Est-il plus petit édifice qui ait si grande vénération! Dans la forêt de Jumièges, au plus proche de Yainville, la chapelle de la Mère de Dieu est bien le trait d'union entre les gens de la presqu'île. Six personnes n'y tiennent pas ensemble. Mais elle est dans le cœur de tous. Balade forestière.
Zorro (Didier Pourhomme), Laurent Quevilly (Davy Crockett) et Isabelle Pourhomme dans son propre rôle...
Après
que l'abbaye eut été
dévastée par les Vikings, le duc Guillaume
était venu y chasser, un matin d'avril 940. Poussant
jusqu'aux restes du monastère, il avait découvert
deux vieux religieux s'exténuant à en remonter
les murs. Guillaume Longue Épée refusa le mauvais
pain d'orge que lui offraient les vieillards. Mal lui en pris. Retourné
à sa chasse, le fils du vaillant Rollon fut
chargé par un sanglier en un lieu de la forêt
connu dans le pays sous le nom de Saussemare.
Voyant en cela une punition de Dieu, il collationna avec les pauvres
moines et, de retour à Rouen, leur adressa ses meilleurs
ouvriers.
Attentat contre Wandrille
Jadis, ces bois étaient une forêt royale. Pages, Philibert et saint Ouen y avaient chassés ensemble. La couronne avait fini par en concéder la majeure partie aux religieux. Quelque 600 hectares. Mais cette forêt de Jumièges était à l’origine bien plus vaste que l’on peut le penser. Car les bois de Saint-Wandrille portaient également ce nom.
Coupes sombres
En forêt de Jumièges, les habitants des trois paroisses de la presqu'île venaient s'y approvisionner en bois de chauffage. De jour comme de nuit. Des abus avaient déjà été sanctionnés aux plaids de l'abbaye quand, en décembre 1519, la justice royale interdit aux paroissiens de poursuivre ces coupes intempestives. En 1541, c'est l'abbé commendataire, le cardinal de Ferrare, qui fut accusé par les moines d'avoir abattu pour 75.000 livres de chênes quand son droit ne portait que sur 15.000. Il argua en avoir revendu une partie pour la construction d'un navire royal et l'achèvement du cloître. Soit 15.000 livres. Mais quid des 60.000 autres... Et de quel droit Ferrare s'arrogeait-il le monopole de l'exploitation forestière? Dix huit avocats s'agitèrent au Parlement et le lieutenant général vint sur les lieux constater les dommages. Le roi intervint en faveur de Ferrare puisqu'il avait agit en partie pour ses intérêts. Et l'on ne discute pas une volonté souveraine. Parlement et religieux s'inclinèrent.
C'est dans cette forêt qu'on envoyait jadis les porcs à la glandée. On y faisait aussi paître les vaches. Et voler parfois du bois. Ce qui donna lieu à quelques procès avec les gardes forestiers.

Quand vint la Révolution, les Jumiégeois, dans leur précipitation, brûlèrent à l'abbaye toutes sortes de documents. Dans sa sagesse, le maire de Yainville, François Lesain, s'interposa et sauva les parchemins concernant sa paroisse. C'est ainsi que seuls les gens de Yainville continuèrent à user du droit de pâture en forêt.
Celle-ci était d'une densité irrégulière. Alternant les parties boisées et les étendues de mousse et de bruyères, voire des sols nus trahissant la mauvaise qualité du sol. Ça et là des cépées de Chênes, quelques maigres bouleaux. La partie la plus boisée était vers le nord. On l'appelait la Réserve. C'est là que nous allions. Vers 1780, on y avait planté force baliveaux de chênes. En lisière et dans la partie la plus septentrionale croissait aussi le hêtre. En 1827, on commença à en abattre une grande partie.
Propriété de l'État, la forêt fut vendue mise en vente en 1832 et divisée en quatre lots.
Le premier, situé sur Duclair et Le Mesnil, 110 hectares, était grevé d'un droit de pâturage de 7 à 8 vaches et de panage pour autant de porcs en faveur de la commune d'Yainville. Des bâtiments y avaient été édifiés par le garde Dimpre et l'acquéreur devait lui verser 500F.
Le 2e lot, 70 hectares, était grevé d'un droit de parcours de cinq vaches et de panage pour autant de porc en faveur d'Yainville.
Le 3e lot, 199 hectares, 213 hectares, avait un droit de parcours de 14 vaches et de panage pour autant de porcs.
Le dernier lot, 213 hectares, était grevé d'un droit de parcours de 15 vaches et de panage pour autant de porcs.
Le sieur Diempre surveillait la forêt en compagnie du garde Metterie.
Ces lots furent attribués aux frères Rondeaux et au sieur Lefort en indivision. En 1842, le sieur Lepicard se porta acquéreur d'une portion de Lefort.
Sur une carte de 1860, on voit une immense trouée cruciforme dans les bois les plus proches de Yainville.
Hardel, propriétaire...
En 1866, le sieur Hardel est propriétaire de la forêt. Son garde-chasse s'appelle Arsène Chrétien. En posant des filets pour capturer des lapins, il commit un délit commandité par son maître.

