Par Laurent Quevilly-Mainberte
Malgré l'opposition des Jumiégeois, malgré la trahison de leur maire, les Yainvillais voient, en 1845, leur église restaurée. Reste à conclure...
6 février 1845. La commission des Antiquités invite M. Grégoire à hâter les réparations de l'église d'Yainville, « qui sont d'autant plus urgentes que la commune est exposée à perdre un legs de 10,000 fr. qui lui a été fait à condition que cette église sera rendue à l'exercice du culte dans les deux ans du décès du testateur arrivé il y a déjà plus d'une année. Si l'architecte, actuellement chargé de ces travaux, ne paraissait pas disposé à s'en occuper immédiatement, la Commission prie M. Grégoire de les confier à un autre et elle verrait avec plaisir que son choix tombât sur M. Desmarest. »

Là, nos Antiquaires commettent une erreur. Voilà belle lurette que le testateur est mort. Ses dernières volontés étaient que les 10.000 F en question trouvent un usage dans les quatre ans suivant la disparition de sa veuve. Or, celle-ci est décédée le 23 juillet 1842. Yainville a donc jusqu'au 23 juillet 1846 pour rouvrir son église. Une course contre la montre est engagée...

Les travaux seront finalement menés à bien courant 1845. Et Le Nouvelliste de Rouen publiera cet étonnant billet : « On vient d’achever la restauration de l’église  d’Yainville. C’est dans cette église, datant du XIe siècle, qu’il y a près de 800 ans  la bénédiction fut donnée par l’archevêque de Rouen aux compagnons de Guillaume le Conquérant partant pour la conquête de l’Angleterre. » Voilà un scoop !

Les Yainvillais s'impatientent


3 décembre 1845, le conseil dissident d’Yainville fait  encore entendre la voix unanime des habitants. Combien de fois leur faudra-t-il renouveler leur souhait le plus ardent : que l’église de leur commune recouvre son ancien statut d’église succursale, ou du moins qu’elle obtienne celui de chapelle vicariale. À cette demande s’ajoute une seconde requête, indissociable de la première : l’érection d’une fabrique afin d’organiser et de soutenir matériellement le culte.

Le conseil, considérant la situation locale, développa ses arguments avec force. Yainville comptait alors plus de 300 âmes, dont la majorité était contrainte de parcourir trois à quatre kilomètres pour assister aux offices de Jumièges. Cette distance, déjà significative, devenait presque insurmontable quand venait la mauvaise saison. « La difficulté des chemins en hiver nous prive, nous et nos enfants, de recevoir de la bouche de notre pasteur le pain de la divine parole... »

La géographie jouait un rôle déterminant dans la démarche. À proximité, les habitants du hameau de Heurteauville – plus de 300 personnes également – étaient séparés d’Yainville uniquement par la Seine. Lors des crues hivernales, fréquentes et sévères, ces riverains se trouvaient sans autre accès que celui passant par Yainville, renforçant ainsi le rôle que pouvait jouer son église.

À cela s’ajoutait une circonstance décisive : les travaux de réédification et de réparation de l’église d’Yainville étaient achevés. L’édifice, désormais en excellent état, était pleinement apte à accueillir les fidèles. De surcroît, le legs testamentaire de 10 000 francs avait été fait au bénéfice de cette église, destiné à l’achat d’ornements liturgiques. Mais ce don, conditionné à la reconnaissance officielle du lieu comme succursale ou chapelle vicariale dotée d’une fabrique, risquait d’être perdu si la reconnaissance tardait davantage. « Le recouvrement du legs pourrait, d’après les termes du testament, devenir impossible, ou au moins donner lieu à des difficultés, peut-être à un procès grave », avertit le conseil.

Conscients de leur responsabilité spirituelle autant que matérielle, les membres du conseil affirmèrent leur entière disposition à faire « tout ce qu’il conviendra pour nous procurer l’office divin ». Ils assurèrent aussi que l’octroi de ce statut ne nuirait en rien à la paroisse mère à laquelle Yainville était alors rattachée, Jumièges regroupant plus de 2 000 habitants.

Forts de ces considérations, les élus prièrent le préfet de bien vouloir intervenir en leur faveur, afin d’obtenir pour l’église d’Yainville le titre tant espéré de succursale – ou, en cas de refus, celui de chapelle vicariale – ainsi que l’érection d’une fabrique, gage de leur engagement à faire vivre dignement le culte dans leur commune.


L'inventaire de l'église



Les conseillers rapelaient au Préfet que pareille demande lui avait été déjà adrssée le 15 juin. Restée sans réponse, elle ne souffrait plus de retard au risque de voir tous les efforts anéantis avec l'affectation des 10.000F à la fabrique de Jumièges. Et de dresser l'inventaire de l'église  à la date de ce 3 décembre 1845 :

6 chandeliers d'autel,
1 croix d'autel,
1 encensoir
1 ostensoir et 1 ciboire,
1 bénitier et le goupillon,
2 nappes d'autel plus deux petites pour couvrir la pierre bénite,
2 aubes, une garnie et une unie,
2 ceintures,
6 amiets,
12 purificatoires,
4 corporaux,
2 chasubles dont une noire avec leur complément,
2 rochets, et un presbytère.

