Par Laurent Quevilly-Mainberte

Pour débuter les années 50, le journal communiste L'Avenir normand est encore notre fil rouge. La décennie sera marquée par la sortie de terre de la nouvelle centrale.


1950 est l'année de la mise 
en chantier de la première tranche à la centrale marquée par de nombreux mouvements sociaux dont fait son miel le puissant PCF.

D'abord ce début d'année sera rythmé par une fronde contre "Reine d'un jour", une émission de Radio-Luxembourg animée par Jean Nohain et sponsorisée par Catox. Le principe de l'émission ? Permettre à une Française tirée au sort de réaliser son vœu le plus cher tout en livrant ses impressions. Or à la savonnerie, les ouvrières perçoivent des salaires de misère et triment dans un nuage de lessive corrosive. Alors, le PC monte au créneau et fustige Jean Parment, de Paris-Normandie, quand l'émission sera enregistrée au Cirque de Rouen. Daté du 13 janvier 50, voici un article de l'Avenir normand, organe su PC dans notre région.

Catox est furieux des révélations de L’Avenir. 
Mais ses ouvrières d'Yainville ne travaillent plus debout.

Les révélations de L’Avenir sur l’exploitation éhontée des ouvrières de la Société Normande des Corps Gras, à Yainvlle, travaillant pour la firme Catox  ont eu vite fait d’accomplir le tour du pays. Désormais, les femmes de France, les ménagères qui emploient. Catox, connaissent les salaires de misère et les conditions malsaines du travail de leurs compagnes normandes dont elles appuient la lutte. Mais Catox qui empile les bénéfices, consaçre des millions à sa publicité, à ses émissions radiophoniques « La Reine d’un jour », est furieux ! Cela se comprend. Toute fois, Catox a dû tenir compte, au moins pour un point, des légitimes revendications de ses ouvrières. Il a fait venir des tabourets pour ces femmes accomplissant debout un pénible travail. Mais  Catox, si attentif dit-on, à satisfaire les désirs de sa « Reine » hebdomadaire, s’y connait bien mal pour satisfaire ceux de ses ouvrières ! Les tabourets qu’il avait fait venir à Yainville ont été remmenés... parce qu’ils étaient trop bas. On en attend des plus grands, et ce sera alors un premier succès des ouvrières et de L’Avenir.

Le 18 janvier, un litige voit le jour à propos de la prime de rendement chez les Pecqueur, une entreprise du bâtiment basée à Petit-Quevilly et employée parmi d'autres sur le chantier de la centrale. Alors le patron, M. Blanc, lock-out ses ouvriers. Mais ils ne baissent pas les bras et obtiennent satisfaction.

Le 8 février, les agents de la centrale débrayent 24 h pour le statut, les revendications, la Paix.
Le même mois, le conseil municipal d'Yainville, composé de Socialistes et d'Indépendants, vote une résulution contre la bombe atomique proposée par la cellule locale du PC.

La centrale a sa cellule communiste. Ce mois de février, elle vend plus de 140 exemplaires du livre de Thorez, "Fils du peuple".

Mars. Jean Marquine, leader CGT des ouvriers du bâtiment, mène un mouvement sur les chantiers de la centrale. 300 ouvriers du bâtiment se mettent en grève à l'instar de ceux du Havre. On accusera Marquine d'avoir porté des coups à Lucien Leroux,  On verra les ouvriers de six entreprises distincts se mettre en grève. Puis reprendre le travail, ayant obtenu satisfaction. Seulement, quand les patrons veulent utiliser les échafaudages d'une entreprise restée en grève, Nouveau mouvement de protestestion. Les gendarmes sont appelés sur place par les patrons et le préfet. Mais les forces de l'ordre doivent lever le camp.

Le 1er avril, les ouvriers du bâtiment reprennent le travail après un mois de lutte mais jurent de continuer l'action sous d'autres formes et surtout de défendre Marquine, menacé un moment d'arrestation par la gendarmerie du Trait.
Bientôt, les 50 ouvriers de l'entreprise Stein-Roubaix, employés à la centrale, se mettent encore en grève. Ils protestent contre des déclassements avec chantage au licenciement.

