Par Laurent Quevilly-Mainberte

C'est en 1852 que Yainville eut enfin son école communale. Biographie des 14 instituteurs qui se sont succédé au cours du premier siècle...



Sous l’Ancien Régime, l’éducation était bien balbutiante dans notre diocèse. En 1715, l’évêque d’Aubigné constatait que 18 paroisses, dont Yainville, n’avaient aucune école. Curés, vicaires, clercs ou simples particuliers assuraient parfois un enseignement  empirique

Belle occasion manquée !

Et dire qu'en 1795, Yainville aurait pu devenir le chef-lieu d’un arrondissement scolaire. C'était le souhait des instances révolutionnaires. Mais la municipalité refuse, arguant qu'il pleut dans le presbytère. A quoi tiennent les grandes occasions ratées. Alors, Yainville propose de céder la place à la commune voisine du Trait. Elle, son presbytère s'y prête et peut loger l'instituteur. On juge même sa position centrale, y compris pour les enfants de Jumièges. Ce qui témoigne d'un besoin urgent en cours de calcul et de géographie...

Les autorités d’Yvetot acceptent ce transfert, appuyées par les pétitions convergentes des deux villages. Le 10 juin 1795, le Trait devient officiellement le siège de l’école. On y affecte donc un instituteur, Étienne Loiselier, originaire des Vieux. Flatté, celui-ci refuse aussitôt pour raisons personnelles.

Faute de remplaçant, l’ouverture de l’école marque le pas. L’Administration s’agace. Pendant ce temps, Pierre Harel, vieil instituteur déjà en poste au Trait depuis trois ans, profite de ce moment de flottement pour défendre son pré carré. Soutenu par les habitants et les autorités locales, il finit par être confirmé comme enseignant.

Mais les autorités supérieurs n'en démordent pas. En 1796, Jacques-François Lecomte, instituteur à Duclair, est à son tour bombardé d’office au Trait. Il proteste avec véhémence, dénonçant une manœuvre politique pour l'éloigner de Duclair au profit de Jean Delanos, curé défroqué. Lecomte fait jouer sa situation de père de famille, critique les compétences de ses rivaux et réclame le cas échéant un autre poste que Le Trait, pourquoi pas Jumièges, alors vacant. Rien n'y fait. S'en suit un échange nourri de fautes d'orthographes entre l'enseignant et l’Administration cantonale qui le juge médiocre, tout juste bon à enseigner les bases.

En mars 1798, un instituteur de Rouen vint se mêler de la partie en sollicitant un poste dans le canton. Il soigna sa lettre de motivation :

Aux citoyens administrateurs composant l'administration municipale du canton de Duclair, 

Supplie humblement, Charles Guillaume Gentais, désirant s'établir dans l'arrondissement du canton de Duclair en qualité d'instituteur pour y enseigner à lire, écrite, l'arithmétique, le tout suivant les lois constitutionnelles de la République, ce pourquoi, citoyens, il réclame votre autorité à fin de lui procurer une commune dans laquelle il puisse exercer librement comme celle de Yainville si toute fois il n'y en a pas d'autres de vacantes pour l'instant.

 Salut et fraternité.

Celle de Yainville ! Désolé, mais Yainville n'a pas d'école. Du coup, après  passage devant un jury d'instruction à Yvetot, Gentais fut affecté... à Jumièges !

Pendant ce ce temps, cette même année 1798, c’est un autre curé défroqué, Le Painteur, qui officie désormais comme instituteur au Trait. Mais lui aussi se plaint : on ne le paie qu’en pain, et encore, pas toujours… Sur sa vingtaine d'élèves, seuls deux grimpent la côte Béchère, frôlés de trop près par les voitures publiques : Pascal-François Foloppe, fils d'un employé des fermes du Roi et Ferdinand Capelle. Tenons-les pour doyens de l'amicale des anciens élèves yainvillais.

Tiraillée entre Le Trait et Jumièges...

Ainsi donc, l'instruction n'étant pas encore obligatoire et gratuite, les quelques Yainvillais qui tenaient à scolariser leurs enfants pouvaient se tourner vers le Trait. D'ailleurs, en 1835, la commune fut invitée à s'unir avec sa voisines sur le plan scolaire. Ce qui ne semble guère avoir été suivi d'effet. Car quelques années plus tard, on trouve de petits Yainvillais scolariés à Jumièges. Et Jumièges, ayant déjà phagocyté Yainville sur le plan religieux, n'attendait plus qu'une occasion pour la digérer sur le plan civil. L'école fournit à nos voisins l'occasion rêvée de nous chercher des poux. Ou plutôt de nous demander des sous. Le nerf de la guerre. Et Yainville ne pouvait s'y soustraire.

Cet épisode décisif y lieu à la fin de 1851. Le conseil municipal de Jumièges adopta le vœu "que la commune de Yainville, dont les enfants fréquentent l'école Jumièges, soit astreinte à payer à l'instituteur pour l'instruction des indigents." L'instituteur en question, c'était Nicolas Maillon qui venait d'inaugurer la mairie toute neuve bâtie sur la place de Jumièges. Un gros investissement...

Pour le préfet, Yainville ne pouvait rester sourd à l'injonction des Jumiégeois. La Loi plaidait pour eux. A moins, à moins de bâtir ou contribuer financièrement à l'entretien d'une école déjà existante où seraient scolarisés ses enfants pauvres. Il y avait bientôt 20 ans que la loi Guizot mettait chaque commune dans l'obligation d'entretenir une école ou, à défaut, de s'unir avec une voisine. Yainville qui s'était fortement endettée pour rouvrir son église était donc à la ramasse. Alors, on regarda encore vers le Trait. Et encore vers Jumièges. Trop loin, trop dangereux pour nos enfants estimèrent les élus yainvillais. Sur un coin de table, ils griffonnèrent un montage financier, ils lurent et relurent cette loi qui leur permettrait, faute de finances suffisantes, d'obtenir des aides. Et leur décision fut prise. 

L'école enfin créé !

Quand vint février 1852, un circulaire préfectorale vint accélérer le processus. On demandait à Yainville d'adresser le prévisionnel des dépenses scolaires prévues pour l'année suivante. Lafosse prit un malin plaisir à rappeler au représentant de l'État que son conseil était dispensé de délibérer sur la question. Puisqu'il n'y avait toujours pas d'école, toujours pas d'instituteur à Yainville. Le Préfet prit aussitôt le taureau par les cornes. Il autorisa enfin cette création. On retriendra donc 1852 comme une date hidtorique. Encore fallait--il trouver un instituteur. Et surout une "maison d'école"...

Le premier lieu qui nous soit connu appartient à Jean Isidore Aubé, l'adjoint au maire. Natif de Jumièges, cultivateur et fermier, il vit non loin de l'église en compagnie de Caroline Andrieux, Havraise de naissance. Ils ont deux filles en bas-âge ainsi qu'un jeune domestique.  

