Laurent QUEVILLY.

Pour vivre l’arrivée de la Grande guerre dans la presqu’île, nous allons suivre encore la vie de mon grand-père et des siens. 1900 ! Un nouveau siècle vient de se lever. Plein de promesses !..

La vie quotidienne à Yainville

L'école de Yainville compte 60 élèves dans une classe unique. Quand vient la Sainte-Madeleine, quelques jeux sont organisés pour les enfants, place de l'église. Et puis il y a bal. Derrière l'église, la ferme manoir est tenue par Émile Carpentier, l'un des plus riches de Yainville avec le maire. A la Saint-Jean, on allume un feu de joie dans une prairie, face à la gare. Les gamins de Claquevent suivent le catéchisme au Trait, sous la direction de l'abbé Roussel. Le Trait qui ne compte alors que 360 habitants. Le lendemain de la communion solennelle, ils vont en procession à la chapelle. Quand il fait beau, on goûte sous les grands chênes. Ah! Les processions à la chapelle. Le jour de l'Ascension, en mai, c'est là que tous les gens de la presqu'île se retrouvent. Il y a fête. Le noir domine dans les vêtements. Les jeunes filles sont en bas noirs et bottines, coiffées de chapeaux. Léon Lévêque et Gustave Chéron, les passeurs, pêchent en Seine à leurs moments perdus. On ne mange pas beaucoup de viande. Beaucoup de légumes. Le facteur va chercher les lettres pour Yainville à la poste de Duclair. Pour poster une lettre, quand on habite Claquevent, on peut toujours monter la côte Béchère. Une boîte est là, à la station de chemin de fer. Au train du soir, un préposé de ligne fera le tri dans son compartiment, apposera un cachet ambulant avec ses crénelures, la mention Caudebec-Rouen et la date. De Duclair nous viennent aussi les gendarmes. Il n'y a pas encore de cars. On marche beaucoup. Le mardi, c'est le marché de Duclair qui attire le canton. Il n'y en a pas encore au Trait.

Avant que naisse un nouveau siècle, l'affaire Dreyfus divise les esprits. En, 1899, la France parlementaire est radicale-socialiste. L'anticléricalisme bat son plein. Cette année-là, un enfant fut reconnu à Duclair sous le nom de Henry Onésime Mainberte. Je n'en sais pas plus...
1899, c'est aussi la grande crise aux carrières d'Yainville. Cent ouvriers se retrouvent au chômage.

Eugène-Émile Guibert, le patron des carrières, possède une affaire similaire à Duclair. Les chantiers navals de la Mailleraye ont fermé et il fait construire lui-même ses gribanes à Yainville. Ce sont les dernières munies de voiles que des artisans taillent sur place. Les dernières avec celles des carrières Caumont. Démâtées, remorquées, les autres forment maintenant, à quatre ou cinq, de longs convois. On les appelle les caillouteux.

Le 23 février 1900, année où la journée de travail allait être limitée à 10 h, les Mainberte furent de noce. En ce mois traversé par de violentes bourrasques, Marguerite, la sœur d'Emile, épousait un blond aux yeux bleus : Henri Bruneau. Né à Guerbaville, il était marin de métier et travaillait chez Mustad, à Duclair. Sa femme tiendra le café de l'église à Yainville. Henri sera aussi conseiller municipal. Tous deux ont édité une carte postale de ce lieu où, j'imagine, Emile vint y boire le pot.


Le 3 mars, une marée de 119 produisit un des plus beaux mascarets du siècle. Il vint mourir autour de la boucle avec plus de résistance qu'à l'accoutumée. Fin mars se pêcha la première alose. Un poisson de plus en plus rare en Seine.

Les 27 avril et 11 mai, on vota pour les Législatives. Ce fut une victoire du Bloc des Gauches. Emile fut alors rappelé sous les drapeaux pour une période d'exercices du 14 mai au 10 juin. Ce fut au 24e régiment d'infanterie dont le second bataillon était cantonné à Bernay, dans l'Eure, à la caserne Turreau. Beaucoup d'hommes de la presqu'île sont passés pas là...



L'été 1900 fut très chaud. Le 26 août, on renoua avec une tradition. Les régates de la Mailleraye avaient disparu depuis plus de 15 ans, on les résuscita. Ce type de manifestation se faisait de plus en plus rare, si ce n'est à Duclair.

En septembre, les paysans manquent toujours d'eau.   

La légende familiale veut que le père d'Emile, armé d'une canne, menaçait de procès ses filles si elles ne subistaient pas à ses besoins. Le recensement de 1901 semble donner raison à cette tradition. Pierre Mainberte a alors quitté Yainville pour vivre au Conihout de Jumièges pour vivre chez sa fille, celle qui a épousé Onésime Callais, vannier, et mère du futur maire de Jumièges.


En février 1901, les neiges favorisèrent la chasse aux alouettes. 
Avec la nouvelle loi sur les associations, les moines menacent de quitter Saint-Wandrille.
 Cette année-là, Emile Mainberte fut recensé comme batelier chez Guibert, sa femme étant journalière. Le 12 avril, Eugène Guilbert obtient le marché de fourniture de blocs et bétonnages pour les réparations du port d'Honfleur.

Trois fois en tête des régates

La seconde édition résuscitées des régates de Guerbaville eurent lieu le dimanche 18 août 1901. Ce jour-là, La Mailleraye s'est pavoisée de milliers de pavillons multicolores, de décorations de verdure. La foule est là, la musique locale aussi. Encore des épreuves d'aviron et de voile. Et là, Emile Mainberte va se distinguer dans trois des sept courses.

Dans la 4e réservée aux chaloupes de cailloutiers, il se classe second à bord de l'Emile 3 derrière le Marceau de Deconihout.

Dans la 5e ouverte aux chaloupes de gribanes à la godille, il se classe encore second, toujours à bord de l'Emile 3 derrière l'Albert du sieur Sauvage et devant les Quatre-Frères de Baillemont. Ce qui lui vaut d'empocher 5 F.

Enfin dans la 6e, où s'alignent les bateaux à cailloux de 15 à 50 tonneaux à voile, il se classe encore second avec le Robert derrière l'Emile 3 manœuvré par Deconihout.

La même année 1901, Pierre Chéron, le beau-père d'Emile Mainberte, était encore recensé comme débitant à Yainville. Mais il va bientôt quitter le village pour Duclair où il tiendra encore un estaminet, le café du Quai. Son bail est signé le 25 mars 1902. On peut penser que dès lors, Emile Mainberte et sa famille prirent sa place au café du Passage.

Le 22 mai 1902, Emile fut du mariage de sa tante, Séraphine, celle qui avait eu trois enfants célibataires. A 40 ans, elle venait seulement de reconnaître l'unique fille qui avait survécu. Séraphine épousait un veuf de 17 ans son aîné, Anfry Louis Barbey. Ce dernier avait eu d'une Vestu plusieurs enfants, majeurs à présent. Barbey avait un frère dont on parlera bientôt.

Le 6 juillet 1902, Patrice Costé fit voter son conseil à l'unanimité sur une dispense de convocation sous les drapeaux. Elle émane de l'un de ses voisins qui n'est autre que mon grand-père, Emile Mainberte. Il s'agissait d'une seconde période de 21 jours. Ce type de dispense était accordé aux indigents chargés de famille.

Sauvé des eaux !


Vendredi 28 novembre 1902, 8 h du soir, Emile est-il à bord de  l'Albert, voilier des carrières d'Yainville, quand il est abordé à Quillebeuf par le steamer Elna qui le coupe par l'avant. Le voilier coule presque aussitôt. On avait craint pour la vie des marins. Mais il sont sauvés. Selon les listes  électorales de 1903, Guibert compte alors quatre bateliers : Emile Mainberte, mon grand-père, Eugène Vauquelin, né à Quetteville, Calvados, en 1858, Auguste Leprince, né à Caumont en 1873, Pierre Guéroult, né à Jumièges en 1853, Albert Larchevêque, né à Villequier en 1852.