Ce fut ligné Mettérie, Delépine, Pinguet, Lafosse, Jeanne et Lambert, nos six frondeurs.


Lesain de mauvaise Foi


Le 4 janvier 1846, le maire d’Yainville adressa au préfet une lettre en réponse à celle reçue le 10 décembre précédent. Ce dernier lui demandait des renseignements précis sur la situation de la commune. Lesain répondit point par point aux questions posées, en suivant l’ordre de la correspondance préfectorale.

Il commença par préciser la structure du territoire communal : « La commune d'Yainville se compose d'un seul village, il n'y a pas d'habitations isolées. » Pourtant, cette affirmation mérite d’être nuancée, car il existait bel et bien un village à Claquevent, ainsi que plusieurs fermes éparses, notamment à la Fontaine.

La commune comptait 210 âmes, selon le dernier recensement. Sa superficie, quant à elle, s’élevait précisément à 285 hectares, 95 ares et 30 centiares, générant une valeur imposable de 9.870 francs et 12 centimes.

L’église d’Yainville ? Lesain, faisant fi des travaux achevés, déclara sans complexe qu’elle ne possédait « aucun titre légal ». Sa suppression remontait à la réorganisation du culte catholique en France. Cette réforme avait également conduit à la réunion administrative et spirituelle d’Yainville à la paroisse de Jumièges.
Il poursuivit avec des données sur Jumièges qu'il avaient dirigée comme maire, mentionnant que cette commune et ses hameaux réunissaient environ 1.770 habitants et s’étendaient sur une superficie de 2.262 hectares, 94 ares et 30 centiares.
Le Concordat de 1801, signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII, réorganise l'Église catholique en France en rétablissant le culte tout en le plaçant sous contrôle étatique, notamment par la réduction du nombre de diocèses et de paroisses et la nomination des évêques par l'État. Pour Yainville, cette réorganisation entraîna la suppression de son église comme entité paroissiale autonome et son rattachement en 1802 à la paroisse de Jumièges.

Revenant à Yainville, il reconnut l’existence d’une ancienne église, mais précisa : « Il n'y a pas de presbytère et la commune n'a aucune ressource pour y pourvoir. » Là encore, Lesain est de mauvaise foi puisque nous savons que Marie-Catherine Delafenestre a légué à la commune l’ancien presbytère.

Enfin, le maire conclut en affirmant qu’il n’existe « aucune difficulté de communication avec la paroisse actuelle », la distance entre Yainville et Jumièges étant, selon lui, « d’un kilomètre et demi au plus ». Pour Lesain, l'hiver n'existait pas. Les habitants de la côte Béchère et Claquevent non plus.

Ainsi, tout en fournissant les données requises, cette lettre témoignait aussi de certaines imprécisions, voire de contradictions avec les réalités connues localement — ce qui ne manquerait pas d’interroger les autorités quant à l’avenir du culte dans la commune.

UNE ÉLECTION CAPITALE...

Rappelez-vous. Mandaté avec La Quérière par la Commission des Antiquités, Jean Baptiste André François Rondeaux s'était rendu à Yainville à l'écoute des habitants et pour examiner l'église. Cette mission sera essentielle pour la réfection de Saint-André.
Négociant à Rouen, membre de la CCI, après un an de mandat en 1834, il est élu parmi les députés conservateurs le 1er janvier 1846. Il va alors user de son carnet d'adresses
. Il obtiendra en effet « par ses démarches et son crédit, l'érection de cette église en succursale, se réjouira bientôt la commission des Antiquités, ce qui la met en sûreté pour toujours. » Mais nous n'en sommes pas encore là...
On lui doit aussi beaucoup pour l'endiguement de la Seine. 
Né en 1775, il décèdera en 1864.


Ultimatum du Préfet



Vingt jours après la réponse du maire d’Yainville, le préfet relança l’affaire dans une lettre datée du 24 janvier 1846, rappelant avec fermeté les démarches en suspens.

