Par
Laurent Quevilly-Mainberte
Mercredi 22 juillet 1846, Yainville vit un moment de triomphe. En grande pompe, l’archevêque de Rouen en personne, Mgr Louis Blanquart de Bailleul, franchit le seuil de l’église pour la bénir. Une bénédiction éternelle ?...

Oui, quelle revanche. Et quel retournement ! Cette bénédiction par le plus haut dignitaire religieux de la région sonne comme une revanche éclatante pour les défenseurs du projet d’Yainville. Deux ans plus tôt, Louis Blanquart de Bailleul accédait au siège archiépiscopal après avoir été évêque de Reims. Né en 1795 à Calais, fils d’un procureur fiscal emprisonné sous la Révolution puis devenu maire et baron d’Empire, Louis a grandi dans le giron du pouvoir. Son père, dignitaire de la Restauration, meurt à Versailles, dans ses bras, en 1841. Et voilà aujourd’hui Louis, archevêque de Rouen, sous la Monarchie de Juillet, venu bénir cette petite église de campagne. Les villageois ouvrent de grands yeux
Dans son édition du dimanche suivant, le Journal de Rouen ne manquera pas del publier un compte-rendu enthousiaste… et quelque peu enjolivé. On y retrouve les mêmes assertions que celles du Nouvelliste. Les comagnons de Guillaume le Conquérant seraient venus ici formuler le vœur de conquérir l'Angleterre Mais qu’importe : Yainville jubile. Car aujourd'hui, c'est son indépendance qu'elle vient de conquérir
On attribue exclusivement à De la Quérière la restauration de l'église. C'est peut-être décerner un peu trop d'honneur à un seul homme. En revanche le journal est plutôt avare sur les détails de la cérémonie. Le rituel, le clergé qui entourait l'évêque. Il ne nous reste que l'imagination. Il y aura certainement eu une prière solennelle d’ouverture. Puis Mgr de Bailleul aura procédé à l'aspersion de l’église avec de l’eau bénite, présidé une messe, peut-être encensé l’autel et des murs. Le tout se sera achevé par des prières d’intercession et la bénédiction finale. Sans doute l'abbé Auger, doyen de Duclair était-il là, entouré de nombreux prêtres de sa juridiction, mêlés aux dignitaires de Rouen. Prévost, curé de Jumièges, était-il assez courageux pour bouder son évêque ? Mystères de la Religion...
Yainville conteste Jumièges
L'église étant bénie, le legs n'est pas pour autant acquis et l'histoire s'écrit sous nos yeux, sujette à rebondissements. Mais méthodiquement une fabrique se met en place à Yainville. On y retrouve les ténors du conseil et c'est Quévremont qui la préside. Dès juillet, elle réclame les 10.000 F de Lesain. Le 9 novembre 1846, elle va plus loin et réclame à Jumièges des sommes perçues initialement destinées à Yainville. Explications.
« La fabrique de l’église d’Yainville possédait deux rentes, » explique-t-elle, « l’une de quinze francs, l’autre de trois francs. » Ces rentes étaient dues respectivement par un certain M. Leleu et un sieur Georges Delépine. Mais voici ce qui s’est produit : ces deux débiteurs ont remboursé les sommes à la fabrique de l’église de Jumièges. Cette dernière a reçu un total de 360 francs pendant la suspension des activités de la fabrique d’Yainville.
Or, le conseil de la fabrique d’Yainville estime que cette somme de 360 francs lui revient de droit. Il réclame donc que la fabrique de Jumièges lui restitue ce montant, arguant qu’il lui appartient légitimement.
Face à cette situation, le conseil s’adresse à l’autorité supérieure, demandant :
« Nous sollicitons de Monsieur le préfet la directive claire à suivre dans un cas semblable, et nous espérons obtenir de ce magistrat la solution appropriée. »
La délibération est prise ce jour-là, avec la signature des membres présents : Lambert, Lafosse, Grain, Lafosse fils et Metterie.