Langlois, premier instituteur


Nommé le 15 novembre 1852, ce fut Pierre Constant Langlois, 20 ans qui fut notre tout premier enseignant Fils et frère d'instituteurs, neveu d'un capitaine au long cours, il est né le 5 février 1831 à Bliquetuit. $

A comme abeille...

Trente élèves composaient en théorie sa classe unique à géométrie variable. En ces années 1850, les calendriers scolaires n’étaient pas uniformes d’une commune à l’autre. Leurs colonnes restaient fortement influencées par les besoins agricoles et les traditions locales, avec des rentrées souvent en octobre-novembre pour finir en juillet-août. 
On est donc encore loin de la semaine des quatre jeudis et les petits Yainvillais vont théoriquement en classe du lundi au samedi inclus selon des horaires élastiques et personnalisés en fonction des besoins. Alors, quand trouvent-il le temps d'aller au caté, le dimanche après-midi ? P'têt ben qu'oui. Mais p'tête ben qu'non. Avec la morale et l'instruction civique, l'éducation religieuse figurait au programme, voire avec le concours du curé dans la classe.

Tenez, justement le voici ! Langlois fut installé officiellement le 16 novembre 1852 en présence du maire, des conseillers, mais aussi... de l'abbé Houlière, fameux chansonnier normand et locataire du presbytère vétuste d'Yainville :

"Nous, maire de la commune d'Yainville, nous sommes transportés en la maison d'école de la dite commune et, vu la lettre de Monsieur le recteur de l'académie en date du 4 courant qui nomme le sieur Langlois Pierre Constant instituteur communal d'Yainville, en vertu de la délégation à nous délivrée par Monsieur le Recteur en date du 15 courant, avons, en présence des membres du conseil municipal soussignés et de Monsieur le desservant aussi soussigné procédé à l'installation du sieur Langlois Pierre Constant instituteur de notre commune..."

Avec la République, l’enseignement primaire ambitionnait de transmettre des savoirs fondamentaux (lecture, écriture, arithmétique) tout en promouvant des valeurs démocratiques. Cependant, ces ambitions étaient freinées par l’influence de l’Église, renforcée par la loi Falloux de 1850, qui imposait l’instruction religieuse. À Yainville, commune rurale, l’école communale se concentrait sur ces savoirs de base, avec une forte influence de la paroisse nouvellement reconstituée sous la présidence du châtelain du Taillis.

Mais cette Seconde République est déjà morte. Le 5 décembre, Langlois participe à sa première cérémonie populaire sur la place publique du village qui réunit le conseil, les habitants, les fonctionnaires. Ce jour-là est lue la proclamation de Napoléon III : 

Français ! Le peuple, consulté librement, a exprimé sa volonté avec une force éclatante. Il a reconnu dans le nom de Napoléon le symbole de la gloire nationale, de la stabilité et de la grandeur.
Par la volonté souveraine de la Nation, le Second Empire est proclamé, et Louis-Napoléon Bonaparte devient Napoléon III, Empereur des Français. Vive l’Empereur ! Vive la France !

S'il reste animé par des idéaux républicains, Langlois ressent-il à cet instant que l’école va devenir un outil de propagande impériale et de contrôle social. Il devra inculquer l’obéissance à l’Empereur, à l’Église plutôt que de former des citoyens critiques.

Mais voilà que l'on tire grise mine à l'école d'Yainville. Présent encore à la cérémonie, Jean Isidore Aubé, l'adjoint, meurt subitement le 2 janvier 1853 à 37 ans. Mabon et Grain, amis et voisins, déclarent le décès au maire. Mabon qui, propriétaire et rentier, déjà conseiller municipal, va succéder à Aubé qui laisse une jeune veuve deux petites filles et un domestique dont on va se séparer. Caroline continuera à exploiter sa ferme. Seule. Jusqu'à la mort. 

Mabon ? un sacré collègue !

Quels seront les rapports de Langlois avec l'homme qui, là-bas, se tient près du maire ? François Pierre Mabon, le notable que nous venons d'installer comme adjoint, est un revenant. Natif de Bliquetuit, tiens, comme Langlois, il avait été nommé en 1820 instituteur au Trait par le maire de cette commune, Jacques-Joseph Tiphagne. Aussitôt, le Recteur d'académie ordonne une enquête auprès du juge de Paix de Duclair. Elle fut défavorable. Mabon est né, dit le magistrat, "dans une contrée de ce monde gangrenée de tous temps du plus redoutable libéralisme." Et d'ajouter que pendant les Cent-Jours, un dénommé Mabon avait persécuté le curé du Trait. En réalité, c'était son frère...
Mabon s'est marié en 1824 à Yainville avec une Delépine, famille au sang chaud. En 1826, il met fin à ses fonctions d'instituteur
, date à laquelle il devint conseiller municipal du Trait. Il aura pour successeur... un garçon de 17 ans, Leroy, ce qui mettra le maire en rage. Mais bon, il n'avait qu'une demi-douzaine d'élèves... Conseiller au Trait. Mabon appartenait à une équipe qui rêvaint d'annexer sa voisine. 
Mais bon, voilà Mabon établi ensuite à Yainville. Voisin de Charles Lesain, au manoir de l'église, Mabon devint son adjoint en 1839. Il fut de ceux qui s'opposèrent farouchement à la restauration de l'église abandonnée depuis le Concordat. Il avait pour cousin Jean-Louis Lafosse, gros contributeur de la commune qui, lui, était favorable au projet. 
Comme il l'avait été au Trait, Mabon, sans complexe, fut partisan de l'absorption d'Yainville par Jumièges dont il présida d'ailleurs la Fabrique en bon chrétien. Animé d'un tel patriotisme, notre homme démissionna de la mairie d'Yainville en 1846 en compagnie de Lesain et Duval, tous trois désavoués par leurs administrés et l'autorité préfectorale. 
Et voila que six ans après, à la faveur de la mort d'Aubé, Mabon redevient adjoint. De Jean-Augustin Lafosse cette fois, son ennemi d'hier. 

Monsieur Langlois ne resta que trois ans à Yainville. Il ira se marier à Caudebec-en-Caux et enseignera à Duclair où il sera aussi secrétaire de mairie. et  y est mort en 1897.

Loisel, de passage...


Auguste Eléonore Loisel fut nommé par le Préfet le 25 août 1855. Né le 11 juillet 1828 à Hodeng-Hodenger, il a donc 27 ans et nous vient de l'école de Boissay, petit village du pays de Bray. Marié depuis deux ans, il est père de deux enfants,
On l'installa le 1er octobre suivant. L'abbé Houlière participa encore à la cérémonie présidée par Lafosse, maire, en compagnie de son conseil au grand complet dont Duval, ancien ennemi lui aussi, Pierre-Paul Grain, le propriétaire du presbytère, et puis le propre père du maire.

