Par Laurent Quevilly-Mainberte

Né en 1915, mon cousin, Louis Acron, garda en mémoire le Yainville de son enfance. Ses souvenirs sont un précieux témoignage sur la vie d'un village normand dans les années 20

Ce cheval qui passe au grand galop ? C'est Monsieur Neveu, l'hôtelier de Jumièges, qui s'en va en charrette porter le courrier à la gare. Comme tous les soirs. La paix est revenue. Bruissant de volatiles, moutons, vaches, chevaux, le Yainville des années 20 se voit gagné par le progrès. Car la fée électricité a touché ce lieu de sa baguette. Depuis deux ans, une centrale fonctionne sur le site de l’ancienne carrière de pierres. Plus loin, on construit les chantiers du Trait. Alors des attelages de bœufs traversent Yainville, chargés d’arbres abattus en forêt par des prisonniers allemands surveillés de près par des militaires belges. Et puis, sur la route de Duclair, il y a Pont-à-Mousson, gros propriétaire foncier et pourvoyeur d'emplois…



La guerre est encore dans tous les esprits. Avant qu'elle n'éclate, Alphonse Louis Acron, le père, a d’abord été matelot en compagnie de mon grand-père, Henri Mainberte. Il avait alors 16 ans. C'est un garçon aux cheveux roux, une cicatrice à la joue gauche. A bord d’une gribane, ces deux cousins convoyaient les pierres des carrières d'Yainville pour l'endiguement de la Seine. En 1893, ils se font pincer pour avoir emprunté des cordages à Émile Silvestre, l'homme fort du pays. Alphonse, sur qui circulent les meilleurs renseignements, s'en tirera avec du sursis. De 95 à 98, il est canonnier au 3e bataillon d'artillerie à pied.
Marié en 1903 à une fille Délogé, Alphonse Acron tiendra une ferme près de celle d'Auguste Fessard, face au terrain communal où se tient aujourd'hui le feu de la Saint-Jean à Yainville. Puis voilà Alphonse premier charretier au château du Taillis. Et c'est là, que ses enfants vont venir goûter chaque jeudi. 

Le hameau abandonné…

Ce corps de ferme avait été propriété  de l'entreprise Pont-à-Mousson. Athanase Leroy, maire de Yainville, y habita avant la famille Acron qui s'y installe en 1920. En 1935, c'est le logement d'Henri Bidaux. EDF acheta le tout avec le projet d'y établir un parc à charbon. Une famille de deux enfants dont le père travaillait à la centrale succéda aux Bidaux. Puis vinrent les Bacon. Et tout fut abandonné dans les années 50 Dans les années 60, j'ai bien connu ce hameau abandonné. Nous allions y jouer parfois. C'était notre village fantôme. Vers 70, un marginal avait établi domicile dans la bergerie: Bijou. On a rasé les maisons dans les années 80.


Louise Acron en 1913. Germaine Acron et sa cousine Hélène Mainberte

En 14, Alphonse Louis est mobilisé. A son retour, en 1919, la famille quitta le cœur du village pour s'installer au bord de la Seine, dans un hameau à part, non loin du village de Claquevent. Près de là sont le Grand et le Petit-Marais. C’est d’ici que part un chemin qui longe la Seine pour rejoindre Jumièges. La maison des Acron est adossée à une falaise. Là haut est la demeure de Sacha Guitry.  Mais le maître de l’esprit français n’est plus là. Son dernier séjour date de 1916. Dans ces années 20, Louis Acron père est devenu producteur de fruits. Sa femme est née Marie Delogé. Elle est la sœur du garde champêtre de Yainville, Eustache Delogé. Le couple a quatre enfants : Louise, Germaine, Emma et Louis. L'aînée est apprentie couturière chez Menoucoulin, à Duclair. Une figure de la place du Marché, Alphonse Menoucoulin. Né a Yvetot en 1862, il tient un estaminet en compagnie de son épouse Clarisse. Une Jumiégeoise, Charlotte Buquet, est domestique dans cette maison.
En 1921, une autre Yainvillaise, Madeleine Lefebvre, est aussi couturière à Duclair. Elle est salariée par Adélaïde Petit, née en 1857. Rue des Moulins, cette vieille fille est entourée de ses nièces, les sœurs Bataille, venues de Tancarville. L'une est aussi couturière, l'autre est employée des chantiers du Trait.

Oui, la guerre est encore dans tous les esprits. Treize Yainvillais y ont laissé leur peau. La commune inaugure d’abord la décennie en honorant ses morts pour la France. Une souscription populaire complétée par les fonds de la commune financera l’érection d’un monument. L’emplacement choisi : une porte jugée inutile accédant à l’église. On retient le devis de M. Ringot, artiste en monument établi au Trait. Si bien que le conseil réceptionne les travaux le 12 juin 1921. Une condition : un petit incident étant intervenu au cours du chantier, on demande à ce que le pilier tombé et la chaîne soient réparés. La stèle est en tout cas là. Chaque 11-Novembre, les écoliers y chanteront la Marseillaise.
28 juillet 1921. Le feu prend le matin dans la forêt du Trait. Il est provoqué par une étincelle de la locomotive du train Caudebec-Barentin.  L'incendie se déclare entre Duclair et Yainville et se propage rapidement à la forêt. A 13h, la maison de Mustad est menacée, on en déménage le mobilier à la hâte. A 13h30, vives inquiétudes mais les pompiers sont parvenir à enrayer le sinistre, aidés des cloutiers, des habitants et des notables. La trèflerie et les ateliers ne seront pas menacés. A 18h30, le feu brûle encore au sommet de la forêt mais il est contenu. Dans l'après-midi, au plus chaud des événements, un détachement de 40 hommes du génie vint de Rouen, en camion auto. MM. le colonel Potez, commandant le 3e génie, le commandant Ferber, major de la garnison et le capitaine de gendarmerie Mertz participèrent ainsi  aux secours. A Rouen le bruit courait que Duclair et Le Trait étaient menacées. Seul le hameau des Monts fut un moment en danger par le feu que poussait un vent puissant.