En revanche, dans La Chasse illustrée du 4 janvier 1863, Hardel fut félicité :
On nous écrit de Jumièges : M. de Saint-André, propriétaire du château de Roumare, autorisé par M. le préfet, sur la demande des cultivateurs riverains, à chasser le sanglier dans la forêt de Jumièges, vient d’ajouter encore à sa bonne renommée.
Aujourd’hui dimanche, trois laies, dont deux du poids de 120 kilogrammes et une de 50 kilogrammes, ont été attaquées et abattues successivement devant son excellent vautrait.
La brisée avait été donnée par le piqueur Alexandre Moulin, au service de M. de Saint-André.
L’une des laies était pleine de douze petits, et l’autre de huit ; deux autres ont été blessées grièvement.
Les propriétaires et cultivateurs riverains de la forêt de Jumièges nous demandent de remercier en leur nom M. de Saint-André et M. Hardel, propriétaire, pour le zèle empressé qu’ils mettent à les débarrasser de ces animaux nuisibles, qui causent journellement tant de dégâts aux récoltes.
On précise, dans L'Evénement que Hardel avait déjà sur place son propre vautrait avant d'être rejoint par celui du baron.
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Deux itinéraires s'offraient à nous. Certains jours, nous montions la côte à Bidaux et passions par le chemin rural n° 6 au nom bien plus poétique de sente aux Amoureux. Sur notre gauche, à travers les arbres, nous devinions tout un quartier champêtre que l'on appelait jadis Le Loup Vert. Plus haut, la plaque de la rue Queue-de-Renard nous tentait. Je savais qu'habitait là une Mainberte de mon sang que je ne connaissais pas. Je savais aussi qu'au bout de cette ruelle au nom si roux étaient les ruines de la maison brûlée. Un corps de ferme déserté qui, vu de la plaine de Duclair, nous intriguait. Mais cette destination nous était interdite. Personne n'approchait plus de la maison brûlée. Comme d'un endroit maudit. Je crois même qu'on y trouva un pendu!..
Un peu plus loin, nous quittions un moment le sentier pour nous enfoncer dans les taillis touffus. Hjoerdis allait reconnaître sa broche. Une petite pièce de bois cernée de talus, ancienne réserve de chasse de son défunt mari. La broche à Marraine! Je trouvais le nom si joli... Broche, brosse, c'est ainsi que l'on appelait autrefois les bosquets près des manoirs dont ils dépendaient.
Puis nous entrions vraiment dans la forêt. Une forte odeur de fougères, de mousse et de feuilles mortes nous saluait.
Maintenant, le parcours le plus fréquent était la Rue sous le val. Nous longions longuement le cimetière par un étroit sentier en lisière de forêt. Là, il est arrivé un jour qu'un minuscule orvet mette subitement en fuite les figures héroïques que nous incarnions.

Parvenus au niveau du stand de tir, nous entrions dans les bois pour en gravir la pente. Invariablement, nous imaginions le Comte de Paris, propriétaire des lieux.
A coup sûr, son cheval allait surgir là-bas, au bout de l'allée, pour nous bouter hors de son lambeau de royaume. C'était le moment le plus long et le plus ennuyeux du voyage. Nous avions hâte d'arriver. Enfin se dessinait le carrefour du cœur de la forêt.
Avant de prendre le chemin de la chapelle, nous allions parfois tout droit jusqu'à la mare aux sangliers. C'était un trou d'eau cimenté et une petite cabane de chasseurs. Elle est aujourd'hui détruite. Voici des lustres, mon père l'avait aménagée en compagnie d'Ernest Coté, l'aubergiste du bac de Jumièges qui était la crème des hommes. Derrière les meurtrières, nous-nous mettions un moment à l'affût. Aucune bête féroce ne venant s'exposer à notre puissance de feu, Hjoerdis battait le rappel. Il était temps de reprendre la route.

La mare aux sangliers et la cabane aux chasseurs édifiée par Raphaël Quevilly et Ernest Coté.
De cette croisée des chemins, vous pouviez pousser aussi jusqu'aux trous fumeux, vers Jumièges. Endroit magique! Repère du diable! En hiver, il s'échappait des vapeurs de ces excavations, surtout pas temps de neige. Ce phénomène était dû à la décomposition de la pyrite au contact de l'air humide. N'empêche, nos ancêtres pensaient ces lieux habités par les démons. On prétendait même que des trésors y étaient enfouis. La rançon de Richard Cœur de Lion! Vers 1790, un de ces sorciers qui peuplaient la presqu'île avait poussé foule de journaliers à creuser l'endroit le plus remarquable, une ancienne carrière de pierre connue sous le nom de Trou au fer. Sur ses recommandations, on venait travailler au cœur de la nuit à la lueur de cierges bénis. Il fallait bien se prémunir des êtres infernaux, propriétaires des richesses enfouies. Quelques formules d'usages étaient également prononcées à cet effet. On chercha durant des années. Aurait-on trouvé le trésor qu'il aurait encore fallu se montrer plus malin que le Malin. Sinon, c'était la mort assurée dans l'année. Il fallait faire tirer le butin par un âne, un chien, un vieux cheval sans valeur. C'est alors l'animal qui subirait la malédiction frappant en Normandie tout inventeur de trésor. Celui-ci déterré, ne jamais le quitter du regard. Et quand vous serez ébloui par son éclat, recouvrez le promptement d'un objet sacré ou aspergez le d'eau bénite.
