Le second tronçon

Ainsi fut édifiée la station dite de Yainville-Jumièges et son grand hangar. Elle est du même modèle que ses petites sœurs de Duclair ou encore Barentin. Jumièges a tenu à y être associé :

On construisit un ouvrage d'art au pied de la côte Béchère, sur la route de Sainte-Marguerite. " Passer sous la voûte ", entra dans le vocabulaire.
Longueur totale des rails: 29,200 km, vingt passages à niveau, dix gares ou haltes, de nombreux embranchements particuliers. Dont celui qui reliera plus tard la centrale électrique de Yainville.
Une excursion en 1883
Le 11 août 1883, l’association française pour l’avancement de la science emprunte un train spécial sur la ligne. Suivons nos savants…

En 1884, une pétition circule à Caudebec pour que le train-poste du soir soit retardé à 21 h 30. Le journal Le Pilote se fera l'écho des usagers : " De Caudebec à Barentin, il n'y a pas fort loin kilométriquement, mais on ne sait que trop que le chemin de fer met environ deux heures à franchir cette minime distance de six ou sept lieues. On a me temps d'avoir froid. Pourquoi ne met-on des bouillottes que dans les wagons de 1ère classe où il n'y a presque jamais personne, tandis que les autres voitures, toujours plus ou moins occupées, sont dépourvues de tout chauffage ? "

En mai 1884, on écrit au Pilote de Caudebec. "Dans notre petite commune, on attend toujours avec impatience la belle saison ; car elle nous ramène les étrangers qui viennent visiter les ruines de la célèbre abbaye dont les hautes tours s'aperçoivent aisément de la Seine.
Cette année, nous avons plus lieu que jamais de compter sur une grande affluence de visiteurs. Jumièges, en effet, n'est plus une sorte de pays perdu, sans communications.
Tout cela est changé maintenant grâce à l'établissement du chemin de fer de Barentin à Duclair et à Caudebec, ce qui a amené l'établissement d'une correspondance directe par voitures à chaque train entre la station de Yainville et Jumièges.
Notre localité se trouve ainsi maintenant desservie dans les meilleures conditions.
Aujourd'hui que tout le monde voyage, Jumièges, avec ses ruines et son site pittoresque, va devenir, nous l'espérons, un lieu de promenade de plus en plus recherché des amateurs? A notre tour, nous allons bénéficier de ce progrès qui se répand peu à peu partout : la facilité des transports."
En août 1884, au conseil général, on renouvelle le vœu de voir la halte de La Mailleraye érigée en station pour faciliter le transport des bagages et des marchandies. Nombre de communes voisines le réclame.
Une carrière à la gare !
En 1884 toujours, le sieur Revert, demeurant, à Saint-Paul et propriétaire d'un terrain mitoyen de la gare, demande à y exploiter une carrière. On y a découvert des bancs de calcaire lors des travaux. Lire notre page spéciale :