L'arrivée du premier curé
25 décembre 1846, jour de Noël comme chacun sait, et là plus que jamais, Yainville accueille son premier curé, Barthélémy Lefèbvre. Âgé de 35 ans, auparavant sans fonction, ce natif d’Yvetot, né rue du Calvaire en 1811, est le fils d’un commerçant et d’une mère désormais veuve, Marie Rose Heurtault, héritière du palais abbatial de Jumièges. Voilà qui facilite, voire justifie son installation : pas de souci de logement, nul besoin de presbytère pour ce jeune dont la pension est fixée à 800 francs par an. Son arrivée marque un tournant, renforçant la légitimité spirituelle de l’église restaurée.
Mais notre bon curé, s'il est accueilli à bras ouverts, découvre un conseil municipal qui se fissure de jour en jour. On reprochera à Metterie son autoritarisme, des décisions controversées, une gestion jugée partiale et personnelle. Dès janvier 1847, l'abbé Lefèbvre voit circuler une pétition parmi ses paroissiens. C'est ni plus ni moins la destitution de Metterie qui est demandée. En février, il convoque un premier conseil où personne ne vient. Il signe alors seul le registre des délibérations... adoptées à l'unanimité. Puis, il en convoque un second. L'objet de la réunion : louer à Pierre-Paul Grain une maison devant servir de presbytère au curé d'Yainville pour 18 ans à compter de la prochaine Saint-Michel. On s'accorda aussi à considérer qu'il était plus urgent de relever les murs du cimetière que d'adjoindre une sacristie à l'église. A ce conseil furent convoqués les propriétaires les plus imposés de la commune. Ce sont les sieurs Charles Lesain, Mabon, Aimable Duval, Pierre-Paul Grain, Joseph Perdrix, Cyrille Huet, Victor Gravette et Léon Boutard. Seulement, certains d'entre eux n'ont pas leur domicile principal à Yainville et sont faiblement taxés pour les terrains qu'ils y possèdent. En revanche, Metterie a négligé d'inviter des Yainvillais des plus taxés parmi lesquels il voit des opposants. Une lettre part en préfecture pour l'accuser de favoritisme dans ses convocations et de mauvaise gestion. C'est dans ce marigot qu'intervient le Roi des Français...
Le Roi solde le legs
Louis-Philippe a pris le parti d'Yainville contre Jumièges. Après avoir ordonné le rétablissement de l'église en chapelle succursale, il exige dans une nouvelle ordonnance le paiement du legs de François Lesain. Ce qui fut enregistré le 15 mars 1847.
Ordonnance du Roi
Louis-Philippe, Roi des Français,
A tous présents et à venir, Salut,
Sur le
rapport de notre Gardes des Sceaux, Ministre Secrétaire
d'Etat au département de la Justice et des Cultes,Louis-Philippe, Roi des Français,
A tous présents et à venir, Salut,
Vu le testament olographe en date du 20 mai 1823 par lequel le Sr François Lesain a légué à la fabrique de l'église de Jumièges une somme de dix mille francs payable quatre ans après le décès de son épouse, sous la réserve expresse que ce legs tourneroit au bénéfice de l'église d'Yainvile dans le cas où cette dernière, comprise alors dans le circonscription de la succursale de Jumièges seroit réouverte au culte avant l'expiration du délai fixé pour le paiement .
Vu l'ordonnance royale du 3 mai 1846 qui a érigé l'église d'Yainville en succursale ;
Vu la délibération du conseil de fabrique d'Yainville en date du 2 juillet 1846 tendant à obtenir l'autorisation d'accepter le legs de la somme de dix mille francs qu'il est appelé à recueillir dans le cas qui s'est réalisé ;
Vu les avis de l'archevêque de Rouen et du préfet de la Seine-Inférieure en date des 14 et 27 juillet 1846 ;
Le comité de législation de notre conseil d'Etat entendu ;
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Article 1er
Le Trésorier de la fabrique de
l'église succursale d'Yainville
(Seine-Inférérieur)à est
autorisé à accepter au nom de cet
établissement le legs de la somme de dix mille francs
résultat au profit de cet établissement du
testament olographe du Sr François Lesain en daite du 20 mai
1823 et que la fabrique de l'église succursale de
Jumièges a été autorisée
à accepter conditionnellement par l'ordonnance royale du 30
janvier 1828 mais dont elle ne devoit profiter que dans le cas
où l'église d'Yainville, alors comprise dans la
circonscription de la succursale de Jumièges, ne seroit pas
ouverte au culte dans un délai de quatre ans à
partir du décès de la dame Lesain,
épouse du testateur.
