Le curé d'Yainville était un poète ! Celui qui nous arriva en 1851 avait écrit un « tube » : Noter-Dame d'Autertot. Longtemps poussée dans les noces et banquets, cette chanson fut, par chez nous, aussi célèbre que Ma Normandie.

Alors avec un père prénommé Amour et une mère Victoire, le chérubin va se sentir pousser des ailes.

© Région Normandie – Inventaire général – Philippe Chéron (Collection privée).

Hélas, natif d'Autretot, le père de l'abbé Houlière vint à mourir le 1er mars 1821 à l'Hôtel-Dieu de Rouen. Sa mère se remaria avec un toilier de son voisinage, rue du Rempart-Martainville, le 27 octobre 1825. Veuf, lui aussi, son nouvel époux, Jean-Baptiste Quevily, était originaire de La Haye-du-Theil. Le séminariste a alors 22 ans.
L'abbé Houlière est ordonné prêtre le 9 juin 1827. On le nomme aussitôt vicaire de la paroisse d'Hautot-Saint-Sulpice, dans le Pays de Caux et son premier texte connu date précisément de 1827. Faut-il chanter, faut-il me taire ? Invité chez des amis à condition d'y apporter une chanson de sa composition, il trahit ainsi sa promesse et dès lors, jusqu'à son dernier souffle, Houlière ne cessera de versifier.
Il sillonne le Pays de Caux
En 1828,
Houlière est nommé curé de
Gueutteville, non loin
de Pavilly. Il ne
reste que deux ans dans cette paroisse de 200 âmes
dominée
par le château de la famille Clieu à qui l'on doit
l'introduction du café aux Antilles.
En 1830, Houlière rallie la cure d'Ouainville,
canton de Cany. Il y restera cinq ans et c'est au cours de ce pastorat qu'il ira prêcher
à Autretot, terre de ses
ancêtres paternels. Composée a cette
époque, Notre-Dame
d'Autretot sera très vite sur
toutes les lèvres et cette chanson apporte à
Houlière une notoriété bien
à son insu. Le voyageur qui traverse en train le Pays de
Caux est assuré de l'entendre poussée
à tue-tête..

CANTELEU
En 1841, le voilà vicaire de Canteleu. Il assiste à la Saint-Gorgon et compose à l'occasion une nouvelle chanson populaire. Son passage sur les hauteurs de Rouen illustrera deux dictons populaires : le monde est petit et les grands esprits se rencontrent. En effet, l'abbé Houlière fut amené, le 16 mai 1842, à baptiser un angelot de six mois. Son père habitait en bas de la côte, en direction de Rouen, et possédait le génie de la mécanique qu'il démontrait par des inventions un peu curieuses.... L'enfant à qui Houlière ouvrit la porte sur le monde des chrétiens s'appelait Albert-Eugène Tougard. Un nom dont les racines sont à rechercher du côté de Jumièges et qui se mêla à celui des Mainberte, ce qui m'en fait un cousin. Plus tard, l'abbé Tougard sera l'un des plus grands érudits de Normandie. On lui doit notamment la Géographie de la Seine-Inférieure. Tougard fera montre d'une reconnaissance spirituelle envers celui qui le baptisa. Il éditera plus tard ses poèmes avec une préface originale mais aussi un ouvrage au profit de l'église de Moulineaux...
Harfleur...
Mais en attendant, en 1845, Houlière part dans l'estuaire de la Seine seconder l'abbé Bossel à Harfleur. Sa mère le suit au presbytère. Quant à son frère, Eugène, il réside à Paris.
Notre curé à beau composer des bluettes, il tient au respect lié à sa soutane. Gare à celui qui n'ôte pas son couvre-chef à son passage. "Un jour, racontera-t-il, je semais du pas d'âne dans les rues d'Harfleur quand un enfant me jette en courant un Bonjour Monsieur le Vicaire ! Je le rappelle :
— Dis donc, petit, comment t'appelles-tu ?
— Mais Monsieur, je suis...
