellement marre de l’entendre hurler et comme elle avait droit de passer un coup de fil, elle nous a appelés et m'a raconté vite fait.
P : Et c’est seulement ce matin que vous y allez.
G : Et dis hier soir, comment nous y allions dans la nuit hein, moi seule dans ce quartier pas question et le Juanico il cuvait un peu, tu sais comme tous les soirs, même le canon il le réveille pas dans cet état, alors je lui ai dit que cela lui ferait du bien de dormir avec ces copains.
P : Et ben tu parles d’une histoire.
G : Voilà ma fille, merci pour la pose, ça m’a fait du bien de te parler néna . Je vais lui porter ses papiers à ma fille que sinon, ils vont me la garder.

Gracieuse et Juanico se lèvent et bras dessus bras dessous ils sont partis pour délivrer leur fille Désirée.

Pépica sur le pas de la porte les regarde s’éloigner à petits pas, elle soupire et se souvient. Gracieuse sa copine de toute petite, sa sœur, son sauveur.

En 1962 Pépica avait déjà sa fille, son homme tenait un petit atelier de mécanique, oh rien de bien terrible, juste de quoi vivre. Déjà tout jeune il avait le don, il réparait tout, le vélo, le carrico, la mob des copains , la vieille voiture, naturellement plus tard il en a fait son métier.

Elle soupire Pépica, les larmes aux yeux, son homme, il voulait retourner encore une fois à son atelier, elle lui avait dit non, on y va, mais lui, son joli sourire aux lèvres, déjà grimpé sur son scooter l’a rassurée, je reviens vite ma chérie, sois prête et elle ne l’a jamais revu. Elle l’a attendu des heures, une nuit, puis un jour et une nuit encore, folle elle a demandé à tous les vents et personne n’a su lui répondre, personne ne l’avait vu même pas à l’atelier, il n’y est jamais arrivé, elle a laissé sa petite et parcouru les rues juste à côté, mais rien, tout le monde partait, tout le monde avait peur. Alors elle s’est assise, sur son devant de porte, serrant sa petite tout contre elle, et n’a plus bougé.

Gracieuse était là, à ses côtés, retardant l’heure du départ pour protéger ses premiers enfants, elle lui disait viens, lève toi, ne reste pas comme ça, si tu ne bouges pas je reste aussi. Ton homme ne reviendra pas, il faut que tu partes pour protéger ta fille.
Elle reprend pied Pépica, se secoue un peu, tout ça est tellement loin. Elle lui est restée fidèle à son amoureux, son jeune époux, les années passant, jamais elle n’a pu faire le deuil de ce si grand malheur.

Yvette PASCUAL.
      2007