La fabrique de l'église succursale d'Yainville est autorisée à se mettre en possession, à dater du jour de la présente ordonnance, de la somme de dix mille francs provenant du legs précité du St Lesain et à l'employer à l'achat de cloches et d'ornements d'église, conformément aux intentions du testateur.
Article 3
Notre Garde des Sceaux, Ministre Secrétaire d'Etat au département de la Justice et des Cultes, est chargé de l'exécution du la présente ordonnance qui sera insérée au bulletin des lois.
Paris, le 13 mars 1847.
Par le Roi :
Le ministre des travaux publics chargé par intérim du département de la Justice et des Cultes.
Signé : S. Dumos
Pour ampliation etc.
Trop de cloches pour Yainville !
"L'achat de cloches !" Comme le Roi y va. Pour Jumièges, passe encore. Mais pour Yainville, une seule suffira. Le 7 mai 1847, 9 h du matin, le conseil d'Yainville se réunit dans une ambiance que l'on devine tendue. Mais nécessité fait loi. Il y a là Metterie, Lafosse fils, adjoint, Quévremont aîné, Lambert, Jeanne, Thuillier, Lafosse père et Maze.
"Le maire fait observer que dans le premier paragraphe de son testament, François Lesain a légué à la fabrique de Jumièges 10.000 F pour l'achat de deux cloches et autres ornements quatre ans après le décès de son épouse et que par son dernier paragraphe il est dit :
dans le cas où l'église d'Yainville serait rétablie avant l'époque ci-dessus mentionnée, cette somme de 10.000F resterait au bénéfice de la fabrique d'Yainville et non à celle de Jumièges.
qu'il faudrait donc faire construire un second clocher, dépense qui deviendrait bien dispendieuse à la commune, et qu'il y a tout lieu de croire que les intentions du testateur qui demeurait et couchait à peu près à la distance de six mètres de l'église étaient bien que cette somme fut employée par le conseil de fabrique d'Yainville comme il aviserait bien. Jumièges qui possède un monument spacieux pourrait très bien recevoir deux cloches et non Yainville, c'est pourquoi qu'il serait bon de suivre le deuxième paragraphe du testament et elle supplie M. le Préfet de bien vouloir venir au secours de la commune pour solliciter de Monsieur le ministre la marche à suivre en pareille circonstance..."
Compromis avec Charles Lesain
Manifestement, Charles Lesain a hérité de la ferme-manoir à une condition : verser les 10 000 F, que ce soit à la fabrique de Jumièges ou celle d'Yainville. Faute de versement, la paroisse bénéficiaire du legs peut théoriquement saisir ou faire vendre le bien pour obtenir son dû. De son côté, Lesain est réticent à sortir brutalement cette somme pour une raison qui lui appartient. Voire pour jouer la montre. En tout cas, un accord est recherché. Le 14 juin 1847, Quévremont, le châtetelain du Taillis, président de la fabrique d'Yainville, convoque une réunion décisive. Et Lesain y participe ! Un arrangement est conclu. Plutôt que de verser immédiatement les 10 000 francs, Charles Lesain conservera la somme cinq ans jusqu’en 1852, en échange d’un intérêt de 4 % net, soit 400 francs par an. Quévremont insiste bien : la fabrique peut exiger un remboursement partiel avec un préavis de trois mois. Ce compromis évite un conflit tout en garantissant des revenus réguliers à l’église.
Charles Lesain quant à lui avait tout intérêt à signer. Il ne débourse rien immédiatement, garde le contrôle de la somme, paie un intérêt modéré, évite toute avocasserie et peut faire fructifier l’argent dans l’intervalle.
On interroge l'archevêque
Peut-on interrompre un
moment votre lecture, Monseigneur ?
Le 23 juin, de Rouen, les services
préfectoraux rappellent à l'archevêque
de Rouen
les dispositions testamentaires de François Lesain.
"Madame Lesain est morte le 23 juillet 1842 et l'église d'Yainville a été érigée en succursale le 3 mai 1846. Une ordonnance royale du 13 mars 1847 autorisa en conséquence la fabrique de cette église à se mettre en possession de la somme de 10.000F provenant du legs précité et à l'employer à l'achat de cloches et d'ornements d'église, conformément aux intentions du testateur."
