Par Laurent Quevilly
En 1897, un énième accident du travail pousse la veuve Silvestre à mettre un terme... à sa carrière. Elle trouve un repreneur en la personne d'Eugène Guibert. Mais les accidents se poursuivent alors que surgit une crise. Bientôt, ce sera la fin des carrières d'Yainville...

Après la veuve Silvestre, Eugène Guilbert exploitera les carrières d'Yainville. Ce dernier est né d'un maître blanchisseur, le 28 août 1872 à Boulogne-sur-Seine, actuelle commune de Boulogne-Billancourt. Il possédait une affaire similaire à Duclair. On l'a vu aussi un temps à Heurteauville.  En reprenant les carrières de Claquevent, Guibert va s'associer à Louis Lamy, entrepreneur à Caumont.
Les chantiers navals de la Mailleraye ayant fermé, il fait construire lui-même ses gribanes à Yainville. Ce sont les dernières munies de voiles que des artisans taillent sur place dans la toile d'Olone. Démâtées, remorquées, les autres embarcations forment maintenant, à quatre ou cinq, de longs convois sans majesté. On les appelle les caillouteux. Batelier chez Guibert, Emile Mainberte, mon grand-père, aura donc été un des derniers marins des carrières à naviguer sous voile. 

Alors que Guibert venait de reprendre l'entreprise Silvestre, le syndicat des entrepreneurs de France honora deux ouvriers pour 19 ans de service : Désiré Duquesne, depuis carrier à Trouville-la-Haule et Philemon Taré, carrier-batelier au Trait. Médaille d'argent, diplôme, 100 F d'espèces...

Mais Guibert & Lamy ne furent bientôt plus à la fête...


Morts de Coignard, de Leboucher...


Mardi 11 janvier 1898, vers une heure de l'après-midi. Trois ouvrier carriers remontent une ancre coulée en Seine, près d'Yainville. Le flot arrive. La barque chavire. Deux des occupants parviennent à s'en tirer à la nage. Mais Léon Coignard a un pied pris dans un cordage. Il se noie. Son cadavre est retrouver après trois heures de recherches. Coignard avait 32 ans/

20 avril 1898. Vers 3 heures et demie de l'après-midi, Louis Leboucher, 60 ans, détache des blocs à la pince. Lorsqu'une masse de 700 kg se rabat sur lui. Il est grièvement blessé sous les yeux de Frédéric Gosse, carrier à Yainville et d'Ernest Landrin, carrier à Duclair.
Le lendemain, 21 avril, à 9h du matin, Leboucher rend l'âme. Le Dr Allard constate le décès. A 11h, le chef de chantier, Louis Persil, est face au maire de la commune. On n'engagera pas de poursuite. Le chantier, constate l'administration, est convenablement conduit et surveillé.

 
Cent ouvriers au chômage...

Un an passe. Aux passage, deux bateliers d'Yainville, Clovis Mutuel et Ursin Brument sont condamnés pour vol. Les carrières d'Yainville fournissent des matériaux pour l'endiguement de l'estuaire de la Seine. Quand, un samedi soir, on leur confirme la nouvelle. Les caisses sont vides. Il n'y a plus de travail...


Conseil de crise à Yainville

Le 2 mai 1899, à 7h du soir, le conseil municipal d'Yainville se réunit en séance extraordinaire. Patrice Costé, l'exploitant agricole et carrier du haut de la côte Béchère préside la séance. Il y a là Leroy, Chauvin, Delaune, Carpentier, Levreux et Prévost. C'est Carpentier qui fera office de secrétaire de séance. Il note :