On a bien trouvé un peu d'argent dans cette forêt. Il est dit parfois que peu après la Révolution, en abattant un vieil arbre, un bûcheron découvrit un vase d'étain. Il contenait des pièces d'argent en abondance, chacune valait alors plus de 20 sous. Ce trésor datait du temps de la Ligue. Quelque riche habitant aura dissimulé là son avoir et la mort l'aura surpris... L'abbé Cochet, lui, nous parle de l'année 1857, date où un forestier mit au jour cette fois un vase contenant des monnaies romaines en bronze. Le curé d'alors en offrit à Lepel-Cointet, propriétaire de l'abbaye.
Plus tard, ignorants de ce mode d'emploi, Didier et moi ainsi qu'un copain nommé Luc Aurélien nous nous étions jurés de découvrir le trésor de l'abbaye. Alors, nous sommes revenus prospecter autour de ces énigmatiques trous qui ne fumaient plus que dans nos têtes.
Dirigeons-nous maintenant vers notre chapelle. Non loin d'elle est encore une étrange excavation:
« II existe dans l'arrondissement de Rouen au moins trois grandes excavations coniques dans le genre de celles du Berry, et offrant, comme elles, le caractère singulier de l'absence de tout vestige de déblai.
« L'une se trouve dans la forêt de Jumièges et porte le nom de Trou de poule ; elle le doit à des redevances féodales en œufs, que les vassaux de l'abbaye venaient avant la révolution y acquitter le jour ou la veille de la Saint-Jean. C'était dans le fond de la mardelle que s'opérait la perception de ces redevances. Elle est très près d'une petite chapelle rustique de la Vierge entre Yainville et Saint-Paul; les dimensions sont d'au moins 100 pieds de diamètre et 70 à 80 de profondeur."
Face à la chapelle s'élevait encore avant guerre un petit édicule (Robert Eude)...
Sous ce titre: " La pêche au chevreuil ", le Journal de Rouen rend compte d'une affaire qui s'est présentée devant le tribunal correctionnel à l'audience du 19 mars 1878. Généralement, les chevreuils se chassent et ne se pêchent pas! Voilà cependant ce qui s'est passé en Seine le 20 février :
Ce jour-là, une chasse au lapin avait été organisée dans le bois de Jumièges et quatre chiens courants venaient, à cet égard, de remplir leur devoir d'une façon remarquable. lorsque, vers trois heures, un vieux basset, malin comme tous tes bassets, et lassé de la petite bête, avise une superbe piste de chevreuil. Immédiatement accourent ses trois camarades.
En dépit des efforts du garde et des invités, les quatre bassets mènent leur chasse en conscience, si bien que le chevreuil impatienté arrive au bord de la Seine et se jette a l'eau.
Ce que voyant, Claude et Bernard deux pêcheurs d'Yville, qui passent avec leur bateau, font force de rames, rejoignent le chevreuil et tentent de s'en emparer.
Au bout de cinq minutes, on débarque sur la rive gauche, et nos pécheurs emmènent leur poisson. pardon! leur chevreuil jusqu'au bourg voisin.
Malheureusement pour eux, ils avaient été vus.. Le lendemain, ils affirmaient que le chevreuil avait cassé sa corde et s'était enfui. Ils juraient également qu'ils avaient cru pouvoir pêcher le chevreuil sans commettre de délit de chasse. Mais procès-verbal fut dressé, et ils viennent d'être condamnée chacun à 50 fr. d'amende pour avoir chassé en temps prohibé (l'un d'eux avait un permis).
Claude et Bernard se sont bien promis de ne plus chasser que des aloses.
Aquarelle de Nadine Ribès
Entrons dans la chapelle...

Et comme de fait, ses entreprises s'attirèrent les largesses du roi. En reconnaissance, là où s'était tenue cette sainte assemblée, l'abbé revint en grande pompe à la tête de tout un peuple révérant. Le lieu où le Christ avait touché terre fut béni comme un lieu de prières. On y planta un chêne et tout autour douze autres. Bien plus tard, celui qui symbolise le Christ a grandi, superbe, protégé par le cercle de sa cour. Par un beau matin d'été, sur la fourche de ce chêne a deux têtes, un passant aperçoit une statuette de la Mère de Dieu. Magnifique. De Jumièges, le prêtre accourt et ramène le précieux objet en son église Saint Valentin. Stupéfaction. Au matin, elle a disparu de son socle. "Eh quoi, se dit le prêtre, un plaisant nous ennuie. Nous la retrouverons et la prochaine fois..."


