Elles ont disparu dans les années 60. Jadis, les communes riveraines de la Seine avaient leur plage. Comme Yainville et Le Trait. Plongeons dans le passé...
Mon père, Raphaël Quevilly, me racontait parfois avoir participé à des joutes nautiques qui menaient les nageurs de Duclair jusqu'au Trou de la Martellerie. Avec mon imagination d'enfant, il en était sorti forcément vainqueur.
Oui, on se baignait jadis dans la Seine. Comme dans l'eau claire de la Fontaine où plusieurs noyades furent du reste à déplorer. Je les évoque dans 14-18 dans le canton de Duclair.
La plage d'Yainville
Dans les années 30, toujours avec la participation de mon père, une sorte de club nautique s'était créé à Yainville. Ses membres avaient un signe de ralliement : l'index levé. Aujourd'hui, on a plutôt tendance à tendre le majeur...

Sur la plage d'Yainville, près du Grand-Marais, non loin du bac et du chemin côtier menant à Jumièges. Raphaël Quevilly est ici à droite.

A gauche, on reconnaît M. Oliviero disparu de la tuberculose dans les années 40. Son frère est le 3e à partir de la gauche. Il est le père d'Yvette et Evelyne, née à Yainville en 1936 et qui fut ambulancière. Ernest Oliviero, né à Bieuzy, dans le Morbihan, habitait chemin du Passage en compagnie de sa femme, Joséphine Bertein. Il était manœuvre à la savonnerie. On a localisé aussi les Oliviero dans la maison Silvestre.
La dame au centre est Suzanne Brunet, épouse Marotte. Née à Dreux, Suzanne était alors dactylo chez Bai. Elle sera l'une de nos premières conseillères municipales, Dessinateur à la centrale, Paul, son mari est à l'extrême-droite, portant béret. Accroupi devant Mme Marotte: M. Fercoq, dessinateur industriel aux chantiers du Trait, trompettiste de l'orchestre du Trait et animateur de bals, notamment ceux d'Yainville. Il jouera à la cartonnerie le soir du 16 juillet 1945 pour le retour des prisonniers de guerre. En savez-vous plus et qui peut identifier les autres personnages ?

Bref, la qualité des eaux autorisait la baignade et les boucles de la Seine n'étaient pas chahutées par les forts courants de l'estuaire.
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Sur le chemin de la plage avec ses maisons disparues... A droite, Raphaël Quevilly. Mais qui reconnaîtra les autres personnages ?... |
La plage du Trait
On se baignait aussi entre deux guerres au Trait. Non sans risque. En août 1932, Hélène Deconihout, demeurant quartier du Calvaire, prend ses ébats en Seine, bien que ne sachant guère nager. Soudain, un jeune homme la voit couler à pic et appelle au secours. Alfred Caron fils, ramoneur de Barentin en tournée au Trait, se jette à l'eau et ramène Hélène sur la berge. Quelques soins, et elle regagne son domicile.
En 1933, la mairie du Trait rappelle qu'il est formellement interdit de se baigner en Seine. On a vu fin juillet des enfants ne sachant pas nager prendre leurs ébats dans le fleuve avec pour seul flotteur un bidon d'essence. On rappelle qu'à Dieppe on a sauvé de la noyade un baigneur dans de semblables conditions.
Après guerre, la plage du Trait était très courue bien que située près de la station d'épuration. Jeannine Chevalier, Traitonne depuis l'âge de 6 ans, s'en souvient. « C'était en 1946, 1947. J'y allais souvent le soir, en sortant du bureau. Je travaillais au chantier naval. Tout le monde y allait, venait apprendre à nager. » Sous la surveillance d'un maître-nageur ? « Euh, à l'époque... », reconnaît Jeannine, la question ne se posait pas vraiment.

Alors en 1950, Raymond Salaün, un Breton de Saint-Pol-de-Léon qui habite rue de la Plage, passe son brevet de maître-nageur. Il implante un premier appontement, puis un second, pose un grillage, plante un plongeoir et transforme son baraquement en guinguette.
Raymond Salaün avait épousé Madeleine, une des deux sœurs qui tenaient la Civette. Celle-ci raconte: « Raymond apprenait à nager aux enfants. On avait construit un barrage pour dessiner un bassin. Il y avait aussi 12 bouées d'amarrage pour mettre les bateaux en sécurité en cas de tempête et éviter les catastrophes. À l'époque, les gens venaient de partout, attirés par les chantiers. On ne faisait pas de manière. Le principal était de connaître des marées pour être en sécurité ».
« Avec Raymond, pendant les vacances, nous allions parfois en bateau jusqu'à Paris. Il était charpentier de navire alors évidemment il avait construit son propre bateau. Le voyage aller prenait un mois quand ce n'était pas plus. Nous progressions suivant les marées, d'une bouée de mouillage à l'autre ». En remontant la Seine jusqu'à Paris, Madeleine et Raymond accostent partout. « Tout le monde nous connaissait. Une fois à Paris nous nous promenions ». De retour au Trait, ils aimaient aller en Seine. « On ne faisait pas de chiqué en ce temps-là. Les gens étaient corrects. Le café ne vidait pas. Je serais contente que tout le monde soit heureux comme je l'ai été. J'ai eu du brave monde chez moi ». Raymond pêchait pour le restaurant et les cuisines de La Civette. « Les filets étaient toujours bien remplis alors quand les gens nous disaient : « On mangerait bien chez vous mais on n'a pas de sous », je ne les faisais pas payer. Je répondais : « Il faut manger sinon vous allez mourir. Il y aura bien quelques herbes à arracher dans la cour ou un peu de nettoyage à faire pour aider. La clientèle était incroyable de gentillesse. Nous n'étions pas des sauvages »
Sources
Paul Bonmartel, Mémoires du Trait.
E. Cortier, Le Courrier cauchois,
Angélina Dionisi, Le Courrier cauchois; 17 juillet 2015.