Seulement, assure le conseil d’Yainville, acheter une seconde cloche serait absurde. L’édifice ne peut la contenir, sauf à bâtir un nouveau clocher. Le Préfet demande donc à l’archevêque s'il partage avec lui la même vision : le testateur voulait-il réellement deux cloches à Yainville ? Ne s’est-il pas abstenu d’imposer cette obligation dans le paragraphe conditionnel ?
Il va mettre un mois à répondre. Mais il va répondre. Mgr de bailleul approuve tout ce que pense le Préfet. Pas de cloche superflue.
Et on remonte... à 1689 !
Pendant ce temps, le président de la jeune fabrique Yainville se montre teigneux. Il veut faire payer aux Jumiégeois une somme indûment perçue à ses yeux. Pour lui, elle revenait de droit à Yainville.
De la rue d'Ecosse à celle du Chant-des-Oiseaux, il n'y a qu'un pas. Il s'en va frapper un beau matin au n° 11 chez les Demoiselles Leleu, propriétaires d'une ferme à Yainville. Bien renseigné, il a une idée en tête et en trouve confirmation dans les actes notariés que lui présentent aimablement ces Dames. Leur lecture nous plonge près de deux siècles en arrière.
Le 22 mars 1689, contre une messe basse le samedi pur le repos de son âme, une rente perpétuelle de 16 livres est fondée par Charles Ballier au profit de la fabrique d’Yainville. Ce versement annuel estr grevé sur la ferme qu'il possède dans la paroisse. Ce qui fut enregistré par Me Duchemin, alors notaire à ce que l'on appelait alors Saint-Georges-sous-Jumièges C'est vous dire si ça date. Mais reste d'actualité. La ferme au fil du temps allait changer de main. En 1829, le sieur Leleu père des demoisselles, en est propriétaire et décide alors de solder la rente en versant un capital représentant 20 versements annuels. Ainsi, 335 F allèrent dans les caisses de la fabrique de Jumièges. Ce qui fut enregistré chez Me Leboucher, prédécesseur de Bicheray, le conseiller municipal de Jumièges.
Alors, le 28 juin 1847, Quévremont demande l'appui du Préfet pour récupérer ces 335 F. Beau prince, il fait grâce à ses voisins des versements annuels de la rente perçus avant 1829.
Si l'on dit teigneux et bien renseigné, en parlant de Quévremont, c'est que sa démarche est troublante. D'abord il fallait avoir connaissance de cette rente portée dans le registre de la fabrique. On y apprend que depuis 1689, les versements effectués ont été repris par Pierre Delahaye puis par Bertin, un bourgeois de Rouen, Le registre disparut de l'église avant la Révolution. Il ne réapparut qu'en 2007 lorsque les archives départementales en firent l'acquisition. Pour savoir que Leleu avait traité avec le maire de Jumièges en 1829, il fallait que Quévremont en soit averti. Par qui ?...
Revoir la parole du Roi !
Le 25 août 1847, Michel Hébert, le nouveau garde des sceaux, propose de modifier l’ordonnance royale. Il reconnaît que l’église d’Yainville est suffisamment pourvue d’ornements et qu’une seconde cloche est inutile. Il approuve le placement des 10 000 francs sur Charles Lesain à 4 % et suggère de convertir ce capital en rentes sur l’État pour une gestion plus sûre. « Il s’agirait dès lors de rapporter la disposition de l’ordonnance royale du 13 mars dernier, relative à l’emploi de la somme de 10.000F », conclut-il.
Et ainsi, une querelle de cloches devient affaire d’État… mais surtout, le dernier mot revient à la logique : mieux vaut préserver les pierres que faire tinter du bronze inutilement.
Une nouvelle controverse a vu le jour à propos de l'élargissement du chemin de Jumièges à Duclair. On accuse Metterie d'avoir rogné les terrains des orphelins Ouin pour préserver les siens. Le ton monte au point que, le 20 septembre, il démissionne avec éclat... Mais reste en poste. Il engage même la municipalité dans un conflit foncier avec Charles Lesain pour récupérer des parcelles communales. Là, il trouve des partisans. Mais le 27 septembre, le conseil est à nouveau houleux. Quèvrement en fait le compte-rendu au préfet : "C'était pour payer l'indemnité du logement de M. le curé par ordre que vous lui avez expédié de remettre à M. le curé son mandat pour toucher chez le receveur. Le conseil ayant été de votre avis, il s'y est refusé en s'écriant : je vais donner encore ma démission. Ce sera pour la quatrième fois ! " Le maire va devenir de plus en plus isolé et ses conseillers l'abandonnent à ses frasques.
