Par Laurent Quevilly-Mainberte

Imagine-t-on auourd'hui des tirs de mine à deux pas d'une gare de voyageurs ! Et pourtant, en 1884, un propriétaire de Saint-Paul fut autorisé à exploiter une carrière tout près de la ligne Barentin-Caudebec. Dossier explosif...


Quand fut édifiée la gare de Yainville, on découvrit des blocs de calcaire. Propriétaire du terrain mitoyen, Revert se mit alors en tête d'ouvrir là une carrière. Le 10 mars 1884, il en fait officiellement la demande. Ses arguments ? Cette exploitation pourra procurer à la gare un mouvement de marchandises très important... "Confiant, écrit-il au préfet, dans votre justice et votre sollicitude pour tout ce qui tend à développer la transaction industrielle, le soussigné a l'honneur d'être avec le plus profond respect votre très humble serviteur..."



On demande alors un rapport à l'administration. Les 17 juin, les ingénieurs du service de contrôle des chemins de fer de l'Ouest rendent leur copie.

La carrière borde la cour de la gare de marchandises. Cette cour a été établie sur une plate forme formée par un déblai dans un terrain de pente assez forte. "Elle est limitée par le talus des déblais. Ce talus a mis à découvert à la partie basse des blocs de roches calcaires solides qui ont recouvertes de crayons et de terre sans consistance. Les bancs de roches ne s'étendent pas dans toute la longueur du talus. Ils sont limités d'une vingtaine de mètres au droit de la halle aux marchandises.

Difficile d'accès


Le Sieur Revert, propriétaire de la partie du sol qui est bordée par le talus de déblais voudrait exploiter les bancs solides, mais en raison de la difficulté d'accès de la propriété, du peu de largeur comprise entre le talus et une forêt de l'Etat longée par un chemin à voitures, de l'épaisseur des terres de recouvrement, l'exploitation n'aurait guère été possible, si même elle l'est fructueusement, qu'en entrant en carrière par la cour de la gare même, en entamant le talus qui ne fait pas partie de la propriété Revert mais est une dépendance du chemin de fer...


Une servitude fort gênante


Quelles que soient les précautions à prendre, poursuivent les ingénieurs, le voisinage de la halle (15 m) et du bâtiment de la gare aux voyageurs, habitation du chef de gare (50 à 60m), imposerait des conditions spéciales telles que l'évacuation de ces bâtiments qui ne peuvent être qu'une servitude fort gênante pour les agents sinon pour le public.


La Compagnie ne peut être obligée à admettre un pareil état de chose, on le conçoit. Toutefois, Revert insiste pour être autorisé à exploiter même dans ces conditions.

Des mesures de protection



L'exploitation devra dès lors être limitée à la propriété même et un massif non attaqué devra être conservé le long de la cour de la gare pour la défiler contre les projections. La Compagnie a demandé que ce massif ait 10 m de largeur en couronne. Il ne nous paraît pas utile de lui donner une telle largeur. Ce massif devrait agir bien plutôt par sa hauteur que par sa largeur, nous croirions qu'il serait suffisant de lui donner 5m en couronne.


Le service du contrôle n'a pas à connaître de la distance à conserver sur le chemin forestier qui limite la propriété du côté opposé au chemin de fer, le service des Mines de l'arrondissement minéralogique serait compétent sur ce point, mais en raison de la réunion des services sur une même personne, nous pouvons émettre ici l'avis que la zone à conserver devrait être limitée à cinq mètres également de ce côté à condition d'établir le long du chemin une clôture solide.

Les ingénieurs proposent donc ces conditions dans l'article 1 du projet d'arrêté.

1) Préalablement à tout tirage à la poudre, l'exploitant sera tenu de prévenir au moins 48 heures à l'avance le chef de section de la Compagnie de l'Ouest en résidence à Rouen, ce dernier accusera aussitôt réception de cet avis et désignera en même temps l'agent qu'il aura délégué pour assurer la protection du chemin de fer. Cet agent devra se mettre immédiatement en rapport avec l'exploitant. Le délégué pourra être nommé pour une période indéterminée et quand il y aura lieu d'en changer, le chef de section préviendra l'exploitant en temps utile afin d'éviter autant que possible toute interruption de l'exploitation.

