Par Laurent Quevilly-Mainberte
L’église Saint-André, fissurée par le temps, défie l’oubli et ses vieilles pierres anciennes murmurent une sourde révolte. A Yainville se joue un, un combat d’ego entre un maire intriguant, ses conseillers rebelles et un préfet inflexible à Rouen.
Le mardi 6 février 1844, à la lueur vacillante d'une chandelle, les six conseillers dissidents se réunissent une nouvelle fois après avoir nourri les bêtes, curé les fossés ou encore réparé les outils.... Leur détermination est intacte. Ils ont collecté 809 francs auprès des habitants, un trésor durement amassé pour sauver l'église. C'est avec solennité qu'ils remettent la somme au receveur municipal venu de Duclair. Mais 395 F promis ne sont pas rentrés dans les caisses. Nos élus dressent la liste des mauvais payeurs pour s'en remettre l'avis du baron Dupont-Delaporte. Quant aux quelque 105 francs et 60 centimes destinés aux ouvriers et fournisseurs, il y a, comme nous allons le voir, un gros souci...

Dessin de Gustave Morin

1832

Lesain freine des quatre fers

Six jours passent. Dans son manoir, Charles Lesain arpente nerveusement la grande salle, une lettre à la main. Voilà que le Préfet l’accuse de ne pas avoir payé les ouvriers. Notre maire récalcitrant s'attable et gratte nerveusement le papier pour plaider sa bonne foi : « Je n’ai jamais refusé  ! jure-t-il. Aucun mémoire ne m’a été présenté ! » Si l'architecte commis par le Préfet pour taxer les travaux a bien reçu les documents, pas lui. Ce n'est qu’hier que le receveur les lui a transmis. Assortis du reste d’une note assez inconvenante. « Il me menaçait que, si je me refusais à délivrer des mandats aux dits ouvriers, ils vous en écrirait afin que vous le fissiez d'office». Fou de rage, le maire d'Yainville s'est aussitôt rendu au bureau du receveur pour peler un œuf avec lui. « Le retard ne provient nullement de ma faute jure encore Lesain. D'ailleurs, aucun de ces ouvriers ne s'est jamais adressé à lui. A sa lettre, il joint les mémoires demandés dûment signés et les expédie au préfet pour approbation.


Des ornements pour l'église


 3 mars 1844, le conseil d'Yainville est en réunion extraordinaire. Ordre du préfet. Voilà le maire et ses opposant autour d'une même table. On a convoqué aussi les dix propriétaires les plus imposés. Trois se présentent : Quévremont, Lefort et Sécard. Charles Lesain, maire, rappelle l'objet de cette réunion : voter la somme à l'acquisition de vases sacrés, linges et ornements pour l'église. On s'accorda sur la somme de 300 F.


Croqués par Morin, restes de la baie gothique, dessin de l'une des ouvertures qui sera supprimée

Les dix commandements du préfet


11 mars 1844. Dans son cabinet, le Préfet s'impatiente. Voilà des mois qu'il a réclamé au maire d'Yainville les pièces nécessaires à l'érection de l'église en chapelle vicariale. Alors, il rédige une ordonnance, et une sèvere en lui réclamant sous huit jours :

Le portail nord de l'église vu par Morin.

1) Une délibération du conseil indiquant les motifs de nécessité de l'établissement de la chapelle, le montant du traitement proposé pour le chapelain, celui de la dépense annuelle présumée de l'entretien de l'église et du presbytère, contenant l'engagement de pourvoir à ces dépenses et faisant connaitre de quelle manière elles seront acquittées.

2) Le budget de la commune.

3) Un inventaire des vases sacrés, linges et ornements existant dans l'église ou a défaut vote d'une somme pour les acquérir.

4) Un état de la population de la commune chef-lieu de la paroisse.

5) Un certificat du percepteur des contributions constatant le montant de celles qui sont payées en la commune d'Yainville.

6) Un rapport de l'ingénieur sur les difficultés de communication et les distances entre la commune chef-lieu de la succursale ainsi que celui de l'agent voyer.

7) Un état de la population de la commune d'Yainville certifié...

8) Le projet de circonférisation de la chapelle.

9) Une délibération de la fabrique et du conseil municipal chef lieu.

10) Le budget de la fabrique.

" Le 17 janvier dernier, je vous informais que M. le juge de Paix du canton de Duclair venait de m'adresser le procès-verbal de l'enquête et que je n'attendais plus, pour donner suite à cette affaire, que nous m'ayez fait parvenir les pièces ci-dessus énumérées."

Réclamés depuis le 23 novembre, ces documents indispensables devront être adressés très vite à Paris. "Quant au rapport de l'ingénieur indiqué au N° 8 et aux autres pièces mentionnées aux numéros 4, 9 et 10, vous n'aurez point à vous en occuper comme j'ai déjà eu, Monsieur, de vous le faire savoir."

Et les subventions tombent


Les aides ministérielles finissent par arriver. C'est Grégoire, l'architecte, qu, avec jubilation,  l'annonce, le 4 avril 1844, à la Commission des Antiquités. Le 13 juin suivant, elle reçoit de Gustave Morin le calque d'un dessin « qu'il a fait autrefois de l'église d'Yainville ». Morin est directeur de l'école municipale de Rouen et membre de la société des Antiquaires.


Ce dessin accompagne les croquis de Saint-André par Morin. Nous sommes encore loin de la réfection de l'église. Cette scène représente sans doute des carriers de Claquevent charriant des blocs de calcaire....

Le conseiller général du canton est alors Alphonse Darcel, ancien capitaine d'artillerie de Napoléon, officier de la Légion d'Honneur. Darcel n'a aucune hésitation à défendre l'église d'Yainville auprès de ses collègues. Son fils aîné est féru d'archéologie médiévale et d'historie locale. Le 5 avril, le Conseil général vote à son tour une somme de 500 fr à répartir également sur les exercices 1845 et 1846 pour "aider a réparer l'église d'Yainville qui est rune des plus anciennes et des plus intéressantes du département." Ce n'est pas l'avis des Jumiégeois.

Laurent QUEVILLY.


 Pour suivre : Jumièges est contre !

SOURCES


Textes numérisés aux archives départementales par Jean-Yves et Josiane Marchand