Par Laurent Quevilly
 & Nathalie Barthélémy


Le plus connu ? François Charles. Mais savez-vous qui furent les Résistants yainvillais durant l'Occupation. Parmi eux : deux Italiens, Jules et Pierre Macchi. Portraits croisés...


La famille Macchi est originaire de Lucinate, province de Varèse, région de Lombardie. Enrico Macchi et Maria Bianchi avaient six enfants, cinq garçons et une fille, quand ils décidèrent de fuir le régime de Mussolini et trouver refuge en France. Ces enfants, ils sont nés à Casciago entre 1899 et 1914. Par ordre d’apparition à l’écran : Adéo, Prima, la fille, que j’ai connue, Pierre Eliséo, Jules et enfin Arthur.

Le passage de la frontière se fit en deux étapes. Enrico et ses aînés en 1924. Il trouvera à s’employer comme maçon dans les Doubs. Suivra un peu plus tard Maria avec le reste de la troupe. Tout ce monde établit domicile à Exincourt. Enrico et Maria y reposent aujourd’hui.

Je ne sais trop quel vent poussa , jusqu’à Yainville Pierre Macchi, prénommé en réalité Pietro Giovanni Angelo. Il était né en 1904 et était lié à M. Bai, un entrepreneur de travaux publics de La Mailleraye, fils d’Italien. Pierre travaille comme lui dans le bâtiment. Veston cintré, casquette canaille, ce bel élégant épouse le 27 janvier 1932 ma cousine Christiane Topp, fille de Marie Chéron. Toutes deux sont les figures du café du Passage, près du bac d’Yainville, un vieil estaminet tenu jadis par mes aïeux et où sont nés ma mère et ses frères et sœurs.

Pierre Macchi...

Pierre va construire parallèlement au vieux café un nouvel établissement bien plus vaste. C’est là que se tient alors tous les ans la fête communale, la fameuse Sainte-Madeleine.



Edifié par Pierre, le nouveau café du Passage, parallèle à l'ancien sur la droite.

Les Macchi rachètent bientôt le café de l’Église, au centre de Yainville. Le 18 juin 1936, la fille de Hjoerdis, Jacqueline Macchi, fait sa première communion et Prima Macchi est de la fête avec son fils, Henri Talamona, futur international de rugby. Enrico Macchi, le patriarche, a également fait le déplacement. En 36, Pierre et Hjoerdis emploient une domestique au café du Passage, Victorine Lefèbvre. Je ne sais ce qu'elle devint par la suite...


Le nom de Macchi sur l'enseigne du café de l'Église. Nous sommes en 1936, lors de la communion de Jacqueline Macchi. De gauche à droite, Tante Marigus, épouse de Gustave Chéron, le passeur de bac, Andréa Mainberte, ma mère et sa cousine Liliane Lemaréchal, couturières place Vendôme Marguerite Chéron, épouse du capitaine Bernard, Marguerite Lelannier, épouse de Pierre Chéron, Prima Macchi. Le garçon en pull rayé est Henri Talamona, de la première équipe de France de rugby à la Libération licencié à Tulle, médaillé du Mérite national..

Une maison va s’élever derrière le café de l’Église, ce sera la nouvelle habitation de Pierre et Hjoerdis. Orphelin de mère, j’y ai passé bien du temps dans les années 60 et je restais rêver devant des scènes de chasse humoristique encadrées sous verre. Pierre était en effet un grand chasseur devant l’Éternel et disposait notamment d’une « broche » dans la forêt de Jumièges, non loin du château d'eau d’Yainville. Il partage cette passion avec notre cousin Louis Acron.

Pierre ici en tenue de chasse.

Tout en conservant les murs, Pierre et Hjoerdis cédèrent le fonds de commerce du café de l’Église en 1938 à la famille Herment.

Puis vint la drôle de guerre. OS chez Peugeot, à Exincourt, Jules Macchi s’engage dans la Légion étrangère et participe à la campagne contre l’Allemagne. Démobilisé en juillet 40, il devient forgeron dans l’Ain.



En juin 40, Pierre Macchi, tout juste naturalisé Français et les siens optent pour l’exode avec des voisins, les Montagné et descendent à Pexiora, près de Carcassonne. Pendant ce temps, mes parents rouvrent le café pour empêcher les Allemands d’en faire une infirmerie. Toute proche, la centrale électrique est occupée. Le général Paulus établit ses quartiers au manoir des Zoaques, ancienne demeure de Sacha Guitry.