A peine intronisé, Loisel s'envola trois semaines plus tard vers un autre poste. On le retrouvera à Yvecrique. Père de huit enfants, il
est décédé à Grémonville en 1901.

...Suivi d'un Beauvisage


Ce météorite fut officiellement remplacé le 1er octobre 1855 par Joseph François Beauvisage. Veuf d'Aglaë Painturier, il est né le 4 septembre 1826 à Monchy-sur-Eu. Les mêmes participants firent de nouveau tapisserie pour la cérémonie d'installation dans la salle ordinaire des débats.

Beauvisage poursuit l'œuvre de Langlois. L’histoire, intégrée à l’instruction morale, servira à construire un roman national glorifiant une France unie depuis le baptême de Clovis. Charlemagne, dépeint comme le fondateur de l'école, est appelé l'empereur à la barbe fleurie quand il se contentait de moustaches. Jeanne d’Arc, qui a son vitrail à l'église Saint-André, Jeanne d'Arc entend bien des voix divines et reconnaît Charles VII sans l'avoir jamais vu. Saint Louis est un roi pieux qui rend la justice sous un chêne suffisamment feuillu pour cacher sa politique antisémite et ses croisades sanglantes. le criminel de guerre Bayard est sans reproche, Henri IV instaure la « poule au pot » quand il est déjà mort, Surcouf est un intrépide corsaire et surtout pas négrier. Quant à Napoléon Ie, on le glorifie pour ses victoires et ses réformes. Le rétablissement de l'esclavage, le fiasco d'Haïti resteront sous le boisseau...

Ces récits biaisés, véhiculés par des manuels simplifiés et des instituteurs mal formés, reflétaient une volonté de forger une identité nationale au service du pouvoir impérial, au détriment d’une approche critique de l’Histoire. Quant au parler cauchois sur la cour, s'il ne subit pas une répression aussi féroce que le Breton, il va de plus en plus écorcher les oreilles des maîtres. De premières circulaires apparaissent pour lui faire la chasse dès 1856.

La commune ayant le devoir de pourvoir au bon accueil des élèves et au logement de l'instituteur, le 1er février 1856, on s'inquiéta du renouvellement du bail de maison d'école, sise chez la veuve Aubé et qui devait s'achever à la Saint-Michel suivante. Le maire fut autorisé sans l'ombre d'une discussion à en signer un nouveau de six ans.
En 1861, Beauvisage est localisé seul dans une maison du village voisine de celle de Prosper Amour Houlière, un rentier. 

Le bail à la ferme Aubé arrivant a expiration à la Saint-Michel de 1862, la classe trouva refuge la ferme du maire, Jean-Augustin Lafosse.

Monsieur Beauvisage  sera resté huit ans parmi nous. Il fut nommé à Touffreville-la-Corbeline où il va se remarier. C'était un homme proche de la nature car il apparaît aussitôt parmi les membres de la Société d'horticulture d'Yvetot. Beauvisage est mort en 1896 dans la capitale cauchoise où il était directeur-adjoint de la Caisse d'Epargne et membre du bureau de bienfaisance.

Gacouin, doublement fidèle


En février 1863, Victorien Stanislas Gacouin, nouvel instituteur, percevra 700 F de salaire.
Cet enseignant, né en 1835 d'un tisserand d'Harcanville, nous arrive la mine défaite de Cideville où il vient de perdre sa jeune femme, Henriette Levillain, après deux années de mariage. Veuvage de courte durée car sitôt arrivé il jure une seconde fois fidélité. le 18 mai suivant. Non plus à l'Empereur mais à une femme cette fois : Désirée Clarisse Bénard, venue de Valliquerville. C'est une proche de la défunte et elle aussi vient de perdre son conjoint.
 
Selon une enquête nationale de 1863‑64, notamment en Normandie, les inspecteurs soulignent que « la plupart des élèves, en arrivant à l’école, ne connaissent que le patois »
Lafosse, le maire, est toujours propriétaire du bâtiment qui accueille la mairie-école. Il perçoit pour cela un loyer. Mais les locaux sont jugés bien vétustes par l'Administration. Du coup, l'école déménage à la Saint-Michel de 1864 pour une maison appartenant à M. Caron.









Cette maison occupée par mon oncle, lle capitaine Chéron, fut un temps, assurati-il, la mairie école. Sa symétrie s'y prête mais l'information n'est pas confirmée  L'école fut aussi localiséeg à l'angle des rues Pasteur et Jules-Ferry.

Si M. Gacouin nous a quittés en 1865, il n'ira pas bien loin. La mort le fauche le 31 octobre 1867 à Bertheauville. A 32 ans, il laissait derrière lui deux garçons dont Joseph, né à Yainville 20 mois plus tôt. Il sera plus tard cultivateur à Saint-Martin-aux-Arbres. Gacouin avait aussi sous son toit un garçon de 4 ans portant son nom, Auguste Gacouin ainsi qu'un pensionnaire de 13 ans, Henri Pontillon. Ce recensement est curieux. De sa première femme, décédée à 26 ans, Gacouin avait eu une fille, Rosalie Henriette qui se mariera plus tard à Cideville.


M. Breton, le Picard...


En novembre 1865, nouvel instituteur en la personne de Nicolas Désiré Breton, 47 ans. Fils de maçon, il est né en 1819 à La Chapelle-aux-Pots, dans l'Oise.
De Marie Clotilde Courtier, couturière et fille d'instituteur. il a un fils unique : Héloï Désiré, né en 1844 à Beaubec-la-Rosière. On en fera bien sûr un instit !

Sur un plan établi par le service vicinal de Seine-Inrérieure, l'école figure bien à l'emplacment de la maison du capitaine Chéron tandis que la mairie se situerait sensiblement à l'emplcement de la future école des filles.
A Yainville, Breton a devant lui une trentaine d'élèves des deux sexes. En 1867, la loi du 10 avril exige qu'ils soient séparés. Impossible, répond la commune, 260 habitants, c'est trop peu. On crée cette année-là des travaux d'aiguille et Mme Breton, en bonne couturière, les dirigera une heure par jour.
Mais après la chute de l'Empire, voici le retour de la République. Aux orties les prestation de serment ! L'école va se dégager peu à peu de l'emprise religieuse, de l'allégeance au pouvoir personnel.
Les Républicains posent les bases d’une école publique plus neutre et encadrée par l’État, en préparant les réformes laïques qui seront mises en œuvre dans la décennie suivante. A Yainville Breton encourage la pratique de la gymnastique. Des haltères sont achetées par la commune en 1872.

