Maître Poictvin accourt au manoir du Mesnil. Jambes ouvertes, Agnès répond aux encouragements du physicien. Délivrance. C’est une fille. D’un seul coup d’œil, l’homme de science ne s’y trompe pas : cet enfant-là est condamné.[1] Les servantes s’emparent déjà de ce malheureux fœtus.

Dans la nuit, assaillie par la fièvre, Agnès se tord sur sa couche. Vomit. Se souille. Cette fois, ce n’est pas la vie qui vient. C’est la mort. La Belle fait condamner sa porte au beau monde massé dans la cour du manoir. On ne filtrera que les proches. Une légende va naître. Avant de mourir, l’agonisante fait dissimuler dans un mur où dans la cour du manoir ses bijoux, ses pierres précieuses…
« Jacques
Cœur,
imagine encore Cordellier, en proie à la plus vive
affliction, était debout, à
côté du lit, et cherchait à
réchauffer dans ses deux mains la main glacée
d’Agnès Sorel.
« Au milieu de la
chambre étaient agenouillés seigneur de
Tancarville et madame la Sénéchale du Poitou,
quelques demoiselles de la reine et Gouffier,
l’écuyer du roi.
La
favorite a cette fois
cessé de lutter. Elle comprend cette
déchéance comme une punition divine. Elle que
l’on a fustigé en chaire, elle dont le corps est
sali veut au moins laver son âme. Pour ses largesses envers
l’église, le Pape lui a accordé des
lettres de clémence. Mais ce passeport pour le Paradis est
bien sûr resté à Loches.
Agnès demande donc son confesseur, ce docteur en
théologie prénommé Denis.
« Mon
père, je suis prête recevoir la sainte
onction… »
En
bon Augustin, il lui administre les
derniers sacrements.
Agnès a encore la force de
dicter ses dernières volontés. D’abord,
elle pense à la rémunération de ses
serviteurs. Puis elle nomme trois exécuteurs
testamentaires : Robert Poictevin, le physicien, Etienne
Chevalier et Jacques Cœur, les conseillers du roi. [2].
Mais ces dernières dispositions placent le Roi au dessus de
tout.
« N’oubliez pas, messire Jacques Cœur, de faire exécuter ces legs et les autres qui se trouvent sur mon testament, comme aussi je désire que mon corps soit enterré à Loches et mon cœur conservé en la présente abbaye de Jumièges. Si toutefois monseigneur le roi le permet… »
«Madame se meurt !...» |
Agnès confie la garde de ses filles à sa cousine, Antoinette de Magnelais. Cette cousine si jalouse lorsqu'elles étaient enfants. Cette cousine qui, bientôt, la remplacera dans la couche royale. |
« Et maintenant tout est fini. Mon Père, mon Père, votre dernière absolution. Le vénérable confesseur imposa les mains sur le front de la mourante et murmura les paroles de pardon. »
Madame est morte !...« C'est peu de chose, et orde et fétide, de nostre fragilité », soupire Agnès. Puis elle pousse un haut cri. En en appelle à Dieu et la Vierge Marie. Ses yeux bleus se vident. « La taille est asssise, de quoi la paierez-vous » Semblent tonner au loin les cloches de l'abbaye « De chanvre et de lin… De chanvre et de lin… » répond celle du Mesnil. Six heures de l'après-midi viennent de sonnent au clocher de l’église Saint-Philibert. Nous sommes le lundi 9 février 1449. Silencieux, le village du Mesnil est écrasé de neige. Parvenu à Jumièges, le page bien aimé d'Agnès fait irruption dans la salle des hôtes. Désemparé, il s'agenouille devant le roi : « Madame se meurt !... » Charles sursaute. Le page baisse alors la tête : « Madame est morte !... »
Laurent QUEVILLY.