Quand vint l'hiver le Pilote renouvela un souhait. "Dans les trains qui desservent Caudebec, les wagons de 1ère classe sont seul chauffés ; les wagons de 2e et 3e classe, c'est-à-dire ceux qui transportent la presque totalité des voyageurs, sont dépourvus de tout chauffage.
De deux choses l'une : ou la longueur du trajet est jugée suffisante pour que le chauffage soit opéré, ou elle est jugée de trop courte durée. Dans le premier cas, le chauffage de tous les wagons est obligatoire ; dans l'autre, il faut se résigner à l'absence de chauffage dans tous les wagons indistinctement.
Or, c'est la première alternative qui s'impose. Le trajet entre Caudebec et Barentin ne représente pas i, bien gros chiffre de kilomètres, mais, il dure en moyenne une heure et demie. Le train de l'après-midi ne met pas moins de 1 heure 51 minutes.
Sur toutes les autres lignes de l'Ouest, on chauffe les trains pour des trajets de bien moindre durée."
Toujours des accidents...
Un jour de janvier 1885, à l'arrivée du train de 14 h 20 à Caudebec, l'omnibus qui fait le service de la ville verse route de Rouen. Le conducteur tombe de son siège, les voyageurs en sont quittes pour poursuivre à pied...
En mai, Rochaut, homme d'équipe de la Compagnie de l'Ouest demeurant au Trait a une jambe broyée par un tander, à Oissel. Amputation pour ce père de six enfants.
En juillet, Hacquart, le facteur en chef d'Yvetot, est nommé chef de gare à La Mailleraye. De là, Lecointre vient prendre ces mêmes foncitons à Yainville-Jumièges.
Fin juin 86. Albert Prunier, graisseur à la gare de Saint-Wandrille, se penche sur le quai aux bestiaux pour vérifier l'inscription d'un wagon. Quand celui-ci, poussé par des cheminots, s'avance et coince Prunier entre le quai et le véhicule. A ses cris, le chef de gare fait sopper la maneuvre et l'on peut dégager le blessé. Le médecin se veut rassurant. Prunier est transporté chez lui à Caudebec.
...et des critiques !
1886.
La veuve Hallot, de Duclair, dépose une
réclamation
auprès de la compagnie des chemins de fer de l'Ouest. Ses
paniers de fruits, confiés au train de 10 h 40
à
destination de Dieppe, ont été livrés
trop tard
à son goût.
Le conseil municipal de Jumièges qui a tant demandé que son nom figur au fronton de la gare semble aussi émettre quelques réserves s'agissant de l'entretien de ses routes.
"La commune de Jumièges est une commune interdépartementale. La station de chemin de fer Yainville-Jumièges amène beaucoup de voyageurs et de marchandises du département de l'Eure qui passent la Seine par le bac de Jumièges et traversent la commune dans toute son étendue pour se rendre à la station. Tout le trafic de la commune du Mesnil-sous-Jumièges passe également sur nos routes."
Février 1887 : le Ministre des Travaux publics ordonne la mise à l'enquête du raccordement du quai de Duclair avec la ligne. La compagnie de l'Ouest sera chargée des travaux.
En 1888, vous pouviez partir de Paris à 6 h 45, et, à Barentin-embranchement, attraper le train pour Caudebec à 12 h 35. A la même époque, un train partait de Caudebec à 5 h 46 qui vous déposait à Barentin-embranchement à 7 h 10. De là, vous pouviez monter dans le train de Rouen à 7 h 43. Il suffisait de changer de quai. Mais certaines correspondances pouvaient aussi s'opérer en parcourant à pied la distance séparant les deux gares. Les horaires étaient calculés en tenant compte du temps nécessaire à l'absorption d'une consommation dans l'estaminet situé à mi-chemin.
Les locomotives, elles, s'abreuvent à Duclair où est édifié un imposant château d'eau métallique au nord de la gare.
La ligne prouve immédiatement son utilité. Retrouvons nos pêcheurs de Seine. Poisson, moules et bouquets s'écoulent devant les usines textiles de l'Austreberthe et proviennent en effet des gares de Duclair et Caudebec. Les producteurs de fruits de la presqu'île expédient aussi leur production à partir de la gare de Yainville où ils se rendent avec leurs banneaux.
En novembre 1888, le chef de gare de la halte de Guerbaville est M. Guidon. Qui se fait voler deux poules estimées 6 F.
Le bilan de l'année : 28 000 voyageurs enregistrés à Duclair, 16 000 à Caudebec.
22 février 1889. Le fils du jardinier de Mme Dupasseur, de Jumièges, avait attaché son cheval au treillage de la gare. Arrive la voiture de Noël Petit. Le cheval prend peur, arrache de bride et part au galop. Au bas de la côte, la voiture heurte un arbre, verse et se brise. Le cheval est en revanche indemne.
La gendarmerie est tenace. On avait surpris voici plusieurs mois un voyageur de 2e classe avec un billet de 3e en gare de Barentin. Il avait dit s'appeler Victorien Coignard. Depuis, on le recherchait. En février 1889, les gendarmes de Duclair le retrouvent sur le chantier de la digue de Bardouville. Correctionnelle.
Fait divers sur la ligne
En Octobre 1889, un couple adultérin venu de la Somme emprunta la ligne. Passa trois jours à l'hôtel de la Marine, à Caudebec. Et alla se noyer à Villequier.