A la fin du XVIIIe siècle, on venait encore prier devant une statue de la Vierge effectivement juchée dans un chêne. De longue date, elle était invoquée pour guérir des fièvres intermittentes. En 1767, quatre femmes du pays érigèrent l'édifice actuel à leurs frais. Les fidèles gardèrent la coutume de nouer leurs fièvres aux genêts du taillis. Qui en dénouait les branches gagnait à coup sûr la maladie. Ce qui n'empêchait pas les enfants de braver l'interdit.
Deux images d'avant-guerre (R. Eude) |
Une autre superstition était attachée à ce lieu. Si jamais vous veniez à rêver d'un être cher et disparu, c'est qu'à coup sur il était prisonnier du Purgatoire. Pour l'en sortir, il lui fallait des prières et un singulier pèlerinage. La nuit, vous alliez déposer sur sa tombe un bâton blanc. Ensuite, vous vous rendiez à la chapelle de la Mère de Dieu en priant. Les gens de la presqu'île avaient alors la certitude que le défunt les accompagnait en concourant à leurs prières.
Une nouvelle de Maupassant
Ce minuscule édicule avait assez de puissance d'évocation pour inspirer à Maupassant l'un de ses contes de la Bécasse, Un Normand, paru en 1882. Extrait : "On traversa Duclair, puis, au lieu de continuer sur Jumièges, mon ami tourna vers la gauche, et, prenant un chemin de traverse, s'enfonça dans le taillis. Et bientôt, du sommet d'une grande côte, nous découvrions de nouveau la magnifique vallée de la Seine et le fleuve tortueux s'allongeant à nos pieds. Sur la droite, un tout petit bâtiment couvert d'ardoises et surmonté d'un clocher haut comme une ombrelle..."
Ce n'est plus la statue d'origine qui repose aujourd'hui sur l'autel. La vraie trône désormais en l'église de Jumièges, entre saint Pierre et saint Philibert. Curieusement, on ne la retrouve plus au matin en forêt. Quoi que, êtes-vous jamais passé par là de bonne heure?..
Deux fois pillée
Les troncs de l'église de Jumièges sont fracturés dans la nuit du 1er au 2 juin 1885. Préjudice : 8 F. La même nuit, le tronc de la chapelle forestière est lui aussi vidé de ses quelques sous.
Une nuit de novembre 1888, un mur de la chapelle est en partie détruit. On s'est emparé de la vingtaine de francs que contenait le tronc. Enquête de la gendarmerie de Duclair.
La clef est à Yainville
Cette même année 1888, Georges Rondel publie son guide sur les environs de Caudebec et parle ainsi de la chapelle. "On laisse sa voiture au carrefour d'Yainville où l'on est arrivé en prenant le chemin qui s'ouvre en face l'église de ce village, ou bien l'on s'y rend directement du chemin de fer en marchant vers le sud. Là se trouve la maison de Pierre Forcher, le gardien des clefs. Si l'on juge inutile de se faire ouvrir la chapelle, on gravit le chemin perpendiculaire à la voie ferrée jusqu'à la rencontre d'une barrière qu'on franchit pour suivre le premier sentier à gauche. A la rencontre de la ligne de la forêt, on tourne encore à gauche et l'on arrive bientôt à la chapelle. En poussant plus loin, on trouverait l'oratoire de sainte Austreberte et l'on finirait par gagner Duclair.
C'est à la chapelle de la Mère-de-Dieu, lieu de pèlerinage encore très fréquenté par les gens du pays et aux abords de laquelle on peut voir des genêts noués pour guérir de certaines maladies que Guy de Maupassant a placé le sujet de sa nouvelle Un Normand, un des plus désopilants Contes de la Bécasse. Si sa description est peu ressemblante, c'est que le jeune maître voulant avant tout faire œuvre d'art, a puisé ses éléments dans les divers pèlerinages du pays de Caux ; ainsi, nous avons cru reconnaître ailleurs ce brave père Matthieu qui traite sa vierge miraculeuse "avec une familiarité qui n'exclut pas le respect". Quant au personnage de Mélie, c'était peut-être Pauline, la femme du gardien de céans, morte depuis plusieurs mois nous a dit la petite Eugénie, intelligente fillette qui nous a guidés quand nous avons préparé cette partie de notre ouvrage.
La chapelle, qui date du XVIIIe siècle, est une petite construction sans style renfermant toutes sortes d'ex-voto, surtout des épaulettes et des pompons de shako. Il y en a également de cloués aux chênes avoisinants.
L'oratoire de sainte Austreberthe est encore plus primitif. Il est formé d'une simple guérite abritant un vas-relief en bois qui représente le miracle de saint Philibert..."
Entièrement détruite !
Septembre 98 : nouveau fait-divers...
Dans
la forêt de Jumièges, appartenant à M.
Prat, de
Canteleu, au lieu-dit le Chêne et à quatre
kilomètres de Duclair, se trouvait une petite chapelle
très anciennes appelée la
Mère-de-Dieu. Cette
chapelle était un lieu de pèlerinage des
habitants des
communes voisines et beaucoup de paysannes s'y rendaient chaque
année au mois de mai et le 8 de ce mois à cause
de la
fête de la Vierge.
