Par
Laurent Quevilly-Mainberte
3 mars 1848. Chassé par une nouvelle Révolution, le dernier roi des Français débarque à Newhaven. Quelle coïncidence ! En guise d'amer, il a dans son champ de vision la sosie de l'église d'Yainville. Mais au fait, que devient-elle celle-là...

Le dossier de l'église d'Yainville reste alors en souffrance. Piétine. Accablée financièrement, la commune doit emprunter pour régler les travaux effectués par Cottard. Et pourtant, l’air se fait plus léger lorsqu’un nouveau visage apparaît...
Tiens, un curé-poète !


©Photo: Philippe
Chéron
Octobre 1852, à Rouen, la direction des finances reprend les affaires en main. Une lettre part, adressée au président du conseil de fabrique d’Yainville :
"J'ai reçu la délibération que vous m'avez envoyée ce 6 octobre courant et par laquelle le conseil de fabrique de l'église d'Yainville sollicite l'autorisation de placer en rente sur l'Etat les 10.000F légués à ladite église par M. Lesain..."
Ces fonds dorment toujours entre les mains de son héritier, retranché derrière l'église. Le fonctionnaire accepte d'appuyer la demande, mais conditionne son soutien : un inventaire complet des vases sacrés, linges et ornements de l’église doit accompagner le dossier. Une preuve, un argument visuel, pour convaincre le Conseil d'État.
La fabrique s’exécute. Le 14 octobre 1852, la division des finances peut enfin écrire à l’archevêque :
"Cette demande est en opposition avec les termes du testament et l'ordonnance royale d'autorisation, mais la petite église monumentale d'Yainville étant à ma connaissance suffisamment munie d'ornements, il me parait opportun d'appuyer la requête de la fabrique..."
L’archevêque Louis de Rouen donne, comme toujours, un avis favorable.
On interpelle Louis-Napoléon
Le 25 octobre, le nouveau Préfet, Ernest Le Roy de Boisaumarié, écrivit donc au ministre des Cultes à Paris en lui demandant d'intervenir auprès de Louis-Napoléon, président de la République.
"Par diverses circonstances, le conseil de fabrique de l'église succursale d'Yainville ne s'est pas conformé immédiatement aux instructions que contenait la dépêche du 25 août 1847..."
Il explique : les 10.000 francs, destinés à l’origine à l’église de Jumièges, sont aujourd’hui requis pour Yainville. Le legs, prévu pour l’achat de cloches et d’ornements, n’a plus de raison d’être dans une église déjà bien équipée. Le préfet réclame une révision de l’ordonnance de 1847 et demande qu’on soumette sa proposition à "S.A.S. le Prince-Président". Eh oui, depuis son élection à la présidence de la République, un coup d'Etat est passé par là pour rappeler la lignée des Bonaparte. Dans quelques mois, Napoléon le Petit se fera proclamer empereur.
L'ordonnance enfin modifiée
Le 27, vu toutes les pièces du dossier, le préfet rabâche tout ce qui vient d'être dit. Il considère que Lesain n'exigeait pas dans son testament que l'église d'Yainville soit dotée de cloches. Elle est suffisamment pourvue. Pas question de construire un nouveau clocher et d'endetter la fabrique. Pas question de détruire l'actuel clocher, "l'une des plus belles parties de l'édifice". Alors revoyons l'ordonnance de 47 et autorisons la fabrique à placer ses 10.000F en rentes d'Etat.
1er février 1853, la préfecture relance encore une fois le ministre des Cultes. Le 12, un décret est enfin promulgué au palais des Tuileries. Impérial celui-là !
Décret.
Napoléon, par la grâce de Dieu
et la volonté nationale, Empereur des Français,
A tous présents et à venir, Salut.
Napoléon, par la grâce de Dieu
et la volonté nationale, Empereur des Français,
A tous présents et à venir, Salut.
Sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d'Etat au département de l'Instruction publique et des Cultes,
La section de l'Intérieur, de l'Instruction publique et des Cultes de notre Conseil d'Etat entendue,
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article premier
L'ordonnance royale du 13 mars 1847 qui a autorisé la fabrique de l'église succursale d'Yainville (Seine-Inférieure) à accepter le legs d'une somme de dix mille francs fait à cet établissement par le sieur Lesain, suivant son testament olographe du 20 mai 1823, et a préscrit l'emploi de cette somme à l'achat de cloches et d'ornements est rapportée en ce qui concerne cette dernière disposition.
Le trésorier de la fabrique de l'église d'Yainville est autorisé à placer en rentes sur l'Etat, au nom de cet établissement, la somme de dix mille francs provenant du legs du sieur Lesain.
Article deux
Notre Ministre Secrétaire d'Etat au département de l'Instruction publique et des Cultes est chargé de l'exécution du présent décret.
L'achat de cloches était enfin prescrit et le maire en fut averti le 1er mars.
Lesain garde les sous
Mais voilà, rien ne bouge. Le 14 novembre 1853, Rouen s’impatiente. Une nouvelle lettre presse la fabrique :
"Depuis ce 1er mars, époque à laquelle je vous ai transmis une copie du dit décret, je n'ai pas été informé si le dit placement a été effectué..."
On demande au trésorier s’il pense procéder bientôt au placement, et de s’accorder si besoin avec les héritiers du testateur.
La réponse tombe, signée Mabon. Tiens, un revenant celui-là. Aurait-il trahis la fabrique de Jumièges. Que dit-il le bon Mabon : "Ce placement n'a point encore eu lieu..."
Fort bien. Un délai a été accordé à Charles Lesain, le légataire du testateur. La fabrique, conciliante, avait accepté autrefois que Lesain garde cinq ans les fonds, à condition qu’il paie une rente. Ce compromis, repoussé dans le temps, retarde tout. Mais Mabon promet : "Dès que la fabrique sera rentrée dans ses fonds, j'aurai l'honneur de vous en donner avis..."
Epilogue...
Le 18 mai 1854, Charles Lesain rendit enfin les 10.000F. Le 12 août 1863, il rendit aussi l'âme. En mairie, les témoins de sa mort furent Mabon et le notaire Bicheray qui se dirent ses amis. On avait cru remarquer.
Laurent QUEVILLY.
Sources
Archives départementales de la Seine-Maritime, dossier 2V19, numérisation Jean-Yves et Josiane Marchand.
Mairie d'Yainville, délibérations du conseil municipal, numérisation Edith Lebourgeois.