"M. le président explique au conseil qu'il l'a réuni d'urgence pour lui exposer la situation suivante:
1°) Par suite de l'arrêt des travaux de la Basse-Seine, environ cent ouvriers travaillant à Yainville sur les chantiers de MM. Lamy et Guilbert ont été mis à pied samedi soir ;
2°) Jamais pareille situation ne s'est vue dans la commune ;
3°) Certains de ces ouvriers sont des carriers de profession qui sont incapables de faire un autre métier ;
4°) Il en est qui sont âgés de plus de 60 ans ;
5°) Beaucoup sont chargés de famille ;
6°) A bien peu d'exceptions près, tous ces ouvriers sont malheureusement des gens qui vivent au jour le jour et qui vont se trouver absolument sans travail et sans pain ;
7°) Il n'y a pas de chantiers dans les environs où on puisse actuellement embaucher ces ouvriers ;
8°) Des informations qu'il a prises à plusieurs sources, la cause de cet arrêt dans les travaux est due à l'insuffisance des crédits mis à la disposition de MM. les ingénieurs du département pour les travaux de la Basse-Seine.
Le conseil, vu l'exposé ci-dessus,
Considérant que le seul moyen de remédier efficacement à ce déplorable état de choses, serait de donner un peu de travail à toute cette population et qu'il suffirait pour cela que M. le ministre des Travaux publics mît des crédits à la disposition de MM. les ingénieurs de la Basse-Seine.
Demande à M. le préfet de bien vouloir faire une démarche auprès de M. le ministre des Travaux publics pour qu'il daigne prendre en considération la situation des ouvriers d'Yainville, situation qui intéresse aussi les communes du Trait, d'Heurteauville, de Jumièges et de Duclair où sont domiciliés une partie des ouvriers qui travaillent à Yainville.
Il décide en outre que la présente délibération sera adressée à MM. Waddington, sénateur, et Quilbeuf, député, pour les prier d'appuyer près de M. le ministre des Travaux publics la démarche de M. le préfet."

Ce soir-là, le conseil adopte uns seconde délibération :

"Considérant qu'environ cent ouvriers des chantiers Guibert et Lamy, à Yainville, viennent d'être mis à pied faute de travail ;
2°) Que la plupart de ces hommes ne vont pas trouver à se replacer ;
3°) Qu'ils n'ont pas d'économies ;
4°) Que beaucoup sont âgés ou chargés de famille ;
5°) Qu'il va falloir leur distribuer des bons de pain ;
Vu l'insuffisance des ressources de la commune
Demande à M. le préfet de bien vouloir accorder à la commune un secours permettant de faire face à cette situation tout à fait exceptionnelle et qui ne s'est jamais vue dans la commune.
Coste accompagnera cette délibération d'un petit mot à l'adresse du préfet. Il écrit aussi le 3 mai à Quilbeuf, le député. "Je serais personnellement très heureux si vous daigniez l'appuyer auprès des pouvoirs publics."


A Heurteauville, Au Trait...

Jeudi 11 mai. Les élus d'Heurteauville sont très matinaux. Ils se retrouvent à 8h du matin autour de Fauvel, maire. Il y a là Leprince, l'adjoint, Gest, Loutrel, Vestu, Lhérondelle, Eugène Deconihout, Charles Guérin, Henri Deconihout. Absent et non excusé; Henri Barnabé.


"Le conseil municipal, à l'unanimité, considérant qu'une grande partie des ouvriers travaillant aux carrières exploitées à Yainville par MM. Guibert & Lamy habitent la commune d'Heurteauville ; que ces ouvriers sont sans travail par suite de renvoi faute de fonds pour les payer. Prie M. Le préfet de vouloir bien faire une démarche au ministère des Travaux publics de nouveaux crédits pour MM. les ingénieurs de la Basse-Seine."

21 mai 1899, Adrien Boquet, maire du Trait, réunit son conseil : Leroy, adjoint, Carrié, Hébert, Crevel, Fleury et Sabatier qui fait office de secrétaire. "Sur la proposition de M. le maire, le conseil municipal fait connaître à M. le préfet la triste situation des ouvriers de carrières actuellement sans travail par suite du manque de fonds pour les travaux de Basse-Seine. Ces ouvriers se sont vu licencier par les exploitants de carrière sans espoir de reprendre leurs travaux de sitôt.
Le conseil, vu cette situation faite aux ouvriers de la commune, prie M. le préfet de bien vouloir intervenir auprès de M. le ministre des Travaux publics afin que des crédits fussent mis à la disposition de MM. les ingénieurs de Basse-Seine."

Des mesures d'urgence


Le 2 juin 1899, la direction des Mines appuie les conseils municipaux auprès du ministère en précisant que ces ouvriers "ont été toujours employés depuis longtemps" au travaux de la Basse-Seine.

"C'est dans le but de donner satisfaction aux dites demandes que MM. les ingénieurs ont fait souscrire à M. Guilbert, entrepreneur de travaux publics à Yainville, la soumission ci-jointe..." On demande au ministre de l'approuver de toute urgence.