Information reprise par la
presse nationale, notamment le Gaulois
du 13 septembre 98.Avant-hier, vers dix heures, cette chapelle a été la proie des flammes et il n'en reste plus que les quatre murs. Les pertes sont évaluées à 500 francs couvertes par une assurance. La cause est accidentelle, elle est attribuée à plusieurs cierges allumés qui avaient été placés par plusieurs personnes venues le matin en pèlerinage et qui auraient communiqué le feu aux objets déposés près de la statue de la Vierge. Journal de Rouen,
10 septembre 1898.
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La reconstruction
En mai 1899, le Journal de Duclair consacre un long et très bel article à notre chapelle...
Tous les habitants des communes de la Seine-Inférieure et de l'Eure, voisines de Jumièges, se souviennent de l'incendie accidentel qui a détruit il y a quelques mois le petit oratoire dit "La chapelle de la Mère de Dieu", dans la forêt de Jumièges.
L'honorable M. Prat, propriétaire de cette forêt, a, tout récemment, fait réédifier, sur les soubassements incendiés, une nouvelle chapelle. Echaussée de plus d'un mètre, la toiture en est plus coquette que celle de l'ancienne et forme pignon sur façade.
Le voilà donc rétabli dans son ensemble extérieur cet antique Sacellum érigé vers l'an 940 par Guillaume Ier, dit Longue Épée,à la suite d'un vœu à la Mère de Dieux qu'il fit en péril de mort. Il chassait au sanglier dans les fourrés de la presqu'île de Jumièges ; dans l'ardeur de la poursuite, il se trouva bientôt séparé de ses compagnons de chasse et de son entourage. A l'endroit précis où s'élève la chapelle, un vieux solitaire fit tête brusquement. Le Duc se senti perdu. Il invoque la Mère de Dieu et lui promet, s'il a la vie sauve, de bâtir à cette même place un oratoire en son honneur.
Même au temps monastique, on conservera toujours à la construction, plusieurs fois refaite, son caractère de belle simplicité. Autrefois en effet, ces chapelles ex-voto, élevées le plus souvent sur le bord des routes, n'avaient pas de porte. Le passant s'agenouillait sur le seuil et saluait d'un doux Ave la mère de son dieu. Toujours il accrochait à l'autel, à la parois des murs ou aux pieds de la statue, une fleur, une branchette, une mousse, pauvre et naïf hommage, c'est vrai, mais qui disait à la Vierge du chemin : "Souviens-toi ! J'ai prié là, à tes pieds " et le passant partait confiant et réconforté.
A la Saint-Marc, au temps des Rogations, les rudes travailleurs de la terre, ceux qui, comme les marins, sentent si bien et si fortement que leurs efforts et leurs travaux sont impuissants et inutiles si Dieu qui dirige les saisons ne les bénit, venaient aussi implorer la Mère-Dieu pour les biens de la terre.
Et combien poétiques et charmantes ces matinées embaumées du mois de mai où les pèlerins isolés, les vieillards, hommes mûrs, femmes et enfants partis dès l'aube, souvent de très loin, de par delà le fleuve et les forêts, se reposaient après une longue prière aux alentours de la Mariette. En s'éloignant, ils nouaient une branche, souvent les sommités d'un genêt aux fleurs d'or naissantes. Ils appelaient leur acte : "nouer les fièvres" ; mais là encore il ne faut voir qu'une preuve naïve et tangible de l'accomplissement de leur pèlerinage et pour ainsi dire l'acquit d'une promesse.
Et ces
lendemains de première communion, de ce jour béni
et
inoubliable même pour ceux que l'orgueil, la basse ambition
le
plus souvent, le bête respect humain toujours,
éloignent
tout doucement de la foi de leurs jeunes ans jusqu'au reniement,
combien eux aussi étaient charmants avec leurs joyeuses
processions chantant sous bois les litanies de la Vierge,
Mère
et Reine.
On
priait. Blanches abeilles près de la ruche, l'essaim des
jeunes
communiantes entourait l'humble chapelle, derrière elles,
les
communiants, puis à l'entour, sous les grands
chênes
verdissants et sous les grêles frondaisons des bouleaux, les
parents radieux, les amis nombreux. Les uns et les autres, souvent
oublieux de leur foi depuis longtemps, sentaient de douces
bouffées de souvenirs passer sur leur cœur et plus
d'un,
furtivement, essuyait une larme qui perlait de sa paupière.
Une
voix enfantine s'élevait dans le silence de la
forêt, une
enfant de Marie disait à la Mère : " Nous nous
consacrons
à toi pour la vie ; Mère, aime nous,
protège nous,
défends nous, soutiens nos pas dans la vie !"
Une chapelle vide...
Hélas,
cette année les enfants seront privés de cette
joie, les
parents et les amis de ces heures réconfortantes. L'humble
chapelle est bien réédifiée, mais
rien n'y
rappelle plus le culte ostensiblement. Reste le souvenir.