Le feu à bord !



Judi 29 janvier 1903, nouveau fait divers. Cette fois, c'est le navire que maœuvrait mon grand-père aux régates de La Mailleraye, qui en est l'objet : Quillebeuf. Jeudi soir, vers sept heures, le feu s'est déclaré à bord de la gribane Robert, appartenant à M. Guibert, entrepreneur de travaux publics à Yainville. L'équipage qui était parti faire des provisions à terre ne voulut d'abord pas croire au sinistre, mais quelques minutes après, il fut obligé de se rendre à l'évidence. Le feu était à l'intérieur du bateau, communiqué sans doute par une poêle resté allumé. Après un travail assez long et malheureusement infructeux au début, le bateau put être sabordé et coulé vers onze heures. La coque doit être sérieusement endommagée intérieurement. En plus du grave préjudice occasionné à M.  Guibert, armateur, les mariniers ont perdu leurs effets et jusqu'à leurs cartouches de chasse qui, pendant quelques instants, ont fourni aux spectateurs une pétarade nourrie.

Au bas de la côte Béchère, Bénard occupe les fonctions de messager. Près de la mairie, il y a une petite cabane où les "romanichelles" peuvent passer la nuit. Ils doivent demander la clef à la mairie et y laisser leurs papiers. Eustache Délogé, le garde-champêtre, la cinquantaine, veille sur la commune avec ses moustaches en guidon de vélo. Un boucher, un boulanger vont de maison en maison. Passent aussi les cafés Caïffa. Ils sillonnent toute la France, les colporteurs des cafés Caïffa. Avec leur casquette de facteur, leur uniforme vert-olive et leur carriole à trois roues. La maison-mère est à Paris. Son fondateur a bâti son entreprise en récupérant au Havre une cargaison de café noyée dans un naufrage.

La circulation de fausse monnaie alimentait régulièrement la rumeur dans la région. Ce fut encore le cas en 1903 avec des pièces de 10 F or, à l'effigie de Napoléon III. Le 7 mai 1903, un premier garçon vint au monde chez les Mainberte de Claquevent. On lui donna le prénom d'Émile, emprunté à son père. Les témoins furent les voisins et amis : Albert Colignon, carrier, Lucas Petit, l'instituteur. Encore une fois, Emile Mainberte déclare la profession de batelier. Encore une fois, il n'apparaît sur aucun navire dans les registres de l'inscription maritime de Rouen cette année-là... Pourtant, c'est encore avec ce métier qu'il est inscrit en 1903 sur les listes électorales. Tout comme Eugène Vauquelin, né à Quetteville, Calvados, en 1858,  Auguste Leprince, né à Caumont en 1873, Pierre Guéroult, né à Jumièges en 1853 et Albert Larchevêque, né à Villequier en 1852. Sans doute l'équipage d'une gribane. Aux carrières, Eugène Guibert commande les derniers carriers, comme Edmond Carpentier, Charles Douillière, Ernest Larcher, Paul Lefebvre, Albert Colignon, Eugène Nijour, Albert Virvaux dont le fils est à l'armée... Michel Acron, le cousin est contremaître.

En 1903, Aristide Cuffel est bourrelier mais aussi cafetier-épicier. Natif d'Heurteauville, c'est un grand châtain aux yeux bleus, le visage constellé de tâches de rousseurs. Vulcain ! Sa femme tient un magasin de confection. Un autre cafetier-épicier a pour nom Constant Coquin. Un troisième est Edmond Reniéville, Paul Laurent Michel est serrurier, Edouard Monchy couvreur en chaume, Adolphe Dorléans maçon.

Curieusement, le père d'Henri Mainberte figure sur les listes électorales avec la profession de journalier. Or, en 1901, il vivait chez une de ses filles, à Jumièges.
Le 21 janvier 1904, le père d'Emile mourut à Jumièges. En râlant une dernière fois.

Le 23 mars 1904, la péniche française Bienfait d'une mère remorquée par alla buter, à la suite d'une embardée, contre un trois-mâts anglais au mouillage, le Cape Race, à 700 mètres en amont du passage d'Yainville. Une énorme voie d'eau s'étant déclarée, la péniche sombra instantanément. Cette péniche fut remise à flot et ramenée à Rouen le 27 avril.

Des grèves éclatèrent un peu partout dans le département en 1904. Dans le textile, chez les ouvriers verriers... Sur les routes, les automobiles ne soulèvent plus l'étonnement. Mais toujours la poussière. A Rouen, premières expériences de goudronnage. En mai 1904, c'est Athanase Le Roy qui succède à Patrice Coste à la mairie de Yainville.

L'année scolaire 1904-1905, Thérèse et Marguerite sont à l'école de Yainville sous la houlette de Monsieur Pioli. Elles ont respectivement neuf et six ans. En septembre, c'est l'émoi dans la famille. Emile Barbey, le beau-frère de Séraphine Mainberte, est accusé d'avoir trucidé sa bonne.

Le 2 janvier 1905, le baromètre tomba dans le courant de la nuit à moins 13°. Puis juillet connut des orages d'une rare violence. Entre temps, le 15 juin, il s'est dit qu'un certain Buffalo Bill était à Rouen. Emile aurait pu effectuer sa seconde période d'exercices militaires vers cette époque. Mais il en fut dispensé. Ses états de service portent cette mention: "Disp. 6%".

Le 5 août 1905, la première grande parade nautique eut lieu sur la Seine pour clôturer la semaine maritime du Havre. Navires de toutes sortes remontent à Rouen et la foule est massée à son passage. Les enfants ne sont pas les derniers à crier leur enthousiasme.

 Au recensement de 1906, mon grand-père Emile Mainberte exerce la profession de batelier chez Guibert. Sa femme est sans profession. Chez Guibert, il travaille toujours en compagnie de son cousin Acron, contremaître de travaux publics.
Emile embarqua comme matelot le 3 janvier 1906 à bord de la gribane Roberte Jeanne, appartenant à Sabatier et affecté au transport de marchandises. C'est un navire de 30 tonneaux lancé à Rouen en 1893. Le même jour grimpa à bord son beau-frère, Gustave Chéron, qui lui avait les fonctions de patron. Emile posera sac  à terre à La Mailleraye le 23 mars. Ce sera son dernier voyage officiel. 

Parents nourriciers


Mes grands-parents étaient nourriciers. Usage répandu jadis à la campagne où l'on élevait soit des enfants de la bonne société rouennaise soit des enfants trouvés. Je ne sais combien d'enfants
furent confiés aux Mainberte. L'un est mort en tout cas...

« Le 17 mars 1906, décès de Marie Bloquel au domicile d’Emile Mainberte à Yainville à 23 h âgée de 41 jours, enfant assisté de l’hospice dépositaire de Rouen matricule 1088 de la catégorie des abandonnés, née le 04-02-1906, entrée à l’hospice le 19 février et confiée le 24 février à la femme Mainberte, née Chéron, nourrice à Yainville, sur la déclaration de Mainberte Emile père nourricier de la défunte et de Pioli Georges, instituteur demeurant à Yainville, âgé de 31 ans, non parent de la défunte. »

Crues de la Seine en mars. La grande mode du moment, c'est de s'adresser des cartes poisson d'avril. Le courrier en est perturbé. Les 6 et 20 mai, comme partout, socialistes et radicaux remportent ici les législatives.

Le 18 juillet, une parade nautique composée de navires de guerre, de plaisance et de commerce remonte encore la Seine. Les enfants crient "Vivela Marine !"

A la rentrée de septembre, l'instituteur de Yainville reçut une circulaire l'invitant à veiller à ce que nul emblème religieux ne figurât dans son école. Emile fut averti de son passage dans l'armée territoriale en date du 1er octobre 1906. Le 22, il est du mariage de sa belle-sœur à Boscherville, Suzanne Chéron et Raoul Chandelier.