Premier acte de "sabotage"



S'il avait fallu faire un film de cette période, on aurait confié volontiers le rôle d'un chauffeur allemand à Francis Blanche, alias Papa Schultz dans Babette s'en va-t-en guerre... Fin août 40. Les fils téléphoniques sont coupés dans la plaine entre le manoir d'Yainville et le château de la Pommeraie, à Duclair, où siège l'État-Major de l'armée allemande. Aux Zoaques, Herr Kommandierende general Paulus  est ainsi privé de centaines de communications. "Sabotache !" La sanction tombe: "Que deux otages soient pris à Duclair et deux au Trait." Un avis à la population est adressé aux maires de Duclair, Yainville, Jumièges et Le Trait. On demande le concours des habitants pour rechercher les coupables. "C'est en observant ces règles que les otages pourront être relaxés."

Ainsi, MM Hardy et Horion, du Trait, MM Baron et Guérin, de Duclair, sont-ils enfermés dans une classe de l'école de Yainville. Des sentinelles allemandes montent la garde. On craint pour leur vie car, dans le pays de Caux, deux saboteurs de lignes téléphoniques viennent d'être fusillés. Pour l'exemple... Des civils sont également commis d'office pour surveiller le réseau téphonique entre Yainville et Duclair.

Déjà basculé dans la collaboration, le Journal de Rouen du 31 août nous met en garde :


Duclair. — Appel à la population. De  nouveaux incidents se sont produits : coupage de fils téléphoniques et coups de feu en forêt la nuit, qui ont provoqué l'arrestation d'otages de Duclair et du Trait.
Il est très regrettable de voir que certains individus se livrant à de tels actes sans se rendre compte des sanctions qu'ils peuvent entraîner, non seulement pour ceux qui sont pris comme otages, mais encore pour toutes nos populations d'ordinaire si calmes.
Des peines plus graves peuvent à nouveau être appliquées si de tels faits se renouvellent et la municipalité demande instamment aux auteurs de ces attentats de comprendre quelles suites amèneront leurs actes inqualifiables envers l'armée d'occupation.
Elle demande aussi à toutes les personnes qui seraient en mesure d'orienter ou de faciliter la recherche des coupables de porter à la connaissance de la mairie ou de la Kommandantur, tous faits et renseignements qui pourraient permettre de toucher les auteurs de ces faits.


A l'école d'Yainville, la petite-fille de M. Hardy, adjoint du Trait, vient lui apporter du ravitaillement et des médicaments. On craint de plus en plus pour la vie des otages. Finalement, ils seront libérés en octobre. Ce serait "Papa Schultz" qui, en manœuvrant un camion dans la cour des Zoaques, aurait percuté malencontreusement un poteau téléphonique. Les Occupants se rendirent tardivement compte de leur bévue. Beau prince, Paulus aurait consenti au remboursement des amendes qui avait été votées par les conseils municipaux.


La résistance s'organise



Dès janvier 41 ont lieu les premiers bombardements alliés sur la région. En juin 41, Jules Macchi, frère de Pierre se marie loin d'ici. En avril 43, réfractaire au STO, il se cache chez sa sœur Prima, à Paris. Puis il rejoint clandestinement son frère à Yainville. La famille Macchi prend d'énormes risques. Car elle est à deux pas de la centrale, à deux pas des Allemands et de leur DCA perchée sur la falaise. Les 29 et 30 juillet 1943, l'usine et ses abords sont encore la cible de la RAF. La ligne de 90 kw et le système de filtrage d’eau sont touchés. Mais surtout un agent est tué. La savonnerie voisine est en partie détruite. On évacue le personnel des habitations situées derrière l’usine.

Italien, Jules Macchi, frère de Pierre,
 s'est d'abord
engagé
dans la Légion étrangère


Au cours de ce mois d’été, la Résistance s’est organisée. A la centrale, François Charles et le responsable d’un groupe FFI. Les Résistants locaux font partie du réseau Libération Zone Nord, unité Rouen-Droite. C’est l’un des principaux mouvements créés en 40 et opérant aussi en zone sud depuis 42. Zone-Nord compte parmi les huit grandes composantes du Conseil national de la Résistance à partir de 1943. Dans ses rangs : Jules Macchi, Georges Boileau, Jean-Marie Save, Jules Delaune et quelques autres. Ses  missions ? saboter le matériel allemand, distribuer des tracts, transmettre les mouvements de troupes, renseigner sur l’avancée des travaux des bases de V1 et V2, protéger les réfractaires au STO cachés dans les fermes récupérer les pilotes de la RAF tombés dans le secteur...



C'est ainsi que le 21 mai 44, le spitfire de John Carpenter sera abattu par la Flack de Yainville. Jean-Claude Prunier en fit un croquis sur le vif.

