Par Laurent Quevilly-Mainberte
Le maire écarté, l'église d'Yainville enfin restaurée, il va falloir maintenant la rendre au culte. Avec qui, sous quelle forme, that is the question...

Pour remplacer Lesain, le choix du Préfet se porta sur Pascal Metterie. Ce garde-forêt est né à Jumièges en 1785. il s'est marié en 1810 au Landin avec une fille Levillain, du Mesnil. Leurs six enfants sont tous nés à Yainville. La nomination intervint le 23 février 1846
;

M. Lesain ayant donné sa démission des fonctions de maire d'Yainville, je vous envoie un arrêté par lequel je vous ai appelé à le remplacer.
L'affaire que vous avez à traiter maintenant d'urgence est celle relative à l'érection de votre église en succursale et comme le temps presse d'être en mesure pour obtenir ce titre, voici les formalités que vous aurez à produire...

Metterie reçut exactement le même questionnaire que celui qui avait précipité la démission de Lesain.

Je vous recommande de vous faire rendre bien exactement toutes les pièces dont M. Lesain était dépositaire en sa qualité de maire et de veiller à ce qu'il n'en conserve par une seule. La confiance règne !

Duclair dubitatif


Le 27 février 1846, Metterie n'est pas encore installé qu'il sollicite le maire de Duclair. Avocat, Panthou a beau lire et relire la lettre de son nouveau collègue, il a du mal à conprendre où il veut en venir en demandant "un certificat du conseil municipal de Duclair concernant la demande des habitants pour la création d'une église." Un certicat ? Un certificat de quoi ! La formule est curieuse, la démarche vague. Panthou devine seulement que ses voisins ont l'air pressés.. Alors il demande au Préfet l'autorisation de convoquer son assemblée en espérant clarifier d'ici là sur quel point précis elle doit délibérer. Et pour ce faire, il demandera à Metterie de lui fournir les derniers courriers préfectoraux.

Yainville insiste


Le 2 mars 1846, Pascal Metterie est installé officiellement nouveau maire d'Yainville. Il prête serment au Roi, à la Constitution, aux Lois, à tout ce que vous voulez. Et Lesain est là pour l'introniser avec toute la mauvaise volonté du monde. Sans Mabon et Duval. C'est au manoir de la Lieue qu'à lieu la passation de pouvoir, "n'ayant pas de maison commune". Pour la petite histoire, ce sera la toute dernière fois qu'un conseil se réunit en ces lieux.  Immédiatement, Metterie procéda à l'inventaire des registres d'état civil.

A Metterie maintenant de porter le dossier de l'église.


Dès le lendemain, 3 mars 1846 Metterie est entouré de Lafosse, Pinguet, Thuillier, Jeanne, Lambert, Delépine. Il s'agit de demander au préfet l'autorisation "pour que l'église d'Yainville soit érigée en succursale en établissant ses ressources qui consistent

1) en un legs de la somme de 10.000 francs fait par M. Lesain autant que cette église serait érigée en succursale et l'érection d'une fabrique.

2) En un testament de la somme de 2.000 F fait par M. Félix Jérémie Metterie, ancien commerçant, demeurant à Guerbaville, en date du 18 décembre 1845,  lequel porte qu'il n'aura son exécution qu'autant que l'église d'Yainville, en faveur de laquelle il est fait, recouvrirait son ancien titre de succursale et l'érection d'une fabrique,

par quoi le conseil municipal en adoptant les motifs de l'exposé ci-dessus pense que Monsieur le Préfet, prenant en considération les dons ci-dessus militant en faveur de l'église d'Yainville voudra bien accorder l'autorisation demandée.
"



Jumièges s'obstine


Le 8 mars 1846, sous la présidence de Dupont, maire par intérim, le conseil municipal de Jumièges se réunit. Autour de la table, Philippe, premier adjoint, Heuzé, Cabut, Metterie, Lefebvre, Lebourg, Chantin, Mallet, Fauvel, et Bicheray, inamovible secrétaire de séance. L’atmosphère est tendue : on doit à nouveau délibérer à la demande du préfet sur la pétition des habitants d’Yainville, qui réclament que leur église soit érigée en succursale.