Blanchard le mal logé


En 1873, Edmond Blanchard succède à Breton. Il a 45 ans. Edmond Alexandre Blanchard est né en 1829 à Yvetot où il a épousé une fille du pays, Marie Loisel. Le couple a une fille, Marie, et deux garçons : Edmond et Gaston. Avant de venir jusqu'à nous, Blanchard a enseigné à Villainville ou il est attesté en 1857 puis à Manéglise en 1859, Rouville en 1868.

Le bail de l'école est renouvelé en 1876 pour 9 ans auprès de la veuve Housard, du Mesnil. Ce qui nous mènera donc jusqu'en 1895. Mais le bâtiment est dans un tel état que le Préfet s'en émeut. La propriétaire perçoit alors 220 F de loyer annuel, soit deux fois plus que ce qu'empochait la veuve Aubé.
Le veuve Housard, c'est Eloïse Parlmyre Metterie, fille héritière d'un ancien maire d'Yainville, Pascal Metterie, qui dut démissionner en 1848 et fut accusé de vol. Epouse en 1843 de Louis Alphonse Houzard. propriétaire et cultivateur, celui-ci est mort au Mesnil le 3 juin 1871. Elle le suivra dans quelques années dans la tombe.
1877, la commune est mise en demeure de construire une nouvelle école. Reste à trouver le terrain. Son achat intervient un an plus tard avec un emprunt de 4.000 F. Le 3 août 1879 eut lieu l'adjudication sur soumissions cachetée, la dépense étant étant évaluée à 16.000 F. Les plans sont approuvés la même année. Suit l'achat du mobilier, tant pour les classes que pour la mairie. L'ère des vieilles bocasses est enfin terminée.

Edmond Blanchard ne profitera pas de l'école-mairie toute neuve. Il est nommé à Carville-Pot-de-Fer où il décède en 1887 à l'âge de 58 ans. Deux de ses enfants seront instituteurs, le troisième fera pharmacie.

Henry Basille le bien loti










Le 9 mai 1881 a lieu la réception définitive de la nouvelle mairie-école dont les travaux ont été menés par l'entreprise Frémont. Ils ont coûté 15.999,84 F... sur les 16.000 F prévus ! Ce qui fait tout de même une économie de 1 centime 16. Reste cependant à élever la barrière entre deux piliers...

Coïncidence parfaite. Dans le mois qui suit l'inauguration de l'école, L'enseignement
primaire devient gratuit avec Ferry.

1881-1882 : Blanchard est remplacé par Henry Albert Basille, 23 ans, Fils de boulanger, le nouvel instituteur, est né en 1858 aux Loges. Il s'est marié à La Bouille en 1880 avec Mélanie Clotiaux. Une Pied Noire avant l'heure car elle est née à Constantine d'un capitaine des Douanes venu savourer sa retraite au berceau d'Hector Malot. Le couple aura un premier enfant en 1882 à Yainville et l'instituteur du Trait, Edmond Féret, sera témoin. L'avenir de ce garçon est donc tout tracé...

28 mars 1882 : Jules Ferry complète sa réforme en rendant l'enseignement primaire obligatoire de 6 à 13 ans révolus.
Seuls les plus assidus, les plus aisés irontjusqu'à ce terme et le Certif demeure facultatif. Sa loi impose aussi une éducation laïque. L’enseignement religieux est banni des communales. De même que les parlers locaux, liés à l'ignorance, voire l'arriération. Le Français, langue de progrès, doit cimenter la Nation. « Il faut constamment reprendre les élèves qui s’expriment dans le langage du pays, rapporte un instituteur de la Seine-Inférieure vers 1885, La prononciation des mots français est mauvaise, et les mots du patois remplacent souvent les termes justes. »

Le 23 août 1882, déjà veuf depuis une dizaine d'années, mourut à Yainville l'instituteur retraité dont nous avons déjà longuement parlé, François Pierre Mabon, éternel adjoint grâce à ses facultés d'adaptation...

Les Basille partirent pour Mont-Saint-Aignan. Mélanie, l'épouse, est morte à 53 ans au Havre en 1915.

Paul Milliot le Bovaryen


A la rentrée de 1883, Paul Milliot, 24 ans, devient instituteur communal à Yainville. Il vient tout juste de se marier. Né en 1858 à Forges-les-Eaux, on le voit à 20 ans, alors qu'il est breveté pour l'enseignement primaire, effectuer un remplacement de répétiteur pour l'enseignement secondaire spécial au lycée de Rouen.
Le 28 juin 1885, vers 16 h, un incendie se déclare dans la maison qu'occupe Millot, attenante à l'école et la mairie. Le feu de la cheminée de la cuisine enflamme une poutre qui communique l'incendie au plancher de la chambre à coucher. Millot étant absent, le sinistre a le temps de faire son œuvre avant que l'alerte soit donnée. Les pompiers de Jumièges arrivent mais ne pourront sauver le mobilier de l'instituteur. On ne retrouvera pas non plus l'argent qu'il conservait chez lui. Les registres de l'état civil sont en revanche épargnés.
Drame à l'école du Trait


En janvier 1890, les corps de Jules Hippolyte Breton, 28 ans et de sa mère sont découverts dans un petit cabinet attenant à leur habitation. Ils sont morts asphyxiés par un réchaud de charbon de bois emprunté à des voisins.
Breton était instituteur au Trait depuis quinze jours, venant de Vattetot. Quant à sa mère, elle sortait depuis peu d'un asile d'aliénés. Marié, Breton était séparé de sa femme. Manifestement dérangés, l'instituteur et sa mère présentaient les signes d'un grand découragement et l'entourage ne fut qu'à demi surpris de ce drame. Conseiller d'Arrondissement depuis peu, le Dr Maillard, de Duclair, fit les constations légales avec les gendarmes.


Le maire de l'époque, Émile Silvestre, patron des carrières d'Yainville, a des libéralités pour l'école. En 1887, il offre 27 volumes aux écoliers. Le 14 juillet, M. et Mme Silvestre organisent un goûter pour les enfants et distribuent  des drapeaux,  des lanternes et  des jouets. Puis Milliot fut nommé à Ry. Charles Hébert qui nous arrive fin 1887...

François Paul Milliot est attesté à Ry, Grand-Rue, en 1891 en compagnie d'Ernestine Victorine Crespin, sa femme, leur fille Germaine, née dès leur arrivée en 1888. La famille a sous sont toit un pensionnaire de 11 ans, Lucien Cousin.
Mais Milliot n'oublie pas Yainville. C'est ainsi qu'en 1896, il sera témoin de la naissance de ma tante Thérèse Mainberte, en compagnie du nouvel instituteur d'Yainville à qui il rendait visite ce jour-là.

Et puis,
Milliot est membre de la Société normande de géographie. Bon point pour lui. A Ry, en compagnie d'un fameux érudit, Léon de Vesly, il va faire une surprenante découverte :

la pierre tombale de Madame Bovary !
 
