Par Laurent QUEVILLY.

C'était ma tante et je ne l'ai pas connue. Cette jolie yainvillaise est morte trop jeune. Trop éprouvée. Une page pour la faire revivre un peu...


Marguerite Mainberte est née à Yainville le 26 février 1899. Elle était la seconde des enfants Mainberte, nés au hameau de Claquevent, sur le bord de la Seine. Une sœur de son père portait ce prénom. Celle-ci allait bientôt se marier avec un certain Jules Bruneau et le couple tiendra le café de l'église...

La première image que nous ayons de Marguerite date de 1904-1905, année scolaire qu'elle accomplit sous la houlette de M. Petit, instituteur qui, accusé de détournement de fonds, sera bientôt chassé de Yainville. A 6 ans, elle pose ici à gauche en compagnie de sa sœur aînée, Thérèse, qui en a 9.

En 1906, après un petit frère, Emile, les deux filles Mainberte eurent une petite sœur toute faite. En réalité une enfant abandonnée confiée à leur mère par l'Assistance publique. Marie Boquel mourut à 41 jours. Emile Mainberte père fit la déclaration en compagnie du nouvel instituteur, M. Georges Pioli.

Chez les Mainberte, de nouvelles naissances se succèdent : Marie-Louise, Raymond, Hélène ,André qui meurt à un an, Andréa, la petite dernière, ma mère...


La seconde image de Marguerite date de 1911. Elle achève sa scolarité sous l'autorité de M. Vimont et figure parmi les grandes. Elle dut du reste la seule à obtenir son certificat d'études cette année-là. Le Journal de Rouen publia son nom en juillet.


Sur cette photo, Marguerite est la 5e à partir de la gauche, tout en haut, dans l'encadrement de la porte.

Le Dr Pelletier était formel: Marguerite devait se faire opérer des amygdales. Mais avec quel argent. Il rédigea un certificat qui fut examiné par Athanase Leroy et ses conseiller le 8 décembre 1912. "Le conseil, considérant que la famille est indigente, décide de mettre les frais de l'hospitalisation de l'enfant aux frais de la commune". Famille indigente...

Encore un mort chez les Mainberte. Hélène, une petite sœur de Marguerite, décède à l'âge de 6 ans en mars 1914. Méningite. Le 19 juillet eut lieu la Sainte-Madeleine devant le café de l'église, tenu par la tante de Marguerite. Jeux, course cycliste, bal, feu d'artifice. Mais en août, voici qu'éclate la guerre. Emile le père, malgré son âge et le nombre de ses enfants sera mobilisé. Puis il mourra de tuberculose. Marguerite et ses sœurs aînées participent à l'effort de guerre. La voici encore photographiée en compagnie de Thèrèse sous l'habit de munitionnette. On remarquera qu'elles portent leur montre autour du cou. La mode de l'époque...

Cette guerre n'en finissait pas. L'oncle du café de l'Eglise était mort sur le front, le même jour que son propre frère. Un cousin, Alphonse Callais, était lui aussi engagé dans les combats. Ce sera le futur maire de Jumièges. En janvier 1918, l'aînée des Mainberte, Thérèse, épousa un Poilu que Sainte-Marguerite qui repartit au front. Marguerite rêvait aussi d'un prince charmant. Il lui faudra attendre encore un peu plus d'un an...


Arthur Guillaumet, de Montchevrel...



Arthur Guillaumet était l'aîné d'une fraterie de douze enfants. On le voit ici en militaire poser avec Louise, Maurice, Georges et Adrien. Il y eut encore Gabrielle, Robert, Ida, tous nés à Montchevrel, village de 400 habitants dominant la campagne environnante. Lui, il y était né le 20 septembre 1894. Son père avait alors 20 ans. Et sa mère 15 ! Bon, 15 ans et onze mois exactement. Mais avouez qu'elle était bien jeunette. Non, ce mariage n'avait pas été précipité par la nature. Prospérine Audolant était orpheline de père et cette union, célébrée le 16 novembre 1893, s'avérait providentielle. Après ce premier accouchement précoce, la mère marqua une pause de six ans avent d'entreprendre une longue série...

