Image non datée d'une visite de la centrale par une brochette de personnalités.

En janvier 1933, Henri Lambert, le directeur de l'usine, demeurant place de l'Eglise à Duclair, fait son entrée au sein de la Société industrielle de Rouen.
Il s'agit d'une société savante fondée en 1872. On y retrouve des gens connus de nos services comme Pierre Chirol, Georges Lanfry, Gadeau de Kerville... Aussitôt, Lambert s'inscrit au sein de la commission Mécanique, Electricité, Métallurgie. Il favorise aussi l'admission dans l'association de René Coulon, industriel, administrateur de la Société normande des Corps Gras, demeurant à Paris.

Chantier de la savonnerie, 4 janvier 33. Une des deux maisons, souvent présentes sur nos photos, a été détruite pour laisser place à un long bâtiment...

L'école centrale... à la centrale


Le 1er juin 1933, menés par M. Guillet, directeur de l'école centrale et membre de l'Institut, un groupe débarque du Bardouville à l'appontement d'Yainville où il est reçu par Maurice Otto, ingénieur en chef et Lambert, directeur de la centrale. On entre dans la salle des turbines puis celle des pompes alimentaires et à la chaufferie. Après quoi, visite du chantier de la savonnerie, véritable ruche. Au moment de l'enquête sur l'implantation de la savonnerie, reliée à la centrale par un tuyau de vapeur, Marcel Leclercq, le nouveau propriétaire du manoir de Sacha Guitry s'y oppose, de même que les Achard de Bonvouloir, héritiers de l'abbaye de Jumièges.
Les Centraux visitent ensuite les établissement de la Seine Maritime, temple de l'Ozone et l'usine des produits électrolytiques,.
Après quoi, on se répartit en voiture pour aller dîner à Caudebec. Mais au passage, on s'arrête à la cité. Trois groupes de sept logements disposant d'un petit jardin. En dehors du magasin proprement dit, la coopérative compren des salles de réfectoire et des chambres destinées aux célibataires. L'ensemble est desservi par des routes bordées de trottoirs, agrémenté de pelouses
En janvier 1933, Henri Lambert, le directeur de l'usine, demeurant place de l'Eglise à Duclair, fait son entrée au sein de la Société industrielle de Rouen. Il s'agit d'une société savante fondée en 1872. On y retrouve des gens connus de nos services comme Pierre Chirol, Georges Lanfry, Gadeau de Kerville... Aussitôt, Lambert s'inscrit au sein de la commission Mécanique, Electiricé, Métallurgie. Il favorise aussi l'admission dans l'association de René Coulon, industriel, administrateur de la Société normande des Corps Gras, demeurant à Paris. plantées de fruitiers.

Les conquêtes sociales


Mais voici venir l'époque où l'on aspire à plus de justice sociale, plus de loisirs. On va au cinéma, on écoute Chevalier, Ténet, Tino Rossi à la TSF. Partout fleurissent les sociétés sportives, artistiques. On fait la fête : corsos fleuris au Trait, à Duclair, grandes régates...
Ernest Coté, le chef du garage de la centrale, dispose d'un canot automobile appelé "R le Râleur", derrière lequel, durant les régates de Duclair, Raphaël Quevilly fait des démonstrations d'aquaplane. Lui aussi est habilité à conduire l'engin. De même transformera-t-il le canot du directeur de la centrale, Henri Lambert, en lui adaptant un moteur d'avion de type Farman.
Les jeunes ouvriers qui, à l'exception du service militaire, ne sortaient guère de leur canton, vont découvrir d'autres horizons à l'occasion de brefs congés. Avec ses amis et ses beaux-frères, l'un ouvrier de filature au Paulu, l'autre rectifieur aux chantiers du Trait, mon père ira dans ces années-là à la plage de Saint-Valery-en-Caux, à moto, on pousera jusqu'à la forêt de Saint-Cucufa, à Rueil-Malmaison, Cayeux-sur-Mer, dans la Somme, mais aussi jusqu'au Mont Saint-Michel, à La Giclée, dans les Côtes-du-Nord...

Les cadres, bien entendu, ont aussi leurs loisirs. En août 33, Jacques Maurier, le directeur adjoint, est en villégiature à Sainte-Honorine-des-Pertes, non loin de Saint-Vast-la-Hougue. Ils s'y classe troisième d'un rallye automobile comportant 26 concurrents. Ce sera un habitué de la compétition.