Eh oui ! Flaubert s'est inspiré du suicide d'une Certaine Delphine Delamare, le 6 mars 1848, pour écrire son fameux roman. Laissons parler Vesly :
Ici, tout parle d'elle ; les lacets de la route, les sentines, les ruelles, les maisons du bourg, les frondaisons du coteau et le petit cimetière entourant l'église. C'est là, qu'il y a quelques années, je découvris, avec l'aide de M. Milliot, instituteur, la pierre jadis dressée sur le Tombeau de Mme Bovary. Elle n'était plus sur la sépulture. Nous la trouvâmes brisée au milieu des ronces et des clématites, dans un angle de l'enclos funèbre. Nous pûmes en réunir les fragments et lire les noms de Delphine C(outurier), épouse de M. D(elamare), médecin. Depuis cette visite, la pierre a disparu, enlevée par quelque collectionneur, vendue, peut-être, par ceux qui avaient le devoir de la conserver. Combien je regrette le scrupule  qui m'a empêché de l'enlever pour la faire placer dans la collection de nos antiquités nationales ?

En décembre 1896, année où Milliot est témoin de la naissance de ma tante, à Yainville, c'est lui qui, à la tête d'une imposante délégation, dépose une gerbe sur la tombe de M. Monnier, ancien instituteur de Forges-les-Eaux. Puis il est nommé en 1897 à Saint-Léger-du-Bourg-Denis. En 1993 et 1913, il se signale comme directeur d'école à Rouen et demeurant 60, route de Darnétal. Il prit sa retraite à la fin de la Grande-Guerre. Sa fille fut à son tour institutrice.

Machisme sous Charles Hébert

Charles Hébert est né en 1864 à Thil-Manneville. Arrivé à Yainville fin 1887, il vécut d'abord en compagnie de sa sœur, Angèle, 24 ans, couturière. Sans doute est-ce elle qui encadre les enfants à gauche sur la photo qui suit. En février, M. Hébert demandait un crédit de 25 F pour faire l'acquisition d'une carte murale de la Seine-Inférieure. Ce qui fut fait et l'on remercia le Préfet en mai.

La plus ancienne photo de classe ! Elle date de 1891. Ma grand tante Marie Chéron est à l'extrême gauche. L'instituteur est Charles Hébert, 26 ans.

Le recensement de la population arrêté le 20 mars 1891 donne une idée précise des enfants présents sur la photo. Ils sont exactement 59 en âge scolaire sur les 287 habitants. Or, sur la photo, on en compte 60. Voici leurs noms : Marie Chéron, 7 ans et ses sœurs Martine et Suzanne, 9 et 6 ans, Marie Masson, 8 ans, Victor Agnès, 13 ans et déjà passeur d'eau, Eugénie et Albert Prévost, 8 et 5 ans, Ernestine Delestre, 10 ans, Blanche Chauvin et ses frères Henri et Gaston, 7 et 6 ans, Alice Leroy, 10 ans, Henri et Ernest Bruneau, 12 et 8 ans (tous deux mourront durant la guerre de 14), Charlotte Duboc, 11 ans, Robert Carielle, 6 ans, Charles Vigreux, 6 ans, Ernest Mauger, 13 ans, Justine et Albertine Barbey, 12 et 11 ans et leur frère Victor, 7 ans, Henri Dutas, 6 ans, Emile Sainsaulieu, 11 ans,  Marius et Jules Lecœur, 10 et 7 ans, Alphonsine Magnac, 7 ans, Marie Gosse, 12 ans, Albert Virvaux, 10 ans, Marie et Eugénie Durand, 11 et 8 ans, Henri Mauger, 9 ans, Louis Larchevêqie 8 ans, Octave-Clément Sainsaulieu, 7 ans, Emile, Alphonsine et Polonyre Renard 12, 10 et 8 ans, Eugène Paul Cuffel, 8 ans, Suzanne Lecointre, 6 ans, Albert Fial 7 ans, Marguerite Mainberte, 10 ans, Henri, Aline et Marie Acron,  11, 9 et 8 ans, Louis Rigault, 7 ans, Isabelle Sainsaulieu, 12 ans, Eugénie Desyes, 0 ans, Adolphe Dorléans, 7 ans, Adolphe et Ernestine Lefèbvre, 8 et 6 ans, Louise Mauger, 10 ans,
10 enfants nous viennent de l'hospice de Rouen : Marie Mullot, 7 ans, Amable Eloy, 8 ans, Prosper Madeleine, 11 ans, Alexandre Delatre, 10 ans, Blanche Lecoq, 10 ans, Eugénie et Jeanne Lefèvre, 9 et 7 ans, Laurent Poyer, 9 ans, Gaston Decamps, 8 ans et Jeanne Carlet, 8 ans.
 
 

Avril 94, mort subite du maire et patron des carrières, Emile Silvestre. 23 août 1894. L'école mixte d'Yainville a eu sa distribution des prix mercredi, sous la présidence du nouveau maire, Patrice Costé, qui a rappelé dans cette cérémonie le souvenir de son regretté prédécesseur. Sa veuve continue de passer pour la bienfaitrice de L'école d'Yainville. Elle a remis à 1'instituteur pour achat en prix une somme de 120 fr dont une partie a été convertie en cinq livrets de 10 fr. chacun en faveur des élèves : Henri Chauvin, ma grand-tante Martine Chéron, Eugène Cuffel, Ernestine Delestre et Amable Eloi qui ont obtenu cette année leur certificat d'études.

1898 : Hébert pousse à la création d'une Société de secours mutuels, refusée lors d'une délibération antérieure. Les ouvriers yainvillais gagnent suffisamment pour s'acquitter d'une cotisation. En cas d'accident, ils bénéficieraient plus que l'aide médicale gratuite et ce ne serait pas à la charge de la commune...

A la demande du préfet, nos élus doivent choisir en août. Soit conserver l'instituteur, Charles Hébert, qui enseigne à 60 élèves en classe unique et assure le secrétariat de mairie, soit le remplacer dans ces deux fonctions par une jeune institutrice. On conservera l'instituteur, même s'il coûte plus cher. "Il est à craindre qu'une jeune institutrice soit peu apte à se mettre vivement au courant des divers services."  Non, on ne voit pas une femme gérer 60 élèves, assurer l'administration d'une commune qui dispose d'une gare, d'un télégraphe, d'une carrière de 80 ouvriers où les accidents sont fréquents et où une vingtaine de bateaux à fond plat ont leur port d'attache. Sans compter la quinzaine d'enfants assistés.