Dès l’ouverture des débats, un conseiller prend la parole. Son ton est ferme, presque indigné :

    « La demande de Monsieur le Préfet doit paraître d’autant plus extraordinaire que, déjà l’année dernière, le conseil a été consulté sur la réunion d’Yainville à Jumièges. Monsieur le Préfet lui-même a jugé cette réunion nécessaire, en raison de la faible population d’Yainville, et les conseils d’arrondissement comme de département y ont souscrit. On ne concevrait donc pas l’érection de l’église d’Yainville en succursale, alors que des communes de 500 ou 600 habitants, telles que Le Trait ou Le Mesnil, ne peuvent même pas obtenir cette faveur. »

Un murmure d’approbation parcourt la salle. Un autre membre intervient à son tour, se référant aux archives du conseil :

    « La question s’est déjà présentée ici, le 2 octobre 1844. À l’époque, il ne s’agissait que d’ériger l’église d’Yainville en chapelle vicariale. Et le conseil avait unanimement rejeté cette demande. Le conseil de fabrique, consulté également, avait statué dans le même sens. Les motifs de notre refus subsistent-ils encore aujourd’hui ? Oui, évidemment ! Et même avec plus de force : cette fois, la demande est plus exorbitante. »

Les avis convergent. L’un après l’autre, les conseillers soulignent l’incohérence de la requête :

    « Une commune de 200 habitants à peine, sans presbytère, sans revenu, sans même un mètre carré de terrain communal, imagine sérieusement réclamer une succursale ? C’est déraisonnable. Le bruit de cette étrange prétention circulait dans les environs, mais personne n’y croyait. Les motifs qui l’inspirent sont intéressés, très peu chrétiens. »

On évoque bientôt ce qui paraît être le cœur du problème : le legs de feu Monsieur Lesain.

    «
Il est évident que la demande des habitants d'Yainville n'a pour but que de s'approprier le legs de feu Monsieur Lesain en faveur de l'église de Jumièges si celle d'Yainville n'est pas rendue au culte, d'après les volontés du testateur, ce legs 10.000 F doit être employé à l'achat de deux cloches et d'ornements d'église et quand cet argent aurait été dépensé pour garnir et orner le clocher et l'intérieur de l'église d'Yainville par quels moyens cette commune pourrait-elle subvenir à l'entretien du culte, au logement de son desservant ? »

Mais comment Yainville, sans moyens, pourrait-elle entretenir le culte et loger un desservant ?

Un autre conseiller rappelle l’histoire du legs :

    « La fabrique de Jumièges a accepté ce legs par acte notarié en 1827, validé par une ordonnance royale. Les héritiers ont consenti à son exécution. Des messes ont été célébrées pour l’âme du testateur. La fabrique a pris à sa charge tous les frais. »

Il poursuit, visiblement irrité :

    « Ceux qui pensent changer la destination du legs s’abusent. Monsieur Lesain lui-même considérait comme impossible le rétablissement de l’église d’Yainville. Peu avant sa mort, il avait, en tant que maire, avec l’accord du préfet et de son conseil, proposé la vente des matériaux de l’église d’Yainville au profit de la fabrique de Jumièges. »

Un projet resté sans suite, seulement à cause de doutes sur la solvabilité du soumissionnaire. Et l’on insiste :

    « S’il avait eu le moindre désir de voir l’église d’Yainville rétablie, il y aurait affecté son legs. »

Un autre membre s’exclame :

    « Même les réparations faites à l’église d’Yainville comme monument historique n’ont pas empêché Monsieur le préfet de poursuivre ses démarches pour la réunion d’Yainville à Jumièges. Cette réunion paraît si naturelle ! »

Enfin, la conclusion s’impose d’elle-même :

    « Le conseil municipal de Jumièges, dans l’intérêt de ses habitants et de son église — chef-lieu de la presqu’île, qui a un si grand besoin de restauration — doit protester contre la demande d’Yainville, déjà réunie depuis si longtemps à Jumièges pour le culte et l’instruction.»

Un silence suit cette déclaration. On passe au vote.

Résolution :
Le conseil municipal décide qu’il n’y a pas lieu de donner un avis favorable à la demande des habitants d’Yainville tendant à ériger leur église en succursale. Il proteste, en tant que besoin, contre cette prétention.

Une fabrique hostile...



Le 16 mars, le conseil de fabrique de Jumièges se réunit à son tour sous la présidence de Heuzé. Dupont est là, le curé Prévost,  Amand et Dossier et Mabon, membres de droit et élus. Mabon ! Ce bon Monsieur Mabon qui vient de démissionner de ses fonctions d'adjoint d'Yainville, de bouder l'intronisation du nouveau maire mais qui est là et bien là en tant que fabricien pour continuer à prêcher contre sa propre paroisse....