Sur le plan social, les allocations familiales font leur apparition à la Havraise en 1933. La cité ouvrière est alimentée en eau de Seine épurée par l'ozone. Une installation qui lui vaut les honneurs de la presse spécialisée.

Mars 1934 : Alphonse Berthaud, 3e mécanicien à bord du
Divona, amarré au ponton de la centrale d'Yainville, est trompé par l'obscurité et tombe en Seine. Le brigadier Jouan, des douanes du Trait, se trouvait là. Il lui jette la bouée des Sauveteurs bretons. L'homme est sauvé. 


En avril 1934, Raphaël Quevilly, alors mécanicien à l'usine depuis quatre ans, songea à quitter l'entreprise. Il s'incrivit au registre du commerce pour ouvrir un atelier d'artisan-mécanicien route de Varengeville, à Duclair. Une reconversion qui ne se concrétisera pas. Même s'il sera de nouveau tenté durant la guerre...
1934, c'est l'année où Raphaël Quevilly, domicilié auparavant à Saint-Paër, s'établit définitivement à Yainville, route de Jumièges. Par adjudication, il louera une petite maison à la commune, près de la maire d'Yainville, connue sous le nom de "maison Rachel" et laissée vacante par M. Dieudegard. 34 est l'année de son permis de chasse. Avec Ernest Coté, il édifie dans la forêt de Jumièges une cabane d'affût près de la mare aux sangliers. Ses vestiges sont toujours visibles.

Mais un événement tragique plonge Yainville et le monde ouvrier dans le deuil, le 6 août 34 : c'est l'explosion de l'usine électrolytique :


Le 27 septembre 1934,
sous la présidence du préfet Beau, l'union des Industriels et de la Seine maritime tient sa 3e AG à Caudebec et passe par la centrale et les chantiers du Trait. Lambert en est le secrétaire ajoint. On observa une minute de silence à la mémoire des morts de Yainville mais aussi de Port-Jérôme où avait eu lieu un autre accident.

La vente d'électricité est alors en léger recul à la centale d'Yainville qui dessert un tissu industriel lourdement touché par le chômage. Mais, malgré la crise qui se prolonge, la SHEE engrange toujours de juteux bénéfices, sa centrale du Havre étant en progression. Et puis l'électrification domestique se poursuit dans le canton de Duclair. En novembre 1934 sont réalisés les premiers branchements à Berville. Ici, la gestion du réseau avait été confiée deux ans plus tôt à la Normande d'électricité. A Saint-Paër, le projet se poursuit. Si le courant est arrivé au bourg en 1931, il faudra attendre 36 pour électrifier les premiers hameaux...

Les Municipales de mai 1935 annoncent une aspiration vers le Front populaire. On compte 108 agents en 1935 à la Havraise. Le 13 juillet de cette année-là, la Société industrielle de Rouen est reçu à l'usine par Henri Lambert et Jacques Maurier, l'ingénieur. Lambert, d'ailleurs, parraina en 35 son adjoint pour son adminission au sein de cette société savante. Un an plus tôt, Lambert a parrainé aussi l'admission de Georges Delerue, directeur de la SHEE au Havre.

Au début de l'exercice 1935, les filatures desservies par Yainville chôment partiellement, la production s'en ressent. Cependant, dans le milieu de l'année, la situation  s'améliore. Quelques mois plus tard, la Sablière de Jumièges, nouveau client, se met en route après une mise au point de son matériel.


Les vieux de la vieille, ouvriers de la première heure...

Sur la turbine, Raphaël Quevilly est le second à partir de la gauche. Les autres restent à identifier.

Le hameau de Claquevent est devenu le lieu de vie le plus animé d'Yainville. La fête patronale se tient désormais sur au café du Passage, à deux pas de l'usine. Non loin de là existe une sorte de club de plage où se retrouve la jeunesse du pays.
 
Le Front populaire



Puis vint 36. Aux législatives d'avril, les partis de gauche s'émeuvent des actions de l'extrême-droite. Bientôt, c'est la grève générale. On veut que ce soit Marcel Paul en personne, le futur ministre de l'énergie à la Libération, qui soit venu créer la section CGTU à Yainville. Il est alors secrétaire général de la Fédération. Cette section sera concurrencée par la CFTC sans grands succès. L'usine sera occupée. Le courant jamais coupé. Les ouvriers de Claquevent vont défiler chaque jour dans les rues du Trait. 
Les accords de Matignon apportent les 40h, les congés payés.
Dans les premiers temps de la SHEE, on travaillait en moyenne 56 heures par semaine. Le personnel de la Havraise était payé à la semaine. Sans congès annuels. Seuls les mensuels bénéficiaient d'une semaine de vacances. Là, les allocations familiales, les assurances sociales sont revues à la hausse. Le pix du courant baisse, l'eau coule gratuitement dans les logements de la Cité. Indemnités de vêtements de travail, de panier, de bicyclette...