— Bon ! Ton père va-t-il quelquefois à la foire de Montivilliers ?
— Oh ! Oui !
— Eh bien, quand il ira, tu le prieras de t'acheter une casquette qui se défasse toute seule.
Le sel de cette anecdote, c'est que la gamin transmit fidèlement ce message à sa famille où personne n'y vit la moindre parabole. Mais un accessoire pour quelque tour de magie.
Une autre fois, passant devant un atelier, il entend s'élever ce cri dont font souvent l'objet les curés de la part des prolos :
— Croâ ! Croâ ! Croâ !...
Houlière s'approche alors de l'ouvrier qui vient de lâcher cette appréciation à son passage :
— Votre patron est-il visible ?
— Eh non !
— c'est fâcheux. Il m'eût peut-être expliqué ce que ne je puis comprendre : c'est que, croyant rencontrer un corbeau, je ne me trouve qu'en présence d'une oie.
Curé d'Yainville

Houlière percevra 900 F d'émoluments par an. On lui assigna un presbytère bien modeste et sa charge lui laissa le temps d'écrire.
Houlière fut cependant l'un des meilleurs prédicateurs de son temps. Le doyen Bobée l'ayant invité à Yvetot, cet éminent ecclésiastique déclara n'avoir jamais entendu meilleures instructions. De même les séminaristes de Rouen qui vinrent l'entendre à Sainte-Niçaise en 1856.
Entre temps, notre curé n'hésite pas à retrousser ses manches. En juin 1853, un série d'incendies criminels embrase les bâtiments sis face à l'église de Jumièges. On y voit le curé d'Yainville faire la chaîne comme tout le monde pour verser de l'eau en compagnie de sa vénérable mère. Mère qui, le 2 février 1855, perdit son second époux, Jean-Baptiste Quevilly. Domestique, il avait 75 ans et mourut au pensionnat Sainte-Barbe de Canteleu.
Le 12 mai 1857, revenant de Quevillon, Houlière rencontre le vicaire cantonal qui s'étonne de la beauté de son chapeau. Houlière se rend compte de la méprise. Il a pris par mégarde le couvre-chef du curé d'Hénouville. Alors, il lui écrit un poème pour s'en excuser et procéder à l'échange.
Le 10 septembre 1860, nouveau poème pour inviter à Yainville le curé de Sainte-Austreberthe le jour du grand mascaret. Manifestement, on fait ripaille au presbytère. De poulet, de « vin très potable ». Un cognac allonge le café. Mais c'est Rose Niorne, la bonne du curé, qu'il faut féliciter. Cette vieille fille a maintenant 45 ans. Sous son toit, le curé d'Yainville vit aussi avec sa mère, Victoire Flavie Lecomte, 67 ans, veuve Houlière, veuve Quevilly...
En 1861, pour sa fête et toujours à l'occasion du mascaret, il invite cette fois l'abbé Guériteau dans ce qu'il appelle parfois son "taudis" ou sa "pauvre masure". Charles-Achilles Guériteau est né en 1828 à Bolbec. D'abord professeur au petit séminaire, il est ordonné prêtre en 1852. Quand il nous vient à Yainville, il est vicaire à Saint-Maclou. Au presbytère d'Yainville, on le devine entouré de chanteurs qui font honneur à leur hôte.
Ce "taudis", il se situe dans la descente qui part de l'église et fait face au calvaire actuel. C'est l'ancienne bonne du curé à la Révolution, Mlle Delafenestre, qui l'a légué sur son lit de mort à la commune avec le vœu qu'une cure soit rétablie à Yainville. Ce qui nous vaut quelques avocasseries entre les héritiers et la municipalité.

A la même époque, Houlière dédie une ode de remerciement à Madame Lepel-Cointet, la propriétaire des ruines de Jumièges qui lui a fait livrer un remède contre le mal de dent. Le 2 septembre 1861, l'abbé Houlière prit encore une part active dans la lutte contre l'incendie qui ravagea l'habitation Sécart.