Assis: Max Poulard. 1er rang adulte, de G à D: X, Pierre Delphin Chéron, X, Pascaline Mauger, les mariés: Raoul Chandelier et Suzanne Chéron, X, Marie Chéron.
2e rang X (militaire), Martine Chéron (femme), Gaston Poulard, Julia Chéron dite Juliette (derrière le marié), Henri Mainberte (derrière la mariée), Delphine Chéron, Enar Topp.
3e rang: X, X, X, Georges Lemaréchal, Adèle Rotou,
Dernier rang en haut: X, Georgette Chéron, Marguerite Lelannier, X, Pierre Chéron et Gustave Chéron. 10 visages restent donc à indentifier.


En octobre 1906, la famille se rendit à Saint-Martin-de-Boscherville pour le mariage de Suzanne Chéron et Raoul Chandelier. Cette année-là, Loubet transmit le pouvoir à Fallières et, le 18 février, nombre de nos communes arborèrent le drapeau tricolore. L'inventaire des biens de l'église suscite ça et là des troubles.

L'année s'acheva sous des monceaux de neige. Elle aura connu un progrès social : la loi sur le repos hebdomadaire.

Rouen, 28 mai 1907. Une voiture dont la construction, venait d'être terminée au Havre, avait conduit le chauffeur Vestu et le mécanicien Héricher pour assisler à une course de véhicules indutriels. Les deux hommes revenaient au Havre quand, à 20 kilomètres de Rouen, à Yainville, en voulant éviter un chien qui gambadait autour de la voiture, l'auto fit une embardée et alla culbuter dans un fossé. La fatalité voulut qu'au revers de ce fossé trois chemineaux fussent assis. Ils furent littéralement fauchés par l'auto. L'un est mort à l'hospice de Duclair ; les deux autres sont grièvement blessés. Les mécaniciens de l'auto n'ont aucune blessure.


En 1907, Victor Eugène Ardouin-Dumazet publie son Voyage en France :
"A la base des collines, sur le fleuve, le hameau de Claquevent est bâti sous des carrières formant falaises. De nombreux chalands sont amarrés, chargeant des pierres pour Rouen et Le Havre. De grandes bouées se balancent sur la Seine, leur rôle est purement honorifique aujourd'hui; elles avaient été placées là pour l'amarrage des navires qui jadis, ne pouvaient monter plus haut en une marée. Les digues du bas du fleuve, en amenant l'affeuillement par le flot, ont creusé le chenal de telle façon qu'un seul courant de mer permet l'arrivée à Rouen. Le balisage des rives et une multitude de feux faisant du fleuve une véritable voie illuminée, ont complété l'effet de ces beaux travaux. "

14 décembre 1907: violents orages et bourrasques. La société normande est traversée par les grands thèmes du moment : la réhabilitation de Dreyfus, le projet d'abolition de la peine de mort, des thèses antimilitaristes, anticléricales, anticapitalistes...

1908. Ministère Clemenceau. Le 13 mai, Pierre Delphin Chéron, tenancier du café du Quai, à Duclair, rend l'âme. Sa veuve, Pascaline Mauger, reviendra sur Yainville, au café du Passage. Café que reprend cette année 1908 le couple Mainberte.
Au conseil municipal, on votera une participation à l'office anniversaire de feue Mme Silvestre dont le testament avait délivré des libéralités pour la commune. La délibération sera annulée par le préfet.
Encore de violents orages le 21 mai. Et une tempête de neige le 29 décembre. Le 31, c'est le dernier jour d'exploitation de la compagnie de l'ouest à la gare de Yainville. Le réseau a été racheté par l'Etat. Entre temps, les journaux auront parlé d'un certain Duboc, un gars de Rouen qui se distingue dans le tour de France. Emile apprit aussi qu'il passait dans la réserve de l'armée territoriale à compter du 21 décembre.


Carrier à Biessard

Sans embarquement officiel depuis 3 ans, Emile Mainberte est rayé de l'Inscription maritime le 22 mars 1909. Et pourtant, on le retrouvera comme batelier, notamment sur les listes électorales. L'inscription maritime lui compte alors 10 mois et 12 jours au service de l'Etat. Dazns la Royale ? Il a fait son service dans la biffe...

Le matin du 9 juillet 1909, Emile et Victor Fortin sont occupés à charger un bâteau à Canteleu pour le compte de MM. Laubeuf et Cie. Quand il aperçoivent le corps d'un nourrisson flottant à la surface de l'eau. Les deux ouvriers détachent une barque et après quelques coups de rames ramènent le petit cadavre sur la rive. Les autorités locales sont prévenues, un télégramme est ensuite adressé à la gendarmerie de Maromme. Les gendarmes Thierry et Lhommenie arrvient bientôt à Biessard. Déposé à la morgue, le corps est celui d'un enfant de quatre à six mois environ. Mainberte et Fortin indiquent aux enquêteurs que le cors suivait le cours de la Seine, Autrement dit il venait de la direction de Rouen. Nullle odeur cadavérique, ce corps n'a pas séjourné longtemps dans l'eau et aucune trace de coups n'est relevée. Mais c'est manifestement un crime. De retour à la caderne, les gendarmes lancent de nombreux télégrammes dans différents directions. On espère retrouver le coupable...



Depuis quand Emile travaille-t-il pour Laubeuf, associé à Voisembert dans la construction des nouveaux quais de Rouen ?
Ce n'est pas la porte à côté. En revanche, les Poulard, les Chandelier n'habitent pas loin. La société a été fondée en janvier 1908. Eugène-Lucien Laubeuf est originaire de Chatou, en Seine-et-Oise, quant à son associé, il habite Neuilly. Située sur le halage, la carrière offre pour décors une maison avec écurie, poulailler, appentis... Dès avril 1908, une grève fut menée par la quarantaine de carriers. Les Ponts & Chaussées ont fixé à 0,45 F leur salaire horaire. Ils en réclament 10, voire 15 centimes de plus. Le patron fait venir les gendarmes de Maromme pour surveiller son chantier. On connaîtra par la suite ces carrières sous le nom de Chouard et le mari de Thérèse Mainberte y travaillera.

Le dimanche 25 juillet 1909 eut lieu la Sainte-Madeleine avec une course cantonale de bicyclettes à deux heures, des jeux divers à cinq heures, un bal, des illuminations, un feu d'artifices...

Au soir du 12 septembre 1909, en amont du feu d'Yainville, par une nuit très noire, trop noire, le chaland N° 5 quitte les carrières de Claquevent, chargé de pierres. Destination Le Trait. Soudain, il est abordé par le vapeur Sauternes, l'un des fleuron de l'armement Worms & Cie. Le chaland coule. Pas de victimes. Le bateau était immatriculé à Rouen et jaugeait 40 tonnes. Est-ce à cette époque que ferment les carrières Silvestre ? Sont-elles alors exploitées par celles du Trait ?
 
En janvier 1910, la Seine sortit de son lit après d'abondantes chutes de neige. Inondations.

Durant cette année, où l'on instaure les caisses de retraite, Emile est, selon sa fille Marie-Louise, contremaître chez la veuve Cauvin, au Trait. Carrières de sable et de cailloux. Mais est-ce fiable ? Emile, on vient de le voir ouvrier à Canteleu...
La famille Cauvin descend en tout cas de l'un des plus importants propriétaires Traitons du XVIe siècle.
Albertine Cauvin est née quant à elle en 1877 à Rouen. Elle a deux jeunes enfants : André et Jeanne. La zone d’extraction principale est sur la route qui mène à Yainville. On en trouve ailleurs, dans la campagne du Trait qui est encore désertique. Des gribanes viennent encore prendre livraison de la production. Le lieu d’embarquement est la cale du passeur. Là s’entasse le sable que l’on charge à bord du navire en faisant rouler sur un planchon des « brouettes à baré ». Quand Mustad construit des logements ouvriers à Saint-Paul, il exige que le sable provienne des carrières du Trait. Dans quelques années, avec la construction du chantier naval, des prisonniers allemands pousseront les wagonnets roulant sur des rails. Mais Emile ne sera plus là...