A la Pâques de 1950, ma tante Thérèse Mainberte vint rendre visite à mes parents qui demeuraient toujours dans la petite maison communale sise près de la mairie tandis que mon père achevait seul la construction de sa maison neuve, sente aux Gendarmes. Thérèse fut hébergée chez Louise Grain, veuve Colignon, comme c'était toujours le cas pour les parents de Paris qui venaient saluer les Quevilly.

Voici l'été. Deux ouvriers de l'entreprise Viviani, Maurice De Aviva, 19 ans, et Eloi Ocaba, 32 ans, tombent d'un échaffaudage à 49 m de haut. Le 4 août, les ouvriers du bâtiment CGT débrayent pour protester et exiger de meilleurs conditions de sécurité.

Toujours en août, 201 des 230 ouvrières de Catox signent pour la Paix.

Yainville

Jour de fête à la centrale le 1er Décembre 1950 pour la saint Eloi, patron de la métallurgie des métiers du fer et acier et des forgerons.


En septembre, à la savonnerie, la CGT obtient une prime de retour de vacances et la majoration des heures supplémentaires. Ils avaient été 100% à signer le cahier de revendications.

Jean Marquine, secrétaire du syndicat du Bâtiment, membre de l'UL-CGT de Duclair et Caudebec, est appelé en Correctionnelle le 5 octobre. On lui reproche d'avoir mené une grêve d'un mois. Mais des pétitions lancées à Yainville, Duclair, Le Trait, demandent sa relaxe. Le jour de l'audience, un ouvrier étranger, témoin à charge, ne peut être entendu sans interprète dans ce dossier vide. Dans de telle circonstances, on doute de la véracité des propos prétés à l'accusé. Le procès est reporté.

Andréa Mainberte, épouse Quevilly, était alors enceinte pour la troisième fois. J'allais bientôt naître.

En décembre, la CGT obtient un score de 87% aux élection du comité d'entreprise de la savonnerie.
Les derniers jours de décembre, le gel avait rendu les routes glissantes, les pouvoirs publics n’ont pas jugé utile de faire sabler la chaussée et c’est ainsi qu’un ouvrier de l’ED.F. de Yainville a été victile d’un accident si grave que ses jours sont en danger. Le même jour à Duclair, un car transportant des ouvrières de l'usine Badin a dérapé sur la route glissante. Un grave accident, dont on imagine les conséquences, a failli se produire. Sans la courageuse attitude des employés du bac et sans leur promptitude à caler les roues, l'autocar faisait le plongeon.

Henri Beyer fut prioritaire pour acquérir le logement communal dont il était locataire.


Mars 51 : un mouvement des électriciens part d'Yainville pour gagner les usines de Dieppe, Dieppedalle, Grand-Quevilly. Elle sera citée en exemple par le PC pour s'être mise la première en grève avec l’ensemble du personnel ainsi que l’équipe employée sur les lignes. Et quoi qu’en dise Paris-Normandie qui essaye de minimiser les chiffres, c’est bien 92 % de tout le personnel qui y participa (C.G.T., inorganisés), avec des F.O. et C.F.T.C., malgré l’intransigeance de leurs responsables). Et c’est bien à cette centrale que le personnel tint à féliciter des agents de maîtrise pour leur solidarité envers les grévistes de la base. La défaite du gouvernement est donc indiscutable, mais elle s’aggravera car aucun travailleur ne s’estime satisfait.

Une bonne publicité pour Catox à Yainville : On y signe à 100 % contre le réarmement Allemand.
« C’est la vie
»,  proclame Jean Nohain, le bonimenteur en chef de « Catox » en étourdissant ses auditeurs de Radio-Luxembourg avec des mirages « qui ne sont pas la vie »' et qui voudraient détourner les femmes et les hommes de chez nous du combat nécessaire pour la paix, le pain, la liberté.
Mais voilà ! Les ouvrières et les ouvriers de « Catox » à la Société Normande des Corps Gras de Yainville ne se laissent pas démobiliser par les Nohain et tous les faux-bourdons tournant autour des fauteurs de guerre pour étouffer la voix menaçante des marchands de canons. C’est ainsi que déjà des « quarts » ont signé à 100 % les bulletins contre le réarmement allemand, ce qui représente 273 signatures. Et le dernier  quart  du personnel est en train de signer à son tour, ce qui justifiera ce slogan qui en vaudrait bien d’autres pour « Catox » : « CATOX SIGNE A 100 % CONTRE LE REARMEMENT ALLEMAND ».

