Malgré l'opposition des Jumiégeois, malgré la trahison de leur maire, les Yainvillais voient, en 1845, leur église restaurée. Reste à la faire vivre...

Jean Baptiste André François Rondeaux (1775-1864) est parmi les sauveurs de l'église d'Yainville.
Négociant à Rouen, membre de la CCI, après un an de mandat en 1834, il fut réélu parmi les députés conservateurs le 1er janvier 1846. Il fera alors jouer ses relations pour faire classer l'église en succursale
. On lui doit aussi beaucoup pour l'endiguement de la Seine.
6 février 1845. La commission des Antiquités invite M. Grégoire à hâter les réparations de l'église d'Yainville, « qui sont d'autant plus urgentes que la commune est exposée à perdre un legs de 10,000 fr. qui lui a été fait à condition que cette église sera rendue à l'exercice du culte dans les deux ans du décès du testateur arrivé il y a déjà plus d'une année. Si l'architecte, actuellement chargé de ces travaux, ne paraissait pas disposé à s'en occuper immédiatement, la Commission prie M. Grégoire de les confier à un autre et elle verrait avec plaisir que son choix tombât sur M. Desmarest. »

Là, nos Antiquaires commettent une erreur. Voilà belle lurette que le testateur est mort. Ses dernières volontés étaient que les 10.000 F en question trouvent un usage dans les quatre ans suivant la disparition de sa veuve. Or, celle-ci est décédée le 23 juillet 1842.
Yainville a donc jusqu'au 23 juillet 1846 pour rouvrir son église.

Une course contre la montre est engagée...

Les travaux seront finalement menés à bien courant 1845. Et Le Nouvelliste de Rouen publiera cet étonnant billet : « On vient d’achever la restauration de l’église  d’Yainville. C’est dans cette église, datant du XIe siècle, qu’il y a près de 800 ans  la bénédiction fut donnée par l’archevêque de Rouen aux compagnons de Guillaume le Conquérant partant pour la conquête de l’Angleterre. » Voilà une étonnante liberté avec l'Histoire...


Les Yainvillais s'impatientent

3 décembre 1845. Le conseil d'Yainville écrit au préfet.

Vu la demande réitérée et les vœux présentés par tous les habitants de la susdite commune tendant à obtenir que leur église recouvre son ancien titre d'église succursale ou au moins le titre de chapelle vicariale, 2°) l'érection d'une fabrique.
Considérant
Qu'il y a dans la dite commune plus de 300 habitants;
Que le plupart de ces habitants ont 3 & 4 kilomètres pour aller à l'église paroissiale la plus rapprochée,
Que la difficulté des chemins en hiver nous privent & nos enfants de recevoir de la bouche de notre pasteur le pain de la divine parole,
Que plus de 300 habitants du hameau de Heurteauville, séparé d'Yainville par la Seine seulement, n'ont point d'autre issue que chez nous lors du débordement des hautes eaux qui sont presque continuelles pendant l'hiver,
Que les travaux de réédification et de réparation de notre église sont terminés et qu'aujourd'hui elle est dans un état très convenable pour l'exercice du culte,
Qu'un testament de 10.000 F a été fait pour procurer à la dite église les ornements dont elle a besoin,
Que s'il y avait un plus long retard à obtenir pour notre église le titre de succursale ou de chapelle vicariale avec érection d'une fabrique, le recouvrement du legs pourrait, d'après les termes du testament, devenir impossible, ou au moins donner lieu à des difficultés, peut-être à un procès grave,
Que nous somme disposés a faire tout ce qu'il conviendra pour nous procurer l'office divin,
Que la demande peut nous être accordée sans nuire à la succursale à laquelle nous sommes aujourd'hui réunis qui a plus de 2.000 habitants,
A ces causes, prions Monsieur le préfet de vouloir bien demander et nous accorder le titre de succursale pour notre église ou en cas de trop grandes difficultés le titre de chapelle vicariale, 2° l'érection d'une fabrique pour la dite église d'Yainville.