Qui sont ces agents de la SHEE photographiés à la centrale d'Yainville vers 36 ? Les femmes sont sans doute employées de bureau. Celle qui porte une blouse à carreau serait Mme Arson dont l'époux relevait les compteurs. Le couple prit sa retraite à Barentin. (Archives Raphaël Quevilly).

Le capital de la SHEE est alors de 87 millions et demi de francs. Son siège social est au 4 de la rue fu Général-Foy, dans le 8e arrondissement de Paris. La SHEE a aussi des actions dans la Société d'habitation à Bon Marché, au Trait. Certains ouvriers sont ainsi logés à la Cité de la Bucaille.

En 1936, on retrouve Lambert parmi les membres de l'Association normande en compagnie de Bobée et Chatel, pharmacien et médecin à Duclair, le comte de Malartic, Georges Robert, de Boscherville et Henri Denise fils.  A Yainville, 36 aura été marquée aussi, en mai, par la chute d'une échelle de six mètres d'un peintre italien demeurant habituellement à Paris. Gedini Henrio, 37 ans, mourut d'une fracture du crâne.

Le premier statut


 2 mars 1937, l'église d'Epinay-sur-Seine est raccordée. Dévalutation, vie chère amèneront de nouvelles grèves. Le même mois, nous dit Le Populaire, journal de Paris, Les personnels des usines de la région du Trait s'élèvent contre le licenciement pour activité syndicale d'un chef de service à la Société Normande des Corps Gras, à Yainville. La presse locale reste discrète sur la question. L"homme en question est un jeune ingénieur à qui l'on reproche une faute professionnelle. En revanche, le Journal de Rouen fera ses choux gras d'une manifestation d'une centaine de "disciples de Staline" contre des évangélistes au Trait.

Le 19 mars est signé le premier statut du personnel entre André Martin pour la direction de la SHEE, et Lucien Barthès pour les syndicats, un homme appelé à des responsabilités nationales après la nationalisation. Quelle en est la taduction concrète ? J'ai sous les yeux une lettre de l'ingénieur-directeur, Henri Lambert, adressée le 21 avril 37 à mon père, alors ouvrier d'atelier 1ère catégorie avec la qualification de mécanicien de garage :

"Monsieur, en application des clauses du statut du personnel, nous vous confirmons que nous vous considérons comme agent titulaire."


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Le personnel du garage de la Havraise. A gauche : Raphaël Quevilly et Charles Rigault. Les deux autres sont à identifier. Les mêmes devant une automobile qui pourrait être celle du directeur, Henri Lambert...
On aperçoit à l'arrière l'aile droite de l'usine qui abritait les bureaux et des épaves d'automobile. Charles Rigault au volant du camion de la centrale.

A la centrale, les effectifs augmentent en 37 avec l'introduction d'une quatrième équipe dans le service continu. Les syndicats n'ont pas de salle de réunion sur place. La mairie d'Yainville leur consent, en août 37, l'usage de ses locaux. La CGT est alors réunifiée. Au Trait, un homme incarne les luttes sociales de l'époque, c'est Robert Lemonnier. Un immense cortège suit son corbillard le 30 septembre 37 pour ses obsèques civiles. Derrière le député André Marie marchent des ouvriers venus de toutes les usines du secteur.

Les élus de la centrale


Le nom de Raphaël Quevilly apparaît pour la première fois parmi les élus du conseil lors de la séance du 15 décembre 1937. Il n'était pas le premier représentant de l'usine à siéger en mairie. Il y avait là Louis Colignon, fils d'un carrier de Claquevent, André Bidaux... Mais Raphaël Quevilly personnalisera la présence de la centrale à la mairie, c'est en tout cas ce qui l'empêchera, après-guerre, de s'asseoir dans le fauteuil de maire qui lui tendait les bras, sa liste étant jugée  trop connotée EDF.