Des travaux contestés
La restauration de l'église menée par l’architecte Alain Drouin suscita des tensions. Le conseil municipal contesta la qualité de certains travaux, notamment les peintures, et refusait de payer les 6 130,82 francs réclamés. « Cette peinture n’avait presque pas d’adhérence avec les murs dans la partie basse de l’édifice », note un rapport, pointant une possible mauvaise qualité de la colle. Après inspection, le Préfet approuve le mémoire de Drouin, sous réserve que l’entrepreneur refasse la peinture défectueuse.
En novembre 1847, le Préfet transmet à Henry Charles Grégoire deux lettres de Drouin, l'architecte chargé des réparations de l’église d’Yainville. L’une fait le point sur les dépenses, l’autre justifie des travaux supplémentaires, jugés indispensables, mais non prévus au devis initial.
Henry Charles Grégoire, c'est l'architecte départemental. Alors, le baron Dupont-Delaporte mandate Grégoire pour examiner les faits sur place. Il s’y rend, accompagné de Drouin et est accueilli par le maire. Là, l'homme de l'art vérifie le métré établi en juin et qui chiffre les travaux à 6 082,78 F. Il note des imprécisions, notamment des postes globaux sans détail comme la charpente, la vitrerie, Il demande donc un décompte plus détaillé que Drouin lui remettra.
Quévremont se lâche
Opposant déterminé, bien que discret au départ, le châtelain du Taillis finit par adresser une lettre virulente au préfet le 9 décembre 1847. Jean-Henry de Quévremont accuse Metterie de tyrannie, le qualifie d’homme à "main de fer", dangereux pour la commune. Il dénonce tour à tour ses "feintes douceurs", ses abus d’autorité et ses injustices. L’affaire du chemin dans laquelle les orphelins Ouin ont été spoliés est le parfait exemple de conflit d’intérêts. Solidaire du conseil municipal auquel il appartient, le président du conseil de paroisse assure que plus aucun élu ne souhaite siéger sous l’autorité de Metterie.
Revoir les peintures
En janvier 1848, Grégoire rappelle au Préfet les objections de la commune : travaux hors devis, peintures médiocres, dépenses non justifiées. Il reconnaît qu’il est difficile d’évaluer les décisions de l’architecte une fois les travaux terminés, mais considère que les explications fournies sont valables. « Il serait fâcheux que l’architecte n’eût pas une certaine latitude. » Grégoire estime que les modifications apportées servent l’intérêt du monument. Concernant les peintures, l'architecte département estime que le prix a été justifié par la restauration de fresques anciennes. Toutefois, il constate que la peinture n’adhère pas dans les parties basses, sans doute à cause d’une colle de mauvaise qualité, et conclut : « Ce travail doit être refait sur deux mètres de hauteur.»
Les autres dépenses, notamment sur la couverture, avaient été ordonnées par l’autorité locale et parfois avant l’adjudication.
En conclusion, Grégoire recommande l’approbation du nouveau mémoire, établi le 20 janvier, portant à 6 130,82 F la dépense finale — à condition que l’entrepreneur reprenne les peintures défectueuses.
De grands bouleversements
Metterie est ne peut plus gouverner. Lorsqu'il convoque un nouveau conseil, en février 1848, seul un élu se présente chez lui. Puis repart aussitôt. Et ce sera l'un des derniers actes du baron Dupont-Delaporte envers Yainville : lui donner un nouveau maire. Son choix se porte sur Jean-Augustin Lafosse. La passation de pouvoir s'effectue à coups d'invectives. Metterie rend les clefs, les ducuments municipaux. Mais des registres manquent. Et surtout le legs du presbytère...
Mais voilà qu'une nouvelle révolution gronde. Déjà secouée par une crise locale, l'église d'Yainville aura-t-elle à en souffrir ?
