Par Laurent Quevilly |
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Mais d'abord, petit retour sous
l'ancien régime. En 1715, Mgr d'Aubigné effectue
une visite pastorale dans le doyenné de Saint-Georges dont
voici l'état de l'instruction — 55 paroisses
visitées ; 18 sans une seule école : Aulnay,
Blaqueville, La Folletière, Fréville, Gravenchon,
Hautot, Maulevrier, Le Mesnil-sous-Jumièges, Mont-de-Lif,
Panneville, Radicastel, St-Maurice-d'Estelan, Sainte-Gertrude,
Sainte-Marguerite-sur-Duclair, Triquerville, Le Vert-Bôsc,
Les Vieux, Yainville ; 7 écoles tenues par les
curés, 19 par des vicaires, 8 par des clercs, 3 par d'autres
particuliers dont l'un était un jeune étudiant. |
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Les Yainvillais ratent le coche
Ils ont manqué de volonté politique, nos premiers élus yainvillais. En 1795, on leur propose de faire de leur village le point central de l'enseignement dans la région. Ils refusent. Motif : le presbytère est en trop mauvais état. Voici leur lettre daté du 4 mai 1795. "Liberté Égalité"Aux citoyens administrateurs et membres composant le jury d'instruction publique du district d'Yvetot. "Exposent les maire, officiers municipaux et habitants de la commune d'Yainville qu'ils sont tout à fait reconnaissants de ce que leur commune a été destinée à être le chef lieu d'arrondissement de l'instruction publique mais que leur commune ne peut jouir de ce bienfait, vu qu'il se ne trouve point de local pour tenir les écoles et loger l'instituteur. Il pleut dans le presbytère ! "En effet, la maison presbytérale est très mauvaise et menacée d'une ruine prochaine, la couverture est si mauvaise que la pluie pénétrant de toute part doit accélérer la ruine de cette maison. La commune du Trait, peu éloignée de celle de Yainville plus rapprochée qu'elle des hameaux de Jumièges appelés le Sablon et Heurteauville, semble offrir un siège plus naturel des écoles primaires. L'amour du bien public et général bien plus encore que la difficulté de loger l'instituteur détermine les exposants à vous prier, citoyens, d'arrêter définitivement que le chef lieu de l'instruction publique sera fixé en la commune du Trait et vous ferez justice. Présenté le quinze floréal, l'an troisième de la République française une et indivisible. Le Chanoine, Rollain, Le Sain, R. Guilbert, agent. On ajouta en haut de cette pétition : "23 prairial, écrit la municipalité de Yainville pour la prévenir que sa pétition est répondue favorablement." Les Traitons n'hésitent pas !
Aux citoyens administrateurs et aux citoyens composant le jury d'instruction publique du district d'Yvetot. "Exposent les maire et officiers municipaux et habitants de la commune du Trait que leur population est composée de cinq cents individus, que celle de Yainville est beaucoup moindre, que le hameau de Heurteauville dépendant de Jumièges, lequel est très nombreux et très peu éloigné de la commune du Trait, qu'un grand nombre d'enfants de ce hameau de Heurteauville et de la partie de Jumièges dite le Sablon peuvent facilement se transporter au Trait pour recevoir l'instruction. "Qu'une école primaire tenue en cette commune serait plus fréquentée que les autres établies dans l'arrondissement, que d'ailleurs la commune de Yainville, destinée pour être chef lieu d'arrondissement, frappée de cette vérité consentirait volontiers à ce que l'école primaire fut fixée en la dite commune du Trait, qu'enfin si la commune du Trait n'est pas physiquement et mathématiquement le centre elle l'est quant à la population ou le rapprochement des différents hameaux circonvoisins. "D'après toutes ces considérations, les exposants vous prient de vouloir bien arrêter que le chef lieu de l'instruction pour les communes du Trait, Yainville et hameaux de Jumièges sera définitivement fixé en la commune du Trait comme chef lieu le plus central de la population et vous ferez justice. Présenté ce quinze floral, l'an troisième de la République française une et indivisible. Vautier, Durosey, Thomas Leroy, la marque de Jean Duval, Bénard. " On ajouta dans la marge : "Soient les pétitions des deux municipalités