L'année suivante, dans le bourg, une mission avait donné lieu à l'érection d'un calvaire qui faisait la fierté de l'abbé Lory, régnant sur l'église Saint-Pierre où une confrérie de charité officiait toujours. En 1897, le curéLory réalisait à la plume des dessins de l'église pour la restauration de la sacristie et du chœur.

Enfant Arthur connut pour maire le sieur Gustave Potonnier, un propriétaire héritier d'une famille d'éleveurs à qui allait succéder Modeste Bunet, cultivateur. Quant au médecin, on avait affaire à Jacques Vauclin, natif de la commune qui avait soutenu sa thèse sur les pathologies du vagin durant la grossesse. A quelques encablures du bourg, le manoir de la Grande-Rosière était les plus belle de toutes les gentilhommières du cru.

Mgr Bardel, évêque de Sées, vint consacrer l'église restaurée le 24 août 1902. Voici comment le curé de la paroisse décrit son monde dans une plaquette éditée à cette occasion :

« A Montchevrel, l'air est pur, très vif. Les habitants sont forts, vigoureux. Le sol est fertile. Partout, dans la saison, ce sont les abondantes moissons de blé et d'avoine, les pommiers robustes et chargés de fruits, les vertesprairies, les gras herbages. Non loin, coule la Sarthe, voisine encore de sa source; elle marque la délimitation de la Normandie et du Perche.
Montchevrel est un coin de terre privilégié,mais quelquefois aussi durement éprouvé par de brusques coups de vent, par de véritables cyclones.

« La population s'adonne à la culture et à l'élevage. Les mœurs sont restées douces et honnêtes. On pourrait peut-être regretter parfois, dans les relations habituelles de la vie, une certaine réserve, presque de la froideur, un certain manque d'abandon, qui viennent de la timidité, ou d'une prudence exagérée. Un paysan normand, doublé d'un Percberon, n'est pas le premier venu,il est loyal, mais toujours sur ses gardes aussi s'entend-il à merveille dans les affaires et les marchés.

« Montchevrel possède une école de garçons et une école de filles. Les enfants sont bien élevés et intelligents. Peut-être quelques parents les gâtent-ils par trop d'indulgence? Ils auraient tort d'oublier le vieux proverbe « Qui aime bien corrige bien. » L'expérience de chaque jour atteste que les enfants, élevés dans trop de mollesse, dans la satisfaction de leurs caprices et, de leurs fantaisies, sont loin, d'ordinaire, plus tard, de réaliser les espérances légitimes de leurs parents.

« La foi, les devoirs et les pratiques de la religion sont toujours en honneur à Montchevrel, L'indifférence religieuse y est inconnue, malgré de regrettables négligences...»

On ne retrouve aucun Guillaumet au conseil de fabrique, parmi les charitons, les chantres, les clergeots ni les bienfaiteurs de l'église...
L'abbé Lory omet se signaler l'existence d'une carrière à Montchevrel dont l'histoire est émaillée de tragiques accidents. La commune est aussi renommée dans l'élève des chevaux mais elle est aussi dotée d'une belle entreprise...

La maison Guillaumet



C'est en 1869 que Alphonse Guillaumet, charron de son état, fondait sa maison. Elle allait fabriquer des engins agricoles et voitures en tous genres. Notamment cette charette normande qui fit l'objet d'une carte postale due à Alexandre Tellier, artiste photographe établi à Monchevrel et dont l'épouse tient une épicerie.

En 1874, de Marie Barrié, naissait le seul enfant Guillaumet, prénommé Alphonse comme son père. La succession était assurée et la maison allait plus tard prendre le nom de Guillaumet Père & Fils. L'entreprise sait se faire connaître par des affiches, calendriers, réclames dans les journaux. Guillaumet est membre de l'Académie des inventeurs pour avoir mis au point une étaupineuse.