Des carriers, en 1910, on en recense aussi deux de l'autre côté de l'eau, à Heurteauville. Longtemps, des wagonnets resteront rouiller derrière l'église du Trait. Derniers vestiges.
Le 4 juillet de cette année-là, Henri Denise, le fondateur de l'Hôtel de la Poste, à Duclair, devient le conseiller général du canton. Il succède au Dr Léonide Maillard, rédacteur au Journal de Duclair.

Toujours en 1910, année où la famille accueille un nouveau garçon, André, qui ne vivra pas bien longtemps, la presqu'île est stupéfaite par un fait divers. Le 14 juillet, le maire de Jumièges, Me Péchard, serre sur la place la main de ses conseillers alignés sur la place. L'un d'eux lui tire un coup de pistolet. Péchard mourra trois jours plus tard. Trois jours durant lesquels des orages d'une violence rare frappèrent la région. Surtout Duclair où, le 17, la Seine envahit les rues. L'assassin est Jules Martin, un paysan qui nourrissait une haine pour le maire. Une histoire d'argent. Il finira ses jours à Cayenne.

Le 24 juillet 1910 eut lieu la Sainte-Madeleine. A une heure et demie furent proposés des jeux divers. A deux heures, une course cycliste de Yainville à Boscherville avec retour. A quatre heures ce fut un bal puis, le soir, des illuminations.

En 1911, quatre enfants Mainberte sont à l'école : Marguerite, Marie-Louise, Emile et Raymond. Mon grand-père n'était pas ou n'était plus le capitaine de gribanes ni le contremaître des carrières Cauvin dont me parlait ma tante Marie-Louise.

Le 14 mai 1911, il fut procédé à la désignation de répartiteurs pour épauler le contrôleurs des contributions directes et évaluer les propriétés non bâties. Emile Mainberte fut proposé comme suppléant avec pour prénom Henri et la qualité de journalier.

En juillet 1911, Marguerite Mainberte fut la seule de la classe de M. Vimont à obtenir son certificat d'études.


Le 30 juillet 1911, on vit passer le Tour de France en direction du Havre. Quelques jours plus tôt, à la Sainte-Madeleine, une course vélocipédique allant jusqu'à la Mailleraye, aller-retour, vit la victoire d'un gars de Boscherville devant Coignard, de Jumièges...

28 janvier 1912. Ma mère naît au café du Passage à 2h du matin. Le garde-champêtre, Eustache Délogé et Vimont, l'instituteur, font office de témoins tandis qu'Athanase Leroy signe l'acte.

Le lundi de Pâques, 8 avril 1912, Andréa Mainberte, à un peu plus de deux mois, fut baptisée.



La naissance d'Andréa

Quand Andréa Mainberte, ma mère, naquit au village de Claquevent le dimanche 28 janvier 1912. Elle fut sans aucun doute entourée de beaucoup d'attentions. André, le petit garçon né en 1910 n'avait pas vécu un an. On l'avait placé sous le vocable du saint patron de Yainville. Alors, Andréa hérita de son prénom, féminisé. Andréa était ainsi la dernière d'une fratrie de trois filles et deux garçons : Thérèse, Marguerite, Marie-Louise, Emile, Raymond et Hélène. On attendit quelques semaines avant de la baptiser. La cérémonie eut lieu le lundi 8 avril suivrant...

La silhouette de Guitry

 
Un personnage fabuleux descend parfois du manoir perché là-bas sur les hauteurs: Sacha Guitry. L'homme de théâtre vient promener ses pas jusque là, entouré de ses lévriers. Les enfants le suivent à distance, comme s'il s'agissait d'un prince! On voit aussi sa grosse limousine passer sur la route, monter à la gare chercher les invités. On ignore jusqu'aux noms de ces vieilles barbes: Monnet, Mirbeau, Jules Renard...

Les gribanes ne mouillent plus à Claquevent. La veuve Silvestre, croit se souvenir Marie-Louise Mainberte, habite toujours "la belle maison blanche" et ne va pas tarder à suivre sont mari dans la tombe. Cela dit, Mme Silvestre réside plutôt à l'entrée de Duclair.
Les Baron vivent dans l'ancienne maison du sous-directeur, rouge celle-là. "Les Baron tenaient un café à Rouen où s'était déroulé un drame, se souvenait Marie-Louise Mainberte. Depuis, Mme Baron nourrissait une peur maladive des hommes." Ce sont eux qui, bientôt, vont vendre les carrières à la société havraise d'électricité.

 La vie s'écoule douce à Claquevent. Entre les Mainberte, les Chéron. Il y a là la demeure de l'oncle Pierre. Mais il ira habiter de l'autre côté de l'eau. La maison de l'oncle Gustave, le passeur du bac. Son fils, Bernard, prendra plus tard la relève. Et puis il y a l'hôtel Carré, le café Reniéville, à l'angle de la route qui mène au bourg d'Yainville, le café-relais de chevaux des Bénard, en bas de la côte Béchère. On y loue des montures quand des attelages trop lourds peinent à gravir la pente. Le long du fleuve, un chemin mène vers un autre village, plus petit celui-là, et puis une sorte de plage. En poussant plus loin, vers Jumièges, on arrivait aux Fontaines, à la maison du maire d'Yainville, Athanase Le Roy.

En mai 1912 eurent lieu les élections muncipales et la famille Mainberte se réjouit de voir l'oncle Henri Bruneau, tenancier du café de l'Eglise, faire son entrée au conseil municipal. Dès le premier tour, Athanase Leroy fut porté en tête des suffrages exprimés. Derrière lui, dans l'ordre, Emile Carpentier, cultivateur derrière l'église, Maxime Passerel, Doyen du conseil et garde-chasse de M. Durand, Auguste Fessard, cultivateur sente aux Gendarmes, Henri Bruneau, Lucien Lefebvre, un surveillant des Pont-et-Chaussées, Albert Prévost père, gros cultivateur, Edouard Deconihoutn et Emile Delaune.
Il y eut ballotage pour un siège, Arthur Bénard et Vauquelin avaient recueillis 19 voix chacun. Finalement, ce fut Pierre Levreux qui les mit d'accord. Quand eut lieu l'élection du maire, Leroy obtint six voix. Lefebvre, Delaune et Levreux en recueillirent une.  Pour désigner l'adjoint, sept voix se portèrent sur Emile Carpentier. Maxime Passerel et mon grand-oncle Henri Bruneau en recueillirent une...


Le 8 décembre 1912, considérant que la famille Mainberte était indigente, le conseil municipal, au vu d'un certificat médical du Dr Pelletier indiquant que Marguerite Mainberte devait se faire opérer des amygdales, décida de couvrir les frais de l'hospitalisation. Famille indigente...

La petite Hélène

Sur les listes électorales de 1913, Emile Mainberte est toujours porté avec la qualification de batelier, métier que pratique aussi le cousin Gustave Chéron, sans plus de précision. Les carrières n'ont pas dit leur dernier mot. Y travaillent Michel Acron et Albert Colignon.
Le village compte un berger, deux maçons, un employé des poteaux télégraphiques, un charpentier, un maréchal ferrant en la personne de Victor Lerebours, Cuffel est toujours bourrelier. Henri Bruneau tient le café de l'Eglise, il a Bénard et Reniéville pour concurrents.

En avril 1913, non loin de Claquevent un jeune brocanteur du Trait, Maurice Noël, fait du bal au café de Mlle Carriel. Rappelé à l'ordre par des clients, il part chercher son fusil. Mis en joue, MM. Lévêque et Marie se réfugient chez la veuve Cauvin.