L'ornementation intérieure est complètement
à
refaire.
Aux pieux
pèlerins qui, marchand sur les traces de leurs
pères,
viennent pendant ce mois de mai visiter la Mère de Dieu ;
aux
jeunes enfants qui pour la première fois ont reçu
leur
Dieu dans leur cœur ; aux parents qui, eux aussi, sont venus
jadis au lendemain de leur première communion promettre
à
la Bonne Mère de l'aimer toujours en échange de
sa
protection, nus adressons un pressant appel pour orner
l'intérieur de la Mariette de la forêt.
Béni
et remercié soit le propriétaire du sol qui a
conservé à notre vénération
en le relevant
cet antique petit sanctuaire. La reconnaissance de nos
chrétiennes populations lui est acquise.
Une souscription
Un
enfant
du pays, aimé et estimé, M. Léon
Baville qui, le premier dans
notre contrée a été honoré
d'une
distinction officielle méritée, a voulu s'honorer
davantage encore en offrant la statue qui sera placée
à
l'intérieur, aussitôt après
l'achèvement des
travaux. Restent à trouver l'autel, sa garniture, toute
l'ornementation obligatoire.
A tous les croyant, à tous les dévots
à la Mère de Dieu, à tous ceux qui
gardent un
souvenir ému du passé, à ceux surtout
qui
voudraient ardemment, mais n'osent ouvertement, revenir aux pratiques
de la foi, nous demandons une obole pour le petit sanctuaire de la
Mère de Dieu.
Les
souscriptions et dons sont reçus au presbytère et
à l'Église de Jumièges chez M. l'abbé
Lequy,
curé, chez MM. les Curés des paroisses voisines
et au
bureau des journaux Le
Pilote et Journal
de Duclair à Caudebec-en-Caux.
La souscription en mai 1899 atteint 38F. On note Mlle Augustine Leroy, Mme Deconihout de Rouen, parmi les donateurs, certains gardant l'anonymat. En juin, on en était à 43 F, Mlle Poitray de La Mailleraye étant parmi les généreux souscripteurs. Plusieurs Rouennais font monter la somme à 63 F en accompagnant leur don de cet acrostiche :
A notre
Mère chérie M ère sainte, mère chérie A tout jamais, soyez bénie R ecevez tous nos suffrages I ndiquez nous les orages E t des récifs les naufrages. |
En juillet, le conseil municipal de Sainte-Marguerite participe à son tour. Conseiller, Landrin remet 10 F au curé de Jumièges. En août, c'est le curé du Mesnil qui remet à son homologue la même somme émanant d'un anonyme. Les 68F sont atteints.
Monsieur Prat
En 1790, les biens de l'abbaye de Jumièges avaient été confisqués. La destruction des titres empêcha des lors les anciens vassaux des moines de profiter de la forêt, à l'exception des Yainvillais.
Au début du XIXe, la partie nord, dite canton de la Réserve, est bien garnie en chênes de 50 ans. Ils avoisinent des zones livrées à la bruyère, la mousse, le bouleau et le chêne abrouti.
Puis l'État vendit la forêt en 1840. Elle couvrait alors 589 hectares et en avait donc perdu quelque 400 depuis le XIIe siècle.
Fin XIXe, le propriétaire de la forêt était M. Prat. Châtelain à Canteleu, il accusait 140 kg, c'était un ami de Jules Lefèvre, maire de Jumièges. Les deux hommes chassaient à cheval le sanglier, tant et tant qu'ils en distribuaient aux gens du pays. On avait changé de siècle mais on venait encore par centaines en pèlerinage à la chapelle de la Mère de Dieu. Pour beaucoup du Roumois.
Vendredi 30 mai (1924), 13h30. Albert Vauquelin, bûcheron à Yainville, aperçoit une fumée noire s'élever au-dessus de la forêt de Jumièges, propriété de Mme Prat-Cauvin, de Canteleu. Il court sur place et localise le foyer dans le Carré-Dossier. Alors, il prévient le régisseur des bois, Guyot, qui réunit une équipe d'ouvriers. On établit des tranchées. Vers 18 h enfin, tout danger semblait écarté mais on resta veiller la nuit. Trois hectares de sapin, deux de taillis et 200 stères de bois de coupe appartenant à Lannier, marchand de bois à Rouen, ont été détruits.
Peu avant 1936, la forêt passa à la famille M. Le Prévost de la Moissonnière qui avait avait eu la bonne idée d'épouser la veuve Prat.
La messe en plein air
L’abbé Debris, curé de Jumièges avant la seconde guerre, disait que ses paroissiens n’étaient pas moins religieux que ceux des communes du voisinage. Mais moins « églisiers ». Il savait qu’en venant à la chapelle forestière, il allait écarter les pèlerins. Toutefois, après une messe d’action de grâce, il menait une procession le lendemain des communions solennelles. Et les familles au grand complet accompagnaient les enfants. On venait aussi du Trait, de Duclair, d’Hénouville. Après avoir rendu hommage au petit sanctuaire, on s’installait en groupes intimes dessous les arbres pour faire collation. Le curé devait alors aller de groupe en groupe et accepter un morceau de gâteau.