Article 2
La fabrique de l'église succursale d'Yainville est autorisée à se mettre en possession, à dater du jour de la présente ordonnance, de la somme de dix mille francs provenant du legs précité du St Lesain et à l'employer à l'achat de cloches et d'ornements d'église, conformément aux intentions du testateur.
Article 3
Notre Garde des Sceaux, Ministre Secrétaire d'Etat au département de la Justice et des Cultes, est chargé de l'exécution du la présente ordonnance qui sera insérée au bulletin des lois.
Paris, le 13 mars 1847.
Signé :
Louis-Philippe
Louis-Philippe
Par le Roi :
Le ministre des travaux publics chargé par intérim du département de la Justice et des Cultes.
Signé : S. Dumos
Pour ampliation etc.
Trop de cloches pour Yainville !
"L'achat de cloches !" Comme le Roi y va. Pour Jumièges, passe encore. Mais pour Yainville, une seule suffira. Le 7 mai 1847, 9 h du matin, le conseil d'Yainville se réunit dans une ambiance que l'on devine tendue. Mais nécessité fait loi. Il y a là Metterie, Lafosse fils, adjoint, Quévremont aîné, Lambert, Jeanne, Thuillier, Lafosse père et Maze.
"Le maire fait observer que dans le premier paragraphe de son testament, François Lesain a légué à la fabrique de Jumièges 10.000 F pour l'achat de deux cloches et autres ornements quatre ans après le décès de son épouse et que par son dernier paragraphe il est dit :
dans le cas où l'église d'Yainville serait rétablie avant l'époque ci-dessus mentionnée, cette somme de 10.000F resterait au bénéfice de la fabrique d'Yainville et non à celle de Jumièges.
qu'il faudrait donc faire construire un second clocher, dépense qui deviendrait bien dispendieuse à la commune, et qu'il y a tout lieu de croire que les intentions du testateur qui demeurait et couchait à peu près à la distance de six mètres de l'église étaient bien que cette somme fut employée par le conseil de fabrique d'Yainville comme il aviserait bien. Jumièges qui possède un monument spacieux pourrait très bien recevoir deux cloches et non Yainville, c'est pourquoi qu'il serait bon de suivre le deuxième paragraphe du testament et elle supplie M. le Préfet de bien vouloir venir au secours de la commune pour solliciter de Monsieur le ministre la marche à suivre en pareille circonstance..."
Compromis avec Charles Lesain
Manifestement, Charles Lesain a hérité de la ferme-manoir à une condition : verser les 10 000 F, que ce soit à la fabrique de Jumièges ou celle d'Yainville. Faute de versement, la paroisse bénéficiaire du legs peut théoriquement saisir ou faire vendre le bien pour obtenir son dû. De son côté, Lesain est réticent à sortir brutalement cette somme pour une raison qui lui appartient. Voire pour jouer la montre. En tout cas, un accord est recherché. Le 14 juin 1847, Quévremont, le châtetelain du Taillis, président de la fabrique d'Yainville, convoque une réunion décisive. Et Lesain y participe ! Un arrangement est conclu. Plutôt que de verser immédiatement les 10 000 francs, Charles Lesain conservera la somme cinq ans jusqu’en 1852, en échange d’un intérêt de 4 % net, soit 400 francs par an. Quévremont insiste bien : la fabrique peut exiger un remboursement partiel avec un préavis de trois mois. Ce compromis évite un conflit tout en garantissant des revenus réguliers à l’église.
Charles Lesain quant à lui avait tout intérêt à signer. Il ne débourse rien immédiatement, garde le contrôle de la somme, paie un intérêt modéré, évite toute avocasserie et peut faire fructifier l’argent dans l’intervalle.
On interroge l'archevêque

"Madame Lesain est morte le 23 juillet 1842 et l'église d'Yainville a été érigée en succursale le 3 mai 1846. Une ordonnance royale du 13 mars 1847 autorisa en conséquence la fabrique de cette église à se mettre en possession de la somme de 10.000F provenant du legs précité et à l'employer à l'achat de cloches et d'ornements d'église, conformément aux intentions du testateur."