3 juin. Guibert soumissionne officiellement pour fournir des matériaux à la construction de la seconde partie de la digue nord, dans l'estuaire de la Seine, menée par l'entreprise Thorel. Ces fournitures portent sur des petits et gros blocs de pierre ainsi que des vidanges de carrière qu'il transportera sur place et déchargera, à la pelle ou la brouette selon le cas. Son devis d'élève à 20.000F.

Les 5 et 6 juin, les ingénieurs rendent un rapport favorable à l'utilisation des carrières d'Yainville... Rapport sur lequel s'appuie le ministère lorsque, le 21 juin, il écrit au préfet:

"Jusque dans ces derniers temps, les carrières d'Yainville ont été employées pour les fournitures de blocs destinés aux travaux de reconstruction de la digue nord des Meules (1er lot) ; mais ces fournitures étant aujourd'hui terminées, l'entrepreneur à dû, faute de commandes, licencier les ouvriers. De là le chômage dont les ouvriers se plaignent aujourd'hui.
MM les ingénieurs ajoutent que le projet du 2e lot de la digue des Meules est en préparation de manière à être adjugé à l'automne lorsque le premier lot sera sur le point  d'être terminé. Ce sera là un aliment nouveau pour les carrières d'Yainville, mais en attendant, les carrières resteront inoccupées si on ne trouve pas ailleurs l'emploi de leurs matériaux.
Or, les travaux d'endiguement de l'estuaire nécessitent de grandes quantités de pierres et, bien qu'ils soient alimentés par les importantes carrières de Tancarville, il y aurait avantage pour l'Administration de profiter de l'appoint que peuvent actuellement fournir les carrières d'Yainville."


La mort de Bersout...

Nouvel accident dramatique. 7 octobre 1899, 10 h et demie du matin. Un bloc de mille kilos se détache "fortuitement" du sommet de la carrière Guibert. Louis-Edmond Bersout travaillait au pied de la falaise. Ecrasé, il meurt sur le coup. Canu est légèrement blessé au pied gauche. Le Dr Allard et les gendarmes de Duclair vinrent faire les constatations. A ce drame s'en ajoute un autre : veuf, Bersout laisse quatre enfants en bas-âge.

En novembre 1899, des délégations ouvrières vinrent de tout la France visiter l'Exposition universelle.  A Yainville, nos élus s'interrogèrent sur l'utilité de financer une telle découverte. Nous n'avions que des carriers, aucun manufacturier puor en tirer profit. Et puis la commune était trop pauvre...


Le bac subit la crise...

Depuis le 6 décembre 1897, Emile Ruault est l'homme qui perçoit les droits au passage d'eau d'Yainville et à l'annexe du Trait. Il s'acquitte pour cela d'une redevance annuelle de 195 F. Or Ruault voit passer les crises. Mais moins d'ouvriers sur ses embarcations.
Claquevent en 1899. On distingue l'Hôtel Carré.

A la suite des opérations électorales des 6 et 13 mai 1900, Guibert fait son entrée au conseil municipal en compagnie du peintre parisien Maurice Ray, ami de Roger Martin du Gard.
Dimanche 10 juin 1900. Un chemineau qui avait travaillé dans la matinée chez Guibert est aperçu au Trait, ivre, sur la route du Havre. Dans l'après-midi, on le retrouve mort, couché sous un arbre, dans un herbage longeant la route. Nouvellement élu maire de Duclair, le Dr Allard vient faire les constations légales.

Le 25 août 1900, Ruault adresse une demande de remise du prix de son fermage. Elle est repoussée par la conseil général lors de sa séance du 17 avril 1901. Ruault a lors 32 ans, il est aidé par Louis Viger, 33 ans, qui vit sous son toit. Ruault est l'époux de Marie Grenier qui lui a donné deux enfants.