On y retrouve les mêmes termes qu'au conseil. "La prétention des réclamants est plus déraisonnable, il est impossible que cette prétention soit accueillie des autorités temporelles et ecclésiastiques. " O
ui, Yainville est plus privilégié que le moindre hameau de Jumièges. Oui, Yainville veut mettre la main sur les 10.000F, oui l'église de Jumièges en a cruellement besoin et sa fabrique a été autorisée par ordonnance royale à accepter ce legs. "Des mesures conservatoires ont été prises à ce sujet vis-à-vis du légataire particulier de Monsieur Lesain, chargé de payer les 10.000 F, par Monsieur Casimir Caumont, ancien maire de Jumièges."

Et qui est le légataire particulier de François Lesain, premier maire d'Yainville ? Eh bien comme par hasard Charles Lesain, son cousin qui vient de démissionner de ses fonctions après la polémique que l'on sait. On comprend son attitude...

"La fabrique de l'église (de Jumièges) , mise ainsi en possession du legs de Monsieur Lesain, sans contestation aucune, a payé tous les frais occasionnés par l'acceptation et a fait célébrer des services pour le repos de l'âme du testateur.
D'accord en cela avec le conseil municipal de la commune de Jumièges, le conseil de fabrique proteste contre la demande des habitants d'Yainville et décide à l'unanimité qu'il n'y a aucun motif plausible d'y faire droit..."

L'arrêté historique



 Le 17 mars, le préfet prend sa décision se fend d'un arrêté historique pour Yainville. Nous le reproduirons donc sans en retrancher un seul mot :

Nous, pair de France, préfet,

Vu la demande formée par les membres du conseil municipal de la commune d'Yainville tendant à faire ériger en succursale l'église de cette commune et la délibération régulière de ce même conseil municipal du 3 mard 1846,

Vu  le certificat du maire constatant que la commune possède une église et un presbytère en bon état,

Vu  l'inventaire des vases sacrés, linges et ornements appartenant à l'église,

Vu  le tableau indiquant les villages et hameaux qui seront attribués à la nouvelle succursale ainsi que les difficultés de communication de l'église à ériger avec la succursale actuelle (Jumièges),

Vu  le plan indiquant la distance qui sépare l'église d'Yainville et celle du Trait et de Jumièges et le plan cadastral de la commune d'Yainville à l'échelle de 1 à 10.000 mètres établissant la contenance superficielle par hectares des communes d'Yainville et de Jumièges,

Vu  la délibération du conseil municipal de Jumièges défavorable à l'érection,

Vu  le certificat du maire d'Yainville constatant que la population de cette commune est de 306 habitants et celui du secrétaire général indiquant celle de la commune de Jumièges,

Vu  la liste des souscriptions recueillies dans la commune s'élevant à 322F 50,

Vu  l'extrait d'un testament olographe en date du 14 février 1841 (sic !) par lequel le sieur François Lesain a donné une somme de 10.000 F à la commune d'Yainville dans le cas où l'église de cette commune acquérait un titre paroissial avant l'époque où cette somme sera exigible, c'est à dire au mois de juillet prochain,

Vu  la promesse faite par le sieur Metterie de (léguer à la commune) d'Yainville une somme de 2.000 F sous la même condition.

Vu  l'avis de Mgr l'archevêque de Rouen,

Vu  la circulaire ministérielle du 26 août 1842 et celle du 12 avril 1844,

Considérant que l'église de la commune d'Yainville nouvellement restaurée offre de l'intérêt sous le rapport de l'art, cette église remontant au XIe siècle, qu'il importe pour cette raison de la confirmer, que cette église (possède) les choses nécessaires à l'exercice du culte, que la commune possède un presbytère en bon état, que la distance qui la sépare du chef-lieu paroissial est très considérable (2 kilomètres), ce qui prive souvent les habitants, surtout durant l'hiver, d'assister aux offices divins,

Considérant que si l'église était érigée, elle serait d'un grand secours pour les 300 habitants du hameau d'Heurteauville dont elle n'est séparée que par la Seine tandis que ce hameau est très éloigné de Jumièges,

Considérant qu'au moyen des 1.200 F dont il est question plus haut la commune d'Yainville une fois érigée en succursale sera en mesure de pourvoir aux frais du culte et à l'entretien du prêtre en plaçant la dite somme en rente d'Etat.