Seulement, assure le conseil d’Yainville, acheter une seconde cloche serait absurde. L’édifice ne peut la contenir, sauf à bâtir un nouveau clocher. Le Préfet demande donc à l’archevêque s'il partage avec lui la même vision : le testateur voulait-il réellement deux cloches à Yainville ? Ne s’est-il pas abstenu d’imposer cette obligation dans le paragraphe conditionnel ?
Il va mettre un mois à répondre. Mais il va répondre. Mgr de bailleul approuve tout ce que pense le Préfet. Pas de cloche superflue.
Et on remonte... à 1689 !
Pendant ce temps, le président de la jeune fabrique Yainville se montre teigneux. Il veut faire payer aux Jumiégeois une somme indûment perçue à ses yeux. Pour lui, elle revenait de droit à Yainville.
De la rue d'Ecosse à celle du Chant-des-Oiseaux, il n'y a qu'un pas. Il s'en va frapper un beau matin au n° 11 chez les Demoiselles Leleu, propriétaires d'une ferme à Yainville. Bien renseigné, il a une idée en tête et en trouve confirmation dans les actes notariés que lui présentent aimablement ces Dames. Leur lecture nous plonge près de deux siècles en arrière.
Le 22 mars 1689, contre une messe basse le samedi pur le repos de son âme, une rente perpétuelle de 16 livres est fondée par Charles Ballier au profit de la fabrique d’Yainville. Ce versement annuel estr grevé sur la ferme qu'il possède dans la paroisse. Ce qui fut enregistré par Me Duchemin, alors notaire à ce que l'on appelait alors Saint-Georges-sous-Jumièges C'est vous dire si ça date. Mais reste d'actualité. La ferme au fil du temps allait changer de main. En 1829, le sieur Leleu père des demoisselles, en est propriétaire et décide alors de solder la rente en versant un capital représentant 20 versements annuels. Ainsi, 335 F allèrent dans les caisses de la fabrique de Jumièges. Ce qui fut enregistré chez Me Leboucher, prédécesseur de Bicheray, le conseiller municipal de Jumièges.
Alors, le 28 juin 1847, Quévremont demande l'appui du Préfet pour récupérer ces 335 F. Beau prince, il fait grâce à ses voisins des versements annuels de la rente perçus avant 1829.
Si l'on dit teigneux et bien renseigné, en parlant de Quévremont, c'est que sa démarche est troublante. D'abord il fallait avoir connaissance de cette rente portée dans le registre de la fabrique. On y apprend que depuis 1689, les versements effectués ont été repris par Pierre Delahaye puis par Bertin, un bourgeois de Rouen, Le registre disparut de l'église avant la Révolution. Il ne réapparut qu'en 2007 lorsque les archives départementales en firent l'acquisition. Pour savoir que Leleu avait traité avec le maire de Jumièges en 1829, il fallait que Quévremont en soit averti. Par qui ?...
Revoir la parole du Roi !
Le 25 août 1847, Michel Hébert, le nouveau garde des sceaux, propose de modifier l’ordonnance royale. Il reconnaît que l’église d’Yainville est suffisamment pourvue d’ornements et qu’une seconde cloche est inutile. Il approuve le placement des 10 000 francs sur Charles Lesain à 4 % et suggère de convertir ce capital en rentes sur l’État pour une gestion plus sûre. « Il s’agirait dès lors de rapporter la disposition de l’ordonnance royale du 13 mars dernier, relative à l’emploi de la somme de 10.000F », conclut-il.
Et ainsi, une querelle de cloches devient affaire d’État… mais surtout, le dernier mot revient à la logique : mieux vaut préserver les pierres que faire tinter du bronze inutilement.
Une nouvelle controverse a vu le jour à propos de l'élargissement du chemin de Jumièges à Duclair. On accuse Metterie d'avoir rogné les terrains des orphelins Ouin pour préserver les siens. Le ton monte au point que, le 20 septembre, il démissionne avec éclat... Mais reste en poste. Il engage même la municipalité dans un conflit foncier avec Charles Lesain pour récupérer des parcelles communales. Là, il trouve des partisans. Mais le 27 septembre, le conseil est à nouveau houleux. Quèvrement en fait le compte-rendu au préfet : "C'était pour payer l'indemnité du logement de M. le curé par ordre que vous lui avez expédié de remettre à M. le curé son mandat pour toucher chez le receveur. Le conseil ayant été de votre avis, il s'y est refusé en s'écriant : je vais donner encore ma démission. Ce sera pour la quatrième fois ! " Le maire va devenir de plus en plus isolé et ses conseillers l'abandonnent à ses frasques.