Le 1er janvier 1890, on installe une boîte aux lettres à la gare d'Yainville. Elle est relevée quatre fois par jour au passage du train-poste.
15 février 1890. Samedi matin, le veilleur de nuit de la fabrique de M. Delaporte aperçut le corps d'un noyé arrêté par la grille de la chûte d'eau. Aidé de ses camarades, il attira le cadre sur le terre-plein et reconnut le nommé Arsène Guillaume Quetteville, 51 ans, ouvrier poseur de la ligne de chemin de fer.
Le vendredi soir, cet homme se trouvait à Duclair en état d'ivresse. Il prit le train du soir et descendir au Paulu. Le facteur-chef de la gare le voyant ivre redouta une chûte à l'eau s'il lui laissait prendre, pour regagner son domicile, le plus court chemin qui, de la gare, suit la rivière et le reconduisit de force sur la grand route.
Arrivé près des grilles de la propriété de M. Delaporte Quetteville voulut traverser la cour et le pont pour regagner le chemin que le prudent facteur-chef lui avait interdit.
La nuit était ce soir-là très sombre et le malheureux homme en croyant s'engager sur le pont tomba dans la rivière la face en avant. Le corps ne présentait aucune trace de violence et l'asphyxie à dû être très prompte car l'attitude des membres était dans la position habituelle.
Quetteville vivait seul,séparé de sa femme et depuis quelque temps s'adonnait à la boisson d'une façon continue.
La constatation du décès fut faite dans la journée par les gendarmes de Duclair assistés de M. Maillard, médecin. (Le journal de Duclair)
Ah ! enfin des bouillottes dans les wagons de 2e et 3e classe de la ligne Barentin-Caudebec. Nous sommes en décembre 1890.
Un projet de pont à Jumièges !
LE HAVRE, le 21 août 1891. L'administration des ponts-et-chaussées vient de déposer son rapport sur le chemin de fer du Havre à Pont-Audemer.
Le rapport conclut à l'adoption du projet Berlier c'est-à-dire au tracé par Tancarville, avec passage sous-fluvial, au moyen d'un tunnel métallique. La Compagnie de l'Ouest proposait d'établir un pont à Jumièges, ce qui allongeait considérablement le trajet, tandis que la ligne est précisément destinée à raccourcir les distances entre le Havre et le centre et l'ouest de la France. (Journal des Débats)
1891, c'est l'année où s'achève à Duclair le raccordement reliant la gare au port. On établit une nouvelle voie de marchandises dans la gare.
Le cheminot volait dans le train
Journal des débats, 2 juillet 1892
Un ancien employé de la Compagnie de l'Ouest nommé Quittmell, vient d'être condamné par le tribunal correctionnel d'Yvetot à treize mois de prison pour avoir volé un sac de dépêches dans un vagon-poste, sur la ligne de Caudebec, entre Barentin et Duclair.
Le prévenu croyait enlever une somme de 20,000 fr.; mais, dans sa précipitation, il n'avait enlevé que des circulaires électorales.
En 1895, la veuve Bénard, qui exploite le bac de Jumièges, se plaint de ne plus avoir à transborder les paniers de fruits à bord des vapeurs. Cependant, la gare de Yainville suscite des passages supplémentaires aux trois bacs de la presqu'île. Reste que, sur toute la ligne, se pose le problème de concordance des horaires entre trains et bacs.
Caudebec-Barentin en 1896
Victor Eugène Ardouin-Dumazet fait pour nous le voyage de Caudebec à Barentin.

Le 10 décembre 1897, le train reste en détresse au Trait pour manque d'eau dans la machine. Mécanicien et personnel de la voie charrient de l'eau pour gagner Yainville.
De son côté, le conducteur a envoyé demander du secours à cette gare. La machine du train de marchandise a laissé son convoi à Duclair pour venir à la renconre du train 10 qui avait déjà subi un retard de 2 heures. En gare de Duclair, la machine de secours mandée attendait. Elle fut crochée et le train continua sa route sans autre incident. Le chef de gare de Duclair a eu la bonne inspiration de faire crocher au train de marchandise se rendant à Caudebecquet, un fourgon et une voiture pour pouvoir transporter les voyageurs de Duclair et des gares intermédiaires jusqu'à Caudebec.
Journal de Duclair, A. Leroy, du Trait, février 1898 : La Compagnie de l'Ouest, qui de temps en temps a des équipes de chabonniers à porter de Duclair à Rouen et vice-versa ne pourrait-elle pas à l'usage de ces messieurs faire construire un wagon capitonné où ceux-ci, seraient enfermés. Les voyageurs et surtout les dames et les enfants, ne pourraient entendre leurs chants obsènes, leurs querelles et leurs cris orduriers, car véritablement ce n'est pas agréable de voyager avec de pareils individus.
La Vigie, 16 septembre 1898. Un nommé Jean Bugüellon, âgé de trente-deux ans, originaire des Côtes-du-N'ord, sorti dimanche de l'hôpital d'Yvetot, s'est jeté sous un train sur la ligne de Barentin à Caudebec. On a retrouvé son cadavre mutilé. Un bras entièrement séparé du tronc était resté sur la voie tandis que le corps avait roulé au bas du talus.
Mais voici qu'un nouveau siècle arrive. Changement de quai...
Laurent QUEVILLY.