du Trait et d'Yainville envoyées à l'administration de ce district pour y être fait droit, à Yvetot, ce 24 floréal, 3e année Républicaine. Le Picard... Au dos de la pétition traitonne fut ajoutée ce commentaire : « Nous, administrateurs du district d'Yvetot, vu la pétition cy dessus de la commune du Trait tendant à ce que l'école primaire de son arrondissement soit définitivement fixée sur son territoire et au cy devant presbytère, vu le renvoi à nous fait par le juré d'instruction publique de la dite pétition, vu aussi la pétition de la commune d'Yainville, vu enfin la loi du 27 brumaire concernant la réorganisation des écoles primaires. Considérant qu'il résulte des nouveaux renseignements pris en suite des dites pétition que le cy devant presbytère d'Yainville ou l'école primaire avait d'abord été établie est en mauvais état, et celui du Trait plus convenable pour le logement de l'instituteur, considérant d'ailleurs que le centre de population de l'arrondissement se trouve effectivement en la commune du Trait et qu'enfin les communes d'Yainville et du Trait expriment le même voeu dans leurs dites pétitions. Nous, dits administrateurs, le procureur syndic entendu, arrêtons que l'école primaire la résidence de l'instituteur nommé précédemment fixées à Yainville le sont définitivement en la commune du Trait et que cet instituteur y sera incessamment installé pour y exercer ses fonctions conformément aux lois. A Yvetot en directoire, séance publique, le 22 prairial an 3 de la république une et indivisible. Lucas, Crevel etc." Nommé instituteur, il refuse le poste !
Aux Vieux, ce 26 prairial an 3e de la république française une et indivisible. Au procureur syndic du district d'Yvetot "Citoyen, "Celle-cy pour faire réponse de la lettre que vous m'avez envoyée le 24 du présent mois par laquelle vous me marquez de me rendre à la commune du Trait, chef lieu d'arrondissement. "Bien sensible de ne pas pouvoir aller exercer cette dite fonction qui est certainement bien digne de ma personne, voici le motif de mon refus. C'est que depuis quelques jours, il m'est arrivé des circonstances qui m'empêchent de m'y rendre. "Soyez persuadé que ce n'est pas par mépris que je refuse cette glorieuse place. Car si mon remplacement formait quelques obstacles, je suis toujours prêt d'obéir respectueusement à vos ordres, quoi que cela me causerait quelques embarras. Je vous prie infiniment de vouloir bien m'en exempter s'il est possible. "Citoyen, salut et fraternité. Loiselier. Les Traitons se font tancer Sans instituteur, l'ouverture d'une école au Trait traîne les pieds. L'administration tance les officiers municipaux dans une lettre du 12 août 1795. Humanité JusticeYvetot, le 25 thermidor an 3e de la république française une et indivisible Les administrateurs du district d'Yvetot, aux maire et officiers municipaux de la commune du Trait, Citoyens, L'exécution de la loi du 27 brumaire relative à l'instruction publique doit être l'objet de votre sollicitude. Votre commune étant devenue un chef lieu d'arrondissement, vous devez veiller avec la plus grande exactitude, à l'exécution d'une loi si utile. Empressez-vous donc, citoyens, de nous faire connaître les causes que ont retardé si longtemps l'établissement d'une école primaire dans votre commune. Si c'est le défaut de bons instituteurs, indiquez nous sous bref délai les hommes que vous croiriez capables de cet honorable emploi. L'intérêt général de la République et celui que vous devez prendre à l'éducation de vos enfants sollicite de votre part le plus grand zèle et la plus grande célérité à répondre à notre voeu. Salut et fraternité, Crevel etc.... L'instituteur enfonce son collègue Finalement, s'est-il rendu au Trait, Étienne Loiselier. En tout cas, il ne semble pas y avoir enseigné. Il y avait déjà sur place un vieil instituteur qui, appuyé par la population, ne souffrait pas la concurrence. En témoigne ces missives du 16 août 1795. Liberté Égalité Aux citoyens membres du jury d'instruction publique du district d'Yvetot. Expose Pierre Harel que le chef lieu d'arrondissement pour la tenue des écoles primaire (sic) ayant été