Cette année 1921, la population est de 273 habitants. Marie Léchelle, l'épouse d'Hippolyte Landin, y contribue et reçoit une médaille pour ses huit enfants. Athanase Leroy, l’arboriculteur des Fontaines, achève son mandat de maire. Athanase doit son Mérite agricole à Sacha Guitry. C'est du moins ce dernier qui le prétendait. Et il n'hésitait pas à travestir la réalité pour produire un effet voire un simple bon mot. Le maire de Yainville reste entouré d'une belle brochette de gros cultivateurs : Émile Carpentier, Aristide Cuffel, Auguste Fessard, Paul Fidelin, l'ancien métayer de Guitry, Hippolyte Fleury et Albert Prévost. Mais on compte aussi Arthur Bénard, camionneur, Léon Lévesque, passeur du bac et Georges Riaux, de la centrale.
A la gare, qui compte quatre salariés, Joseph Ferré arrête de son drapeau rouge deux trains de voyageurs le matin, deux autres le soir. Leurs usagers protestent régulièrement contre la fantaisie des horaires. Et puis en 1922, voilà le premier service de car entre Le Trait et Rouen. Gare à la gare…


La saison des fruits

Quand venait la saison des fruits, les hommes procédaient à la cueillette et les femmes allaient livrer la production au marché de Duclair. A ce moment de l'année, il se tenait exceptionnellement le lundi, le mardi et le vendredi après-midi, sur les quais, face à l'hôtel Denise.

Les Acron devaient être les seuls à exploiter à Yainville une cour à fruits. Alors, il se retrouvaient là en compagnie des gens d'Heurteauville, de Jumièges et du Mesnil. Les bannettes de fruit contenaient 7 kg. On fabriquait ces paniers l'hiver avec l'osier récolté dans les fonds de la presqu'île.
L'entreprise Bardel, de Boscherville, emploie quelques Espagnols d'Estables et qui demeurent à Yainville avec femme et enfants : les frères Martin et Léon Algar, Anisetto et Blas Carasco, Thomas Moreno. Un autre Espagnol, Vincent Arbona, de Parcent, province d'Alicante, est employé aux travaux agricoles. Il loge chez ma grand-tante, Marguerite Mainberte, veuve Bruneau, qui tient toujours le café de l'Eglise. On compte aussi une famille Villars. La communauté espagnole ne passe donc pas inaperçue dans ce petit village. Elle compte plus d'une vingtaine de personnes...

Mme Riou venait du Havre pour acheter les fruits et ses fils conduisaient un camion. Louis profitait du véhicule pour pousser jusqu'à Tancarville. Là, on s'arrêtait au café de la côte de Norville. Et pour payer les consommations, on donnait des lapins de garenne amenés en barque au marché de Duclair par un gars Chatel, du Mesnil. "Trois ou quatre fois par saison, j'allais aussi porter avec ma mère les pois et les haricots à Rouen."


Les ambulants


La maison au pied de la falaise, juste au-dessous du manoir, était très isolée, raconte Louis. Il ne passait pas de randonneurs, à cette époque. Seuls, les douaniers circulaient régulièrement. L’hiver, ils s’arrêtaient pour prendre un café et se réchauffer. Une boulangère de Duclair, Madame Béchin puis Madame Constantin, ou l'inverse, venait quelque fois apporter le pain en calèche. Quand elle n’avait pas le temps de venir jusqu'à chez nous, elle le déposait sur les marches de l’Hôtel Carré. C’est à cet endroit aussi que le facteur laissait le courrier. » Cet établissement n'a d'hôtel que le nom. On y loue en fait des appartements aux ouvriers.
Il y a aussi les tournées équestres de Monsieur Lorgnier, le boucher-charcutier de Jumièges. Et puis c'est à Yainville qu'a ses quartiers Eugène Hareng, marchand forain.
Les gendarmes de Duclair patrouillent encore à cheval. Bientôt, ce sera à vélo. On les appellera les hirondelles. Le docteur Allard nous vient toujours de Duclair. Marie Cauchois sillonne la commune pour proposer surtout des vêtements d'enfant.
"Aj'tez pas les moules au père Froville, y pisse dessus!.."
Chaque semaine, Auguste Froville va chercher ses moules au train du Trait. Chaque semaine, les gamins de Yainville lui courent après en le moquant. "Aj'tez pas les moules au père Froville..." Il a beau les menacer de son fouet : "Y pisse dessus !..."

Querelle de voisinage

En bas de la côté Béchère est la ferme Bénard. C'est aussi un ancien relais de chevaux. Quand la messagerie de Rouen au Havre arrivait à cet endroit, le postillon empruntait des renforts pour son attelage. Avec son banneau, Bénard entretient les routes de la commune. Chaque jour, il s'en va chercher des pierres à la carrière de Claquevent. Il est recensé comme camionneur.