Août 1863. Victor Pavie, un érudit angevin, est de passage dans la presqu’île de Jumièges :
« A quand la messe d’Yainville, demande-t-il à son aubergiste de Jumièges, chagriné de la voir partir. Dam ! Plus tôt que plus tard ! Monsieur le curé n’aime pas attendre. Je ne m’y fierai pas. Tandis qu’ici, rien ne vous hâte. Vous avez tout le loisir de voir le portrait de sainte Austreberthe et de son loup, représentés sur un pilier de l’église…
Nous cheminâmes rondement, l’œil en quête et l’oreille au guet, la cloche se balançait pour la deuxième fois à la tour d’Yainville quand nous tombâmes sur le village enfoui dans un pli du vallon. Des fidèles, assis dans le cimetière, attendaient, sperabant, et ce repos de quelques minutes sur le théâtre du repos éternel remuait en nous plus d'une pensée. La messe les mûrit et les développa. S'il est doux de prier dans une église accoutumée, il est sain d'en changer et de se dérober par instants aux influences quotidiennes, afin de mieux dégager l'idée immuable et infinie de tout contact extérieur. Que ne sommes-nous pareils à cette pauvre femme agenouillée, la tête dans sa cape, et pour qui Dieu est si visible qu'elle converse avec lui sans la moindre perception des voûtes ni des colonnes sous lesquelles sa divinité s'abrite! »
L'abbé Tougard soulignera la bonté d'Houlière : « Éminemment bon et charitable, il éprouvait le besoin de donner aux pauvres, et de donner toujours. Quand il avait épuisé ses propres ressources, il allait frapper à l'une des portes qui s'ouvraient devant lui. Parfois, — le fait est assez beau pour que nous aimions à le signaler — il se faisait emprunteur plutôt que de se plier à la cruelle nécessité d'un refus.»
A la fin de son sacerdoce, Houlière quitta sa vieille bocasse couverte en paille. Il fit ses adieux
à son « tout petit hameau » et son « tout petit troupeau. » Le 12 mars 1865, il est appelé à la cure de Moulineaux. Une promotion.
Curé de Moulineaux

Houlière va déployer toute son ardeur pour poursuivre sa restauration. Vitraux, peintures murales, carrelage, chaire à prêcher, stalles du chœur et chemin de Croix, tout retrouve une nouvelle jeunesse.
Un corps de sapeur pompier a été créé par le nouveau maire, M. Duhamel. Avec sa Sainte-Barbe, son concours de tir. Le 9 septembre 1866, devant ces sapeurs en armes, l'abbé Houlière célèbre une messe pour inaugurer la statue de saint Louis offerte par Louise de Brissac. L'ancêtre de cette dernière participait à la sixième croisade et la tradition veut que le roi soit venu prier dans la petite église. L'idée de Houlière est de restaurer à l'identique le maître-autel du XIIIe. Mlle de Brissac fait ce jour-là la quête et l'on entend la Céciliène de Duclair donner une aubade.
Houlière est un amateur de photographies, comme nous le verrons. Pour la Sainte-Clothilde du 2 juin 1867, à La Bouille, il en offre une parmi les lots de la tombola.
En mars 1868, à qui fait-on allusion quand, parlant de la commission des Antiquités, le Journal de Rouen écrit : "c'est à elle que l'on doit le maintien en sa place, à l'entrée du chœur, du jubé en bois que le curé et ses paroissiens voulaient reléguer au bas de l'église." Houlière ou son prédécesseur ?
L'abbé Cochet, sans le nommer, brosse un panégyrique de Houlière en avril 1869 : "La petite église de Moulineaux est une preuve de ce que peut le zèle uni à la science pour la restauration d'un édifice presque descendu dans la tombe. Il y a quarante ans cette royale chapelle n'avait plus que ses quatre murs et le verre peint de ses fenêtres. L'archéologie la prit dans ses bras et l'a rendue digne des rois Richard et saint Louis, qui y prièrent autrefois. La science l'a remise à la piété, qui a achevé son œuvre en lui rendant un éclat digne des plus beaux jours de l'art chrétien." Hélas, tout va être remis en cause...
