« Flux de ventre ». Tel est le diagnostic officiel du Dr Poictevin. Agnès est partie en quelques heures et l’on ne sait trop si son mal advint avant ou après l’enfantement. Mais la rumeur d’empoisonnement est immédiate.
Jacques
Cœur, vous
êtes né à Bourges vers 1400. Une
réussite économique fulgurante fait de vous le grand
argentier du Roi. Vous avez
financé la campagne de Normandie et l’on vous
retrouve à Rouen puis à Jumièges
au moment des faits…
Tout le monde vous doit de
l’argent. Les grands du royaume,
vos débiteurs, montent une cabale contre vous. Antoine de
Chabannes en tête.
Sous la foi du serment, deux
personnages accusent :
Jacques Cœur a empoisonné Agnès
Sorel ! Oui, vous avez tué votre amie qui
vous a désigné parmi ses exécuteurs
testamentaires ! Vous voilà exécuteur
tout court. Qui vous accable ? Un italien nommé
Jacques Colonna et Jeanne
de Vendôme. Elle vous doit des sommes importantes. Elle et
son mari. Il n’y a
pas un an qu’Agnès est morte lorsqu’elle
prend la plume pour écrire au roi. Et
ses arguments semblent si convaincants qu’ils ne souffrent
aucune discussion.
Traîné de prison,
torturé le 23 mars 1453, vous
voulez bien avouer tout ce que l’on veut. Mais pas
l'empoisonnement, non, pas
l'empoisonnement de votre amie.
Le Roi vous a abandonné aux
vautours. Lui qui pourtant
avait donné cette parole : « si
le dict argentier ne se trouvoit
chargé d’avoir empoisonné ou fait
empoisonné la dicte Agnès Sorelle, il luy
remettoit et pardonnoit tous les autres cas dont on lui faisoit
charge. »
29 mai 1453,
énoncé
du jugement. Grâce à l’intervention du
Pape, vous sauvez votre tête. Pas votre
fortune. Elle profitera à Gouffier, à Chabannes,
à Antoinette de Maignelais et
combien d’autres qui s’accaparent vos terres. Et ce
verdict ne vous lave pas
des premiers soupçons d’assassinat.
Scandalisés, vos fils publieront un mémoire
pour votre défense. Argument : Agnès a
mis au monde un enfant qui a vécu
six mois. L’empoisonnement de la mère aurait
tué aussi le fœtus. Un procès-verbal
du Docteur Poictevin plaide en votre faveur.
Antoinette de Maignelais, vous
êtes née vers 1420 et votre
nom fut cité également à la mort
inattendue de votre cousine. Enfant, vous avez
jalousé Agnès quand celle-ci fut recueillie par
votre mère. Peut-être étiez
vous présente à Jumièges
où, sur son lit de mort, la Dame de Beauté vous
donne
la garde de ses trois enfants. C’est elle qui vous avait
introduite à la cour.
A son décès, peut-être même
avant, vous la remplacez dans le lit du Roi. Alors,
étiez-vous pressée ? On vous donnera
André de Villequier pour époux. Le
pauvre. Vous, vous organiserez les plaisirs séniles du Roi
en lui livrant
notamment vos belles-sœurs. A sa mort, vous optez pour le duc
de Bretagne. Belle carrière...
Louis de Valois,
vous êtes
né à Bourges le 3 juillet 1423.
Profession : fils de roi. Vous n’étiez
pas présent à Jumièges. Et pour
cause. Vous aurez brillé par votre absence dans la campagne
de Normandie. Sans
doute appliqué ailleurs à intriguer contre votre
propre père. Car vos rapports
ont toujours été conflictuels avec lui. Votre nom
circule le premier à la mort
d’Agnès Sorel. Comme commanditaire. Des voix
avanceront que Jacques Cœur fut
votre exécuteur. N’a-t-il pas financé
quelques unes de vos manigances contre
Charles VII.
La Dame de
Beauté, vous la
détestez. Il y a cette fameuse
soirée où vous l’insultez. Pire, vous
lui portez un soufflet, vous brandissez
votre dague pour la pourchasser. On ne sait trop. Pourtant, vous allez
protéger
ses trois filles, vos demi-sœurs pour qui vous semblez
éprouver une grande
affection. Et puis vous aurez cette fameuse réplique. Alors
qui vous êtes
devenus Louis XI , les chanoines de Loches vous supposent
haineux à
l’égard de la Belle. Son catafalque gêne
leurs offices. Ils vous demandent
l’autorisation de le déplacer. « J'y
consens, mais il faut rendre
auparavant ce que vous avez reçu
d'elle! » Parle-t-on ainsi de
quelqu’un dont on a ordonné
l’assassinat ? Pourtant, on vous
soupçonnera
encore de l’empoisonnement de votre propre frère
et de la dame de Montsoreau.
... Robert Poictevin le premier
médecin du Roi
officiant à Jumièges. C’est lui
qui administre le traitement d’Agnès.
C’est lui qui conclut très vite à un
« flux de ventre ». Mais sans
doute n’est-il pas le seul homme de
l’art au chevet de la malade. Or, quelques années
après, Charles VII vivra dans
la hantise du complot. Et de l’empoisonnement ! Adam
Fumée, son médecin
d’alors, renseigne secrètement
l’impatient Dauphin de l’état de
santé du Roi.
Découvert, il est emprisonné à
Bourges. Un autre chirurgien prend la fuite à
Genappe auprès du futur Louis XI.
... Guillaume de Gouffier le premier
valet du Roi,
présent à Jumièges. Un
fidèle.
Pourtant, quand Charles VII se sentira menacé, on accusera
Gouffier et Otton
Castelli, parvenu argentier, de tentative
d’envoûtement. On retrouve
effectivement chez eux une figurine de cire piquée
d’aiguilles. Gouffier est
banni. Castelli emprisonné.
[1] Un certain Martin Prandous aurait été du nombre des accusateurs.