Au croisement de la route qui mène au bourg de Yainville, poussons la porte du café Reniéville. C'est là qu'à la Saint-Jean on danse autour d'un feu alimenté de "bourrées". Ainsi appelle-t-on les fagots par chez nous. Une fois, tard dans la nuit, alors qu'il ne reste pas une demi-douzaine de danseurs, les bourrées viennent à manquer. Alors, on va frapper chez Reniéville. Et cette démarche nocturne a bien failli se terminer au tribunal.
Reniéville ne passe pas pour quelqu'un de facile. Tenez, sa cour est mitoyenne avec la ferme Bénard. Si jamais une poule du voisin vient à franchir la limite, il la tue ! Du coup, Bénard en fait autant. "Si bien qu'il n'y eût plus de poule Bénard et plus de poule Reniéville", constatera le juge de paix du canton de Duclair.
Plus loin, sur la route de Duclair, voilà le café Têtelin. Plus loin encore la maison brûlée...




Mais revenons aux bords de Seine. Chez les Acron, Marie entretient une vache pour les besoins de la famille. Sinon, il faut aller chercher le lait chez Thiollent, Carpentier, Vauquelin, sur la route de la forêt, la route des cerfs...
Au dessus de la tête des Acron, le nouveau propriétaire du manoir est un certain Lazare Bloch…


L'ombre de Marthe Hanau
Marthe Haneau
Lazare Bloch ? Ce grand blond fade aux joues roses a épousé, en 1908, une certaine Marthe Hanau…qui n’est pas encore la célèbre banquière incarnée à l’écran par Romy Schneider. Marthe est née à Paris de commerçants juifs tenant à Clichy un magasin de layettes. Lui est l’héritier d’une fabrique de jute à Lille. Mais Bloch est un margoulin qui se prend pour le Napoléon des affaires.Il commence par dilapider la dot de sa femme au jeu. 3000 francs.

Dès 1911, son entreprise est mise en liquidation. Revenu à Paris, Bloch est un temps représentant des filatures Villard-Castelbond. Marthe, elle, s’essaye à la fabrication de parfums que Lazare place chez les coiffeurs. La guerre éclate. Le couple va en tirer profit. Il vend à l’armée le fameux « réchaud du soldat » fonctionnant avec de l’alcool solidifié, mais aussi des mélanges de café et de rhum. Tromperie sur la marchandise. En 1917, Bloch écope de 15 jours de prison. Le ménage se rabat alors sur la parfumerie. Avec succès. Les ouvrières des usines d’armement en demandent.

La paix est pour nos parfumeurs synonyme de récession. En 1920, Marthe Hanau demande le divorce. Bloch est pour une grande part responsable de leurs échecs. Mais la vraie raison n’est pas là. Elle lui découvre une maîtresse. Et même un enfant. Marthe abandonne son mari à sa rivale. Elle sera même la marraine de leur fils. Oui, elle divorce, goûte aux amours saphiques, mais ne se sépare pas totalement pas de son ancien époux. Car ils vont réaliser ensemble l’une des plus belles escroqueries de l’entre-deux guerres…



La demoiselle du château

Voilà donc le personnage qui succède à Guitry aux Zoaques. Marthe Hanau, familière de Deauville, eut sûrement ses entrées au manoir d'Yainville. Sa décoration fut confiée à Bloch-Levallois. Grande famille israélite! Le Paris du XIXe lui doit beaucoup et elle est à l’origine de la ville de Levallois-Perret. Ce sont aussi de grands collectionneurs d’œuvres d’art. Louis Acron se souvient : « Le château était habité par une Parisienne : Mademoiselle Bloch-Levallois. Elle vivait tantôt à Paris, tantôt à Yainville… »

Alors, qui est cette Mademoiselle Bloch-Levallois dont nous parle Louis ? Qui ? La fille du décorateur ? La maîtresse de Lazare Bloch ? Toujours est-il que ses venues à Yainville ne passent pas inaperçues. « Elle avait régulièrement des procès pour excès de vitesse quand elle traversait Duclair. La très jolie voiture avait des roues avec des rayons en bois. » Un couple est attaché à son service : la dame est femme de chambre mais aussi cuisinière. Son mari est chauffeur et homme à tout faire. Un couple de jardiniers réside aussi à l’année pour entretenir la propriété. « Cette demoiselle était très généreuse. A la saison des bigarreaux, il y avait beaucoup d’enfants volontaires pour lui en porter car elle donnait quelques sous. » A l’église, c’est elle qui offre le « pain bénit des demoiselles ».

 
Étonnante, cette présence à l’église d’une femme de confession israélite. Mais Louis la revoit encore : « Celui qui lui portait sa main de pain bénit recevait une enveloppe avec de l’argent. Elle répondait généreusement aux sollicitations communale
s ou autres… »


A l'école de Yainville

 C’est en 1921 que Louis Acron est entré à l’école de Yainville. La scolarité était alors obligatoire de 6 à 13 ans. Un nouveau maître vient de succéder à Monsieur Vimont. Léon Sanson, secondé par sa femme Germaine, règne sur une classe unique déjà située à l’emplacement de l’actuelle école. « L’instituteur, Monsieur Sanson, avait été gazé pendant la première guerre mondiale. Quand il avait trop de mal à respirer, sa femme lui apportait son fauteuil. Mais il n’était jamais absent. Il n’admettait pas les absences des élèves. Si l’un d’eux ne se présentait pas, il partait à bicyclette, à la récréation, pour connaître le motif de l’absence. S’il le trouvait en train de jouer, il le ramenait avec lui. La bicyclette restait toujours prête au pied de la barrière. « Ce maître était très exigeant sur la politesse. Il questionnait les habitants pour savoir si tel ou tel enfant disait bonjour et enlevait bien sa coiffure.

