Par Laurent Quevilly_Mainberte


" C'était tout juste après la guerre..." La chanson de Bourvil colle au petit bal qui fut donné à Yainville pour marquer la Libération. Voyons comment les habitants retrouvèrent le sens de la fête.

Après la libération de notre région, en août 44, souffle à nouveau un air de fête. Notamment au camp Twenty-Grand de Varengeville où les habitants du canton vont découvrir des produits venus d'Amérique : cigarettes blondes, bas nylon, chewing-gum. Ce fut le cas de ma famille.

Le 27 mai 1945, Gaston Passerel ayant été élu maire avec, de retour de captivité, Marcel Blaise pour adjoint. On forma les commissions municipales et Raphaël Quevilly fut notamment reconduit dans celle des fêtes en compagnie de Paul Le Corre et  Maurice Conchis.

Un des premiers actes de cette commission, parfois intitulée comité, fut d'organiser une fête pour le retour des prisonniers yainvillais. Ils étaient 17, ce qui représente une forte proportion de la population. Une souscription fut ouverte auprès des habitants pour recueillir des fonds et les répartir entre les intéressés au prorata de leur durée de captivité.
Les principales entreprises du cru furent également sollicitées. Les chantiers, la savonnerie alors dirigée par M. Verhoest ou encore Mustad, par l'entremise de Berger Evensen répondirent favorablement. Seule la Havraise déclina la proposition, arguant sous la plume de Marcel Cayron que la centrale avait déjà largement indemnisé ses propres prisonniers de guerre dont on retrouvait du reste certains sur la liste de la municipalité.

On est les champions ! On est les champions !
Types de lettres reçues par Raphaël Quevilly.



En tout, 6.000 F furent  récoltés et chaque prisonnier devait recevoir un livret au cours de la cérémonie. Voici le tableau des prisonniers et des ouvriers requis dans les entreprises allemandes. On n'y fit figurer que le nom de famille. Nous avons rajouté les prénoms. Aidez-nous à compléter ou rectifier les erreurs.

PRISONNIERS
NOMS Durée de captivité Part
BIDAUX Bernard 59 mois 332
BLAISE Marcel 58 326
DUVAL André ? 43 242
FOURQUET 58 326
KUBISTA Frank ? 61 344
LANGANAY André 60 338
OLIVIERO Ernest 58 326
OURSEL Robert 59 332
RESSE Noé 50 282
SAUDRAIS Sylvain ? 60 228
REQUIS
BENARD Marcel ? 9 53
BOCQUET 51 2.288 (a)
BREARD 13 73
DECAUX 23 130
FONTAINE André 18 105
LEBLOND Roger ? 6 35
PONTY Fernand ? 23 130
709 6.000

Les prisonniers indemnisés par la Havraise :

Jean Lemarchand (8.500F), Henri Gascoin (8.000 F), André Fontaine (9.000F), Maxime Dossier (25.500F), Emile Bellet (25.500F), Marcel Blaise (29.500F), Robert Cotelle (29.000F), Henri Vigneux (29.000F), Robert Oursel (29.500F), Fernand Prunier (29.500F), Louis Boutard (29.500F), Alfred TA?? (29.500F), Jules Vincent (25.500F), André Langanay (30.000F), Paul Bellet (30.000F), Lucien Vautier (30.000F), Joseph Jégou (30.000F, Sylvain Saudrais (30.000F) et François Laude (pas encore rentré et donc plus de 30.000F), soit un total minimum de 487.500 F.

La liste des donnateurs :

(Seuls les noms de famille apparaissent. Nous avons rajouté les prénoms des chefs de famille au recensement le plus proche)