On souhaite donc que l'instituteur actuel "soit maintenu le plus longtemps possible et qu'en cas de départ il soit remplacé par un autre instituteur."Le machisme avait encore de belles années devant lui. Pourtant, Charles Hébert s'était marié en 1893 à Duclair avec une institutrice native du cru et de 16 ans sa cadette, Jeanne Avenel, qui continue d'exercer dans le chef-lieu tout en donnant le jour à quatre enfants. On voit d'ailleurs d'autres institutrices de Duclair signer comme témoins l'état-civil de Yainville en 1898 : Louise Letorey, 24 ans, Anne Bécam, 22 ans, Archangéline Girard, 25 ans...

En 1898, la classe de couture compte 29 filles. En 1900, le Ministre du  Commerce décerna une médaille de bronze à M. Hébert "qui s'est particulièrement distingué pour sa propagande en faveur de la caisse nationale  des retraites pour la vieillesse".

Les nominations ne correspondaient pas rigoureusement aux années scolaires. En mai 1902, Hébert fut nommé par arrêté préfectoral à Clères. Deux ans plus tard, son épouse donnera naissance à une cinquième enfant tout en poursuivant son sacerdoce. On ne s'étonnera pas que le couple ait eu une bonne à son service.

Lucas Petit

C'est donc en mai 1902 que nous arrive Lucas Petit, venant de Bradiancourt. Pour le malheur et pour le pire.

Né à Neuilly-l'Hôpital, dans la Somme, Lucas Emile Petit est marié à Alice Beux qu'il a épousée à Nointot en 1894. Il est alors instituteur à Ybleron. Le couple a trois enfants. C'est un homme qui a été dégagé de toute obligation militaire en produisant un certificat du Recteur de l'Académie de Caen attestant qu'il a occupé dix ans les fonctions d'enseignant.

En ce début du siècle, on réalise déjà des  portraits individuels. Ici, pour l'année scolaire 1904-1905, voici deux sœurs de Claquevent : Marguerite Mainberte, six ans et Thérèse Mainberte, neuf ans. Je n'en connais pas d'autres et ma famille est décidément pourvoyeuse de documents anciens.
On remarquera le titre : Université française !
Mais aussi les banderoles : Sciences, Arts, Littérature. Agriculture, Commerce, Industrie...

Ces deux femmes n'ont pas laissé d'enfants. Marguerite, épouse Guillaumet, est morte de maladie veuve et encore très jeune.
Thérèse fut quant à elle concierge deux fois mariée et concierge à Saint-Mandé. Le courage ne leur manquait pas. Quand, en 14-18, leurs parents vinrent à mourir à la fleur de l'âge, au café du Passage, à Yainville. elles conduisirent et élevèrent leur fratrie à Boscherville en compagnie de leur mari. Un clan !

Accusé de vol !
Hélas, Lucas Petit ne laissera pas de bons souvenirs. Sur plainte de Bruneau, cultivateur à Yainville, l'instituteur et secrétaire de mairie est arrêté par les gendarmes de Duclair et conduit chez Deligne, le juge d'instruction, à Rouen. Trésorier de la société de secours mutuel, Petit a, depuis son arrivée dans la commune, détourné en deux ans la somme de 1.200 F. Dès les premier interrogatoire, l'instituteur reconnaît les faits et avoue avoir falsifié diverses factures. L'affaire fait grand bruit dans le canton. Chargé de famille, Petit ne se privait de rien.
Le 5 juin 1904, ce fut l'assemblée générale de la Société spoliée. Elle pouvait entrevoir l'avenir grâce à la générosité de donateurs : Mme Silvestre, Eugène Guilbert, deux figures des carrières d'Yainville, Mustad et fils, le maire Costé, Henri Denise, MM Lemoigne, Godard ou encore un anonyme...

Petit quittera Yainville. Plus tard, il réclamera un arriéré de salaire. La réponse sera négative. Il demandait aussi qui lui soient restitués certains objets laissés après lui au moment de son départ. Le conseil ne l'entendit pas de cette oreille, "les affaires communales, surtout le budget, ont souffert de la présence de M. Petit par suite de la confection de faux de toutes sortes. Beaucoup de signatures ont été contrefaites par lui dans le but de toucher certains mandats ou de faire croire au paiement de certaines factures qui sont réclamées maintenant et restent à la charge de la commune. De plus, la société de secours mutuels d'Yainville dont M. Petit était trésorier est celle qui a le plus souffert de la conduite indigne de cet homme. En effet, des vérifications faites après l'arrestation du dit trésorier, il résulte que cette société se trouve largement atteinte dans sa vie même par suite de détournements évalués à près de 1.200 francs." Enfin, le mobilier réclamé a été enlevé par la famille Petit affirme le maire qui s'en remet au jugement du Préfet pour affecter l'arriéré à la caisse de secours mutuels.

Lucas Petit, l'homme par qui le scandale arriva, s'est établi après Yainville au Havre, 15, rue Joseph-Morlent. Il est mort peu après, le 21 octobre 1906. Il avait 41 ans. Sa veuve refit sa vie trois ans plus tard.

M. Piolé


Succession difficile pour Georges Piolé, né en 1874 à Bonnay, dans la Somme. Le Chti a épousé une Normande, native de Guerbaville, Rose Bazin, elle-même fille d'un instituteur public dont Piolé fut l'adjoint. Après quoi, il est passé par Gruché-le-Valasse puis l'école Pasteur de Petit-Quevilly avant de venir jusqu'à nous. 
Le 24 décembre 1904, Georges Piolé, offre une soirée instructive et récréative aux habitants. Mme Silvestre, veuve du patron des carrières, est encore là. La salle de classe peine à contenir tout le monde. Pioli donne une conférence intitulée "Expédition au pôle" sur fond de projections. Suit une saynète interprétée par les élèves : "De plus en plus fort". Enfin, deux jeunes gens firent un tour de chant désopilant.

Le mardi 24 janvier 1905, à la sortie des classes, Mme Silvestre procède encore à une distribution de jouets. Le correspondant du Journal de Duclair y était : "et c'était plaisir de voir en rangs les petits bambins armés l'un d'un fusil, l'autre d'un pistolet, tandis que les plus grands emportaient précieusement un cinématographes, des boîtes de compas et de peintures,, pressés de rentrer chez eux pour essayer leur locomotive, leur tir etc. De leur côté, les filles, non moins favorisées, avaient à choisir parmi les ravissantes poupées, les belles boîtes à ouvrage, ou les paniers utiles dans lesquels se trouvaient glissées d'agréables surprises. Rendons hommage à cette généreuse bienfaitrice qui ne cesse de prodiguer ses bontés aux enfants de notre école publique."