"Quand Monsieur Sanson devait s’absenter quelques instants, il appelait sa femme pour surveiller les enfants. A son retour, celle-ci dénonçait toutes les petites « bêtises ». Aussi, les enfants ne l’appréciaient pas trop. »

Louis et son copain Lionel ont trouvé un moyen de se venger. Chargés de ramasser les œufs pondus sur des bourrées difficiles à atteindre, il en cassaient un de temps à autre et avertissaient aussitôt Madame Sanson : « Madame ! Madame ! Les rats ont encore mangé un œuf ! » L’instituteur se faisait alors réprimander par l’épouse : « Léonce ! Il y a encore un rat.

Occupe-toi de le détruire ! » 
Les deux compères avaient fait chacun le serment de ne jamais révéler ce méfait. Même s’ils venaient à se fâcher. Promesse tenue : Madame et Monsieur Sanson n’en ont jamais rien su.

L’instituteur utilisait aussi une sanction utile. « L’élève puni, raconte Louis, devait promener un aimant dans la cour pendant toute la récréation pour ramasser les clous à galoches, très nombreux à cette époque. Sinon, ce maître ne battait pas les élèves. Il avait une baguette… » En mai 1922, Émile Carpentier est élu maire avec Fessard pour adjoint.


6 avril 1922 (?), 3h du matin. Le Bedford mouille devant Yainville. Quand il est percuté par le capteur norvégien Anna. Procès. Des témoins affirmeront que le Bedford était tous feux éteints. L’enquête dira le contraire.
Marceau Edde vivait derrière chez Marie Chéron. Louis se souvient aussi que, vers 1923, l’hiver, Marceau amenait en brouette à l’école un pauvre garçon sans pieds : Armand Delamarre. C’était un « burotin », autrement dit un enfant de l’assistance. Natif de Boos, âgé d'une dizaine d'années, il était en pension chez Victoire Colignon. On l’allongeait parfois au bord de la côte de Jumièges. Quand venaient à passer des touristes anglais, l’infirme montrait ses jambes. Il en recueillait quelques pièces. Et s’achetait ainsi des « bôbons »...


 Mai 1922 : Émile Carpentier est maire pour trois ans.


A quoi jouent les enfants...


Dans les souvenirs d’enfance, les hivers sont toujours froids. Très froids. Les marais gelaient souvent. Louis se rappelle des parties de « bargeole », une espèce de luge en bois.

Le dimanche, lorsque vous aviez dans les 10 à 14 ans, vous-vous retrouviez près du café de l'église pour jouer à la plaque. "Sur le cochonnet en bois ou liège, la butte, on mettait la mise de chaque joueur. Des sous qu'il faisait faire tomber en lançant une plaque en plomb. On gagnait les pièces  tombées près de la plaque. Les autres sous retournaient sur la butte" 

Les filles, elles, jouaient plutôt à la marelle... 

L'âge venant, le dimanche après-midi se passait plutôt chez Mme Grosteflan, à l'hôtel des Ruines de Jumièges. Là, dans une salle à part, vous glissiez une pièce de cinq sous dans un appareil à musique. Et l'on dansait...

La paille de vent

Émile Carpentier, le nouveau maire, tient la ferme de l’église. "Va me chercher la bouteille aux araignées!" Le petit Louis sait qu'il est temps d'aller chercher le calva. C'est que les ouvriers ont avalé beaucoup de poussiers. Sous le soleil d'août, on a battu le grain à la machine. A l'arrière, les enfants ont ramassé la "paille de vent". C'est l'écorce du blé qui, mélangée à des betteraves, servira à nourrir les bêtes cet hiver. Pour l'heure, on fait la java chez Carpentier. 

LE JOURNAL DU TRAIT
N° du 31 janvier 1924

Le 21 courant, alors qu'elle s'apprêtait à aller rentrer ses deux chèvres qui se trouvaient au piquet dans une prairie en bordure de la forêt du Trait, Mme Billion, habitant la commune de Yainville, constata que l'une d'elles, âgée de 4 ans, avait disparu. La corde avait été coupée, il ne restait plus que le tiers.

Les soupçons, bien fondés comme on va le voir par la suite, se portèrent sur un individu, ouvrier d'usine, qui avait été aperçu par elle et plusieurs de ses voisins, rôdant où plutôt divaguant en état d'ivresse aux alentours de sa maison. Vers 15 h, cet homme s'était présenté chez M. Reniéville, débitant, pour arroser de nouveau son gosier en pente, mais il avait essuyé un refus.

Comme il était trop tard pour avertir la gendarmerie, Mme Billion attendit, quand – oh surprise ! – vers 21 h, la chèvre fit son apparition... dans un état déplorable, couverte de boue jusqu'au dos, elle avait dû être violemment brutalisée, car elle était très effarouchée. De plus, après l'avoir examinée de plus près avec son mari, Mme Billion remarqua que la pauvre bête avait dû être l'objet de manœuvres infectes de la part de l'individu qui l'aurait emmenée.

Mme Billion porta plainte à la gendarmerie de Duclair qui ouvrit aussitôt une enquête et un vétérinaire fut demandé; il reconnut les faits sus-énoncés.  Habilement menée, l'enquête ne tarda pas à faire découvrir l'auteur de cette bestialité dont nous voulons même taire le nom, de Barentin ouvrier aux Ateliers et Chantiers de la Seine Maritime, au Trait.