Des travaux contestés
La restauration de l'église menée par l’architecte Alain Drouin suscita des tensions. Le conseil municipal contesta la qualité de certains travaux, notamment les peintures, et refusait de payer les 6 130,82 francs réclamés. « Cette peinture n’avait presque pas d’adhérence avec les murs dans la partie basse de l’édifice », note un rapport, pointant une possible mauvaise qualité de la colle. Après inspection, le Préfet approuve le mémoire de Drouin, sous réserve que l’entrepreneur refasse la peinture défectueuse.
En novembre 1847, le Préfet transmet à Henry Charles Grégoire deux lettres de Drouin, l'architecte chargé des réparations de l’église d’Yainville. L’une fait le point sur les dépenses, l’autre justifie des travaux supplémentaires, jugés indispensables, mais non prévus au devis initial.
Henry Charles Grégoire, c'est l'architecte départemental. Alors, le baron Dupont-Delaporte mandate Grégoire pour examiner les faits sur place. Il s’y rend, accompagné de Drouin et est accueilli par le maire. Là, l'homme de l'art vérifie le métré établi en juin et qui chiffre les travaux à 6 082,78 F. Il note des imprécisions, notamment des postes globaux sans détail comme la charpente, la vitrerie, Il demande donc un décompte plus détaillé que Drouin lui remettra.
Quévremont se lâche
Opposant déterminé, bien que discret au départ, le châtelain du Taillis finit par adresser une lettre virulente au préfet le 9 décembre 1847. Jean-Henry de Quévremont accuse Metterie de tyrannie, le qualifie d’homme à "main de fer", dangereux pour la commune. Il dénonce tour à tour ses "feintes douceurs", ses abus d’autorité et ses injustices. L’affaire du chemin dans laquelle les orphelins Ouin ont été spoliés est le parfait exemple de conflit d’intérêts. Solidaire du conseil municipal auquel il appartient, le président du conseil de paroisse assure que plus aucun élu ne souhaite siéger sous l’autorité de Metterie.
Revoir les peintures
En janvier 1848, Grégoire rappelle au Préfet les objections de la commune : travaux hors devis, peintures médiocres, dépenses non justifiées. Il reconnaît qu’il est difficile d’évaluer les décisions de l’architecte une fois les travaux terminés, mais considère que les explications fournies sont valables. « Il serait fâcheux que l’architecte n’eût pas une certaine latitude. » Grégoire estime que les modifications apportées servent l’intérêt du monument. Concernant les peintures, l'architecte département estime que le prix a été justifié par la restauration de fresques anciennes. Toutefois, il constate que la peinture n’adhère pas dans les parties basses, sans doute à cause d’une colle de mauvaise qualité, et conclut : « Ce travail doit être refait sur deux mètres de hauteur.»
Les autres dépenses, notamment sur la couverture, avaient été ordonnées par l’autorité locale et parfois avant l’adjudication.
En conclusion, Grégoire recommande l’approbation du nouveau mémoire, établi le 20 janvier, portant à 6 130,82 F la dépense finale — à condition que l’entrepreneur reprenne les peintures défectueuses.
De grands bouleversements
Metterie est ne peut plus gouverner. Lorsqu'il convoque un nouveau conseil, en février 1848, seul un élu se présente chez lui. Puis repart aussitôt. Et ce sera l'un des derniers actes du baron Dupont-Delaporte envers Yainville : lui donner un nouveau maire. Son choix se porte sur Jean-Augustin Lafosse. La passation de pouvoir s'effectue à coups d'invectives. Metterie rend les clefs, les ducuments municipaux. Mais des registres manquent. Et surtout le legs du presbytère...
Mais voilà qu'une nouvelle révolution gronde. Déjà secouée par une crise locale, l'église d'Yainville aura-t-elle à en souffrir ?
Laurent
QUEVILLY.
Sources
Archives départementales de la Seine-Maritime, dossier 2V19, numérisation Jean-Yves et Josiane Marchand. Textes originaux

Délibérations du conseil municipal d'Yainville numérisés par Edith Lebourgeois.