En janvier 1905 fut renouvelé pour trois ans la délégation cantonale de l'enseignement primaire : Dr Allard, conseiller municipal à Duclair, Andrieu, maire de Boscherville, Bellard, instituteur retraité à Fréville, Couvreur, ancien instituteur d'Yville, Goimbault, conseiller municipal à Duclair, Guibert, à Yainville, Huchen, Varengeville, Hulin,  Berville, Lattelais,Saint-Paër, Ménielle, Duclair, Pigache, maire d'Anneville, Riquier, instituteur honoraire à Sainte-Marguerite.

En mars 1906, Piolé. signe avec Emile Mainberte, l'acte de décès d'un nourrisson de l'assistance placé à Claquevent chez mon grand-père. L'anticléricalisme bat alors son plein. A la rentrée de septembre, Piolé reçut une circulaire l'invitant à veiller à ce que nul emblème religieux ne figurât dans son école.

Georges Piolé nous quitta en 1909 pour Jumièges où il enseigna aux côtés de Pierre Paôn, écrivain à ses heures. M. Piolé fut mobilisé le 4 août 14 dans le 72e RI et capturé le 11 novembre suivant à Lombaertzyde. Il passa toute la guerre à Gardelegen. Il retrouva le 39e RI le 17 mars 1919.

  Puis vint M. Vimont...


 
Fils de cultivateur, M. Vimont est né en 1883 à Beslon, dans la Manche. Un département où il garde des attaches profondes comme en témoigne le journal l'Avranchin du 7 mai 1910 :

PUBLICATION.  — M.  Emmanuel-Paul-Ernest  Vimont,  instituteur,  domicilié  à Yainville,  et Mlle Marcelle-Alice-Charlotte-Louise  Adrien,  domiciliée  à Mortain.



Année scolaire 1911-1912. Ont été reconnus, de bas en haut et de gauche à droite: X, épouse Beyer, Juliette Fessard, Germaine et Louise Acron, Berthe Grain, Roger Bruneau, Edwige Lévêque, Georgine Beyer, Louise Lefebvre, épouse Lépron, Raymond Mainberte, Germaine Acron, X Bénard, Henri Bruneau, Marie-Louise Mainberte, épouse Hangard, Louise Grain, épouse Colignon, Louise Lévêque, Lucie Grain, épouse Lévêque, Yvonne Lévêque, Blanche Bénard, Marguerite Mainberte, René Lévêque, Emile Mainberte et Mlle Renieville...

Année scolaire 1913-1914, la dernière avant l'horreur que l'on sait. De gauche à droite et de bas en haut, seuls ont été identifiés X Lépron, X Brosse, Madeleine Beyer, épouse Van de Per, Joseph Grain, Léon Grain, Marguerite Bénard, épouse Thiollent, Roger Bruneau, X Fessard, Berthe Grain, Germaine Acron, Hélène Mainberte, Louise Lefebvre, épouse Lépron, Germaine Beyer, Henri Beyer, Emile Mainberte, Raymond Mainberte, Marie-Louise Mainberte, épouse Hangard, Juliette Fessard, Blanche Bénard, Yvonne Lévêque, Louise Grain, Marie Deconihout, Louise Acron...

Sur ces deux images, nombre d'élèves restent à identifier.
Et ce fut la
Grande Guerre !

Durant ces quatre années, le village s'est vidé de ses hommes. Eustache Délogé, le garde-champêtre et l’instituteur  assurent seuls la gestion communale. A cent ans, Germaine Acron se souvient: « Il avait le cou de travers. Et ce handicap lui a sans doute valu de ne pas être mobilisé... » 

Dans les souvenirs d’enfants, les maîtres d’école de ce temps là sont souvent durs. Très durs. « Monsieur Vimont était violent. » Si bien que Germaine finit par refuser de fréquenter l’école. Il faudra toute la diplomatie de son oncle, le garde-champêtre, pour amener Vimont à plus de clémence. 

L’instituteur assure aussi les fonctions de secrétaire de mairie. C’est lui qui délivre les cartes d’alimentation, procède à la distribution de saccharine, de savon noir contre la gale. Un jour, il refuse une aide à la maman de Germaine qui ne peut payer le médecin. Motif : elle possède une vache. Cette fois, c’est le Docteur Allard qui vient sermonner Vimont. 

Un peu plus bas que la mairie-école, face à la maison de briques rouges qui fait l’angle avec la sente aux Gendarmes, un refuge accueille les gens de passage. Eustache Délogé les y enferme le soir et les délivre au matin. Ses occupants traversent alors la route pour venir vider leur seau de nuit dans le baril qui sert d’urinoir aux garçons de l’école. Les filles, elles, bénéficient de toilettes à fermeture. Parfois, les gendarmes montés viennent contrôler les occupants du refuge.

Un temps, les enfants d'Heurteauville fréquentaient notre école et prenaient ainsi le bac deux fois par jour. Ils le tiraient eux-mêmes à la corde puis souquaient sur les avirons, au grand bonheur du passeur, Gustave Chéron.


Le 16 avril 1917, on lut aux écoliers de Yainville un message du président Wilson mais aussi le rapport du sénateur Chéron sur les atrocités allemandes. Un discours signé Viviani faisait suite à ce réquisitoire. Chéron! Les enfants ont sûrement pensé au passeur du bac. Le 5 novembre, on lut cette fois un hommage à Guynemer, abattu aux commandes de son avion sur le front des Flandres. 

Outre celle de secrétaire de mairie, Vimont exerça aussi les fonctions de garde-chapêtre de juillet à décembre 1918. On lui octroya une indemnité. 

En février 19, on fit appel à un maçon de Sainte-Marguerite, M. Simon, pour pallier au fait que l'eau de la citerne de l'école, servant à l'instituteur et aux élèves, n'était pas potable. Quant à la pompe, elle ne fonctionnait pas.

Vimont fut nommé à Saint-Osvin, dans la Manche, en juillet 1919. Vimont est décédé le 10 septembre 1971 à Saint-Pair-sur-Mer, dans la Manche, à l'âge de 88 ans

Monsieur Sanson

Voici Léonce Sanson, né en 1886 à Saint-Pierre-lès-Elbeuf. Marié, sans enfant, il nous vient de Petit-Quevilly, ou plutôt du front. Car ce sergent d'Infanterie, fils de tisserand, ancien engagé volontaire a fait toute la guerre. D'abord comme sergent. Le 14 Juillet 1917, date symbolique, il est cité à l'ordre de son unité comme un sous-officier d'élite après son comportement lors d'un violent bombardement. Dix jours plus tard, il est capturé par les Allemands et ne retrouvera la vie de caserne que le 21 décembre 1918. On le libéra le 1er avril 1919.

Le 10 décembre de cette première année de Paix, approuvé par le conseil municipal, le bureau d'assistance décida d'accorder une paire de galoches à certains enfants : Léon Grain, Marcel Delestre, Emma Acron, Léon Maupoint, Marcelle Lecroc, René Lefebvre, Bernard Chéron (futur capitaine du bac), Lionel Lefebvre, Solange Wesolowski, Lucienne Vallet, Andréa Mainberte (ma maman) et Lucien Landrin.