Tout d'abord, lorsque les gendarmes l'interrogèrent, il nia énergiquement, mais, pressé de questions, bien cuisiné, il passa des aveux : « Je vois que je ne puis me tirer de cette affaire, car j'ai été vu par trop de personnes. C'est bien moi qui suis allé vers la chèvre. Je ne savais ce que je faisais, j'étais pris de boisson, j'étais comme un fou... » Il a offert de payer le préjudice qui pourrait être causé par la suite à Mme Billion
Voilà ce qui parut dans le Journal du Trait. A Yainville, on lit plutôt le Journal de Duclair. Mais c'est le même "groupe de presse". Quant au Journal de Rouen, il est assez avare en nouvelles du canton...

C'est la fête !


Une fois par an, un chapiteau vient se planter à Yainville. Le cinéma ambulant! Les villageois se pressent. Le noir s'installe. "Ahhhh! Ohhhhhh!" Déception. Quelques minutes à peine après le début de la projection, le saltimbanque rallume avec un air désolé: Excusez-nous. Nous sommes obligés d'arrêter à cause d'une panne. Nous reprendrons la projection demain." Et le lendemain matin, le campement avait disparu. "Ainsi que quelques lapins dans les clapiers voisins..."
Il passait aussi parfois quelque cirque du même acabit.

Le dimanche 24 décembre 1922, Carpentier ouvrit sa ferme pour un concert organisé par la caisse de secours de l'association des anciens combattants de Jumièges-Yainville et environs. Pierre Chéron, mon grand-oncle, en était le secrétaire. On dressa une grande tente qui fut archi-comble. Il y avait là un sapin aux branches desquelles pendaient des jouets. Des lots de la tombola étaient également exposés.Ce fut le club artistique du Trait qui anima la soirée.

Quand venait la Sainte-Madeleine, la fête du village n'avait plus lieu sur la place de l’église, en ces années 20. Louis l’a d'abord connue près du café Têtelin, sur le chemin de la gare. "A la retraite aux flambeaux, on partait du café. Chacun portait son falot et les grands avaient des pétards." Forcément, il s'en trouvait toujours un pour balancer un engin explosif par la fenêtre ouverte de la chambre à Reniéville. Qui, bien entendu, déposait une nouvelle plainte auprès des gendarmes de Duclair.

Mars 1923 : le vapeur PLM5 allant de Barry à Rouen s'échoue sur le banc d'Yainville. Il se renfloue après allègement de 800 tonnes et sans avarie. En août un nouveau pigeon voyageur élit domicile au pigeonnier de M. Waquez. Sa bague porte la mention de Rouen. Le 18 novembre, l'association des anciens combattants de Yainville-Jumièges, dont le secrétaire est mon grand-oncle Pierre Chéron, inaugure le monument du Mesnil, béni par l'abbé Thillard, d'Yville et le concours de la fanfare des chantiers du Trait.

Monsieur Sanson, le maître d'école, fut l'un des premiers Yainvillais à posséder  une automobile. "Une 4CV !" se souvenait Louis. Mais sans doute pensait-il à un autre modèle que la fameuse "4 pattes" lancée par Renault en 46.
En juillet 1923, M. Samson eut le bonheur de voir l'un de ses élèves, Louis Reniéville, passer avec succès le concours d'entrée à l'école normale.
Le 22 du même mois, la Sainte-Madeleine eut lieu au café Beyer. 15h: course cycliste, 16h: jeux divers, 17h: mât de cocagne, 18h grand bal public. M. Beyer tenait à disposition toutes boissons et collations champêtres. La veille, samedi 21 juillet, eut lieu une retraite aux flambeaux. organisée par M. Tételin, du café de la Gare, avec le concours des tambours et clairons du Trait. Après quoi eut lieu un bal. Durant ces deux jours, on invita les habitants à pavoiser leur maison.

Puis la fête se déplaça au café du Passage, chez Marie Chéron avant de revenir plus tard au bourg.  On y trouvait toujours le mât de cocagne d’où pendaient les saucissons, les biscuits et autres lots. Pour compliquer l’ascension, on enduisait le bas du mât de savon mou. C’était aussi la course en sac, la course aux grenouilles dont l’enjeu consistait à ramener des batraciens vivants dans une brouette.

Les gens se retrouvent aussi pour les communions. On mange surtout de la volaille ce jour-là. L'hiver, on tue le cochon qui sera conservé dans des pot en grès. On ira aussi pêcher le brochet dans les fossés courants qui dévalent vers la Seine.

En face de la mairie, il y a toujours le baraquement où les vagabonds de passage peuvent passer la nuit sur la paille. Il leur suffit de demander la clef.

Voici trois ans, il avait épousé une fille Glatigny, de Jumièges avec qui il demeurait à Rouen. Douville travaillait à la société Lorraine, de Saint-Etienne-du-Rouvray. Et puis en 1923, il est accusé de vol, rue du Gros-Horloge. Durant ses huit mois de prison, sa femme demande le divorce. Libéré, il veut reprendre la vie commune. Mais, une nouvelle fois éconduit, il décide d'en finir. Alerté par Beyer, le docteur Allard le fit transporter à l'Hôtel-Dieu.