Il y indiquait avoir déjà invité le maire, le 11 octobre précédent, à réunir un conseil extraordinaire. Objectif : délibérer sur les moyens de couvrir les dépenses nécessaires à l’érection de l’église de la commune en chapelle vicariale. « Je n’ai pas encore reçu de réponse », déplorait le baron Delaporte, tout en insistant sur l’urgence de la situation : « Afin qu’elle puisse profiter des libéralités dont elle a été l’objet, il importe de presser le traitement de cette affaire en conséquence. »

Conscient de la volonté des Yainvillais – « Les habitants désirent que l’église soit érigée en chapelle » – le préfet rappelait cependant les obstacles signalés dans sa précédente correspondance : la commune ne pouvait assurer le traitement du chapelain uniquement par la dîme et l’imposition ordinaire. C’est pourquoi il avait alors proposé de restreindre la demande à l’érection d’une simple chapelle annexe. Toutefois, nuançant sa position, il déclarait désormais : « Je crois utile de tenter les deux moyens et de compléter l’instruction pour l’un ou l’autre projet. »

Dans cette optique, il ordonnait la tenue d’une réunion du conseil municipal pour le dimanche 1er février. Devaient y être conviés les plus imposés de la commune. Le but étant de voter une imposition extraordinaire destinée à former le traitement du chapelain, au cas où l’église serait érigée en chapelle vicariale. Mais le préfet anticipait aussi l’hypothèse où seule une chapelle annexe serait possible, demandant que la même délibération précise que le rôle de souscription volontaire des principaux habitants, qui serait présenté à cette occasion, devienne exécutoire dans ce cas de figure.

Enfin, le Préfet exhortait le maire à accuser immédiatement réception de la lettre et à garantir que « les dispositions qu’elle contient seront exactement remplies. » Il fixait également une échéance ferme : le mercredi 4 février, il attendait deux exemplaires de la délibération prise, accompagnés du rôle de souscription, que l’un des conseillers municipaux serait chargé de joindre.

Par cette relance énergique, le préfet rappelait à Yainville que l’accomplissement des formalités administratives conditionnait l’avenir spirituel de sa communauté.

Jeanne est mandaté


Ce n'est plus Guillaume Lambert, le porte-parole du shadow-cabinet. Ce 24 janvier, alors qu'il vient de sceller sa missive pour le maire,, le préfet écrit aussi à Jeanne, l'un des opposants de Lesain qui a pris la liberté de s'adresser à lui. Le brouillon de cette lettre est parfois illisible. Mais on en reconstitue aisément la trâme essentielle : répondre au préoccupations soulevées, recadrer fermement les enjeux.

D'emblée, le Préfet informe Jeanne de ses initiatives : « Par suite de la lettre que vous m'avez adressée et des explications qui m'ont été données par M. Rondeaux, député, j'ai écrit à M. le maire de la commune pour réunir le conseil municipal le dimanche premier février prochain, afin de voter l'imposition extraordinaire qui doit former le traitement du chapelain dans le cas où l'église serait érigée en succursale. »

Mais l'affaire n'était pas si simple. Le préfet, pragmatique, attire aussitôt l’attention de Jeanne sur la nécessité d’agir avec précaution et efficacité : « Je dois cependant vous faire observer qu’il serait convenable de réduire autant que possible le chiffre de l’imposition extraordinaire en formant un rôle de souscriptions volontaires entre les principaux habitants. » S’il était possible pour Jeanne et ses colistiers d’utiliser ce moyen, il devrait s’y employer sans tarder.

Le Préfet poursuit en rappelant les limites du processus engagé. Il confie que, pour des raisons longuement exposées dans sa lettre adressée le 11 octobre au maire, lettre que Jeanne pourra consulter, « j’ai peu d’espoir de faire accepter par le Gouvernement le vote d’une imposition comme une garantie suffisante du service du traitement du chapelain. » Aussi, afin d’éviter les lenteurs administratives, le préfet jugeait préférable de faire instruire l’affaire sous le double point de vue : soit l’érection de l’église en chapelle vicariale, soit en chapelle annexe.

Dans l’éventualité de la chapelle annexe, le préfet détaille les exigences à respecter : « Un rôle de souscription volontaire des principaux habitants doit être produit. » Ce document devra être précis et rigoureux : il peut inclure l’ensemble des habitants, à condition que chaque souscription soit signée de la main du souscripteur ou marquée de son signe usuel s’il ne sait écrire. Il convient aussi d’y indiquer le montant de ses contributions ordinaires, que ce soit dans la commune ou ailleurs.

Le baron Delaporte précisa encore que la durée d’engagement des souscriptions pouvait être limitée, mais en aucun cas inférieure à trois années.

Le Préfet enjoignit enfin à Jeanne de présenter ce rôle au conseil municipal lors de sa séance du dimanche suivant, afin qu’il en soit fait mention dans la délibération. Il conclut en invitant Jeanne à se concerter avec le maire d’Yainville sur cette question, signe qu’il attendait de chacun un effort de coopération, au-delà des divisions locales.

Ainsi, dans cette lettre à la fois technique et politique, le préfet posait un cadre précis, ouvrant une voie médiane entre les projets concurrents, mais en exigeant une organisation sans faille et un engagement clair de toutes les parties concernées. Sinon...

Laurent QUEVILLY.

Et le maire
démissionne !
Souces


Document numérisés aux archives départementales par Josiane et Jean-Yves Marchand. La version avec les textes originaux :




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