Victime de la guerre de 70
photoclub de Rouen. /
Collection Philippe Chéron). ►
Le 30 décembre, vers 4h de l'après-midi, un des officiers prussiens qui logeait au presbytère invita soudain Houlière à s'enfermer dans sa cave. Le curé n'avait pas fini de fermer ses fenêtres qu'une vive fusillade s'engagea sur la route. Une balle vint transpercer la porte du jardin, une autre sectionna la branche d'un poirier, à quelques pas de la maison. Comment rester ici dans de telles conditions ? Houlière emporta sa mère de 89 ans chez son confrère de Caumont.
De violents combats auront lieu les 30 et 31 décembre. Le 4 janvier 1871, par un froid sibérien, les gardes mobiles harcèlent cinq fois plus de Prussiens. L'église fit les frais de ces événements.
La paix revenue, Houlière reprit son bâton de pèlerin pour en réparer les outrages et rendit aussi un vibrant hommage aux combattants. En avril 1872, notre curé menait toujours en compagnie du maire, Duhamel, une "souscription patriotique pour la libération du territoire" qui se taillait un franc succès. Le 14 juillet suivant, on inaugurait un autel en pierre dû aux ciseaux de M. Bonnet sur des plans de Henry Desmarets, fils de l'architecte départemental. En lançant un nouvel appel aux dons, Houlière avait tenu à retrouver l'esprit du maître-autel primitif longtemps remplacé par un modèle moderne. Il lança encore une souscription en vendant une poésie intitulée Mon image. Elle était illustrée de son portrait tenant d'une main une bourse et de l'autre une photographie rare de Moulineaux. Les 6.000 F rapidement recueillis allèrent à la réfection du maître-autel.
Quand Houlière réceptionna ce chef-d'œuvre, le sculpteur lui fit simplement remarquer :
— Les deux faces latérales étaient unies sur le plan primitif. Je les ai trouvées trop nues et me suis permis de les décorer d'une rosace.
— Et moi, répliqua l'abbé, une fois la facture payée, il me resterait 200 F. Je vous les abandonne...
Le jour de l'inauguration, nombre de chanteurs et musiciens vinrent de Rouen prêter leur concours.

La silhouette d'un prêtre se dessine, venant de la mairie et descendant vers l'église. A gauche se trouve le presbytère.
Alors qu'une souscription était lancée pour l"érection d'un monument la gloire des Mobiles tombés à Château-Robert, Houlière entretenait dans son église la flamme patriotique. Le 4 janvier 1873 eut lieu un service funèbre en mémoire des victimes.
Parmi les auditeurs de ses sermons à Moulineaux, l'abbé comptait un académicien. Qui sans doute apprécia la qualité de sa prose. Antoine-Sénateur Houlière vouait une admiration pour Théodore Lebreton et Ludovic Gully, deux enfants du peuple hissés dans la nacelle de la République des lettres. Il échangea des épîtres rimées avec Lebreton, gérant de la feuille maçonnique de La Fraternité.
Houlière avait pour cousin un autre prêtre du même nom que lui et né à Yvetot : Auguste Houlière qui sera curé de Jumièges. Celui-ci invitait souvent à la table du curé de Moulineaux de jeunes professeurs à qui notre chansonnier déclamait de mémoire et avec une truculente bonhomie des poèmes écrits quarante ans plus tôt. Un jeune vicaire l'ayant pris pour directeur de conscience s'émerveillait que l'abbé possédât sur le bout des doigts l'évangile selon saint Paul et l'appliquât avec un à propos parfait. Il avait fait une étude particulière de la théologie ascétique et lisait avec délice les mystiques espagnols.
Le 6 août 1873, Houlière eut le malheur de perdre sa mère, Victoire Flavie Lecomte, décédée au presbytère à 92 ans. Houlière projetait une nouvelle campagne en faveur de son église. Il s'agissait de reconstruire les deux petits autels placés en avant du chœur. En 1873, il confia la rédaction d'un livre à deux jeunes ecclésiastiques : l'abbé Coipel pour quelques notes archéologiques sur l'église mais surtout l'abbé Tougard, filleul de l'abbé Houlière, pour l'histoire de la commune. L'éditeur Coignard prenait à sa charge les frais d'impression.