Le 18 mars 1902, il écrit à l'ingénieur en chef de la navigation de la Seine. Par suite de modifications apportées dans ses chantiers, explique-t-il, M. Guibert, entrepreneur à Yainville, occupe beaucoup moins d'ouvriers. 25 d'entre eux, qui habitaient la rive gauche de la Seine, n'y sont plus employés.Ils ont donc déserté le passage et la perte est évaluée à 700F par an. Ruaut demande donc encore une fois une remise de son fermage. Cela dit, en mars 1902, Guibert remporte la réfection des digues de l'Eure...
Les carriers yainvillais de 1901

En 1901, chez Eugène Guibert, alors âgé de 28 ans, on compte  Paul Jonte, 30 ans, surveillant de travaux, Henri de Broutelles, 19 ans, employé de bureau.
Les carriers : Eugène Néjour, 63 ans, Alfred Quiédeville, 59 ans, Victor Legemble, 57 ans, Charles Douillère, 54 ans, Edmond Carpentier, 48 ans, Eugène Laquerrière, 45 ans, Alphonse Magnac, 42 ans, Gustave Leblond, 41 ans, Alphonse Vigreux, 41 ans, Albert Colignon, 37 ans, Albert Tétard, 19 ans, Adolphe Lefebvre, 18 ans.
Guillaume Cadiou, 41 ans est terrassier.
Eugène Liard, 34 ans et Constant Coquin, 32 ans, sont domestiques. Aimable Capelle, 75 ans, est journalier.
Les bateliers : Louis Larchevêque, 48 ans, Pierre Lefebvre, 39 ans, Henri Mutel, 38 ans, Pierre Delahays, 32 ans, Emile Mainberte, 29 ans, Julien Leprince, 19 ans. Marin : Gustave Lefèbvre, 26 ans, condamné à 6 jours de prison avec sursis pour vol en février 1901.
A Jumièges, les carrières d'Yainville comptent pour employés les Lepareux père et fils.


On remarque dans ses comptes que Ruault rétribue un marin à raison de 90 F par mois. 30 F de salaire et 60 F pour la nourriture. Mais il fait appel chaque mardi (jour de marché à Duclair) à un marin supplémentaire qu'il paye 4 F. Commentaire de Buignet, le conducteur divisionnaire : "On ne peut contester que le changement opéré par M. Guibert a eu une influence assez fâcheuse sur les recettes du passage et que la somme qui reste au sieur Ruault qui est constamment occupé au passage, où deux marins sont nécessaires, est faible pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille et à l'amortissement du matériel.

Aux Carrières Lucas...

Lucas est entrepreneur de travaux publics à Duclair. En 1901, à Yainville, il compte pour journaliers Frédéric Gosse, 53 ans, Victor Renard, 49 ans, Michel Acron, 48 ans, son fils Henri, 21 ans, Emile Lasne, 45 ans, Louis Parésy, 38 ans et Henri Mauger, 15 ans.

Pierre Chéron tient le café du Passage en 1901. Son fils Gustave est matelot pour le compte de Guibert. Jean Leblond, 61 ans, est carrier chez M. Cauvin.
Il nous paraît difficile de revenir sur un marché passé, d'autant plus que les fermiers des passages d'eau ont, lors de l'adjudication, une tendance à ne pas s'inquiéter du prix du loyer, pensant obtenir une diminution quelque temps après. Le contrôle des recettes étant impossible, le service devant s'en rapporter aux intéressés, cela pourrait donner lieu, vu le grand nombre de passage, à des abus qu'il faut éviter.

On fausserait également le système des adjudications, les fermiers pouvant se contenter, suivant leurs aptitudes, à ce travail, de plus ou moins de bénéfice. La seule chose qui pourrait paraître équitable serait la résiliation, mais elle n'est pas demandée.
La situation est la même qu'en 1900. Le bénéfice accusé par le sieur Ruault est faible mais nous pensons qu'avec un peu plus d'activité, il pourrait augmenter le chiffre de ses recettes et arriver à un résultat satisfaisant."

Le 14 juin 1902, l'ingénieur ordinaire abonde dans le même sens: "La situation du passage d'eau d'Yainville n'est évidemment pas florissante et le début de l'année 1902 montre une baisse marquée des recettes. Quelque intéressante que puisse être la condition actuelle du fermier, nous ne croyons pas que cet état de choses puisse lui donner droit à une remise de son fermage qui constituerait un précédent regrettable.

La résiliation amiable serait une solution plus rationnelle, mais outre qu'elle n'est pas sollicité, on peut se demander s'il serait bien logique d'y avoir recours, le bail n'ayant plus que 18 mois à courir."


