YAINVILLE

L’Informatique pour tous ?

Par Jean Mourot




Le couloir de ma classe n’était pas l’endroit idéal pour installer un poste informatique. C’est pourtant là que nous avions fini par installer la configuration que nous avions reçue dans le cadre du plan « Informatique pour tous » lancé par Fabius et Chevènement dès la rentrée 1985. Elle était posée sur deux pupitres accolés face à face qui laissaient peu de place pour circuler entre mur et rangée de porte-manteaux. On y avait, devant un téléviseur 36 cm relié à une unité centrale Exelvision, un clavier sans fil à côté d’un magnétophone à cassette et d’une imprimante matricielle. Les élèves y défilaient généralement par groupes de deux et nous avions pour les guider un grand garçon de 21 ans, recruté à cet effet dans le cadre des TUC (Travaux d’Utilité Collective) par le maire adjoint chargé des affaires scolaires, Marcel Pastor.


Comme nous avions été privés du « nanoréseau » à plusieurs postes dont nous aurions dû être dotés, nous avions fini par affecter l’unique poste reçu aux seuls cours moyens, essen-tiellement au CM2. Je m’étais lancé dans une prudente initiation à la programmation, d’abord en « basic », un langage relativement simple pour des anglophones, mais beaucoup moins pour des francophones auxquels convenait mieux le langage « logo » dont la cartouche ne nous parviendra que bien tardivement et que nous utiliserons pour construire des figures géométriques.
Après avoir découvert ensemble le maniement du clavier, les enfants ont composé chacun de petits programmes de dessins. Leur exécution leur permettait ensuite de vérifier sa validité à l’écran. Nous avons également programmé ensemble la résolution d’un problème d’arithmétique sans parvenir à systématiser ce type d’activité dévoreuse de temps. Nous avons encore utilisé plus librement un logiciel de création graphique assez sophistiqué du nom d’« Imagix ».

Je profitai des fins de journée consacrées au dessin pour envoyer des petits groupes s’exercer sur l’ordinateur que nous utilisions aussi pour des exercices de français ou de calcul à partir de logiciels d’E.A.O. (Enseignement Assisté par Ordinateur). Ces « pédagogiciels » étant enregistrés sur des cassettes magnétiques, il fallait préalablement les charger dans l’ordinateur et c’était très long (environ un quart d’heure !). Il existait bien des cartouches mémoires mais il fallait les acquérir à nos frais et nous n’avions pas de crédits pour cela. Ce n’était d’ailleurs que des exercices à trous qui n’avaient d’avantage sur mes fiches polycopiées que la fascination de l’écran. J’en avais programmé quelques-uns en « basic », au prix d’une perte de temps considérable. Plus tard, grâce à un crédit supplémentaire, je fis l’acquisition d’une cartouche éditée par l’AFL (l’Association Française pour la Lecture) contenant l’intéressant programme de perfectionnement de la lecture nommé « ELMO » devant lequel défilèrent quelques lecteurs enthousiastes...

Au départ, tous les élèves s’étaient sentis fortement motivés par le nouvel outil. Mais l’intérêt s’est émoussé rapidement, à mesure que le gadget se transformait en instrument de travail. Les uns se sont lassés d’attendre leur tour de pianoter, les autres se sont découragés devant les difficultés d’utilisation. Et j’ai retrouvé en « informatique », les mêmes clivages qu’ailleurs. Un seul élève, généralement assoupi, s’est réveillé devant l’écran. Mais comment faire défiler les 22 élèves de ma classe devant l’unique clavier ?

Le plan « Informatique pour tous » (IPT), lancé par Fabius et Chevènement en janvier 1985, faisait suite à diverses expériences qui, depuis 1966, avaient introduit les tout nouveaux « micro-ordinateurs » à l’école. On avait commencé dans le secondaire, avec un matériel qui était loin d’être au point. Il ne s’agissait pas vraiment de permettre « à chacun, quel que soit son âge, son activité, le lieu où il vit (de) maîtriser les nouvelles technologies » mais de promouvoir l’ordinateur personnel auprès d’un large public et d’aider la firme Thomson à vendre son matériel.

Des ateliers devaient être équipés de « nanoréseaux » d’environ 6 postes reliés entre eux et avec un ordinateur central affecté à un moniteur. Leur fonctionnement étant loin d’être simple, il avait fallu former de toute urgence les enseignants ordinaires au cours de journées pédagogiques et des spécialistes au cours de stages plus longs.

Dans mon école, nous pensions que le nanoréseau serait implanté à Jumièges, au centre géographique des 4 écoles concernées. En fait, notre IDEN (l’inspecteur départemental) avait préféré proposer notre école de 5 classes dont les maîtres avaient fait la preuve de leur capacité d’innovation.

Fureur et dépit du maire de Jumièges qui s’en était plaint à son ami Fabius. Le nanoréseau fut donc in extremis affecté à sa commune, alors que ses deux écoles avaient déjà reçu la dotation officiellement prévue et que nous disposions à Yainville des logiciels destinés à la configuration que nous ne recevrions jamais. Il nous avait fallu alors multiplier les démarches pour obtenir notre matériel.

Non seulement on nous avait « volé » notre nanoréseau, mais nous avions encore dû faire face à une succession d’incidents techniques nous empêchant de faire fonctionner notre matériel Exelvision. Il nous fallut des mois pour pouvoir effectivement nous en servir.

Jean MOUROT.

Pour plus de détails, se reporter à mon livre : « La dernière classe », disponible chez thebookedition.com ou par mon intermédiaire (622 B rue de l’Essart 76480 YAINVILLE)




     



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