Frappé par la maladie
Le 9 janvier 1874, un mal foudroyant frappa le curé qui fut éloigné trois semaines de sa paroisse. Pour le spitituel patient, ce fut "une lettre mise à la poste par le bon Dieu pour lui annoncer sa prochaine venue." Rendu à sa paroisse, ses jambes lui refusaient leur service.
La rédaction de la notice, un moment interrompue, repris son cours jusqu'à son point final, le 3 mai 1874. Elle fut dédiée à M. Dutuit, insigne bienfaiteur du monument.
A la fin de son sacerdoce, l'abbé Houlière se montrait inconsolable du décès de l'un de ses paroissiens au motif que cette mort subite était intervenue en son absence.
En 1875, à 72 ans, miné par sa maladie, cédant sa cure à l'abbé Faravel, il se retire à la maison diocésaine de Bonsecours et met ses livres en vente. Il s'informa de savoir si le bibliophile qui se manifesta entendait les payer à leur prix. Ce qui lui fut confirmé.
— Puisqu'il ne chipote pas, décréta l'abbé, quand il aura fait son total, vous lui rabattrez la moitié de la somme.
Deux ans plus tard, il célèbre sa cinquantaine de sacerdoce. Il fit à cette occasion une retraite de toute sa vie avec une piété qui édifia ceux qui en furent témoins. Notamment son confesseur avec qui il s'entretenait trois fois dans la journée. .
Il s'essaya encore à la rime pour distraire ses compagnons d'infortune. Le 13 décembre 1883, pour les octogénaires du mois, dont il fait partie, il écrit encore.
De l'homme ici-bas recommence,
Avant qu'il dépose bilan.

◄ Maison diocésaine de Bonsecours
Les chansons de l'abbé Houlière étaient dispersées dans diverses revues, comme l'Almanach du Pays de Bray ou encore des feuilles volantes. Voire certains journaux. Dans son édition du 5 mars 1887, Le Pilote de Caudebec publie Le Mascaret, un poème de Houlière. Ce fut son cousin qui les réunit dans un recueil vendu au profit de bonnes œuvres.
L’abbé Tougard, le célèbre érudit, préfaça la première édition sous le titre de Poésies d’un curé de village, imprimerie Espérance Cagniard, 1886.
Rapidement épuisé, l’ouvrage connut une seconde édition dès l’année suivante, préfacé cette fois par le cousin d'Houlière. Les poésies d'un curé de campagne rassemblent 27 titres.
En 1904, la presse diocésaine n'a pas oublié Houlière :"
Un de ceux dont il y aurait en quelque sorte actualité à évoquer plus longuement la mémoire, serait peut-être M. Houlière. A-t-on assez chanté en ces derniers mois, sans bien savoir d'où elle provenait, une ronde normande, débordante de gaîté saine, d'une observation vive et précise, qu'il se récréa à composer en son jeune temps, un temps lointain déjà ! C'était un poète à la manière de Gresset et de Du Cerceau, tout plein d'ingéniosité et d'esprit. Ses peintures de la Notre-Dame-d'Autretot et de la Saint-Gorgon sont des chefs-d'œuvre de verve qui nous semblent venus du XVIIIe siècle. Il fallait l'entendre dire cela lui-même, avec sa bonhomie si fine, en son tranquille presbytère de Moulineaux, pendant que par les fenêtres ouvertes on apercevait le paysage superbe et les navires glissant silencieusement sur la Seine ! Ironie des destinées ! une chanson bien réussie et qui devient populaire : il en faut moins, à l'époque où nous sommes, pour devenir célèbre ; bah ! pour avoir son buste en quelque endroit public.