précédemment fixée (re-sic) par les citoyens administrateurs du dit district à Yainville a été sur une pétition présentée par la commune d'Yainville et du Trait aux dits administrateurs définitivement fixée en celle du Trait par l'arrêté de l'administration du vingt deux prairial, que le citoyen Loiselier a été par vous nommé, citoyens, pour remplir les fonction d'instituteur en la dite commune d'Yainville, mais que le citoyen n'ayant point la confiance des citoyens de ces deux communes n'y a point été admis, en conséquence je vous prie citoyens membres du jury de vouloir bien me confier la qualité d'instituteur dans la commune du Trait où je remplis les fonctions depuis trois ans à la satisfaction, j'ose le dire, des habitants de cette commune. Salut et fraternité. Harel. En dessous, les édiles des deux communes appuient la démarche: Nous maire, officiers municipaux et conseil général de la commune du Trait et Yainville certifions la vérité de l'exposé contenu en la pétition du citoyen Harel et invitons les citoyens membres du jury d'instruction publique à Yvetot de le nommer pour faire les fonctions d'instituteur en la commune du Trait, ce que nous avons signés au bureau municipal, séance publique, ce vingt neuf thermidor, an troisième de la République française une et indivisible. N Maque (?) Renoult, Bénard officier, Durosey, Thomas Leroy, Bénard, Le Chanoine, Le Sein, Rollain maire de la commune d'Yainville... La polémique avec Lecomte
Duclair le 9 fructidor an 4 de la République française une et indivisible Aux citoyens administrateurs du département de la Seine inférieure Citoyens ; Sachant effectivement que mon ordre d'instituteur est arrivée à l'administration, jointe avec celle du président et du citoyen Barette, secrétaires, lesquelles ordres doivent vous parvenir, dont j'apprends que le citoyen président demande à rester à Duclair à mon lieu et place. Ce qui est incompatible avec son état de président, vu qu'il ne peut tenir l'école et présider à l'administration, ![]() Ils vous disent aussi que peu de père de famille m'ont confié leurs enfants depuis que je suis instituteur à Duclair. La cause de cela est que le citoyen président et ex-curé n'a toujours cherché que les occasions de me les retirer pour les procurer à son clerc, ouvrés donc, citoyens administrateurs, les yeux sur un homme chargé d'une petite famille, sur lequel on n'a rien à lui reprocher tant sur sa conduite que sur ses moeurs et qu'il a rempli les devoirs de son état ainsi que de mériter la confiance de ses supérieurs voyant par vous même que ces citoyens ne demande a être instituteurs que pour avoir leur logement uniquement, ce que le président âgé de 70 à 72 ans n'est pas dans le cas d'avoir un pareil jugement, et qu'il passeroit cela à son clerc, et qu'il n'auroit seulement que se non d'instituteur, d'après ces observations, citoyens administrateurs, jespere que vous voudrés bien me maintenir en ma place, n'etant pas dans ce cas de subir un changement plus loing ce qui seroit trop cousible (?) pour moi vue les circonstances du temps. Ce faisant vous obligerés ce lui qui ne cessera d'adresser ses voeux au ciel pour la conservation de vos jours précieux. Salut et fraternité Le Comte Instituteur. PS Je suis actuellement réduit à la rue, vu que maire de sa maison ne veut plus me donner du temps. C'est pourquoi, citoyens, ayez pitié de mon état et me rendés justice le plus tôt possible. Une main rajoute sur cette lettre affligeante : ![]() Arrêté en séance du 12 fructidor, an 4e de la république française une et indivisible. Jacquet, Grandin, Guillebeuf etc. Quelques jours plus tard, Lecomte s'adresse cette fois aux édiles duclairois. Liberté Égalité Duclair, le 20 fructidor an 4 de la République française une et indivisible, Aux citoyens administrateurs municipaux du canton de Duclair Expose Jacques François Lecomte qu'étant nommé par les administrateurs du Département de la Seine-Inférieure instituteur en la commune du Trait, d'après votre lettre en date du neuf du présent mois, commune très petite dans laquelle il y a très peu d'élèves à instruire, outre cela que l'ancien instituteur