En 1902, Alphonse Guillaumet vendit une voiture New Axa à M. Malherbe. Sortie en 1898. Celui de Montchevrel s'est conservé jusqu'à nos jours. A Partir de 1906, Guillaumet devient le seul représentant régional de la marque.

Revendeur des charrues Huard



Voilà une réclame originale a plus d'un titre. Pour vanter les mérites des charrues Huard, fabriquées depuis 1865 en Loire-Atlantique, un paysan en costume traditionnel s'exclame en breton : "Elle est merveilleuse !". En Normandie, Guillaumet l'écoule avec ce slogan...

La maison Guillaumet est la dernière à droite à la sortie du bourg sur la route de Laleu. En 1905, Guillaumet fils réalise un cliché de sa collection de charrues. Curieusement, bien avant la disparition prématurée du photographe Tellier, emporté par la maladie en 1918, dans la Marne, A. Guillaumet fils a en effet une branche photographie qui réalise des portraits, vend du matériel mais aussi des bijoux, médaillons, épingles de cravate...

En 1906, Guillaumet décroche un 1er prix Lemesle. Il le mentionne dans un tampon qui vient s'ajouter sur son nouveau papier à en-tête constellé de médailles.



Guillaumet est un habile négociateur. Ainsi, le 22 janvier 1907, s'adresse-t-il à Mougeotte Aîné, constructeur à Meslay.

Comme je m'occupe maintenant des machines industrielles, y compris de scieries comme vous pouvez vous en rendre compte sur ma circulaire ci-jointe, je viens vous prier de me faire savoir la remise que vous m'aéccorderez pour vous représenter auprès de mes amis et clients dans la contrée.
Vous devez vous souvenir que j'ai une charonneuse universelle dont je suis toujours très satisfait.
J'ose croire que vous voudrez bien me rendre réponse sous peu vu que je pourrais vous faire traiter une affaire sous peu.
Dans cet attente (sic), je vous présente nos plus respecteuses civilités.

Guillaumet & fils

PS. Veuillez également m'adresser vos derier prix courants.

En 1909, la maison reçoit le premier prix du concours de Courtomer.

Concessionnaire de bicyclettes



La maison Guillaumet Père & Fils distribuait aussi les cycles Grillon, fabriqués à Paris, Avenue Philippe-Auguste, par l'ingénieur Léon Galvaire. Et c'est sur un vélo de ce type qu'Arthur, à l'âge de 15 ans, remporta une course cycliste dans son village. En 11 minutes, il avala les 6 kilomètres très accidentés. Nous étions le 3 juillet 1910, jour de la Saint-Pierre. Un mois plus tôt, un ouvrier charron s'était présenté pour se faire embaucher chez les Guillaumet, recommandé par M. Laudier de Mortagne. On lui avait offert à manger. Puis prêté une bicyclette afin qu'il aille chercher ses outils. On ne le revit jamais...



Alphonse Guillaumet fils était propriétaire de la ferme du Boulay où, en août 1913, vivaient les époux Duval. Le tocsin se fit entende lorsque 14.000 kilos de foin furent la proie des flammes. Cette ferme sera plus tard exploitée par un frère d'Arthur Guillaumet.

Le 25 février 1912 eut lieu une nouvelle venue épiscopale pour la bénédiction de la troisième cloche de l'église. Le maire était alors Modeste Bunet et le curé l'abbé Druet. Après son père , en janvier 1910, Alphonse Guillaumet fut fait chevalier du Mérite agricole en février 1914. Et ce fut la guerre...