Le
Journal des débats, juillet 1928 : « Un violent incendie,
due à l'imprudence de deux enfants, s'est
déclaré dans la forêt de
Jumièges (Seine-Inférieure), dans un plant de
sapins appartenant à M. Le Prévost de la
Moissonniére, conseiller général.
Vingt-cinq hectares ont été la proie des flammes,
en dépit des efforts des sauveteurs qui ont combattu le
fléau durant huit heures. Ils ont réussi
à préserver plusieurs maisons d'habitation qui
allaient être attaquées
par le feu. »
|
Dans l'entre-deux-guerres, la forêt de Jumièges est toujours propriété de la famille Le Prévost de la Moissonnière Cauvin qui, en 1959, céda son bien aux fondations Condé et Saint-Louis.
Dans les années 50, chaque lundi de mai, Antoinette Douville, une vieille paroissienne de Jumièges, montait toujours du village avec la clef du sanctuaire. Elle s’installait sous un abri de planches, surveillait les allées et venues des pèlerins, leur vendait des cierges. Une guérite près de la chapelle servait d'abri aux fidèles. Pour l'Ascension, un boulanger s'installait là pour y vendre des gâteaux. Un marchand de boissons aussi. Moi-même, dans les années 60, j’ai suivi ces cortèges jusqu'à la chapelle. L'abbé Coupel célébrait la messe sur l'autel en plein air. Après quoi les dames du pain béni, autour de Madame Guignette, nous enveloppaient du parfum des brioches les plus tendres.


Mon père m'emmenait parfois quelque dimanche d'automne près de la chapelle. Sous les fougères, nous y cueillions de ces girolles dont le fumet me fait encore saliver. Même pour dix Caram'bars, je ne vous en révélerai jamais les caches de ces précieuses chanterelles. Mais subsiste-t-il aujourd'hui des arbres en ces lieux?..
Dans les années 70, la
déforestation de la chapelle m'arracha le cœur.
Plus de chênes. Des conifères. Mais la
tempête était passée par là.
Je me souviendrai toujours de la tornade de 1960. Il fit subitement
sombre ce jour-là. Un énorme nuage noir apparut
au-dessus de la côte Béchère,
arrivant sur nous à une vitesse spectaculaire. Le temps de
couper l'électricité, mon père nous
entraîna à la cave d'où nous percevions
le souffle de la bourrasque. Dans la rue volaient les toitures de
tôle des baraquements d'urgence. Le coup de vent
passé, nous avons mesuré l'ampleur des
dégâts. Les plus touchés furent les
habitants d'une maison bleue, dans la plaine de Jumièges,
qui resta longtemps bâchée. Le jeudi suivant,
comme de coutume, Hjoerdis
nous mena jusqu'à la chapelle. La forêt
était dévastée. La Mère de
Dieu disparaissait sous une montagne de chablis. Mais, miraculeusement,
les chênes s'étaient abattus autour de la chapelle
en ne lui arrachant qu'une ou deux tuiles à
l'arrière de son chapeau de chinois.
Déracinés avec leurs mottes, ces arbres royaux
étaient au nombre de douze. Comme les apôtres de
Pierre Chéron.
Cette année-là, on ne
célébra pas l'Ascension en forêt...

Les communiants du Mesnil en 1967. On voit que l'environnement a bien changé...

Gare aux Allemands...
Près de la chapelle étaient les vestiges d'un bâtiment hideux en parpaings apparents. Nous le savions construit par les Allemands. Zorro et Davy Crokett partaient alors en guerre contre les nazis. Mission de la plus haute importance.
De cette rampe de lancement devaient s'envoler des V1 pour frapper l'Angleterre. Armes terribles! Ces petits avions sans pilote emportaient 500 kg d'explosifs à 250km de là. Ça vous déchirait le ciel à 650km/h.
Sous nos pieds, à partir du bord de la Seine, on avait creusé dans la falaise une douzaine de galeries. 800 mètres séparent la première de la dernière. Ce gigantesque chantier avait débuté à la fin de 1943. Ces boyaux étaient destinés à stocker les "robots". Hauts de 3m pour 2,50m de large, les souterrains étaient longs de 40 mètres. Ils devaient aboutir à un couloir commun destiné au stockage mais aussi à un monte-charge conduisant les V1 par un puits vertical jusqu'aux hauteurs du plateau, près de la chapelle, où était prévue la rampe de lancement.
Sous la férule de l'organisation Todt, l'entreprise Philibec fut chargée du forage avec un personnel essentiellement italien, espagnol. Mais aussi quelques requis de Dieppe. Le maire du Mesnil, Raoul Martin, avait reçu des autorités d'occupation un avis de réquisition.
Chaque jour, trois fermiers, comme Marcel Martine, devaient conduire trois banneaux attelés pour contribuer aux travaux, "les jours payés y compris le dimanche..." Réquisitionné aussi était le château du Taillis pour y stocker ciment et matériel. "Dans l'allée des tilleuls, racontait Monsieur Danet, d'énormes tas de gravelle étaient camouflés sous des sapins abattus."