L'auteur défunt de la Notre-Dame-d'Autretot aura-t-il quelque jour une notoriété de ce genre ? Nous ne le souhaitons pas, au contraire, quoique au siècle présent tout arrive. Mais si du même coup l'on oubliait en M. Houlière le zélé et parfait restaurateur de sa petite église, ce chef-d'œuvre gothique, si l'on méconnaissait l'excellent et aimable pasteur d'âmes qu'il a été, ce serait bien de l'ingratitude. De longues années, et en s'épuisant certes, il s'ingénia, se démena, quêta pour son église. Voyant qu'elles plaisaient à quelques-uns, il y fit servir ses poésies mêmes. Il réussit, et 'église de Moulineaux en fut embellie. Les paroissiens la fréquentèrent un peu plus, et ce fut sa consolation. Bon prêtre plutôt que tout autre chose : voilà, à propos de lui, ce dont il faudra se souvenir. "
Survivance d'un succès
En 1970, la Notre-Dame fut recueillie à Sainte-Austreberthe auprès de Monsieur Pigault et sa version fut donnée à la "fête nouormande" de 2017. En 1980, un habitant du Mesnil-sous-Jumièges en donna une autre interprétation quelque peu délavée du sel de son patois d'origine. Ailleurs, elle a connu des variantes, des rajouts. Nous la restituons ici telle que l'abbé Houlière l'aura nécessairement chantée durant son séjour à Yainville. Son air est celui de La Comète qui servit aussi de support à la Chanson des Rois. Elle est encore chantée de nos jours dans les cercles cauchois.

- I - La Noter-Dame-d'Autertot Est eune superbe assemblaye Qu'les plus grands violoneux d'Yvetot Et tous les racleux d'la tournaye I' violonent si bien Qu'cha vos enleuve, qu'cha vos enleuve I'violonent si bien Qu'cha vo met tout le monde en train ! |
-II - La veuille les hommes vont cheux l'boucher Faire couper gigots et côt'lettes De là no s'rend chez l'épicier Pou' l'café no fait ses emplettes L'marchand qui n'en r'vient point Dit cha m'enleuve, dit cha m'enleuve L'marchand qui n'en r'vient point Dit cha m'enleuve tant qu'cha va bien |
- III - N'y a point besoin d'avé d'l'ergent I' suffit d'êt' eune vieuille pratique L'marchand est oco bien cotent D'vo vai choisi dans sa boutique No dit écrisez cha Pis nos enleuve, pis nos enleuve No dit écrisez cha L'ergent viendra quantt cha s'pourra. |
- IV - Pendant cha, la maîtresse au four Pétrit des gâtiaux, des galettes Pis chaqu’ marmiot à son tour Veut des douillons et des boulettes No cuit du galuchon Qui vos enleuve, qui vos enleuve No cuit du galuchon Qui vos enleuve tant qu'cha sent bon ! |
-V- Le jou' d'la faïte un grand daîner Met en gaité chaque famille On prend un bon quart ed' café Pis dans les verres l’ieau-de-vie pétille Quand cha vient à passer Cha vos enleuve, cha vos enleuve Pis quand ça d'vient à passer Cha zenleuve la pieau du gosier. |
- VI - Cha n'est pin tout i faut danser Car sans la danse n'ierait point d'fêite C'tit là qui voudrait s'en passer S'rait ben sûr d'y pèdre la têite C'te flûte, ces violons Cha vos enleuve, cha vos enleuve Su timbour, su crincrin Cha vos enleuve filles et garchons. |
- VII - C'est là qu'chacun mont' sen talent Surtout quantt no dans' la gavotte Noz est joyeux, nos est content Mais quantt no crie « l'galot ! » Cha vos enleuve, cha vos enleuve Mais quantt no crie « l'galot ! » Cha vos enleuve, no va l'grand trot. |
- VIII - Souvent i tonne, i grêle, i pleut Pour cha quitt'ra-t-on l'assemblaye? Contr' eul mauvais temps qu'est qu' no peut No brave l'vent et la grêlaye Su timbour, su flutiau Cha vos enleuve, cha vos enleuve Su timbour, su flutiau Cha fait danser les pieds dans l'iau |