En campagne contre l'Allemagne


Alphonse Guillaumet avait déjà 40 ans mais il n'échappa pas à la mobilisation. Il avait fait deux ans de service avant d'être réformé
en avril 1897 pour phlébite de la jambe droite à la suite d'une fièvre typhoïde. Aujourd'hui, la guerre s'annonçait plus longue, plus difficile que prévue et la commission de réforme le jugea bon pour le service armé le 2 décembre 1914.  Pour l'heure, il allait d'abord voir son fils partir...
En 1914, Arthur Guillaumet a quant à lui 20 ans. Après des études primaires sous la houlette d'Henri Fauvel, futur maire de Montchevrel, le conseil de révision l'a déclaré bon pour le service en ne décelant chez lui qu'une pleurésie ancienne.  Le 15 décembre 14, basé au Mans, le 117e RI l'appelle. comme 2e classe.
Le 20 mars 1915, c'est au tour du père de rejoindre le Territorial du 26e d'Artillerie. On imagine la détresse de Prospérine Audolant qui voit, après son fils aîné, son mari aspiré maintenant par l'enfer. Mais Alphonse ne restera qu'une vingtaine de jours encaserné, étant père de six enfants et regagnera Montchevrel.

Marguerite Mainberte, 20 ans, tout juste mariée à Arthur Guillaumet, un électricien, fils d'une entreprise prospère dans l'Orne. Elle est sa sœur aînée auront contribué à l'effort de guerre en étant munitionnettes...

Marie-Louise Mainberte, 18 ans. Elle aura travaillé chez Mustad durant la guerre, s'y rendant à pied de Claquevent à Duclair...


Le 24 mars 1915, Arthur, lui, passe au 404e, un régiment de marche constitué à La Flèche sous les ordres du Lieutenant-Colonel Guyot. Il sera ainsi envoyé sur le front de l'Aisne.
Le 11 juin 1916, il sert au 103e engagé en Champagne. Mais il sera victime d'une blessure de guerre à la main gauche. Dès lors, on va le verser dans le service auxilliaire tout en dépendant du 39e, régiment de Rouen.  


Service civil


En novembre 1916, le voilà mécanicien, constructeur et électricien à la maison Morel, 27, rue de Guéramé à Alençon. En juillet 17, on le mute à la Société des chantiers et fourneaux de Grand-Quevilly. En mai 1918, on le retrouve à la Fonderie Lorraine de Saint-Etienne-du-Rouvray. Mutation le 25 décembre 18, jour de Noël, aux fameux Chantiers de Normandie à Grand-Quevilly. Dans ce haut lieu de la construction navale, il y eut durant son séjour deux accidents mortels.
Le 1er avril 19, Arthur est définitivement démobilisé et déclare se retirer 6, rue de l'Ecole,
à Grand-Quevilly. Dans son champ de vision apparaît donc le château de Montmorency.

Mariage à Yainville



Le 13 avril 1919, Arthur est localisé à Yainville par l'Armée.
Quel vent l'a poussé jusqu'ici ? Est-ce l'ouverture de la centrale d'électricité dans les carrières de Claquevent ? C'est en tout cas avec la qualité d'électricien qu'il épouse, le 28 juillet 1919, Marguerite Mainberte. Le mariage eut lieu à 10h le matin. Les témoins de cette union sont Thérèse Mainberte, sa sœur, épouse Bruneau, son oncle Pierre Chéron, alors comptable à Jumièges, sa tante Marie Chéron, couturière à Boscherville, enfin l'instituteur, M. Vimont.

Mais au mois de septembre suivant, Arthur est témoin du décès de sa belle-mère, Julia Chéron, veuve Mainberte, peut-être contaminée par la tuberculose de son mari. Ou gagnée par la gangrène après une égratignure en cueillant du manger à lapin. Elle laissait toute une fraterie orpheline. L'aînée, Thérèse Mainberte, mariée depuis déjà un an, attend encore son mari, toujours sous les drapeaux.
Arthur Guillaumet, quant à lui, est démobilisé depuis le 1er avril et vit à Yainville.




En 1921, Arthur et Marguerite sont recensés à Boscherville. Arthur a monté un atelier de mécanique. Son jeune beau-frère, Emile Mainberte, est son aide. Sous son toit vit encore Raymond Mainberte, domestique, et Andréa, ma mère. Dans le quartier de la Carrière, cette maisonnée cohabite avec le grainetier Gaston Poulard ou encore les Chandelier, époux de filles Chéron. La famille...