Un dimanche d'avril 1924, une détonation retentit aux Genêts. Beyer s'y précipite et trouve René Douville, blessé. Il vient de se tirer une balle de revolver à la poitrine. Douville, marié il y a trois ans avec Mlle Glatigny, de Jumièges habitait Rouen et travaillait à la Société Lorraine, de Saint-Etienne-du-Rouvray. En 1923, il fut accusé de vol rue Grosse-Horloge et condamné à huit mois de prison. Pendant sa détention, sa femme obtint le divorce et, malgré cela, Douville, à sa libération, tenta de reprendre la vie commune.
Toujours éconduit, sur un nouveau refus de son épouse, il se déclara décidé. à en finir avec l'existence. Beyer, qui habite dans le voisinage, fut demandé aussitôt et décida d'appeler le docteur Allard, de Duclair, qui, en constatant une blessure légère, a ordonné le transport de Douville à l'Hôtel-Dieu de Rouen


Le  20 juillet 1924 eut encore lieu la Sainte-Madeleine. Une course cycliste fut organisée par  Guérin, le marchand de vélo du Trait à 17h et ouverte aux seuls coureurs de Jumièges, Yainville et du Trait.. Elle suivait celle de la commune lancée à 16h. Il y avait toujours mât de cocagne, course pédestre communale, jeux divers, bal...

Le curé et ses ouailles

C’est l’abbé Groult qui officiait à l’église. Flanqué de ses deux chantres: Quesne et Carpentier, oui, Émile Carpentier, le maire de  Yainville!

Quand Carpentier alla habiter Jumièges, il nous vint à la messe du dimanche avec l'abbé. Sitôt l'office terminé, les deux choristes du Bon Dieu se précipitaient au café de l'église pour taper le domino. Le curé attendait. Attendait. Ses paroissiens de Jumièges aussi. "Encore une petite! juraient les joueurs. C'est la dernière!" L'abbé Grout finissait par repartir seul. Carpentier regagnait plus tard Jumièges à pied...

Appuyé sur sa canne, le curé rendait régulièrement visite à ses ouailles. Non sans s'attarder auprès des bouilleurs de cru qui, plus que tout autre, avait sûrement besoin de salut. Si bien que Grout ne pouvait regagner Jumièges pédestrement. Alors, il se trouvait toujours un volontaire pour le ramener en voiture. Et le déposer très vite au presbytère. Sinon, la mère Bourdon, la bonne du curé, s'en prenait au dévoué conducteur. 

L'égliseLe curé, on le voyait encore venir à la maison quand vous aviez un mort à enterrer. Quesne et Carpentier l'encadraient. Un jeune garçon portait aussi le crucifix.  Un matin d'hiver, les voilà du côté de Claquevent. à attendre le corbillard qui ne vient pas. La neige, le verglas retardent les chevaux. Alors, les deux chantres et le porteur de croix trompent l'attente au café du Passage, chez Marie Chéron. C'est qu'il fait froid. Très froid. Si bien que lorsque l'attelage arrive enfin dans l'après-midi, la pompe funèbre est bien réchauffée. Impossible de partir en procession jusqu'à l'église. On a perdu la croix. "Mais on sait pas où qu'elle est. Mais on sait pas où qu'elle est" répètent inlassablement les trois hommes au curé.  Des investigations finirent par se révéler fructueuses. On retrouva l'objet du culte enfoui sous la neige, au pied de la haie. Le défunt put enfin gagner le Paradis. Du moins l'église Saint-André.


Le monument aux morts vient d'être érigé. L'église est toujours en mauvais état. Des étais soutiennent la tour qui se lézarde...

Le sonneur de cloches, c'est le père Baptiste. Il habite la maison de briques rouges qui sera plus tard l'épicerie Bidaux. 

Jumièges, voilà l'ennemi !

Depuis peu, les enfants de Yainville ne se rendent plus au catéchisme au Trait. Mais à Jumièges. La première fois qu’il fit le voyage, Louis Acron n’a jamais pu trouver la porte. Acte manqué.

Ah! Jumièges. Ses habitants passent pour les plus superstitieux du monde. Tenez, sur la route qui mène à l'abbaye, si jamais votre cheval s'arrête tout-à-trac, "c'est qu'on lui a jeté un sort !.."

Entre Yainvillais et Jumiégeois, autant le dire, on ne s'aime pas. Ne leur demandez pas pourquoi. C'est comme ça. Si jamais vous allez à la fête de la Saint-Pierre, là haut, ne restez surtout pas traîner, ne rentrez jamais seul à Yainville. Alphonse Acron raconte un jour cette histoire à son fils: "J'avais 20 ans. Raoul Bruneau a été pris par les gars de Jumièges sur les communaux. Ils voulaient le pendre! Je lui ai porté secours..." Une légende viendra jusqu'aux oreilles des enfants des années 1950: celle de terribles bagarres en forêt.

Quand venait le mois de marie, on partait le matin en procession pour la chapelle Notre-Dame-Mère-de-Dieu dans la forêt. Là, on retrouvait les Jumiégeois. Mais chacun son groupe. Comme le voulait la tradition, le curé partageait la brioche et buvait un petit coup avec chacune des familles assises au pied des arbres. Si bien qu’au retour, le saint homme ne traversait plus la forêt. Mais  les vignes du Seigneur...


Le garde-champêtre était sâ !


Voilà le jour de l'an! Eustache Delogé part en tournée. Armé de son tambour, il va présenter ses vœux à chacun des conseillers. Un verre pour fêter la bonne année, un autre, un autre encore. Bientôt, Eustache frappe comme un sourd sur son tambour et finit par crever l'instrument. "Tous les ans, il devait en changer la peau..." Ce jour-là, Eustache prévenait le petit Louis : "Ce ne sera pas la peine de venir me souhaiter la bonne année aujourd'hui." Eustache savait qu'arrivé le soir, il ne serait pas présentable à son neveu.
Ancien agriculteur, le fonctionnaire municipal avait un confrère, le cantonnier Alphonse Grain. Nom difficile à porter. Il était le filleul d'un Yainvillais tué 25 ans plus tôt par son propre fils et qui tous deux s'appelaient ainsi...