Les ouvriers attaquaient la falaise au marteau à air comprimé. La marne extraite était épandue dans les vergers à l'aide de wagons Decauville. Mais auparavant, on la badigeonnait de coltar pour ne pas attirer l'attention de l'aviation alliée.
Dans le même temps, dans les grottes de Caumont, se construisait une usine d'assemblage des V1. De Seine-Inférieure, plus d'une centaine de sites devaient arroser Londres. On comptait aussi le château d'Aulnay à Saint-Paër, le Château Le Breton à Varengeville, le site de Maresogne à Hénouville, la Grande-Planitre à Sainte-Marguerite-sur-Duclair. Dans la presqu'île, les Allemands cessèrent ces travaux un mois avant la Libération et évacuèrent le matériel.
Seule la rampe d'Hénouville fut
opérationnelle. Entre la première bombe volante
lancée le 13 juin 44 et la toute dernière, le 29,
quelque 2000 robots pilonnèrent ainsi l'Angleterre.
Là-bas, on les appelait cherry stones, les noyaux de cerise.
Mais jamais ils ne vinrent de la Route des Fruits.
Dans cette forêt, on désignait jadis un arbre sous le nom de Chêne-aux-Larrons. A quelle histoire de voleurs faisait-il allusion ? La tradition avait en tout cas disparu de la mémoire collective au temps de notre jeunesse. Restait le Chêne-à-l'âne, près du fossé Saint-Philibert. Et si jamais du temps s'offrait encore à nous, nos pas nous menaient vers l'issue de la forêt donnant sur Saint-Paul.
Effigie d'Austreberthe sur la façade d'une maison de Jumièges. |
En des temps reculés, dès le début du VIIIe siècle, il y avait eu ici une chapelle dite de Sainte Austreberthe. Elle s'en alla en ruines et l'on planta une croix sur ses vestiges. Ainsi appela-t-on longtemps ce lieu Croix-l'âne. Mais la croix venant à son tour à s'étioler, on plaça des statuettes de la Vierge dans l'arbre le plus proche. Au début du XXe siècle, un écriteau cruciforme était cloué sur ce chêne et portait cette inscription : Croix-l'âne.
Hjoerdis nous raconte encore l'histoire de cet aliboron. Flanqué de deux gros paniers, il avait été dressé pour transporter seul le linge entre l'abbaye de Jumièges et celle de sainte Austreberthe, près de Pavilly, où les moniales se faisaient les lavandières des moines de Philibert, occupés aux durs travaux des champs. Ne voyant son âne revenir, Austreberthe retrouva ici son corps dépecé par le loup, le linge répandu autour de lui, tout éclaboussé de sang. Austreberthe appelle le loup qui finit pas se prosterner à ses pieds. Pour le punir, elle le chargea de la besogne jusqu'à la fin de ses jours. Ce dont il s'acquitta avec la plus grande docilité. Le prédateur repenti fut si bien adopté qu'il engendra, dit-on, une race de chiens loups qui perdure dans la presqu'île. Mais Hjoerdis nous racontait plutôt la variante d'une seconde version. Gertrude, une blanchisseuse de Duclair, assurait le service aux moines. Son grison fut bientôt capable d'assurer seul la tache quand il tomba sous les crocs de la bête sauvage. Gertrude se précipita à l'abbaye. Elle venait de perdre son plus fidèle ami. Mais aussi son travail. Usée par les ans, Gertrude ne pourrait plus l'assurer seule. Philibert se rendit avec elle sur les lieux du crime. Appelant le loup, il le condamna à ne plus jamais manger de viande. De la naquit peut-être la confrérie du loup vert. Quant à Gertrude, elle mourut bien plus tard en odeur de sainteté. Hjoerdis, elle, nous la faisait disparaître dans la gueule de l'animal. Je me revois l'écouter inquiet en contemplant les objets de dévotion. Un bruissement dans un buisson, et Zorro comme Davy Crokett n'en mènent pas large. "Marraine! Marraine ! Y s'rait-y pas temps d'rentrer?.."

Le 24 octobre 1959, Prévost de La Moissonnière céda son bien aux fondations Condé et Saint-Louis. Nous, on disait "au comte de Paris". En 1979, on vit apparaître cette pancarte. Les 450 mètres allant d'Yainville à la chapelle furent interdits aux marcheurs. Ce qui ne s'était pas vu au cours des siècles. La municipalité d'Yainville protesta et chargea M. Chauvé, directeur du parc de Brotonne, d'intervenir auprès de la fondation pour obtenir la levée de cette mesure. La requête excluait la saison de chasse allant du 23 octobre au 31 mars. La réponse fut négative.
En mai 1981, le Groupement forestier de Jumièges devint le nouveau propriétaire.
Sources
Abbés Cochet,
Bunel et Tougard.
Paris-Normandie.
Charles Antoine Deshayes.
André Dezellus, A l'ombre des abbayes normandes,
François Allais, Les loups de Jumièges.