2) Le tirage à la poudre ne pourra avoir lieu qu'en présence et sur l'ordre de l'agent délégué, lequel devra au préalable prendre des dispositions pour protéger la ligne, non seulement dans les deux directions, mais encore la cour de la gare aux marchandises et la gare aux voyageurs. Il veillera à ce que personne ne se trouve dans les dépendances de la gare exposé aux projections qui viendraient à se produire.

3) L'exploitant devra prendre sous sa responsabilité propre les mêmes dispositions pour la protection du chemin qui borde sa propriété du côté de la forêt.

4) Le tirage à la poudre sera effectué à des heures déterminées à l'avance, d'accord avec la Compagnie, dans l'intervalle du passage des trains et à des moments où l'accès de la gare pourra être sans inconvénient interdit au public.

5) On disposera sur la masse qui sera susceptible d'être détachée par l'explosion des bourrées ou fascines reliées entre elles de manière à éviter toute projection.

6) Il est interdit de se servir de bourroir en fer, les tiges des bourroirs elles-mêmes ne pourront être en fer.
La poudre devra être mise dans le trou de mines en cartouches faites à l'avance et non être versée directement dans ce trou.

7) Il sera réservé entre la carrière et la gare pour la protection de cette gare un massif non attaqué ayant au moins 5 m de largeur en couronne à partir de l'arête supérieure du talus des déblais de la gare aux marchandises. Il sera réservé un massif de cette même largeur au moins de cinq mètres en couronne entre le chemin à voitures longeant le côté de la propriété opposée et la crête de l'escarpement de la carrière. Ces massifs devront être coupés avec une pente ayant au moins un de base pour deux de hauteur dans toute la partie ébouleuse qui recouvre la masse solide à exploiter, celle-ci pourra d'ailleurs être coupée verticalement si elle présente une solidité suffisante.

8) L'abord de l'escarpement de la carrière, du côté du chemin à voitures qui longe la propriété devra être garanti par un fossé relief formé avec les déblais de l'exploitation de un mètre au moins de hauteur ou par tout autre moyen de clôture reconnu offrir des garanties suffisantes de sûreté.

9) Le front de taille devra être orienté de façon que la masse non attaquée se trouve interposée entre ce front et le bâtiment de la gare aux voyageurs. En aucun cas il ne sera permis de tirer des coups de mines contre l'action desquels ce bâtiment ne serai pas défilé par le massif non attaqué ou par le massif de protection réservé latéralement.

Article 2. Tous les frais quelconques occasionnés à la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest par la surveillance des travaux et la protection de la gare et de la voie seront remboursés par l'exploitant sur présentation des factures avec pièces justificatives à l'appui.

Article 3. L'exploitant demeurera en tout cas responsable de tous accidents ou dommages qui pourraient résulter des travaux ...

L'impatience de Revert



Depuis sa demande du 10 mars, la procédure administrative traîne quelque peu en longueur. Le 16 juillet de Saint-Paul, Revert manifeste au préfet son impatience. 
Il a l'intention de procéder aux travaux préparatoires à l'exploitation de la mine le plus tôt possible. Le 18 juillet 1884, à Paris, l'ingénieur en chef appose sa signature au projet de décret. Le 25 août, Revert revient à la charge auprès du préfet. Le 26 août 1884, ce dernier signe enfin l'arrêté. Mais il ajoute cet article suggéré par le ministère: dans le cas où, malgré les précautions qui précèdent, le chemin de fer venait à être encombré, l'exploitant devrait mettre à la disposition de l'agent délégué tous les ouvriers et outils nécessaires pour rétablir immédiatement la circulation des trains.

Émile Silvestre, maire de Yainville et lui même carrier, notifie à Revert cet arrêté le 2 octobre suivant. Le 23, à Paris, la direction des chemins de fer prend acte. Notre entrepreneur peut enfin exploiter sa carrière. L'histoire des extractions reste à écrire...


Sources


Jean-Yves et Josiane Marchand, archives départementales de la Seine-Maritime, cote non communiquée.