En mai 1951, les Quevilly quittèrent la maison communale située près de la mairie pour s'installer dans leur maison neuve.

19 juillet 51 : événement considérable passé sous silence par la presse locale. Ma naissance à la maternité de Caudebec.

Fin juillet, un accident met le PC en colère. En rentrant chez lui, à Saint-Paul, Joseph Baron, Maraîcher, est heurté par deux Suédois à moto. Ils sont grièvement blessés. Quand Bersoult, figure communiste du cru, essaye de mobiliser l'ambulance de Duclair, rien n'y fait. Le garde-champêtre est au cirque à Barentin, le maire et ses adjoints absents, on doit forcer la porte du local. Et finalement, c'est l'ambulance du Trait qui, entre temps, a évacué les blessés.

17 août 1951 : Yainville.— Une foule nombreuse conduit Armand Ponty victime du travail à sa dernière demeure
Le jeudi 9 août, vers 16 heures, l’ouvrier Ponty Armand, âgé de 26 ans, était chargé de pomper de la matière première d’un wagon-citerne pour le compte de la Société Normande des Corps Gras (Catox). La citerne étant vide, l'ouvrier voulut raccrocher le flexible quand, soudain, son pied glissa et ce fut la chute. La tête porta sur le bord du quai. On le releva avec une fracture du crâne. Le malheureux devait cependant décéder 48 heures plus tard après d’atroces souffrances.
Les obsèques Aussitôt connue la mort de leur camarade, les délégués syndicaux se réunissaient pour envisager les mesures à prendre. Sur la proposition de Lechalupé, secrétaire de la section syndicale, la direction acceptait d’arrêter l’usine pendant les obsèques. Les ouvrières et ouvriers assistaient d’ailleurs nombreux aux obsèques.
Uue foule évaluée à 700 personnes conduisait Ponty Armand à sa dernière demeure.
Que sa jeune femme, sa famille si éprouvée trouvent ici le témoignage de la sympathie et les condoléances émues de tout le personnel de Catox, des habiants du quartier de Saint-Paul, de Duclair et des environs.
Les responsabilités Pour une fois, la fatalité n’a pas été invoquée. Ce tragique accident n’aurait-il pas été évité si le wagon-citerne avait été muni de tous les accessoires de sécurité ? L’échelle accédant à la passerelle était branlante. Il n’y avait pas de garde-fou au bout. Et c’est justement là que Ponty a glissé. La compagnie privée, propriétaire de ce wagon n’est-elle pas en partie responsable ? Il faut ajouter enfin que si le wagon avait pu être avancé de quelques centimètres, Ponty n’au rait pas eu à monter sur la citerne.
Les délégués syndicaux dont toutes les demandes n’ont pas toujours été toutes satisfaites, sont décidés à veiller plus que jamais pour que soit sauvegardée la vie des travailleurs de Catox.

En septembre, chez Catox, une réunion syndicale regroupe la quasi-totalité du personnel qui demande un salaire mensuel à 23.600 F pour l'échelle mobile.

Octobre 1951: construction du nouveau foyer communal. Architecte: Percheron.



1952 :

Solidarité des travailleurs de Yainville
avec le peuple tunisien

Le syndicat C. G. T. des Produits Chimiques de Yainville (Sté Normande des corps gras et Catox), au nom de la quasi totalité des travailleurs de ces usines, a publié la protestation suivante : « Les membres du Syndicat des Produits Chimiques de Yainville protestent vivement contre les mesures prises contre le peuple tunisien.
Nous réprouvons les mesures prises contre ces camarades, nous demandons que le conflit soit arrêté ; nous voulons la libération des emprisonnés et des déportés, abroger le traité du protectorat et admettre l’égalité absolue des deux peuples.
Nous exigeons que le résident général soit rappelé et le retrait des forces armées.

seconde tranche de la centrale. En mai, grand tournoi de foot.