A la rentrée de 1913, Hélène rejoignit Marie-Louise, Émile et Raymond à l'école de Yainville. C'est une petite blonde aux traits fins, marque de fabrique des Mainberte. Sa marraine est sa sœur aînée, Thérèse Mainberte, qu'elle vouvoie. Élève studieuse car quatre mois plus tard, pour la nouvelle année, elle écrit une lettre surprenante, tant par la qualité du texte que son écriture. Elle lui fut peut-être inspirée par son instituteur, Monsieur Vimont. Voilà qui témoigne en tout cas de sa pédagogie. C'est le document écrit le plus ancien existant dans ma famille et que je conserve précieusement. En voici le texte:


Ma chère Marraine,

Je vous aime de tout mon cœur et je viens vous le répéter à l'occasion du nouvel an. Je vous remercie de votre tendre bonté pour moi et vous prie d'agréer en même temps que ma reconnaissance, mes vœux et mes souhaits de bonheur et de bonne santé. Je ne sais quoi vous dire de meilleur et je vous embrasse chère Marraine bien affectueusement. Votre petite filleule.

Hélène Mainberte.

La Saint-Sylvestre passée, le temps va se gâter. La Seine commence à charrier des glaçons. On patine dans les prairies inondées à la mi-janvier. Le froid provoque des congestions. Primeurs et légumes renchérissent. Le dégel s'amorça enfin le 26 janvier et la Seine retrouva son cours normal. A la mi-mars sévit une forte tempête. Chutes d'arbres, toitures arrachées, lignes télégraphiques rompues. Si bien que la navigation fut interrompue sur la Seine.
En avril 1914, à 6 ans, la petite Hélène cessa de vivre. On pensa à une méningite.
Peut-être une coqueluche... "Je vous aime de tout mon cœur", écrivait-elle encore quatre mois plus tôt. Bien plus tard, son frère Émile baptisera l'une de ses filles du prénom d'Hélène, la petite blonde aux traits si fins...

Le 18 mai 1914, ce fut le beau-frère d'Emile Mainberte qui trépassa. Vannier à Jumièges, Onésime Callais était le plus doux des hommes
. Sa femme, Marie Joséphine Mainberte, en revanche... Le couple vivait dans une ferme non loin du bac. Il avait vécu au Landin et avait été réformé après un an de service pour tuberculose. C'est cette même maladie qui finit par l'emporter. Onésime avait un frère, père de famille nombreuse, qui travaillait chez Mustad et vivait à Saint-Paul. Il laissait une veuve chargée de deux enfants dont l'un, Alphonse Callais, deviendra plus tard maire de Jumièges

Le 19 juillet, c'est la Sainte-Madeleine sur la place de l'église, devant le café d'Henri Bruneau et de Marguerite Mainberte. Le programme ? Jeux à 15 h, course cycliste à 16 h réservée aux coureurs du canton, bal à 17 h, feu d'artifice à 22 h.

Fin juillet, Marie-Louise Mainberte obtient son certificat d'études en compagnie de Georgine Beyer et Yvonne Lévesque.
On sent la guerre imminente. Certains opportunistes avertis vont retirer leur argent qui dans les banques, qui à la Caisse d'épargne. Au point que les remboursements sont suspendus. Le 26, des militaires gardent les voies de communication un peu partout. Dans la nuit du 28 au 29 juillet, le ministre de la Guerre et des Travaux publics ordonne la réquisition à compter du 31 de "toutes ressources des chemins de fer pour les besoins militaires". Yainville est concerné.


Cette fois, c'est la guerre
 
Samedi 1er août 1914. Un cortège nuptial s'égaye à travers les ruines de l'abbaye. Quand sonne le tocsin de la mobilisation. Il est 16 h. Tristes noces... Nous étions au cœur de la moisson, la récolte des prunes s'annonçait belle. C'était le dernier jour d'école avant les grandes vacances. Gardes champêtres et gendarmes commencèrent à placarder les affiches qui rappelaient tous les hommes en âge de combattre pour le dimanche 2 août. Ce soir-là, à compter de 18 h, plus aucun civil ne fut autorisé à emprunter un train à la gare de Yainville. Les transports fluviaux leur seront interdits aussi. "La mobilisation, c'est pas la guerre" ont beau dire certains clients du café de l'église qui paraphrasent Poincaré au troisième verre. Depuis un mois, la guerre, on la sent là qui vient. Inéluctable.
Les militaires d'active placés en quelques points stratégiques sont relevés par des réservistes des vieilles classes. Organisés en gardes civiles, les milices d'hommes non mobilisables surveilleront voies ferrées, usines, gares, viaducs susceptibles d'être sabotés par des espions ennemis. Remplaçant gendarmes et pompiers appelés sous les drapeaux, ils veillent au ravitaillement équitable de la population, participent le cas échéant à l'extinction des incendies. On les appelle les GVC, gardes voies de communications.

Lundi 3. A la gare de Yainville, de premiers trains emportent les réservistes vers le dépôt de Rouen Nord. Les jeunes classes des années 1908 à 1910 iront épauler celles de années 11 à 13 alors sous les drapeaux. Les plus vieux ont dans leur livret militaire les instructions quant à leur prochain départ. Effervescence sur le quai. Les adieux sont déchirants. Mais on est sûr d'une revanche rapide et triomphale.

Dans la matinée du mardi 4 août, on apprit que l'Allemagne avait officiellement déclaré la guerre à la France la veille au soir. La circulation de toute voiture, de toute automobile est interdite de nuit.

Mercredi 5 août, de Rouen, les premières troupes actives partent pour le front : les 39e et 74e RI l'après-midi, trois batteries d'artillerie le soir. Nos deux régiments d'infanterie forment, avec le 36e RI de Caen et 129e du Havre le second corps d'armée. Le seul qui soit spécifiquement normand.

Le 7 août, l'interdiction de circuler la nuit entre communes est étendue aux piétons.
Dans la matinée du 9 août, on vit passer à Claquevent un premier navire amenant à Rouen des troupes anglaises. D'autres suivront le 13. La mi-août voit de nouveaux réservistes partir au front. Tout va se passer en trois vagues: les hommes de 26 à 34 ans, puis ceux de l'armée territoriale âgés de 35 à 41 ans. Enfin viendront ceux de 42 à 47 ans. En tout, les territoriaux seront plus d'un million. Théoriquement, seuls les 35 à 41 ans seront envoyés au front. Les plus vieux, eux, constitueront la réserve... de la réserve en étant affectés à diverses tâches à l'arrière. Théoriquement...

Par arrêté préfectoral du 17 août, Juliette n'aura plus droit de vendre de l'absinthe. On s'installe dans la guerre. Gare à ceux qui proclameront de fausses nouvelles. Gare aux espions. Une vraie nouvelle, mauvaise celle-là, c'est la retraite de Joffre le 23 août, l'entrée des Allemands en France le 28... Dans notre Seine-Inférieure affluent les premiers réfugiés belges. Jours de folie! D'autant que le 30, on apprend la victoire des Allemands sur les Russes à Tannenberg. 
Le 1er septembre, les troupes franco-anglaises battent en retraite. Le 2, les Allemands entrent à Senlis, menacent directement la capitale. Le gouvernement quitte Paris pour Bordeaux ! Il faut un sursaut national...
 
La Grande-Guerre de mon grand-père

Le 30 août 14, le ministre de la Guerre décida de rappeler la classe 14 et les classes plus anciennes de la Territoriale qui avaient été momentanément renvoyées dans leur foyer. fut incorporé le 6 septembre 1914. A 42 ans. Un père de six enfants...


Sa famille n'eut que quelques pas à faire pour l'accompagner à la gare de Yainville. Il dut rejoindre à Rouen le dépôt du 21e régiment d'infanterie territoriale dans des locaux mis à disposition par les autorités militaires de la place. Caserne Jeanne-d'Arc je pense...
 