- IX - Su plaisi-la vo sembl' si doux Q'no l'fait duai toute eun' semaine : Chaq' soué no s'réunit tertous ; No saut', no danse à pédre haleine. Su tambour, su crin-crin Cha vos enleuve, cha vos enleuve,; Su tambour, su crin-crin, Cha vo fait omblier l'chagrin. |
- X - Y a pin d'bonheu qui n'prenn' fin Y a pin d'si biaux jou qu' la nuit n'vienne Bientôt no change de refrain Et chacun répète s't' antienne C'te flûte, su tambourin Cha vos enleuve, cha vos enleuve, C'te flûte, su tambourin Cha vos enleuve l'ergent pis l'pain |
Et Houlière rajouta ce couplet : A quelqu'un qui s'était pour ainsi dire attribué cette chanson Plus d'un s'est prétendu l'auteur
De cette pauvre chansonnette; Mais il faut être bien menteur Pour nous conter cette sornette S'vanter d'avai fait chansonnette Cha vos enleuve, cha vos enleuve S'vanter d'avai fait cha, Cha vos enleuv' le droit d'papa. |
Du répertoire de la presqu'île de Jumièges, on connaissait la Ronde de Saint-Jean. Voici donc un deuxième titre. Que chantait-on encore au pays normand. J’ai un pied qui r ‘mue et l’aut’ qui n’va guère, Auprès de ma blonde, Ma Normandie, bien entendu et puis Les Gars normands, du Havrais Alexis Ameline, popularisés en 1870 par les Mobiles :
Tenons-nous ben, les éfants ;
Elle n’est pas engourdie
La race des gars normands.
"L’abbé Houlière, qui est mort très âgé en 1883, est facile à comprendre. Son patois est réellement celui que parlent encore en Seine-Inférieure beaucoup de paysans. Il s’est mêlé aux bonnes gens de la campagne, a souri en entendant, à la Noter-Dame-D’Autertot
Et tous les râcleux d’ la tornaye,
et très simplement il a rimé, dans le langage du pays, les tableaux campagnards qui passaient sous ses yeux amusés. Comme aujourd’hui l’abbé Ameline qui, lui, ne patoise pas, il est gai, naturel et ne trahit aucune recherche."
Laurent QUEVILLY.
Notes (♫)
Un remerciement tout particulier à Philippe Chéron, chargé d'étude au Service Patrimoine et Inventaire de la Région Normandie qui nous a transmis copie du portrait de l'abbé Houlière que nous recherchions désespérément. Il fut découvert dans la collection privée d'un ancien lieutenant de la Garde nationale de l'Eure aux côtés de prises de vue diverses datant essentiellement de mars 1871.
Je possède pour ma part la réédition des Poésies d'un curé de village préfacé par Auguste Houlière en 1887 et dédicacé le 21 janvier par l'auteur à l'abbé G. Lefebvre. Le cousin du chansonnier était alors curé de Graville-Sainte-Honorine après avoir quitté Jumièges où il fut en conflit avec la municipalité. J'ai par ailleurs dans ma bibliothèque l'ouvrage sur Moulineaux publié par les abbés Coipel et Tougard en 1874 sous le sacerdoce de Houlière.
Une délibération du conseil d'Yainville sème le doute sur la date précise du départ de l'abbé Houlière d'Yainville pour Moulineaux, en mars 1865. Deux ans plus tard, en 1867, le conseil municipal le dit occuper une maison à usage de presbytère appartenant à M. Le Mire. Ce qui est en contradiction avec l'annonce de la nomination de son successeur, le 26 août 1866, par le Journal de Rouen qui ajoute que la cure est inoccupée depuis plusieurs années. Des précisions seront les bienvenues.
Jean
Baptiste Nicolas Quevilly, beau-père de l'abbé
Houlière, était né le
1er décembre 1775 à La Haye-du-Theil, dans
l'Eure, de François Nicolas
Quevilly et Marie Anne Boché. Il était veuf pour
sa part de Marie-Marguerite Regnault, dite Grospoisson.