1921. La scolarité est alors obligatoire de 6 à 13 ans. Durant l'été, il y eut une telle sécheresse que l'on fut dans l'obligation de forer un puits pour alimenter l'école en eau potable.

Le nouveau maître règne sur une classe unique. Il est secondé par son épouse, Germaine Lemarchand, née à Déville. Relisons ici les souvenirs de Louis Acron : « L’instituteur, Monsieur Sanson, avait été gazé pendant la première guerre mondiale. Quand il avait trop de mal à respirer, sa femme lui apportait son fauteuil. Mais il n’était jamais absent. Il n’admettait pas les absences des élèves. Si l’un d’eux ne se présentait pas, il partait à bicyclette, à la récréation, pour connaître le motif de l’absence. S’il le trouvait en train de jouer, il le ramenait avec lui. La bicyclette restait toujours prête au pied de la barrière. Ce maître était très exigeant sur la politesse. Il questionnait les habitants pour savoir si tel ou tel enfant disait bonjour et enlevait bien sa coiffure. 

Quand Monsieur Sanson devait s’absenter quelques instants, il appelait sa femme pour surveiller les enfants. A son retour, celle-ci dénonçait toutes les petites « bêtises ». Aussi, les enfants ne l’appréciaient pas trop. » Louis et son copain Lionel ont trouvé un moyen de se venger. Chargés de ramasser les œufs pondus sur des bourrées difficiles à atteindre, il en cassaient un de temps à autre et avertissaient aussitôt Madame Sanson :

Madame ! Madame ! Les rats ont encore mangé un œuf ! » L’instituteur se faisait alors réprimander par l’épouse : « Léonce ! Il y a encore un rat. Occupe-toi de le détruire ! »

Les deux compères avaient fait chacun le serment de ne jamais révéler ce méfait. Même s’ils venaient à se fâcher. Promesse tenue : Madame et Monsieur Sanson n’en ont jamais rien su. L’instituteur utilisait aussi une sanction utile. « L’élève puni, raconte Louis, devait promener un aimant dans la cour pendant toute la récréation pour ramasser les clous à galoches, très nombreux à cette époque. Sinon, ce maître ne battait pas les élèves. Il avait une baguette… »

Marceau Edde vivait derrière le café du Passage tenu alors par Marie Chéron. Louis se souvient aussi que, vers 1923, l’hiver, Marceau amenait en brouette à l’école un pauvre garçon sans pieds : Armand. C’était un « burotin », autrement dit un enfant de l’assistance. Il était en pension chez Mme Colignon. On l’allongeait parfois au bord de la côte de Jumièges. Quand venaient à passer des touristes anglais, l’infirme montrait ses jambes. Il en recueillait quelques pièces. Et s’achetait ainsi des « bôbons »...

Monsieur Sanson fut l'un des premiers Yainvillais à posséder  une automobile. Une 4 CV ! Pas la célèbre "4 pattes". Mais une petite cylindrée. Dans la nuit du 12 au 13 juin 1930, à 23h30, Sanson rentrait chez lui quand, près de la gare du Trait, il découvre deux hommes à terre et une moto disloquée. Sanson stoppe peu après la voiture de Poirée, garagiste de Caudebec et va prévenir les gendarmes de Duclair pendant que Poirée reste sur les lieux. Bientôt arrivent le Dr Bourlange, le maire, Pestel. Bernard Lacaille a été tué sur le coup, Marcel Lecret, père de trois enfants, est très grièvement blessé. Ils revenaient de chez Quevaine, jardinier à Canteleu, quand ils ont percuté l'arrière d'un camion effectuant des transports pour Bruneau Gilles, du Trait.

En décembre 1930, la collecte faite par les jeunes Lastennet et Frémont au profit des pêcheurs bretons a donné 225F. Les enfants de l'école ont déjà vendu 130 F de timbres antituberculeux. 

M. Sanson ira diriger l'école d'Envermeux en 1932. Il est mort dans les années 40 à Appeville-Annebault, dans l'Eure.

Monsieur Piard


En 1934, Fernand Piard dirige l'école des garçons. Fils de laitier-fromager, il est né en 1903 à Prey, dans l'Eure, et s'est marié à Louviers avec Raymonde Surhomme, native d'Évreux. Le couple a deux enfants : Robert, venu au monde à Elbeuf et Claudine qui pousse son premier cri dès l'arrivée à Yainville. Cinq années passent. Ce devait être la der des der. Voilà déjà une nouvelle guerre. Une drôle de guerre. Pas si drôle du reste. Quand la menace se précise, des écoliers de la région parisienne sont envoyés en province. C'est ainsi que quatre de mes cousins ont été accueillis à l'école d'Yainville et logés qui chez mes parents, qui chez Mme Colignon. Il s'agissait de Max, Raymonde et Solange Mainberte et de Christian Hangard, nés de parents qui avaient fréquenté l'école au début du siècle. Oui, l'histoire balbutie...



La classe de M. Piard à la Libération
(Collection : Amadio Da Pozzo).1er rang de g à D Jacques Kubista. Amadio Da Pozzo. Pierre Thiollent. Adrien Buquet. William Bruneau.
2ème rg: Liliane Vian, XX , Jeanine Thiollent, Claudine Lecorre, Élise Thiollent, Denise Grain, Huguette Lecorre, Lydie Grain et Yvette Oliviero
3 éme : Jacqueline Bréard, Edwige Piot, Nadia Clément, Michèle Bertin, Claudine Piard et XX.

L'école de Yainville fut pour deux bons mois le lieu de détention de quatre otages. Le 11 septembre 1940, le câble téléphonique reliant le manoir Mustad occupé par le général Palus au château de la Pommeraye, siège de l'État-Major de la Wehrmacht, fut sectionné. On emprisonna à l'école MM Hardy, adjoint du Trait, Horion, chef d'équipe de l'Immobilière, également Traiton et deux Duclairois: MM Baron et Guérin. Ils risquaient gros. Pour les mêmes raisons, deux saboteurs venaient d'être fusillés dans le Pays de Caux. Une lourde amende frappa par ailleurs les contribuables du secteur. Finalement, on connaîtra la vérité. C'est un camion allemand qui avait rompu la ligne en manœuvrant aux Zoaques. Les indemnités furent remboursées.

En 1941, on décide d'acheter à des fins scolaires un terrain alors loué à la veuve Levreux et appartenant à Lemarié, de Jumièges.

Fernand Auguste Piard est décédé le 9 décembre 1992 à Bois-Guillaume. Et c'est là que mourra son épouse à l'âge vénérable de 99 ans !

Laurent QUEVILLY.




 




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