L'inventaire de l'église

Nous faisons remarquer à Monsieur le préfet que pareille demande, restée jusqu'à présent sans solution, lui a été adressée le 15 juin dernier, et qu'à cause du legs de 10.000 F fait en faveur de l'église, il est de la plus grande importance que cette solution ne se fasse pas attendre plus longtemps.
Le mobilier de l'église d'Yainville consiste actuellement en :
6 chandeliers d'autel,
1 croix d'autel,
1 encensoir
1 ostensoir et 1 ciboire,
1 bénitier et le goupillon,
2 nappes d'autel plus deux petites pour couvrir la pierre bénite,
2 aubes, une garnie et une unie,
2 ceintures,
6 amiets,
12 purificatoires,
4 corporaux,
2 chasubles dont une noire avec leur complément,
2 rochets, et un presbytère.

Ce fut ligné Mettérie, Delépine, Pinguet, Lafosse, Jeanne et Lambert.


Le maire savonne la planche

Yainville, 4 janvier 1846
Monsieur le préfet,
J'ai l'honneur de vous transmettre les renseignements que vous me demandez par votre lettre du 10 décembre dernier. Je réponds à cette lettre dans l'ordre des questions qui y sont posées.
1) La commune d'Yainville se compose d'un seul village, il n'y a pas d'habitations isolées.
(Faux ! Il existe un village à Claquevent, des fermes à la Fontaine...)
2) La population est de 210 âmes d'après le dernier recensement.
3) Sa superficie est de 285 hectares 95 ares 30 centiares donnant une valeur imposable de 9.870 F 12 centimes.
4) L'église d'Yainville n'a aucun titre légale. Sa suppression date de la réorganisation du culte catholique en France.
5) La réunion d'Yainville à Jumièges date de la même époque.
6) La population de Jumièges et de ses hameaux est d'environ 1.77 habitants, sa superficie de 2.262 hectates 94 acres, 30 centiares.
7) Il existe à Yainville une ancienne église mais il n'y a pas de presbytère et la commune n'a aucune ressource pour y pourvoir.
(Faux ! Marie-Catherine Delafenestre a légué à la commune l'ancien presbytère).
8) Il n'y a aucune difficulté de communication avec la paroisse actuelle, la distance d'est que d'un kilomètre et demi au plus.

Le préfet instruit le dossier

Vingt jours plus tard, le préfet relance le maire dans une lettre datée du 24 janvier 1746.

Je vous ai invité, le 11 octobre dernier, à réunir le conseil municipal pour délibérer sur les moyens de couvrir la dépense à laquelle doit donner lieu l'érection de l'église de la commune en chapelle vicariale. Je n'ai pas encore reçu de réponse. Afin qu'elle puisse profiter des libéralités dont elle a été l'objet, il importe de presser (le traitement) de cette affaire en conséquence.
Les habitants de la commune désirent que l'église de la commune soit érigée en chapelle, je vous ai fait connaître dans ma lettre du 11 octobre les obstacles que ce projet pourrait rencontrer, la commune ne pouvant subvenir au traitement par la seule dime imposition...
Je vous ai invité à restreindre la demande à l'érection d'un chapelle annexe, cependant je crois utile de tenter les deux moyens et de compléter l'instruction pour l'un ou l'autre projet.
Je vous invite à réunir dimanche 1er février prochain, le conseil municipal et les plus imposés pour voter une imposition extraordinaire devant former le traitement du chapelain dans le cas où la commune serait érigée en chapelle vicariale.
Dans la même délibération, demander que le rôle de souscription volontaire des principaux habitants qui lui sera présenté sera rendu exécutoire dans le cas où l'église ne pourrait être érigée qu'en chapelle annexe.
Vous voudrez bien m'accuser immédiatement réception de cette lettre et me donner l'assurance que les dispositions qu'elle contient seront exactement remplies.
Le mercredi 4 février, vous me ferez parvenir deux exemplaires de la délibération qui a été prise et le rôle de souscription qui pourra y être réuni par l'un des conseillers municipaux,

On écrit à un opposant

Dans un brouillon parfois illisible, le préfet écrit aussi à l'un des opposants de Lesain. Il s'agit de Jeanne, membre du conseil. Nous sommes le 24 janvier 1846,

Par suite de la (lettre) que vous m'avez adressée et les explications qui m'ont été données par M. Rondeaux, député, j'ai écrit à M. le maire de la commune pour réunir le conseil municipal le dimanche premier février prochain afin de voter l'imposition extraordinaire qui doit former le traitement du chapelain dans le cas où l'église serait érigée en succursale.