Février 1953 : Mise en chantier de la nouvelle école des filles. Trois classes, deux logements. Architecte: Pruvost. Dans Femmes françaises, du 28 février : 

"Nous livrons cette petite histoire à toutes celles qui écoutentl’émission « Reine d’un Jour " patronnée par la Maison Catox. Le délégué syndical de l’usine Catox, à Yainville (Seine-Inf.) avait affiché le portrait d'Alain Le Léap sur le panneau syndical. Le chef-comptable de la maison se permit alors de le frapper; mais il avait compté sans la réaction des ouvrières de l’usine qui débrayèrent plusieurs heures pour obtenir son expulsion de l’entreprise.
Il y a gros à parler que Jean Nohain qui préside au couronnement de la « Reine d’un Jour » se dispensera de raconter cette histoire à ses auditeurs. La Maison Catox veut bien construire toute sa publicité sur la misère, à condition que ceux qui connaissent les pires privations ne fassent rien pour en sortir.

14 mars 1953 : Création du comité des fêtes. Président: Raphaël Quevilly, 46 ans, vice-présidents : André Bidaux, 38 ans, ajusteur et Armand Greux, 40 ans, commerçant. Trésorier: Gilbert Dumet, 28 ans, machiniste, Secrétaire: André Raulin, 23 ans, machiniste, membre: Paul Le Corre, 50 ans, électricien.

En mai, le pays connaît une grève général du gaz et de l'électricité. Les agents réquisitionnés à Yainville ne se présentent pas au travail.

Le 1er avril 1953, mon père siège pour la dernière fois au conseil municipal. Il ne signera pas le procès-verbal. Le 9 mai est installée une nouvelle équipe. Gaston Passerel est reconduit au poste de maire avec Marcel Blaise pour adjoint. Les autres conseillers sont Théophile Pourhomme, Jean Lévèque, Paul Le Corre, Eugène Charles, Georges Piot, Henri Nouvel, Pierre Chéron, André Berneval et Henri Godard.

En 1953, un agent tombe dans la cage de l'ascenseur de la chaufferie à la centrale. On ne s'explique pas cet accident.



1954 : 616 habitants.



1955 : en mars, la Seine déborde, alors on évacue les habitants situés sur le rivage. Il y a des barraquements situés sur le chemin qui mène à Jumièges. Là, durant les opérations, les gendarmes remarquent des couvertures sans rapport avec le niveau de vie de René Leprêtre, ouvrier peintre et Ricardo Sierra, manœuvre. Ce sont en fait les receleurs d'un vol commis par les frères Ducastel, Roger et Roland, 23 ans, jumeaux. En décembre, ils avait cambriolé le château de la Vigie, à Villequier. Là, ces couvertures avaient été dérobées avec de l'argenterie, du linge. Un butin de 500.000 F. Puis ils avaient saccagé les pièces de la demeure. La sœur des deux malfrats avaient vendu une partie du butin. Ces cinq lascards furent écroués.


1957 : Inauguration de la nouvelle école de filles.



1958: troisième tranche de la centrale.



1959: quatrième tranche de la centrale.

En ces années 50, on aura connu la ferme Guilloché et plus haut la ferme Avenel. Plus tard, on comptera dans la même rue la ferme Berneval qui fera épicerie et la ferme Roger Quevilly. Par ailleurs, Yainville compte la ferme Piot et la ferme Godard, derrière l'église, autant d'entreprises agricoles où l'on peut aller chercher son lait avec un bidon que les enfants font tourner à bout de bras... jusqu'à ce que le couvercle s'ouvre et que le contenu soit éjecté. Mme Godard consentira à remplir de nouveau celui de Marc Ribès, revenu la voir tout penaud, de peur de ramasser une avoinée.

Laurent QUEVILLY.



Les années 60 :