Le 11 juillet, Ruault reprend la plume pour s'adresser cette fois au préfet.  "Le nombre des ouvriers employés aux carrières de Yainville et travaux divers s'y rattachant, a diminué depuis 2 ans de plus de moitié..." La plupart, rappelle-t-il, habitaient Heurteauvile. Résultat: les recettes de son fermage ont été amputée de 1000 à 12000F par an. Les recettes actuelles le mettent constamment en déficit et dans une position difficile. Du coup, "il se trouve dans l'impossibilité de pouvoir continuer le passage de Yainville aux conditions stipulées par son adjudication du 5 décembre 1897. Pour ces motifs, il vient prier monsieur le préfet de bien vouloir l'autoriser à résilier purement et simplement son adjudication du 5 Xbre 1897."


Les régates de La Mailleraye


Entre temps, La Mailleraye a relancé ses régates en 1900 après 18 ans d'interruption. Lors de celles du 18 août 1901, mon grand-père va se distinguer à bord des embarcations de Guibert.
Pour la seconde édition de ses régates résuscitées, le bourg s'est pavoisé de milliers de pavillons multicolores, de décorations de verdure. La foule est là, la musique locale aussi. Encore des épreuves d'aviron et de voile. Et là, Emile Mainberte va se distinguer dans trois des sept courses.

Dans la 4e réservée aux chaloupes de cailloutiers, il se classe second à bord de l'Emile 3 derrière le Marceau de Deconihout.


Dans la 5e ouverte aux chaloupes de gribanes à la godille, il se classe encore second, toujours à bord de l'Emile 3 derrière l'Albert du sieur Sauvage et devant les Quatre-Frères de Baillemont. Ce qui lui vaut d'empocher 5 F.

Enfin dans la 6e, où s'alignent les bateaux à cailloux de 15 à 50 tonneaux à voile, il se classe encore second avec le Robert derrière l'Emile 3 manœuvré par Deconihout.
Mais deux des navires de Guibert vont connaître bientôt alimenter la chronique des faits-divers...


Fortunes de mer...

Avec la crise des carrières, Yainville avait perdu des habitants. Dix maisons sur 78 étaient vides en  mars 1902. une émigration amorcée un an plus tôt. C'est alors que deux des navires entrevus à La Mailleraye vont par le fond...

L'Albert. Vendredi 28 novembre 1902, 8 h du soir,  le voilier des carrières, est abordé à Quillebeuf par le steamer Elna qui le coupe par l'avant. Le voilier coule presque aussitôt. On avait craint pour la vie des marins. Mais il sont sauvés. 

Le Robert. Fin janvier 1903, nouveau fait divers : Quillebeuf. Jeudi soir, vers sept heures, le feu s'est déclaré à bord de la gribane Robert, appartenant à M. Guibert, entrepreneur de travaux publics à Yainville. L'équipage qui était parti faire des provisions à terre ne voulut d'abord pas croire au sinistre, mais quelques minutes après, il fut obligé de se rendre à l'évidence. Le feu était à l'intérieur du bateau, communiqué sans doute par une poêle resté allumé. Après un travail assez long et malheureusement infructeux au début, le bateau put être sabordé et coulé vers onze heures. La coque doit être sérieusement endommagée intérieurement. En plus du grave préjudice occasionné à M.  Guibert, armateur, les mariniers ont perdu leurs effets et jusqu'à leurs cartouches de chasse qui, pendant quelques instants, ont fourni aux spectateurs une pétarade nourrie.
Mon grand-père est certainement impliqué dans ces faits divers. En 1903, Emile Mainberte est toujours batelier chez Guibert avec :
Eugène Vauquelin, né à Quetteville, Calvados, en 1858, 
Auguste Leprince, né à Caumont en 1873,
Pierre Guéroult, né à Jumièges en 1853,
Albert Larchevêque, né à Villequier en 1852.

Aux carrières, Eugène Guibert et son contremaître,
Michel Acron, époux d'une Mainberte, commandent les derniers carriers du cru : Edmond Carpentier, Charles Douillière, Ernest Larcher, Paul Lefebvre, Albert Colignon, Eugène Nijour ou encore Albert Virvaux dont le fils est à l'armée... 