Les oreilles en pointe

Mai 1925 : Auguste Fessard est élu maire pour quatre ans. Suivons-le chez le coiffeur. Ou du moins chez Aristide Cuffel, ancien bourrelier, ancien cafetier reconverti dans l'agriculture et membre du conseil municipal. Car pour rendre service, Cuffel exerce ses talents de Figaro dans une cabane en bois, près de sa maison, à l'entrée du chemin Sous-le-Val. Nous sommes jeudi. Louis attend son tour. Cuffel  manie ses ciseaux sur la nuque de son maire. Quand il lui coupe net le lobe de l'oreille ! Vite, il faudra une bonne dose de sel pour stopper enfin l'hémorragie. De ce jour est sûrement née l'expression: "Va te faire couper les oreilles en pointe !"
On comprendra pourquoi le père de Louis préfère  Monsieur Vincent, le coiffeur de Jumièges à qui il  rend visite chaque dimanche matin pour se faire raser.
  Seulement, Alphonse Acron a la barbe dure comme de la toile émeri. Si bien que Vincent doit toujours changer de lame pour mener l'opération à son terme.



Natif d'Anneville Auguste Fessard tenait la ferme située au croisement de la sente aux Gendarmes, aujourd’hui rue Jules-Ferry avec celle qui menait à la route de Duclair. La ferme fut occupée par la famille Piot à la Libération. Elle a été rasée dans les années 80. On y fait aujourd'hui le feu de la Saint-Jean.

En ces années 20, Lucile Carpentier, la fille de la ferme de l'église, gardait les moutons tout en brodant. Le soir, on parquait le troupeau avec des clôtures en bois et l'on changeait régulièrement d'emplacement pour nourrir la  terre d'un engrais naturel. Les Carpentier avaient aussi un fils prénommé Daniel. Enfin la ferme accueillait un neveu, Georges Lépagnol.
Carpentier parti de la ferme de l'église, c'est Brunet qui lui succéda. Puis Gouard.

En mai 1925, Fessard fut élu maire avec Léon Lévesque, le passeur pour adjoint, qui fut élu au bénéfice de l'âge face à mon grand-oncle Pierre Chéron. Siégeaient aussi MM. Bidaux, Cotelle, Gallais, Jean Lévêque, Prévost, le doyen, Riaux, Vanderstraël...

L’année qui suivit l'élection de Fessard, on recensa 260 habitants à Yainville. Là encore, Louis Acron se souvient : « L’instituteur était aussi secrétaire de mairie. Quand il y avait un papier à faire signer par le maire, il envoyait un élève dans le champ où travaillait Monsieur Fessard avec la feuille, l’encre et le porte-plume. Monsieur le maire posait l’imprimé sur le dos de son cheval :

– Où qu'je signe ?

     – Là où qu’y a une croix ! »

La banquière tombe

En 1925, Marie Belletolle, l'épouse de Georges Tételin, reçut une médaille pour ses six enfants. 1925, c’est aussi l’année où, à Paris, Marthe Hanau se lance dans la finance. Lazare Bloch, le propriétaire des Zoaques, est à ses côtés. Marthe n’a pas perdu son temps. Elle a créé des entreprises de textile, de produits de beauté et boursicoté avec bonheur.

Un jour, elle entre dans une feuille boursière, la Gazette du franc, tenue par Courville, un ingénieur de Marine. En 1928, Marthe rachète ce canard qui bat de l’aile pour une bouchée de pain. Elle s’entoure de Bloch et de Courville, de Pierre Audibert qui a ses entrées chez Poincaré. Audibert est séduisant. Si bien que Marthe regarde à nouveau les hommes…

Le journal dispense des conseils boursiers qui font bientôt la pluie et le beau temps. Soutenue par des gens comme André Citroën, Aristide Briand, la « Mère Hanau » propose à des milliers de petits épargnants des placements à des taux inédits. Et ça marche. Seulement, elle finance les fortes rémunérations des actionnaires avec l’argent de  nouvelles souscriptions. En fait, cette opération lui sert à introduire en bourse ses propres sociétés. Le système finit par s’effondrer. Le 4 décembre 1928, le couple est arrêté. Séparément. Car Lazare Bloch, surnommé le Magot de la mazette, est cueilli au point du jour chez sa maîtresse, rue d’Orléans, à Neuilly. Procès. 18 mois de prison. La Santé sera l’île d’Elbe du Napoléon des affaires… Marthe Hanau sera finalement libérée après bien des péripéties. De nouveau condamnée, elle finira par se suicider en prison. Un 14 juillet...Dans la mémoire de ma tante, Marie-Louise Mainberte, c’est Marthe Hanau qui était la propriétaire du manoir de Guitry. « Il y a eu des perquisitions, des saisies… » Elle citait aussi le nom de Stavisky. Dans les souvenirs de Louis Acron, on ne retrouve que cette Mademoiselle Bloch-Levallois. Difficile encore à ce jour d’y voir clair. Ici, cette affaire suscita certainement bien des fantasmes à l’époque.

L'essor industriel

Au début des années 20, l'entreprise de Pont-à-Mousson était encore bien présente à Yainville. Son directeur est Edouard Hurez, de Lens et elle compte sur la commune une vingtaine de salariés. Beaucoup lui sont étrangers. 
On note quelques salariés de la Chaudronnerie du Nord : Alphonse Magniez et Auguste Sarrazin.
Dans les dernières années de la décennie l'effectif de Pont-à-Mousson a fondu. Exit aussi les Espagnols de chez Bardel, même si l'entreprise forestière compte encore des salariés ici.