y reste résident et enseigne toujours comme ci devant, ce qui ferait que l'un pour l'autre il « n'i auroit » pas de quoi vivre, vu quoy, citoyens administrateurs, il a l'honneur de vous adresser la présente a fin d'obtenir de vous une autre commune dans laquelle il puisse vivre lui et sa petite famille, tel que Jumièges où « il n'i en a pas de nommé » ou autres que vous jugerés convenables, ce faisant il ne cessera d'adresser ses voeux au ciel pour la conservation de vos jours précieux. Salut et fraternité Le Comte instituteur "Vous faites des fautes... d'ortographe !" Imaginez la tête des Duclairois quand ils ont vent de cette lettre incendiaire. Le Département se fait un plaisir de leur en adresser copie : "Soit la présente pétition communiquée à l'administration municipale du canton de Duclair pour donner son avis sur l'exposé de la dite pétition.En séance du département de la Seine-Inférieure le 20 vendémiaire an 5e de la République française une et indivisible. Quillebeuf etc. Piqués au vif, les Duclairois vont lui répondre, à ce Monsieur Lecomte. Et vertement ! "Nous, administrateurs municipaux du canton de Duclair, vu la présente pétition du citoyen Le Comte nommé instituteur pour exercer ses fonctions dans la commune du Trait, Vu l'article trois de la loi du 7 brumaire an 4ème et la circulaire de l'administration centrale du Département en date du 16 nivôse dernier. Considérant... Le scribe suspend sa main et raye nerveusement tout ce paragraphe. Il reprend d'une plume appliquée : Duclair, le 17 fructidor an 4 de la République française une et indivisible.Les administrateurs municipaux du canton de Duclair Au citoyen Le Compte, nommé instituteur en la commune du Trait, Citoyen, Nous vous informons que l'administration centrale du Département de la Seine-Inférieure vous a, par son arrêté du douze de ce mois, assigné la commune du Trait pour y exercer les fonctions d'instituteur primaire. Vous êtes incité en conséquence à vous rendre sur le champ à l'administration pour y recevoir l'acte de votre nomination et en donner récépissé. Quoique vous ayez, citoyen, calomnié auprès de l'administration centrale plusieurs membres de celle de ce canton, notamment le président, vous n'avez pu réussir à leur faire perdre l'estime de l'administration supérieure, au contraire, votre pétition du 9 de ce mois fourmillant de fautes de style d'ortographe (sic) et de français a attesté votre ineptie et a fait honneur à ceux qui étaient l'objet de vos calomnies. Nous ne balancerons pas néanmoins à prendre toutes les mesures convenables, pour vous faire installer au Trait, persuadés que malgré l'ignorance dont vous avez fait preuve, vous pouvez néanmoins enseigner les premiers éléments de la (rature) d'écrire de lire et de calculer. Nous vous invitons à traiter avec plus de respect les membres de l'administration et à savoir reconnaître en eux des talents qui vous manquent et que vous devriez avoir. Salut et fraternité. ![]() Les élèves de 1798 Quels furent, dans un tel climat, les développement de cette affaire ? On l'ignore. Deux ans plus tard, en 1798, c'est un dénommé Le Painteur, ancien curé, qui est instituteur au Trait. Et il se plaint lui aussi. On ne le paye qu'avec du pain. Et encore... Canton de Duclair, état des élèves qui ont fréquanté l'école primaire de la commune du Trait pendant le trimestre de messidor, an six de la République.
Pour répondre aux questions de l'administration à l'égard des payements de chaque élève, je nay touché ny des riches ny des pauvres aucune rétribution pécuniaire sinon de temps en temps que pour du pain non suffisant pour ma subsistance vu que très souvent je suis obligé d'en achepter. Le Painteur. Pour recevoir humblement le savoir d'un tel maître, on voit que deux Yainvillais seulement effectuent le déplacement. Le XIXe siècle va s'ouvrir. Le Trait et Yainville resteront encore liés en matière d'enseignement. Jusqu'au jour où chaque commune va prendre enfin son autonomie...Laurent QUEVILLY.
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Sources ADSM, L3255 et L1703, documents numérisés par Jean-Yves et Josiane Marchand, |