Gaston Passerel, Raphaël Quevilly, André Bidaux, Pierre Macchi, Herment, Paul Avenel et Frédéric Cauchois : 100F.
M. Gouard : 60 F. MM. Marcel Blaise, Maurice Conchy, Georges Piot,
Péniguel,  Marius Thiollent, Franck, Verhoest, Bertin, Jean Iliine (Russe), famille Chéron, Victor Leguillochet, Carlos Rodriguez, Pape, Cauvin, Vincent : 50 F.
Henri Saudrais, Henri Nouvel : 40F.
Georges Riaux, Anselme Montagné, Marceau Edde, Meseray, Lucien Pigny, Fernand Piard, Henri Beyer, François Charles, Louis Guéroult, Pascal Buquet,  : 30F
MM. Guido Vian, Frankisek
Kubista, Vasse : 25 F.
MM. Théophile Pourhomme, Emile Bidaux, Robert Oursel, Brunet, Lépron, Louis Acron, Maurice Edde (père), Jose Rodriguez, Van de Perre, Ernest Oliviero, Louis Hamel, Jean Baronchelli, François Coté, Léon Grain, Vaillant, Pierre Mazurier, Boquet, Lavaine, Leblond, Scellier : 20 F.
M. Vizioz : 15 F.
MM. Jean Quéré, Decaux, Semette, Colignon, Joseph Beyer, Lefèbvre, Bance, Lionel Lépron, André Dubreuil, Victor Dufay, Oscar Ponty, Emile Monchy : 10 F.
Pierre Vanderschot : 5 F.
Paul Le Corre, Gabriel Pelé, Raymond Dastillon et Binard absents.
Gustave Moquay : mention donné sans indication de somme.
N'ont rien donné : Pierre Clément, Léon Lévêque, Corentin Le Doze, Iréné Bréard, Dominique Piot et Léon Rigault.

Jour de fête...


Les invitations furent donc lancées pour le dimanche 15 juillet. Le programme de la fête était ainsi conçu : rendez-vous à la mairie à 10 h précises pour se rendre en cortège à l'église. Messe d'action de grâce célébrée par l'abbé Coupel, tour du cillage par la fanfare de Duclair.

Tandis qu'est attendu le défilé, un petit groupe de Yainvillais s'est formé en bordure du terrain de sport où sont dressée les tables pour servir le vin d'honneur.


A gauche figurent la maison de mes parents et celle de Rachel Lefrançois, propriétés communales. Sur la photo : Raphaël Quevilly, Henri Nouvel, Maurice Conchis, Paul Le Corre qui mime le débouchage d'une bouteille et Lucien Pigny, ajusteur aux chantiers. Le petit garçon agitant un drapeau tricolore est Jean-Claude Quevilly.




Les femmes viennent rejoindre le groupe : Louise Grain, veuve Colignon, Emma Acron, épouse Conchis, Raphaël Quevilly, Henri Nouvel et son épouse Simone, Maurice Conchis et Lucien Pigny. Au premier plan : Jean-Claude Quevilly, Odile Colignon et Andréa Mainberte
.


Les  mêmes. Odile porte une pancarte qui sera posée pour indiquer la direction du bal. Pigny arbore un pavillon de marine, Uniform ou Lima. C'est maintenant mon père qui mime l'ouverture d'une bouteille...

Le vin d'honneur fut servi ensuite sur le terrain de sport avec la remise des livrets à chacun des anciens prisonniers et requis. Qui signèrent alors un reçu...

On est les champions ! On est les champions !

Le soir, sur le site de Claquevent, dans les locaux de la cartonnerie, un grand bal fut animé par le Normandy Jazz du Trait.

On est les champions !

La formation est composée du trombonniste Henri Schammé, passeur aux chantiers, le percussionniste Henri Guérillon pointeur à la Worms et du trompettiste Fercoq, dessinateur aux chantiers et aperçu souvent sur la plage d'Yainville.
Au premier rang, les accordéonistes Guérillon fils, et le Breton Eugène Dagaud, dessinateur aux chantiers le saxophoniste Tonnelier, Maurice Eliot au piano, enfin Géo Brument, le chef, au sax.

Ce bal à la cartonnerie pose la question d'un local pour les festivités yainvillaises. En 45, il existait alors local pompeusement appelé 'salle des fêtes' dont on ignore l'emplacement exact. Mais on sait qu'il était occupé par un locataire. Du coup, la municipalité cherchait à le reloger ailleurs pour libérer l'espace. En vain, car en juin 46, nos élus en seront réduits à demander aux intances départementales un baraquement qui pourrait faire usage de salle des fêtes. Avant de lancer le projet d'un bâtiment en dur...

Laurent QUEVILLY.

Sources


Archives de Raphaël Quevilly : dossier conseil municipal., collection photographique.
Délibérations du conseil municipal d'Yainville, numérisation : Edith Lebourgeois.
La vieille maison : montage audiovisuel de Jean-Claude Quevilly.
Recensements de la population d'Yainville.