Considérant que la paroisse de Jumièges dont la population s'élève à 2.000 habitants est assez considérable pour se suffire à elle-même et que dès lors il n'y a pas lieu de s'arrêter à son opposition,

Considérant que si d'autres communes ont plus de droits à l'érection en succursale à cause de leur population, cette faveur pourra leur être accordée plus tard tandis que si la commune d'Yainville n'était pas érigée de suite, elle ne le serait jamais parce qu'en perdant les 10.000 F donnés par le sieur Lesain et les 2.000 F du sieur Metterie, elle perdrait en même temps les moyens de subvenir aux frais du culte et à l'entretien d'un prêtre.

Sommes d'avis qu'il y a lieu nonobstant l'opposition du conseil municipal de Jumièges d'ériger en succursale l'église de la commune d'Yainville,

Arrêtons en conséquence que le présent avis sera adressé avec les pièces à l'appui à Monsieur le ministre de la Justice et des Cultes prié de provoquer l'ordonnance royale nécessaire.

Rouen le 17 mars 1846.

Et Louis Philippe valide !


Le 23 mars, le préfet écrivait au ministre des Cultes. Il lui avait transmis tout le dossier, mais la délibération du conseil de fabrique de Jumièges lui était parvenue après cet envoi.
"Je m'empresse de vous transmettre un exemplaire de la délibération prise le 16 de ce mois par le conseil de fabrique de l'église de Jumièges sur le projet d'érection en succursale de l'église d'Yainville.
J'ai eu l'honneur de vous adresser le dossier de cette affaire le 17 de ce mois.
Le motifs d'opposition du conseil de fabrique ne sont pas de nature à changer les propositions toutes favorables à la demande en érection que j'ai eu l'honneur de vous adresser."

L'ordonnance de Louis Philippe intervint le 3 mai 1846.

Metterie sous surveillance


Le député Rondeau, qui avait œuvré à cette victoire, écrivit aussitôt au préfet.

"L'église d'Yainville est érigée en succursale depuis 2 à 3 jours, l'ordonnance est rendue, j'en ai l'avis officiel et je pense qu'elle vous est peut-être déjà adressée. Je l'ai écrit au maire  mais malgré son zèle, il pourrait facilement commettre quelque faute administrative capable de compromettre les intérêts de cette fabrique à l'instant où elle va avoir à recueillir le legs de 10.000 F qui périmerait à son préjudice si tout n'était pas accompli avant le mois de juillet prochain.
Je vous prie donc, Monsieur le préfet, d'avoir la bonté de faire veiller, dans l'intérêt de la fabrique d'Yainville, à ce que les formes nécessaires pour la mettre en possession soient observées à temps." La confiance règne !

Une équipe remaniée

C'est une équipe remaniée qui va gérer la concrétisation de tant d'obstination. Le 23 avril 1846 eut lieu le renouvellement triennal des conseils municipaux. A Yainville, certains retrouvent leur siège mais de nouvelles têtes font aussi leur entrée. Les lauréats de ces partielles : Jean-Henry de Quévremont, l'homme qui a racheté le château du Taillis à la famille éponyme en 1807. Le châtelain a aussi ses appartements 8, rue d'Ecosse à Rouen. Ses biens fonciers sur Yainville l'autorisent à siéger. Y est-il poussé ? En tout cas il siègera avec Antoine Sécard, Joseph Jeanne, Jean-Augustin Lafosse et Denis Maze, qui signe Masse.  Une fabrique se constitue

En date du 5 juin 1846 les autorités diocésaines nommèrent les membres du conseil de fabrique. La présidence en revint à M. de Quévremont. Membres : Jean-Augsutin Lafosse et Guillaume Lambert pour administrer le temporal de l'église. Le 22 mai, le Préfet avait nommé pour sa part Jean-Louis Lafosse et Thomas Legrain...
Ces hommes prennent place aux côtés des élus de 1843 :  Jean-Louis Lafosse, Nicolas Patrice Pinguet, Jacques Thuillier, Guillaume Lambert et Pascal Metterie, le nouveau maire. Dont le jour de gloire est arrivé.



Laurent QUEVILLY.

Pour suivre : l'apothéose

 source


Documents numérisés par Jean-Yves et Jossiane Marchand aux AD76

Délibérations du conseil municipal d'Yainville numérisé par Edith Lebourgeois.