Un gars de sa classe, Louis Auguste Lefrançois, fut aussi mobilisé ce jour-là. Forcément un sien cousin à la mode de Jumièges. C'était un agriculteur du Mesnil, aux cheveux blonds, qui résidait au Passage de la Roche. Les deux "pépère" sont aspirés vers l'inconnu.
Suivre le parcours d'Emile Mainberte dans la Grande Guerre : 

Le retour du soldat Mainberte

Le 4 octobre 1914, Mainberte fut renvoyé dans ses foyers. Pas Louis Auguste Lefrançois, son camarade de classe. Il mourra dans un an de maladie, Emile n'a plus que deux ans à vivre pour les mêmes raisons. Mais d'autres, beaucoup d'autres Yainvillais vont disparaître, les armes à la main…


13 novembre 1914, 13h, Alfred Louis Eugène Quérel, 31 ans, meurt à l’hospice d’Agen. Il était soldat au 22e régiment d’Artillerie. Fils de feu Louis Quérel et de Marie Juliette Monguerard, il laisse une veuve : Marie Juliette Vermont.

17 décembre 1914, 7h30 du matin, Alexandre Beyer, 21 ans, meurt sur le champ de bataille de Zuydschoote, en Belgique. Il était le fils de Joseph Beyer et de Marie-Henriette Bruneau.



La vie quotidienne à Yainville ? Durant ces quatre années de guerre, le village semblera vidé de ses hommes. L’instituteur et le garde-champêtre assurent seuls la gestion du village. L’instituteur, c’est Ernest Vimont. « Il avait le cou de travers, se souvient à cent ans Germaine Acron. Et ce handicap lui a sans doute valu de ne pas être mobilisé. » Dans les souvenirs d’enfants, les maîtres d’école de ce temps là sont souvent durs. Très durs. « Monsieur Vimont était violent. » Si bien que Germaine finit par refuser de fréquenter l’école. Il faudra toute la diplomatie de son oncle, le garde-champêtre, pour amener Vimont à plus de clémence. L’instituteur assure aussi les fonctions de secrétaires de mairie. C’est lui qui délivre les cartes d’alimentation, procède à la distribution de saccharine, de savon noir contre la gale. Un jour, il refuse une aide à la maman de Germaine qui ne peut payer le médecin. Motif : elle possède une vache. Cette fois, c’est le Docteur Allard qui vient sermonner Vimont.
Un peu plus bas que la mairie, face à la maison de briques rouges qui fait l’angle avec la sente aux Gendarmes, le refuge accueille toujours les gens de passage. Eustache Délogé les y enferme le soir et les délivre au matin. Ses occupants traversent alors la route pour venir vider leur seau de nuit dans le baril qui sert d’urinoir aux garçons de l’école. Les filles, elles, bénéficient de toilettes à fermeture. Parfois, les gendarmes montés viennent contrôler les occupants du refuge. 

1915

Le 11 février 1915, une circulaire prend le N° N 1999 1/11. On en portera la mention sur les papiers militaires d'Henri. Le 15 février, Millerand, alors ministre de la guerre, adresse cette circulaire aux chefs de corps. Elle concerne de près mon grand-père:
"Suite à des propositions d'origine parlementaire, les pères d'au moins six enfants seront rattachés à la classe 1887 et en suivront le sort, tant au point de vue de l'appel sous les drapeaux que de l'envoi sur le front. La date de retour à leur dépôt des pères de six enfants sera indiquée incessamment."

Marguerite, 16 ans et Thérèse Mainberte, 19 ans, ouvrières impliquées dans l'effort de guerre, en 1915.



WESOLOWSKI Stanislas. Il était seconde classe dans le 2e de marche du 1er Étranger. Né le 23 août 1887 à Loyezzo, Pologne, il fut recruté à Arras. Durant l'offensive d'Artois, on le porta disparu, tué à l'ennemi le 9 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast, Pas-de-Calais. Un jugement déclarant Wesolowski mort pour la France intervint le 5 octobre 1921. Il fut transcrit à Neuville-Saint-Vaast le 2 novembre suivant.



Le 11 mars, Louis Auguste Le François fut remobilisé. Pas Henri, protégé par sa circulaire! C'est le 30 mai suivant que ce camarade de classe d'Emile mourut des suites de maladie à l'infirmerie du fort de Cormeille-en-Parisis. En juillet de premiers permissionnaires purent revenir du front dans leur famille.
On appelle à des souscriptions pour la défense nationale. Naissent les aides aux prisonniers, aux veuves... Le 9 juin, le journal de Rouen nous apprend quelque chose d'insolite. Un paysan de Saint-Paër a abattu une cigogne! En septembre, on parle de cas de rage en Seine-Inférieure. L'an prochain, on réglementera la circulation des chiens.

26 juin 1915, à 1h, Pierre Joseph Lefebvre, 20 ans, meurt sur le champ de bataille d’Aix-Noulette-Souchez. Il était soldat au 119e régiment d’infanterie. Fils de feu Pierre Paul Lefebvre et Marie Léontine Frémont, il était célibataire.
26 septembre 1915, à Thause, Marne, Victor Emile Renard, 36 ans, est tué à l’ennemi. Il était 2e classe au 205e RI.

Lé 23 juillet, Henry-Joseph Leroy fut nommé cantonnier stationnaire sur les chemins de grande communication 30 et 134 avec résidence à Yainville en remplacement de Quérel, décédé.
Le 24 octobre, une taupe de mer est capturée à Duclair. C'est une sorte de marsouin qui mesure un peu plus d'un mètre.
Marguerite et Thérèse, les deux aînées des Mainberte, ont trouvé à s'employer dans une usine d'armement. J'ai ici une photo où elles posent toutes deux en tenue de travail. Elles ont autour du cou leur montre gousset, mode féminine d'alors. J'ai conservé celle de ma mère.

11 Décembre 1915: l'explosion du dépôt de poudre d'Harfleur se ressent jusqu'ici. A Jumièges, trois officiers australiens sont projetés à terre. Le transept de l'église Saint Pierre s'écroule, les restes carolingiens se lézardent, le jardin du potager est éventré.

1916

Le 10 janvier 1916, notre cousin, Alphonse Callais, fut incorporé au 1er groupe cycliste de Noisy.

29 janvier 1916, 3h, Henri Joseph Ernst, 29 ans, tombe au champ de bataille à Chuignes. Il était caporal au 3e régiment du Génie, 3e bataillon, 51e compagnie. Né à Oissel, il vivait à Yainville où il laisse une veuve : Épiphane Chrétien.

En février, le ministère de la guerre prit la décision de prêter des chevaux à nos agriculteurs. On allait constituer dans chaque commune rurale un comité d'action agricole élu par les paysans restés au pays et les femmes chefs d'exploitation. La neige tomba tout le long de ce mois. On allait apprendre bientôt la mort de l'oncle Henri. Mais aussi de son frère…


20 février 1916, Ernest Bruneau, 34 ans, tombe à Douaumont, dans la Meuse. Il était soldat au 3e régiment du Génie. Fils d’Aristide Bruneau et Marie Louise Monchy, il laisse une veuve à Yainville : Marie Valentine Delépine.


28 février 1916, Henri Bruneau, 38 ans, frère du précédent, est porté disparu à Douaumont. On le croit d'abord prisonnier. Il est en fait mort à cette date. Il avait été mobilisé le 4 août 14 au 21e RIT et était passé sapeur-démineur au 3e du Génie basé à Arras le 14 novembre 1915.
Il laisse une veuve à Yainville : Marguerite Mainberte, tenancière du café de l’église.

