Par Laurent Quevilly-Mainberte
Contre un maire borné, 45 Yainvillais ont obtenu la réfection de leur église. A peine les travaux commencés, ils s'enlisent. Faudra-t-il un nouvel arbitrage du Préfet ?

Le vent d'hiver balaye Yainville, chariant un froid qui vous glace les os. Au coeur du village, la réfection de l'église est déjà bien entamée en ce mois de janvier 1844. Mais, retranché derrière la haie, le maire fait tout pour perturber le chantier. D'abord il se refuse à condamner les trois issues de sa propriété qui donnent sur le cimetière, enceinte sacrée où dorment tant de Yainvillais. C'est par ces ouvertures que Lesain descend régulièrement tancer les terrassiers. "Sans l'autorisation du Préfet, tonne-t-il, vous n'avez pas le droit de déblayer toute cette terre !" Les élus présents ont la réplique toute trouvée : " L'architecte l'a ordonné quant il est venu ici !" Lesain tourne alors les talons, faisant la sourde oreille. Mais ce n'est pas tout...

L'église ? Un pigeonnier !



Regardez ce nuage autour du clocher. C'est tous les jours la même histoire. Par dizaines, des pigeons encerclent la flèche, s'engouffrent par les baies, nichent dans les combles, roucoulent sous les voûtes, souillent de leur fiente acide les premiers parements. Bref, Lesain leur laisse toute liberté pour saboter l'ouvrage. Et ces maudits volatiles ne connaissent pas le dimanche : "
ils viennent journellement se reposer dans notre église, fulmine Guillaume Lambert. ce qui nous occasionne de grands dégâts dans les travaux que nous venons d'y faire".
Ce lundi 15 janvier 1844, les six frondeurs du conseil municipal décident d'interpeller à nouveau le Préfet. D'une main crispée sur sa plume, Lambert énumère tous les griefs accumulés contre Lesain. Il en arrive à ses manigances pour dissuader les souscripteurs de verser leurs promesses de dons. Sans finances, point d'église. 
"Il nous est bien douloureux, Monsieur le Préfet, d'être obligés de vous demander, à ce qu'il vous plaise, de rendre notre souscription exécutoire..." En clair, ceux qui n'honorent pas leurs engagements seront priés de cracher au bassinet. La lettre part. Avec fébrilité, on guette déjà l'arrivée du facteur rual.

Les architectes au taquet



Le même jour, d'un geste large, l'architecte départemental écarte sur son bureau quelques plans et mémoires pour faire place nette. Lui aussi va écrire au Préfet. Henri Grégoire est l'homme qui, cinq ans plus tôt, a réalisé la mairie de Duclair. Il est venu à Yainville évaluer les travaux. Aujourd'hui, il transmet au baron Dupont-Delaporte le dossier monté par son confrère Alexis Drouin :
plans, croquis, devis. Tout est prêt. Le devis s’élève à 6 300 francs. " M. Deville y a joint une note d'observation qui me dispense de vous faire un rapport particulier sur le mérite de cette église". Il ne reste plus qu’à espérer du Ministère de l’Intérieur un soutien aux espoirs des Yainvillais. Ces derniers, en dépit des tracas, ont montré une volonté exemplaire. Ce rare monument du XIe siècle mérite toute l’attention des autorités : son architecture, sa valeur symbolique, la ferveur de ceux qui la fréquenteront.

L'aval du Préfet



Guillaume Lambert décachette à la hâte le pli préfectoral qui vient de lui être tendu.
Du regard, il en balaye l'écriture savante pour y trouver vite ce qu'il cherche : oui, le déblaiement est autorisé ! Le Préfet fait sien l'avis de Grégoire. Le sol intérieur de l’église est plus bas que le niveau du sol extérieur, ce qui favorise une humidité néfaste. Il faut creuser, il faut aérer. Et ce nivellement devra être fait avec soin. Il faut prévoir des pentes qui éloignent les eaux pluviales des murs. Les Yainvillais devront se tourner vers l’architecte suppléant pour ces ajustements techniques. En tout cas, Lesain en sera avisé personnellement par le Préfet en ces termes : " Je ne doute pas que vous ne concourriez en ce qui vous concerne à la bonne exécution de cette utile mesure." Pour ses opposants, c'est une victoire.

Reste le financement. Et là, le Préfet insiste : ce déblaiement devra être gratuit. Il faut préserver les fonds rassemblés par souscription. " A ce propos, demande-t-il à Lambert, je vous prie de me faire savoir si toutes les souscriptions ont été payées et versées dans la caisse municipale, à cet effet, vous voudrez bien m'envoyer la liste générale avec le certificat du percepteur receveur municipal. Si vous rencontriez quelques difficultés dans le paiement d'une  des souscriptions, je vous donnerais des instructions spéciales."partie

Aussitôt, Guillaume Lambert mit à exécution la toute dernière recommandation du Préfet : informer ses collègues. Les six frondeurs se frottaient les mains. Ils n'étaient pas au bout de leurs peines.

Laurent QUEVILLY.

Lesain freine
des quatre fers


Sources



Documents numérisés aux Archives départementales par Josiane et Jean-Yves Marchand. Lire les textes originaux
:


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