                                                                                                                                   
La Société havraise d’énergie électrique a connu en revanche un développent constant : acquisition de nouveaux terrains à Claquevent, édification de bureaux, fondations d’une cité ouvrière sur la côte Béchère...  En 1927; la SHEE a notamment acheté une parcelle où elle construit un bâtiment qu'elle loue à la compagnie des produits électrolytiques.                     

7 septembre 1925, le navire anglais "Moto" rompt quatre câbles immergés, ce qui prive de courant une partie de la Basse-Normandie durant trois jours.

Elle intervient même dans son capital pour un million de francs. Là, on va produire de l'acétylène, de l'oxygène, de l'hydrogène par électrolyse. Grosse consommatrice d'électricité, cette usine travaille surtout pendant les heures creuses de la centrale.

Il y a là aussi une fabrique de parpaings qui transforme escarbilles et mâchefers de la centrale. Productions journalière: 800 agglos, 10.000 briques. Une cartonnerie à l'enseigne de la Compagnie internationale des eaux et de l'ozone.

Le crépuscule d'une décennie

Mais voici déjà la fin de l'automne. On ira encore à Jumièges chercher la presse à Burgot. Un presse à deux roues tirées par un cheval. Il vous la loue à la journée et on se la repasse entre Yainvillais. Les bouilleurs de cru viendront aussi frapper à la porte. On a droit à 10 litres. Mais qui viendra vérifier? Louis s'empresse d'envelopper une bonbonne d'osier dans une "pouque" en toile de jute. Et court la cacher dans un endroit sûr. Au moment de la déposer à terre, la bombonne explose sur le ciment. Elle n'avait plus de fond. Voilà dix litres de calva dans la fosse à purin !...

1926 : 260 habitants.

4 septembre 27, une course cycliste organisée par le club devillois passe par la plaine d'Yainville.
En 1926 et 1927, le trafic des petits ports est passé de 1.607 tonnes à 4.764 à Duclair, de 4.104 à 3.350 à Yainville.On n'a pas le chiffre de 1926 au Trait mais il était de 5.544 tonnes en 1927.

Mai 28 : aux législatives, les Yainvillais placent André Marie devant Follet de 7 voix. En novembre, on signale la fièvre aphteuse à Yainville.

Juillet 1928. Organe du PC, le Prolétaire normand est fort en gueule. Mais nul en géographie. Voici en quels termes il interpelle Auguste Fessard, le dernier maire paysan :

" Nous demandons à Monsieur le Maire de Yainville Jumiège (sic !!!) ce qu’il pense faire pour la
route de Duclair au bas de la côte du Trait. Il y a un passage dans les plaines de Yainville qui est impraticable. Nous lui demandons s’il attend qu’il se soit produit un accident pour faire le nécessaire au sujet de cette route. Quand il s’agit de faire payer le contribuable on le trouve toujours, mais pour faire réparer ce qui est nécessaire à sa sécurité ce n’est pas pareil."

On ne sait si l'appel sera entendu mais en mai 1929, Jean Lévêque est élu maire. Son adjoint est alors Gustave Chéron qui se montrera plus assidu que son frère Pierre. Le conseil est constitué de Bock, Le Doze, Fessard qui a renoncé au poste de maire pour raisons personnelles, Lecanu, Le Maréchal, Prévost, Reniéville, Riaux...

Lévêque régnera 16 ans. Jusqu'à la Libération. On retrouve son nom lors d’un congrès du Parti radical socialiste. Natif de Saint-Emilion, c'est un personnage savoureux à l'accent rocailleux. Il honore de sa présence en terrasse une carte postale représentant le café de l’église. Il finit ses jours chez M. et Mme Pourhomme, en bas de la rue Pasteur. Affublé d'une jambe de bois, il vivait dans une pièce avec un vieux perroquet. Enfants, il nous faisait penser à quelque pirate retraité de l'île au trésor. C’était sûrement vrai…

Lorsqu'il sentit sa fin venir, il eut cette disposition  testamentaire.  A  Mme Greux qui tenait le café de l'église, il confia une certaine somme d'argent pour qu'un  verre soit  servi  a chacun des participants de son enterrement. Ce dont s'acquittèrent  fidèlement ses exécuteurs testamentaires.

Laurent QUEVILLY.

Pour suivre: les années 30 :

Louis Acron s'est éteint à 102 ans. Il fut inhumé le 6 juin 2017 à Sainte-Marguerite. Sa sœur Germaine est décédée à 101 ans en 2009, Louise à 100 ans en 2004. RIP

Sources

Souvenirs de Louis Acron, 93 ans, recueillis par ses filles Monique et Marie-Claude, 1er octobre 2007, 1er trimestre 2008.
Souvenirs de Germaine Acron, centenaire, recueillis par sa fille Monique.
Souvenirs de Marie-Louise Mainberte recueillis par Laurent Quevilly.
Gilbert Fromager, Le canton de Duclair, 1925-1950.
Maurice Privat, Le scandale de la Gazette du franc, 1929. 
Emmanuel Beau de Loménie, La responsabilité des dynasties bourgeoises, 1943.
Gilbert Guilleminault, Les années difficiles, 1958. 


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Une Yainvillaise : Je suis très heureuse de retrouver des photos de mon village et surtout des noms de personnes que j'ai bien connues. Moi je suis née à la petite maison attenante à l'épicerie de Monsieur et Madame Bideau et maintenant je suis Vauclusienne mais toujours heureuse de venir me ressourcer dans mon village.



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