Henri Ernst, les frères Bruneau, on comptait encore dans les rangs du même régiment Constantin Cuffel. Il s'était installé en novembre 1906 à la forge de la rue Mainberte, à Jumièges. Au recensement de 1910, on le retrouve à Heurteauville. C'est là que parviendra son acte de décès. Lui aussi était sapeur démineur. Il est mort deux mois avant Emile et Ernest, à Fontaine-les-Cappy, dans la Somme. Bref, voilà quatre connaissances tuées dans le même régiment. Cuffel, on retrouvera ce nom à Yainville. Comme bourrelier. Comme coiffeur aussi…
 Fin mars, on réquisitionne le blé dans toute la Seine-Inférieure. La culture de la pomme de terre est encouragée. C'est toujours la vie chère. Le 19 avril, une loi institue des dispensaires d'hygiène sociale et de préservation antituberculeuse. Pour les Mainberte, il est trop tard.


21 avril 1916, Albert Lucien Dorléans, 26 ans, succombe à ses blessures de guerre à Bar-le-Duc, dans la Meuse. L’acte sera retranscrit à Paris. Né à Yainville, il était soldat au 129e RI.

On n'aura pas le droit de chasser, cette année. Seules des opérations de destruction seront autorisées. 
En novembre, le commerce souffre d'une pénurie de transport. La carte de sucre est instaurée en décembre dans le département. Faute de combustible, les machines à battre ne peuvent fonctionner. Le charbon manque...

Chez Mustad

Petit retour en arrière...

En 1881, le marché français s'était fermé aux gros exportateurs norvégiens de clous de cheval. Alors, l'entreprise Ole Mustad, fondée en 1832, vient s'implanter à Duclair. L'agriculture libère une main d'œuvre docile, le train passe ici, il y la Seine, l'Austreberthe... A partir de 1891, Clarin Mustad, un des fils du fondateur, monte l'usine. Le premier clou est fabriqué le 15 novembre 1894. Mustad compte alors 200 employés. Dont une trentaine de scandinaves qui logent au bourg dans des maisons rachetées par l'entreprise. Puis dans une cité dominée par le « château » de Clarin Mustad. Enar Top sera du nombre, un ingénieur qui épousera une sœur de ma grand-mère selon le rite luthérien. Chaque matin, à 4h, le père Lhuillier, d'Anneville, allume la chaudière après avoir traversé la Seine à la rame. Les secrets de fabrication sont jalousement gardés. La concurrence, l'espionnage entre clouteries font rage. Une cloche, deux portes protègent l'entrée des ateliers. Réformées, les machines sont enterrées à l'usine.


Si ses sœurs aînées travaillent au Havre, Marie-Louise, elle, entre chez Mustad, la clouterie norvégienne de Duclair. Elle a 15 ans.

Dès 1914, chez Mustad 32 ouvriers avaient été mobilisés. Et puis l'armée passa des commandes importantes de clous.

En 1915, elle demande des pièces d'obus et des tourneurs furent affectés jour et nuit à cette tâche.

En 1916, Marie-Louise a 15 ans. Elle se lève à 5h30 et part à pied à 6 pour des journées de douze heures.

Le samedi, on n'en fait que huit. Ce jour-là, à 15h, l'usine ferme pour procéder à l'entretien des machines. Quand Marie-Louise arrive chez Mustad, il lui faut montrer patte blanche. Une cloche, deux portes protègent l'entrée des ateliers.


La guerre n'a pas atténué la concurrence entre clouteries. En 1915, n'a-t-on pas fait courir le bruit que la marque Mustad était... Allemande.
1917

A la maison, amaigri, rempli d'une grande lassitude, mon grand-père crache ses poumons. Et il fait froid, très froid. Début février, il ne voit plus passer aucun bateau. Les glaces empêchent toute navigation sur la Seine. Il ne cesse de neiger. A tel point que le conseil de révision est ajourné dans plusieurs cantons. On exhorte la population à épargner le blé, la farine, le pain. Le 19 février, on placarda sur la mairie un appel à en semer partout, du blé !  Andréa Mainberte se souvenait avoir marché sur la Seine étant enfant. Sans doute est-ce à cette époque...
Affiche de 1917


Le 16 avril, on lut aux écoliers de Yainville un message du président Wilson mais aussi le rapport du sénateur Chéron sur les atrocités allemandes. Un discours signé Viviani faisait suite à ce réquisitoire. Chéron! Les enfants ont sûrement pensé au passeur du bac. Le 19 avril, le froid est toujours aussi rigoureux. A tel point qu'une muraille à fenestrages s'effondre à l'abbaye. A Claquevent, le café du Passage semble alors fermé. Un deuil approche. 

La mort d'Emile Mainberte

Vint le mois de mai. De grandes grèves étaient menées un peu partout en France. Nous avions pour président du conseil Alexandre Ribot. Il était sans doute très ému, Athanase Le Roy, le maire de Yainville, quand il prit la plume pour enregistrer le décès de son ancien voisin :

"Le huit mai 1917, huit heures du soir, Mainberte Henri Emile, né à Jumièges, le onze août 1872, fils de feu Mainberte Pierre Charles et de Levreux Louis Augustine, époux de Chéron Julia est décédé à Yainville. Dressé le 10 mai 1917, 7h du matin, sur la déclaration de Chéron Georgette, épouse Lemaréchal Louis Georges, demeurant à Jumièges, cultivatrice, âgée, de 47 ans, belle-sœur du défunt, et de Chéron Julia, veuve du défunt, 44 ans, sans profession, demeurant à Yainville qui, lecture faite, ont signé avec nous Leroy Athanase, maire de la commune d'Yainville."

Voilà. Mon grand-père est mort. A 44 ans! On ne lui mentionne aucune profession. Signe, sans doute, qu'il ne travaille plus. Son épouse non plus. Plus tard, son gendre, qui ne l'a pas connu, dira de lui qu'il fut un "ratacot", autrement dit un tailleur de pierres. Lui qui se présentait constamment comme batelier, lui qui avait commencé par commander une gribane à 20 ans, on ne lui aura connu qu'un seul embarquement.Et un  article de presse pour avoir remonté un noyé.

Bien sûr, son nom ne sera pas gravé sur le monument aux morts. Sa campagne de 14 avait été brève. Sans lien apparent avec son décès. On en était déjà loin. Et pourtant, sans ce conflit, y aurait-il eu deux victimes dans ce foyer? Deux victimes et six orphelins... Et puis les filles aînées ne participaient-elles pas à l'effort de guerre. Deux dans les usines d'armement, une autre à la clouterie. Mon grand-père serait-il décédé dans un hôpital militaire, comme son camarade de classe, qu'il aurait été regardé autrement. Mais non, Emile Mainberte n'est pas mort pour la France. J'ai vaguement entendu dire qu'il y eut une histoire au sujet de sa sépulture. Fut-il enterré à Jumièges dans le caveau familial sur l'insistance de ses sœurs? Aucune tombe ne porte son nom.


Emile Mainberte ne connaîtra pas la révolution de Claquevent. Le 15 mai 1917, la municipalité fut informée d'une enquête menée par M. de Douvres et portant sur la création d'une usine électrique à Yainville. Nos élus pensèrent qu'elle ne pouvait être qu'utile...




14 mai 1917, 6h du soir, Maurice Colignon, 27 ans, soldat de 1re classe au 172e régiment d’infanterie, 10e compagnie, décoré de la Croix de guerre, meurt dans les combats de la région des Bovette, dans l’Aisne. Il était le fils de Marius Colignon et de Victoire Désirée Egret. Il laisse à Yainville une veuve : Juliette Lenoir.


3 juin 1917, Henri Georges Mauger, 31 ans, meurt à l’hôpital militaire de Saint-Mandé des suites d’une maladie contractée en service. Il était sapeur-démineur au 1er régiment de Génie. L’acte fut transcrit à Anfreville-la-Mi-Voie..

En juillet, la reine d'Angleterre passa devant Claquevent, entre une visite à l'abbaye de Jumièges et une autre à Saint-Wandrille. Ce mois-là, Léon Cuffel, écolier d'Yainville, passe avec succès le concours d'entrée à l'école normale.
Le 5 novembre, on lut cette fois aux écoliers yainvillais un hommage à Guynemer, abattu aux commandes de son avion sur le front des Flandres. C'est en décembre que fut rétablie la carte individuelle de pain. 200g par jour. 600 pour les nécessiteux et les travailleurs de force. L'essence est rationnée.