Petite annonce parue dans le Journal
de Rouen le 21 juin 1921...

Le 3 octobre 1922, alors qu'il est réserviste du Régiment d'infanterie de Mayenne et qu'il perçoit une pension de 240 F pour sa blessure, on dit Arthur à Montchevrel. En tout cas, Arthur et Marguerite sont à la noce de Marie-Louise Mainberte avec Marius Hangard, le 20 septembre 1924, à Yainville. Ils apparaissent sur la photo de famille prise par Deschamps à Duclair.


Au mariage de Marius Hangard et Marie-Louise Mainberte, le 20 septembre 1924, on reconnait Arthur Guillaumet au dernier rang près de Thérèse Mainberte. A l'extrême-droite est ma mère, Andréa Mainberte. Marguerite Mainberte est debout, derrière la vieille dame assise à droite de la mariée, Pascaline Mauger...


Surprenant veuvage...


Curieusement, Arthur Guillaumet est allé mourir à Montchevrel, sa commune natale, le 27 novembre 1925. A 31 ans
. Pourquoi ce retour au pays ? Pourquoi ce décès prématuré ? Arthur et Marguerite avaient pris sous leur protection la cadette des Mainberte, Andréa et ses deux frères. Il y avait cet atelier à Boscherville. On vivait dans un quartier occupé par la famille, les Poulard, les Chandelier. On y comptait de nombreux amis. Et puis retournement de situation...
Arthur  mourut ce 27 novembre 1925 à 13h30. Son décès fut déclaré par un voisin, Valère Poulain, rentier de 68 ans et enregistré par le maire, Henri Fauvel. On le dit alors mécanicien et domicilié tout comme son épouse aux Vignettes.

Retour è Yainville

 
Marguerite Mainberte est attestée à Yainville en 1926, vivant dans sa maison natale où sa tante Marie Chéron tient alors le café du Passage. Elle dort sous le même toit que Christiane Topp, sa cousine de 18 ans, enceinte cette année-là. Il y là aussi sa grand-mère, Pascaline Mauger, veuve de Pierre Delphin Chéron. Enfin on note la présence d'un certain Robert Pradot, maçon chez Cornier, 33 ans. Que fait là ce jeune homme ?...

Fils d'un sabotier de Droux, dans la Haute-Vienne, il résidait à Paris lorqu'il fut incorporé au 78e RI en 1913. C'est un homme d'un mètre 75, yeux marrons, cheveux noirs, visage long. Blessé à la poitrine le 21 décembre 1914 à Jonchery, dans la Marne, il fut fait prisonnier et interné au camp de Rastratt, au Luxembourg. Rapatrié, on lui décernera deux médailles : la Commémorative de la Grande guerre et celle de la Victoire. Libéré de l'armée en août 19, il retourne à Droux puis remonte à Paris où il est localisé 24, rue Charlemagne, en 1921. Après son passage à Yainville, on le retrouve dans la capitale en 31, année où Marguerite est remariée depuis quelques mois, il habite alors 77, rue Claude-Decaen, dans le XIIe. Mais il est porté la même année sur les listes électorales de Droux.
Toujours à Paris, on le retrouvera comme chef de chantier dans l'entreprise de travaux publics Sainrapt et Brice quand débute la seconde Guerre. Il est incorporé par le central de recrutement de la Seine le 13 novembre 39. Entre temps, il aura été vu en 35 à Saint-Denis, en 37 à Dunkerque. En 40, on le voila à Bourges... Bref, quel est ce météorite de passage en 1926 chez Marie Chéron ! Un pensionnaire ? La maison offre peu d'espace d'hébergement. Hjoerdis dort avec sa mère. Alors...