Je dois cependant vous faire observer...

+ qu'il serait convenable de réduire autant que possible le chiffre de l'imposition extraordinaire en formant un rôle de souscriptions volontaires entre les principaux habitants, s'il vous est possible d'user de ce moyen, vous devrez ...quer.

... que par les motifs que j'ai développés dans ma lettre du 11 octobre au maire et dont vous pourrez avoir connaissance, j'ai peu d'espoir de faire accepter par le gouvernement le.vote d'une imposition comme une garantie suffisante du service du traitement du chapelain et pour éviter des lenteurs je crois devoir faire instruire l'affaire sous le double point de vue d'érection en chapelle vicariale et en chapelle annexe.
Dans le dernier cas, un rôle de souscription volontaire des principaux habitants doit être produit, ce rôle peut comprendre la totalité des habitants en regard de chaque souscription qui doit être appuyée de la signature du souscripteur ou de sa marque ordinaire s'il est illettré. Doit également être rappelé le montant de ses contributions ordinaires dans la commune ou ailleurs.
Ce rôle peut n'être souscrit que pour certain  nombre d'années mais sa durée ne peut être moins de trois ans.
Vous communiquerez ce rôle au conseil municipal dans a séance de dimanche prochain afin qu'il en fasse mention dans sa délibération. Veuillez vous concerter à ce sujet avec M. le maire d'Yainville.

Nouvelle relance au maire

Le 10 février 1846, les services préfectoraux écrivent encore au maire :

J'avais eu d'abord l'intention de proposer au gouvernement l'érection en chapelle vicariale de l'église d'Yainville mais j'ai réfléchi depuis qu'il serait plus avantageux pour cette commune d'être érigée en succursale.
Le moment étant opportun, je vous invite à réunir sous huit jours votre conseil municipal pour en délibérer et à me faire parvenir le plus tôt possible la délibération qui aura été prise.
Je dois vous avertir que, dans le cas ou vous ne vous conformeriez pas aux prescdriptions de cette lettre, j'userai de la faculté que m'accorde l'art. 15 de la loi du 18 juillet 1837.
Voici les autres pièces que vous aurez à fournir à l'appui de la demande en érection de succursale.
1) un certificat du maire constatant que la commune possède une église et un presbytère en bon état et à défaut de presbytère l'obligation de la commune de fournir un logement.
2) un inventaire des vases sacrés, linges et ornements appartenant à l'église.
3) un tableau indiquant les villages et hameaux qui seront attribués à la nouvelle succursale, sa contenance superficielle en hectares de la commune ainsi que celle dont elle dépend et les difficultés de communication de l'église d'Yainville aux parties intéressées.
4) un pan de la commune ou un certificat constatant que son périmètre est exactement le même que celui de cette commune.
5) un rapport de l'ingénieur indiquant la distances entre les diverses sections de la communes et de celles dont elle dépend actuellement.
6) les délibérations du conseil municipal de la commune chef-lieu et du conseil de fabrique de la paroisse actuelle.
7) un certificat faisant connaître la population de la commune d'Yainville et celle de la commune dont elle dépend.

Désavoué, Lesain démissionne !

Lesain a déjà répondu à ce questionnaire. A contr-cœur on l'a vu et dans un sens contraire aux espérances. De guerre lasse, il jette le gant :

Yainville, le 18 février 1846

Monsieur le Préfet,

En 1839 et au moment ou je m'y attendais le moins, vous m'avez fait l'honneur de me nommer maire de la petite commune d'Yainville. J'ai la conviction d'avoir rempli la mission que vous m'aviez confiée avec le zèle et la loyauté d'un honnête homme ; c'est pourquoi Monsieur le Préfet j ne puis accepter la position qui m'est faite dans vos Bureaux et dans la dernière lettre que j'ai reçue pour me donner une idée.
Je pense que l'administrateur quelque peu haut placé qu'il soit doit se retirer dès qu'il se voit en suspicion vis à vis de l'autorité supérieure ; aussi viens-je vous prier d'accepter la démission que j'ai l'honneur de vous donner de mes fonctions de Maire d'Yainville.
Veuillez agréer, s'il vous plait Monsieur le préfet, l'hommage du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être
Votre très humble et très obéissant serviteur