1918

L'année commença par des actions en faveur des prisonniers de guerre. Dans la nuit du samedi 9 au dimanche 10 mars, on avança sa montre d'une heure. Économie d'énergie. Marie Louis est toujours à la tâche chez Mustad. En mai 1918, l'armée commande 4 millions de vis et rondelles. Du coup, on pond une note: "Par dérogation, le repos hebdomadaire ne sera pas exigé. Toutefois, dans le but de sauvegarder la santé du personnel, le fournisseur, en l'occurrence la clouterie, sera tenu d'assurer par roulement un jour de repos par quinzaine à son personnel."

Le 11 juin 1918, à Saint-Maur, dans l’Oise, Louis Raubiet, 35 ans, est tué à l’ennemi. Il était 2e classe au 412e RI. Né à Mauny, il s’était établi à Yainville. J’ignore encore le nom de sa veuve.

Triste mariage, le 3 juillet. Henri Bruneau, journalier, fils de notre oncle Henri, porté disparu, épouse Germaine Beyer. Il est lui-même mobilisé au 129e RI du Havre. Seule sa mère, Marguerite Mainberte, donne le consentement parental. Parmi les témoins, notre cousin Alphonse Callais. Alphonse Callais qui, le 20 juillet 1918, est cité à l'ordre du 1er groupe cycliste. Avec son seul fusil, il a fait face aux mitrailleuses allemandes, permettant ainsi à son groupe d'évacuer une position désespérée. Voilà qui lui vaudra plus tard la Croix de guerre avec étoile de bronze et le grade de caporal. Il sera aussi maire de Jumièges. Sur le chemin des Dames, il avait tué un Allemand. Chaque année, il ira sur le lieu du drame. Ce fut encore le cas quelques jours avant sa mort survenue le 28 mai 1987. Gisèle Vestu l'avait accompagné dans ce dernier voyage. Elle l'accompagna encore dans les préparatifs funèbres.
Retour à Claquevent où débutent les travaux de la centrale électrique. En août 18, les 145 régiments d'infanterie territoriale sont dissous, les hommes rattachés aux régiments d'active et leur réserve. Les hommes ou encore les morts. Car Emile relève alors aux yeux de l'administration du 39e RI, sans ancienne unité. A la rentrée de septembre 1918, Andréa est en âge de faire son entrée à l'école de Yainville. 

Et vint enfin l'Armistice


11 novembre. Les cloches sonnent à toutes volées. Quarante-deux Jumiègeois, treize Yainvillais et sept Mesnillais ne les entendront jamais plus. Sans compter ceux dont le nom ne sera pas gravé dans la pierre. Juliette Mainberte entend ces campanes de joie. Mais pour elle, la guerre est déjà finie. Depuis la mort de son mari...
Avec l'Armistice, en novembre, Marie-Louise vit les travaux d'édification de la cheminée reprendre chez Mustad qui la voulait la plus haute de toute la région. Plus haute que celle de Badin, à Barentin. Elle n'entrera jamais en service. Car à Yainville, tout près du village de Claquevent, les travaux de construction de la centrale électrique ont débuté. La Société havraise d'énergie électrique a en effet racheté voici un an la carrière. Des blocs, extraits de la falaise, servent à édifier la façade.

1919, première année de paix

Oui, première année de paix. Mais année très agitée. Des grèves à répétition. On proteste contre la vie chère. Des souscriptions sont lancées pour ériger des monuments aux morts. Et toujours la rage, les battues contre les chiens errants...
Le 26 juin, et c'est là l'une des plaisanteries morbides de la guerre, le 39e régiment d'infanterie rattacha mon grand-père au 1er échelon de démobilisation. Et pour cause. Il est mort depuis bientôt deux ans. 
Juillet: on incite à récolter les fleurs de tilleul. Le 28 juillet, à 10h du matin, Marguerite Mainberte épousa Arthur Guillaumet , électricien, originaire de l'Orne et établi à Yainville. Thérèse Mainberte, épouse Bruneau, Pierre Chéron, alors comptable à Jumièges, sa sœur Marie, couturière à Saint-Martin, l'instituteur Vimont sont parmi les témoins. 
En août, les 39e et 74e RI, d'autres régiments encore, retrouvent la Seine-Inférieure. Juliette pense sûrement à son homme. Mais, comme lui, ses poumons sont en rage.

Juliette Mainberte à son tour...

Les travaux de la centrale électrique, dirigée par Henri Laboureur, son premier directeur, sont bien avancés quand, en septembre 1919, Juliette Mainberte meurt à son tour. J'ai longtemps pensé qu'elle avait été contaminée par la maladie pulmonaire de son mari. Plus tard, ses deux petites-filles, Solange et Raymonde, auront une autre version. Alors qu'il cueillait du "manger à lapin", elle se serait occasionnée une blessure à la jambe parmi les ronces. Mal soignée, sa plaie s'infecta, la gangraine apparut. Et elle mourut.
Quoi qu'il en soit, elle a 47 ans et laisse six orphelins. Athanase Le Roy prend encore la plume : "Le trente septembre mil neuf cent dix neuf à midi sur la déclaration de Guillaumet Arthur, vingt cinq ans, électricien à Yainville, gendre de la défunte, en présence de Chéron Pierre, quarante cinq ans, comptable à Jumièges et de Chéron Gustave, quarante trois ans, manœuvre à Yainville qui, lecture faite, ont signé avec nous Leroy Athanase, maire d'Yainville."
Le lendemain, 1er octobre, toujours l'ironie du sort, l'Armée considéra feu Emile Mainberte comme libéré définitivement de ses obligations militaires. La mention "campagne du 6 septembre 1914 au 4 octobre 1914" fut portée sur son dossier. Ma grand-mère fut enterrée dans une tombe sommaire, sur le flanc sud de l'église de Yainville. Une simple croix en fonte. Son nom en relief sur un cœur.

 Novembre: les législatives sont remportées par les Républicains. C'est la chambre bleu horizon. Durant l'hiver de 1919, Marie-Louise prit encore la route pour Mustad. Avec son bidon de café. Qui gela comme la Seine... Quant à Andréa, encore à l'école d'Yainville, elle se voit allouer en décembre une paire de galoches comme tous les indigents. Elle a pour amie la fille du passeur du bac, Renée Lévesque, son aînée de quelques mois. Quand Renée fera sa communion à Yainville, le 24 mai 1922, elle offrira une petite image pieuse à Andréa qui, elle recevra l'hostie à Boscherville...

Les orphelins quittent Claquevent

Il fut un moment question de placer les plus jeunes enfants Mainberte à l'assistance publique. Pierre Chéron, l'oncle comptable, tuteur d'Andréa, s'y opposa fermement. Pierre habitait Heurteauville dans une maison faisant face à l'usine Havraise.

Thérèse, l'aînée a 23 ans. Elle est mariée à Jules Bruneau, garçon boulanger puis peintre en bâtiment. Le couple n'est pas intéressé par la reprise du café. Une tante, Marie Chéron, est alors couturière à Saint-Martin-de-Boscherville. Elle viendra avec sa fille, Hjoerdis, reprendre l'estaminet. Il aurait été vendu 400 F fin 1919.

En 1920,
les Mainberte quittent Yainville pour Boscherville. Là-bas, il y a trois sœurs de leur défunte mère : Delphine Chéron, épouse Poulard, qui tiennent une graineterie avec leur fils Max, âgé de 16 ans, Suzanne Chéron, épouse de Raoul Chandelier, Marie Chéron, couturière et mère célibataire d'un enfant conçu en Norvège...

Marie Chéron va venir s'établir à Yainville à la place des Mainberte. Marie-Louise sera la seule de la fratrie à rester sur place.


 Les Mainberte à Boscherville