Gustave Chéron, Louis Acron... La famille n'est pas loin quand Marguerite est repliée à Yainville. Dans le quartier immédiat vivent les Hangard. Ils occupent l'ancienne maison du passeur Chéron, juste en face du café du Passage. Marius Hangard travaille à la centrale électrique.
A Yainville, on trouve aussi les cousins Lemaréchal dont Lily qualifiée de modiste. Titre ronflant. Habituellement, on dit plutôt couturière. Bientôt Lily rejoindra sa sœur, Denise Maréchal, à Paris où elle se feront une place au soleil dans le domaine de la haute couture, place Vendôme. L'atelier se situe au dessus de Boucheron. Denise n'hésite pas à faire appel au photographe Denis Manuel pour promouvoir ses collections. Une série représente pour mannequin Lily. Cette dernière sera l'auteur de la robe de mariée de ma mère en 1937.

Marguerite refait sa vie...

Montée à Paris, Marguerite travaille un temps au restaurant Fritz Kobus, 44, rue Saint-Anne. L'établissement tient son nom du roman d'Erekmann-Chatrian, L'ami Fritz. Le décor reproduit un confortable intérieur alsacien avec ses faïences, ses poteries, ses images et jusqu'au vieil escalier de chêne bruni d'une charmante solennité familiale. Ce restaurant fait partie du bouquet d'enseignes alsaciennes ayant fleuri dans la capitale après la reconquête des provinces de l'Est.
L'un des souvenirs forts des Mainberte, à cette époque, est d'avoir assisté aux obsèques du Maréchal Foch, le 26 mars 1929.

Marguerite est ici à l'extrême-droite du personnel de Fritz Kobus...


Toute la famille Mainberte est maintenant établie dans la proche banlieue de Paris. Alors qu'elle habite au 15 de la rue Lambert, dans le 18e, Marguerite va refaire sa vie avec un Catalan, Pascual Arquès, garçon de café de son état. Demeurant à Saint-Ouen, 134 rue de la Chapelle où l'on compte une forte communauté espagnole, Pascual est né à San Felix de Castellar. Ses parents restés à San Estaban de Castellar ont adressé leur consentement.



Marguerite et Pascal. La photo fut réalisée dans les studios
Maurice, 55, rue Ramey, à Paris, 18e, quartier de Clignancourt.


Le mariage eut lieu le 17 mai 1930 à la mairie du 18e arrondissement où plus d'une trentaine de couples furent unis à la chaîne par Etienne Ardely, adjoint au maire et officier de la Légion d'Honneur. Marguerite et Pascal échangèrent leur consentement à 11 h et 45 minutes, encadrés par leurs témoins, Jules Bruneau, l'époux de Thérèse Mainberte, toujours peintre en bâtiment à Charenton-le-Pont et Joseph Juliana, garçon de restaurant demeurant 4, cité de Hermel. Lui aussi est espagnol et vit avec une danseuse roumaine prénommée Lili.


Le 17 mai 1930, toute la famille Mainberte établie à Paris entoure Pascal et Marguerite pour leur mariage. Au premier rang : Max et Andréa Mainberte, Yvonne Menant, la petite Raymonde Mainberte, Pascal et Marguerite, Jules Bruneau et Hubert Mainberte, Yvonne Legay et Solange Mainberte. Au second rang : Raymond et Thérèse Mainberte, Joseph Juliana et sa femme Lili, Marie-Louise Mainberte, Marguerite Lelannier et Emile Mainberte.

Le café du bonheur


Marguerite tint avec Pascal un café au 160 de l'avenue de Paris, à Vincennes. Il existe toujours et s'appelait Le Bijou bar dans les années 2000. A l'origine, Bière de la Rose Blanche était écrit sur son enseigne. Il s'agissait d'une marque produite par une brasserie de Saint-Germain-en-Laye jusqu'en 1914. Elle avait son affiche publicitaire signée Albert Guillaume.