Le 15 mai 1904, réinstallé conseiller municipal, Guibert postule au poste de maire. Mais c'est Athanase Leroy qui est retenu au bénéfice de l'âge. Puis il n'obtient qu'une voix, sans doute la sienne, pour le poste d'adjoint. Très vite, Guibert sera régulièrement absent du conseil.

Le naufrage de l'Emile 1


Mercredi 25 mai 1904, 9 h et demie du soir. L'Emile I, patron Lépagneul, navire des carrières, revient de Bardouville quand le vapeur anglais Lido l'aborde par tribord avant et le bloque contre le talus de la propriété Loison, rive droite. Le patron et le pilote du vapeur refuseront de décliner leur identité. Quant à Lépagnol, il est blessé aux reins par suite du choc entre la barre et le cormier. Fortement avarié, l'Emile I est coulé est n'est pas assuré. Enquête...


Il y eut un accident aux carrières de la veuve Cauvin, le mardi  10 octobre 1905. Vers 4 heures, Edouard Deconihout, journalier de 36 ans demeurant au Trait, glisse sur une planche et se fait quelques contusions à la jambe. Quelques jours de repos, et il reprendra son travail.

L'entreprise en 1906


De cent ouvriers avant le passage au XXe siècle, on est tombé à 17.

En 1906, Guibert est secondé par Marcellus Lefèbvre, natif de Cirès-lès-Mello, Oise, marié à une Bretonne et père d'une fille née à Yainville. Une bonne originaire de Bliquetuit leur est attachée.
Breton est aussi le chef de chantier, Jacques Leberre, natif de Plogonnec, père de cinq enfants. Venue de Plomelin, sa mère vit sous son toit.
Contremaître de travaux publics : Michel Acron, natif de l'assistance, époux d'une Mainberte. Il élève sa petite-fille.
Un seul ouvrier est qualifié de carrier : Albert Colignon, originaire de Pissy-Pôville. Marié, le couple élève deux enfants et deux nourrissons.

Sinon, Guibert emploie toujours des journaliers :

Emile Lasne, né en 1856 à la Trinité de Réville. Marié, deux enfants.
Louis Paresy, né à Jumièges en 1863. Un enfant.
Edmond Carpentier.

Batelier : Emile Mainberte.

Il s'agit là du personnel yainvillais. A Heurteauville, Joseph Mauger est également batelier chez Guibert. Louis Lefèbvre y est quant à lui charpentier, Henri Cantais forgeron.
Au Trait habite un contremaître natif de Quillebeuf, Victor Salin. Son fils, prénommé comme lui, est marinier aux côtés d'Emile Mainberte.

A Jumièges habitent un terrassier, Delphin Lemercier, et un charpentier, Fernand Lepareux. En mai 1906, celui-ci se rend à son travail vers cinq heures et demie du matin. Quand il est agressé à coups de bâton par un journalier, Louis Martin. En se réfugiant dans la cour de Cadinot, Lepareux parvient à échapper à son assaillant. Interrogé par les gendarmes, Martin reconnaîtra les faits, précisant qu'il s'agit d'une vengeance électorale.

A noter qu'en 1906, un Yainvillais est journalier aux carrières de la veuve Cauvin, du Trait. Il s'agit de Pierre Guéroult, né en 1853 à Jumièges.



Le 28 décembre 1906, à 14 h 30, les gendarmes de Duclair patrouillent à Yainville. Et perçoivent une détonation venant d'un champ qui borde leur route. Ils se précipitent et interpellent un individu armé d'un fusil et qui avoue avoir tué un merle. C'est Adolphe Lefebvre, 24 ans, batelier à Yainville. Il n'a pas de permis de chasse et braconne en outre par temps de neige. PV.

En 1907, dans le cadre de l'amélioration de la Seine entre Petit-Couronne et La Bouille, les carrières Guibert et Lamy otiennent deux marchés qui permettent à l'entreprise de respirer : il s'agit de la construction de deux digues, dites de l'île aux Oiseaux et de  Biessard.


Début novembre 1907, un journalier de 50 ans, Lemercier, était occupé à charger un bateau quand il perdit l'équilibre et tomba en Seine.

Eugène Guibert est un bien mauvais conseiller muncipal, absent durant dès les premières séances de son secibd mandat, lui qui postulait au poste de maire. En mai 1908, à l'occasion de nouvelles élections, il ne figure plus parmi les élus.