Lesain

Les frondeurs montent à Rouen

Le 19 février, les frondeurs du conseil s'adressent au préfet. Ils ignorent manifestement le forfait de leur adversaire :
"Nous avons l'honneur de vous informer que les six membres du conseil municipal de la commune d'Yainville se sont rendus à votre invitation le 13 du courant à l'hôtel de la préfecture au bureau de M. Delcourt, chef de division à l'Intérieur, là, nous avons eu l'honneur d'avoir son audience par laquelle il nous a informé qu'une lettre à la date du 10 de ce mois avait été adressée par vous, Monsieur le préfet, à M. le maire de la commune d'Yainville par laquelle vous l'avez autorisé à convoquer le conseil municipal de sa commune pour délibére à l'effet d'obtenir une succursale pour l'église d'Yainville et que cette convocation devait avoir lieu sous le délai de huit jours mais il n'en a rien fait. Arrivés à cette époque, nous nous sommes transportés chez lui, là, nous lui avons demandé pourquoi il n'obtempérait pas à l'exécution de l'autorisation de M. le préfet, il nous a répondu qu'il ne voulait rien faire en nous disant qu'on lui demandait quantité de choses, que déjà il avait produit à M. le préfet et que tout cela devenait insignifiant et que plutôt que d'être tracassé journellement comme il l'était qui préférait se rendre démissionnaire, à cet effet, nous vous supplions Monsieur le préfet de nous honorer d'une réponse pour nous indiquer ce que nous devons faire à ce sujet."
Et c'est signé Metterie, Lambert, Lafosse, Pinguet et Jeanne.

Le préfet enfonce Lesain

Le 20 février 1846, la préfecture répond à Lambert,
Le 10 février dernier, j'invitais M. le maire d'Yainville à faire délibérer le conseil municipal sur la demande d'érection en succursale et à me faire parvenir avec toutes les autres pièces exigées par les circulaires ministérielles la délibération qui aurait été prise. M. le maire qui s'est toujours montré opposé à cette érection, comme il s'était montré contraire aux travaux exécutés à l'église, vient de nous adresser sa démission.

Désirant reconstituer promptement l'administration municipale, je vous invite à vous rendre le plus tôt possible à mon cabinet, accompagné si cela se peut des membres du conseil municipal qui portent intérêt à cette affaire pour aviser au moyen de remplacer le maire démissionnaire et conférer en même temps des travaux de l'église et du lefs de 10.000F fait par M. Lesain à la commune d'Yainville dans le cas où son église acquérait un titre paroissial.

Les fidèles de Lesain démissionnent aussi

Yainville le 28 février 1846

Monsieur le Préfet,
je n'avais accepté les fonctions d'Adjoint au maire d'Yainville qu'a cause de Mr Lesain.
Celui ci cessant d'être Maire, Je considère mes fonctions d'adjoint comme cessées aussi. Je ne pourrais d'ailleurs par des motifs qu'il est inutile de déduire rester l'adjoint du nouveau maire.
Je vous pris donc, Monsieur le Préfet, de recevoir ma démission non seulement d'adjoint mais encore de conseiller municipal de la commune d'Yainville.
J'ai l'honneur etc.

Mabon


Yainville le 28 février 1846

Monsieur le Préfet,

J'ai l'honneur de vous transmettre la démission que m'a adressée M. Duval de ses fonctions de membre du conseil municipal d'Yainville.
Je vous prie aussi de recevoir la mienne, mon intention étant de résigner avec mes fonctions de Maire celle de conseiller.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'hommage du profond respect avec lequel j'ai l'honneur etc.
Lesain


Un nouveau maire

Le 2 mars 1846, Pascal Metterie fut installé nouveau maire d'Yainville. A lui maintenant de porter le dossier. M. Rondeau, l'un des hommes qui l'a visitée, vient d'être élu député. C'est lui qui obtiendra « par ses démarches et son crédit, l'érection de cette église en succursale, se réjouira bientôt la commission des Antiquités, ce qui la met en sûreté pour toujours. » Mais nous n'en sommes pas encore là...


 Pour suivre : Vite ! Il faut faire vite !



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