A gauche de l'estaminet est un immeuble construit en 1887 pour abriter un marchand de chevaux, Alphonse Masson. Une porte cochère ouvre sur un passage orné de plaques de staff qui rappellent les frises du Parthénon. En façade, deux têtes de chevaux encadrent le nom de l'ancien propriétaire. Bref, c'est une curiosité architecturale qui borde le modeste café. Celui-ci apparenait à un marchand de vin originaire de Rouen, Léon Aigouy. En 1926, un marchand de chevaux résidait toujours dans l'immeuble.


Marguerite et sa sœur Andréa, 18 ans, devant le café de l'avenue de Paris.
Cette image fut prise un autre jour. Une affiche a fleuri dans la vitrine.

Un fin brutale


Tout semblait sourire au nouveau couple. Mais atteinte d'une grave maladie, la tuberculose pense Solange Mainberte, Marguerite a dû très vite abandonner son commerce. En 1931, si l'on se fie au recensement, le café est tenu par les Aigouy.
Marguerite va mourir à 34 ans, le 28 janvier 1933.
Solange Mainberte se souvient lui avoir rendu visite dans son appartement qui se situait à l'étage du café. Elle fut inhumée à Vincennes au cimetière des Rigollots et ne laissait aucun enfant de ses deux unions.  Un portrait post-mortem tiré de sa photo de mariage fut colorisé pour marquer son souvenir. Son époux lui survécut bien des années et serait mort en 1984. En Espagne, pense Solange...



Quid des Guillaumet ?


Maintenant que devint la famille Guillaumet ? Alphonse, le père d'Arthur, avait été définitivement démobilisé par le 103e RI en avril 1919. La maison continua de se distinguer dans les concours agricoles. Pour ses machines mais aussi ses moutons élevés par Maurice Guillaumet.
Au recensement de 1925, Alphonse Guillaumet et son épouse vivent à Montchevrel avec trois de leurs enfants : Louise, Robert et Ida.
Née en 1900, Louise se maria à Montchevrel le 30 avril 1929 avec Henri Vallée. Elle est décédée en 1994 à Sées. Les autres enfants ont descendance, on note Nicole, Olivier Guillaumet et j'aimerais avoir de leurs nouvelles.
En 1932, Alphonse Guillaumet fut désigné parmi les jurés d'Assises. Le fondateur de la maison, Alphonse, premier du nom, est décédé en 1940. Le 18 juin 40, à 10h30, alors qu'Alphonse fils circule à bicyclette, un soldat allemand s'en empare en proférant des menaces. Ce n'est qu'en mars 41 que Guillaumet portera plainte, son vélo neuf, de marque Phénix, valant tout de même ses 1.200 F. Le Pays Bas-Normand rapporte cette autre anecdote de 1941 : Alphonse Guillaumet, mécanicien dans un bourg du canton de Courtomer déclare dans un café : « Si Pétain est honorable, Darlan et Brinon sont deux traitres. » Un capitaine à la retraite rapporte les propos. Leur auteur est suspendu de sa charge de conseiller municipal...
En août 44, Alphonse, qui écoute Radio Londres sous le boisseau aperçoit des soldats et court au devant de ses libérateurs en agitant un drapeau tricolore. En guise d'Américains, il s'agissait d'Allemands en déroute. Il ne dut son salut qu'en plongeant dans un fossé. Arthur Guillaumet est mort en 1952.

Laurent QUEVILLY.

Sources

Nous devons nombre de renseignements et documents à Jean Plat, auteur d'un ouvrage sur Monchevrel avec Denis Crouillère..
Autre sources : la monographie de l'abbé Lory, 1902, les archives de l'Orne, les souvenirs de Solange Mainberte (alors âgée de 89 ans). Merci à Jacqueline Almat, bénévole de l'association Le Fil d'Ariane qui a consulté pour nous l'acte de décès d'Arthur Guillaumet. Merci à Yann Servais qui nous a fait découvrir cette étonnante pub en breton. D'autant plus étonnante pour moi qui ai vécu un an à Châteaubriant où la maison Huard était indissociable du payasage...