Mais nous approchons de la fin des carrières. En mars 1909, mon grand-père, Emile Mainberte, est rayé de l'Inscription maritime faute d'embarquement depuis trois ans. Du moins officiellement.


Quand un chaland coule...

Au soir du 12 septembre 1909, en amont du feu d'Yainville, par une nuit très noire, trop noire, le chaland N° 5 quitte les carrières d'Yainville, chargé de pierres. Destination Le Trait. Soudain, il est abordé par le vapeur Sauternes, l'un des fleuron de l'armement Worms & Cie. Le chaland coule. Pas de victimes. Le chaland était immatriculé à Rouen et jaugeait 40 tonnes. Le Journal de Rouen nous donne cette version de l'accident survenu à 21 h : ce chaland était sans feu et sans personne à bord. Il appartenait à un entrepreneur de travaux public de Pont-Audemer.


Aux carrières Cauvin...


Bientôt vont fermer les carrières de Claquevent. Vers 1910, si l'on se écoutait la mémoire familiale, mon grand-père serait allé travailler en qualité de contremaître aux carrières de la veuve Cauvin, à l'entrée du Trait. Entreprise qui, au recensement opéré quatre ans plus tôt, comptait près d'une vingtaine de personnes. Albertine Rault, veuve Cauvin est entourée de deux domestiques : Henri Renault et Léopoldin Quesnel. Contremaître : Adolphe Déhais, originaire de Maulévrier. Journaliers : Abel et Octave Delafenêtre, Eugène et Paul Ducatel, Henri et Albert Lesieutre, Amédée Piot, Eugène Saint-Denis, Alphonse Crevel, Jérôme Artin, Mélanie Parésy, enfin
un autre journalier, Pierre Guéroult, habite à Yainville. Ouvrier de carrière : Charles Caré, bateliers : Clovis Mutel, Armand Lesage et Edouard Deconihout.

Plus de détails :

En 1913, Guibert, entrepreneur de travaux publics, n'apparaît plus sur les listes électorales, Il vivait seul. Parfois secondé par un jeune homme. Guibert retournera au pays où il épouse, en 1945, Marguerite Odent. Il est mort six ans plus tard à son domicile de Boulogne-Billancourt, 3, route de la Reine, le 6 août 1951, avec la profession d'ingénieur.

En 1913, mon grand-père, Emile Mainberte, est encore qualifié de batelier tout comme Louis Larchevêque et Gustave Chéron. On ne compte plus que quatre carriers : les indéflectibles Michel Acron et Albert Colignon mais aussi Auguste Douiller, natif d'Yville et le Jumiégeois Louis Frémont. Alors, ces derniers carriers et bateliers travaillent-ils à Yainville ou aux carrières Cauvin, voire plus en amont jusqu'au portes de Rouen ? Notamment à Biessard où mon grand-père est attesté cette année-là. En 1913, aucun carrier n'apparaît en tout cas sur la liste électorale du Trait. Cependant, un accident en 1914 affectant le frère de Louis Parésy fait état de plusieurs ouvriers chez les veuve Cauvin. Cette entreprise poursuivra son activité bien au-delà des années 20.

La Grande guerre mit en tout cas un point final à l'histoire des carrières d'Yainville. C'est à Claquevent que s'implantèrent l'usine d'électricité et ses satellites. Mais elles nous lancèrent encore quelques signes.
Durant l'Occupation, la tombe de Silvestre fut profanée. On le pensait inhumé avec ses richesses. Conseiller municipal, mon père fut appelé auprès du cercueil éventré. Il racontait souvent avoir été surpris par le parfait étatt de conservation de l'ancien maire d'Yainville. Qui peu après se décomposa....
A la Libération, les carrières trouvèrent une fonction inattendue : on se réfugia dans ses cavités pour se protéger des bombardements.

Laurent QUEVILLY.



Sources


Archives départementales, c
otes: 3S115, 8S45 (accidents), 3S14 (crise), 3S345 (bac). Relevés de Jean-Yves et Josiane Marchand, transcription Laurent Quevilly.
Journal de Duclair. (Laurent Quevilly).
Archives départementales des Hauts-de-Seine, commune de Boulogne-Billancourt.