En 37, Lévêque est toujours maire. C'est un rad-soc, un personnage truculent de fond de terroir. Son secrétaire de mairie est M. Piard, le directeur de l'école depuis trois ans. On trouve aussi autour de la table MM. Riaux, Blaise, Le Corre, Brunet, Piot, Grain... La première mission confiée à Raphaël Quevilly fut de distribuer des galoches aux écoliers nécessiteux. Une tradition. Il ignorait sûrement que, vingt ans plus tôt, une certaine Andréa Mainberte en avait bénéficié durant la Grande guerre. Et cette Andréa Mainberte, il vient tout juste de l'épouser, le 30 octobre. Il l'a rencontrée au café du Passage où elle est née. Un estaminet tenu maintenant par Marie Chéron.

Ce même 15 décembre, "le conseil accepte l'installation d'un panneau d'affichage dans la cité de la Côte Béchère fait par la Société havraise d'énergie et à ses frais et la remercie de cette initiative généreuse."

Le 5 janvier 1938, le maire d'Yainville est autorisé à signer un contrat avec la SHEE pour l'installation de l'éclairage public. Celui-ci fonctionnera du 1er août au 30 avril. Le même jour, Raphaël Quevilly est nommé trésorier de la commission des fêtes.
L'année 38 sera marquée par un nouvel accident du travail. Un ouvrier meurt renversé par un train. Sur le plan technique, l'un des groupes de turboalternateurs primitifs est transformé pour alimenter quatre chaudières Alstom de type Stirling.
Prime de vie chère, augmentation de salaire marquent l'année sociale à l'usine. Mais il y a de la contestation dans l'air s'agissant des allocatons familiales. La CGT s'en fait l'écho dans le journal Le Peuple.

Comment sont appliquées les lois à la Société havraise d'énergie électrique

Au moment où tout le monde proclame que si l'on veut sauver le pays il faut absolument repeupler, où notre gouvernement reconnaît qu'il faut aider les familles nombreuses et, partant, accorde des avantages à ces familles, nous trouvons des patrons, tel, par exemple, le directeur de la Société havraise d'énergie électrique centrale de Yainville, qui, pour retarder l'aplication de ces lois, use de subterfuges par trop voyants.
Le 10 juin 1938, le ministre des travaux publics, duquel nous dépendons, passait une circulaire qui fut, du reste, fort contestée par ces messieurs, mais qui, en fin de compte, fut acceptée. Cette circulaire nous assimilait, quant aux allocations familiales, aux fonctionnaires du département, et prévoyait pour notre industrie, qui est particulièrement prospère, si l'on s'en réfère aux bénéfices toujours croissants de notre société, des augmentations assez sensibles des allocations familiales.
Or, pour retarder l'application de celles-ci, notre directeur nous déclara purement et simplement qu'il ne comprenait rien à cette circulaire, que le ministre lui-même, à l'époque M. Ramadier, ne savait pas exactement ce qu'il voulait dire, et autres propos assez outrageants à l'égard des ministres, voire du préfet.
Dernièrement, notre directeur recevait des instructions pour verser les allocations familiales comme nous les réclamions, c'est-à,-dire, conformément à la loi. Seulement, lui considère qu'il a tout de même gagné quelque chose à discuter autant de temps, car, actuellement, ce monsieur ne prétend verser qu'à partir de l'instant où il lui a été signifié qu'il fallait se conformer à la loi et entend n'appliquer aucune rétroactivité. Cette façon d'agir paraît quand même par trop simple.
Nous demandons à l'opinion publique si, lorsque le prix du courant est augmenté, notre société attend deux ans pour applie quer le nouveau tarif. Du reste, nous aur rions encore beaucoup à dire quant aux violations aussi bien des lois que du statut du personnel. Nous nous promettons toustefois de renseigner l'opinion publique sur la situation privilégiée de cette société.
Le syndicat.

En janvier 1939 est mise en place une caisse locale de chômage à Yainville. Les délégués ouvriers sont MM Bacon et Beyer, les représentants patronaux Maurier et Maurisson. Quéré et Pellerin représentent le bureau de bienfaisance de la commune.

A l'usine, en 1939, quatre jeunes titulaires du certificat d'études ayant 14 ans révolus bénéficient d'une formation durant quate ans. Au vu des notes, on peut redoubler en fin d'années. Au bout de trois ans, c'est la présentation au CAP, puis, cours complémentaire et Brevet de dessinateur industriel.
L'apprentissage s'apparente au compagnonnage à la SHEE. Cours dans la matinée, aux chantiers du Trait. Français, sciences, maths, technologie navale. Le CAP de déroule rue des Emmurées à Rouen. On est stagiaire jusqu'à 21 ans. Puis titulaire après le service militaire. Ou le STO. Car en septembre 39, nous sommes en guerre...

La suite : La guerre de 39-40




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