On mit aussi en sûreté aussi les pilotes Mac Gary, Petersen. Pour ces faits, Marcel Rannou, de Duclair, et Gontran Paris, du Trait, seront honorés par le gouvernement britannique. Le groupe de François Charles s'empara, dit-on, d'un camion allemand en juillet 44 dans la plaine d'Yainville pour aller faire soigner clandestinement un pilote à l'hôpital de Rouen mais on manque de détails sur cet événement.


Voici quelques documents inédits sur les FFI de la région de Duclair retrouvés par Nathalie Barthélémy, la filleule de Jules Macchi.


Le groupe de Duclair


Le groupe de Duclair s'est constitué officiellement en juin 43 autour d'Auguste Engelhard, horticulteur communiste, maire à la Libération. Il ne comptait d'abord que cinq hommes. Le mois suivant, ils étaient 21. On en comptera cent à la veille de la Libération.

Journal de Duclair

Le groupe France était composé du sergent Henry Lefebvre, du caporal Raymond Héricher, de André Nallet, Gaston Levasseur, tous de Duclair, Gosset, de Saint-Paër, Bachelet, Raymond Nayere, Marcel Gisto, Vasseur, Robert Flahaut et Michel Lecomte. Ces deux derniers furent déportés après avoir incendié une batteuse dans une ferme.


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ère section : Jean Couturier, capitaine, René Saussay, André Saussay, le capitaine Louis Delaune, Maurice Martel, Marcel Soublin, Sven Evensen, Augustin Guyomard, de Berville, employé du bac de Duclair, Hyacynthe Rannou, Mmes Brion et Crevel, d’Anneville.


2e section: sergent Maurice Fornin, caporal Eugène Hauchecorne,  Marius Hauchecorne,  Francis Heaudet, Armand Autin, Émile Godefroy et son fils, de Berville,  Quevillon.

3e section: sergent François Charles, capitaine Léon Artur, de Duclair, Jules et Pierre Macchi, Jules Delaune, Jean-Marie Save, Georges Boileau, tous d’Yainville. Roger Sustranck, Alsacien dans la Wermarch, affecté à la DCA du Trait, Lucien Shmit, idem, le capitaine André Topsen, de Jumièges et André Canu, tous deux de Jumièges, Piard et Quéré de Yainville et Lionel Lemoine, du Mesnil.

Sustranck et Shmit étaient de la soixantaine d'Alsaciens arrivés de Strasbourg au Trait
en novembre 43. Sustranck se rend souvent à la centrale pour rechercher les accumulateurs. Il fournit discrètement à François Charles des notes de services, des imprimés vierges, des tampons allemands qui serviront de laissez-passer.

Des groupes sont constitués aussi à Varengeville, Berville, Saint-Paër où l'on compte neuf hommes dont certains de Sainte-Marguerite...
On peut ajouter aux noms déjà cités Maurice Lefèbvre, résistant à Duclair dès 40, arrêté en octobre 41 et qui mourra à Auswtitz, Marcel Couturier, père de Jean, déporté à Buchenwald, Jacques Jouen-Jolivet qui, dans le canton, s'empare dans les secrétariats de mairie de tickets de rationnement.

Jumièges comptait en fait cinq hommes et le groupe s'est consitué en juillet 43. Outre Topsen et Canu, il comptait tois Maurice dont le nom de famille ne nous est pas connu.. Il était en liaision avec la résistance de l'Eure à qui il fournissait des renseignements.

Le groupe FFI du Trait commandé par Jean Audebez totalisait 64 membres sans compter ept à Jumièges. D'abord rattaché au Front national de Rouen pouis au groupement FFI de l'Eure. Le groupe traiton à son martyr, Pierre Le Roux, dont le corps sera retrouvé en décembre 44, sommairement enseveli à Port-Jumièges.


A la fin de la guerre, Prima Macchi vint rejoindre ses frères à Yainville avec ses enfants. Ils allaient chercher le lait à la ferme voisine. Un matin, ils croisèrent des Allemands. Le soir, des Alliés.

La Libération


En août 44, les FFI d'Yainville arrêtèrent cinq Allemands qui se rendirent sans résistance. Ceux du Trait contrôlèrent leur commune avant l'arrivé des Alliés.


Le groupe de Jumièges désarmera quatre Allemands et remettra 14 prisonniers aux Alliés. Mais l'histoire de la Résistance locale reste à écrire avec précision.

Deux jours avant la Libération, le groupe de Duclair faillit persre son chef, route de Saint-Paër. Engelhard, Gisto et Levasseur furent capturés par une unité blindée qui fit feu sur eux. Engelhard eut la machoir fracassée, Levasseur fut tué, Gisto en réchappa grâce à une bousculade.

Journal de Duclair Journal de Duclair
Lettre du fils de Jean-Pierre Engelhard, fils du maire de Duclair, notes de François Charles qui s'établira à Héricourt-en-Caux, près Doudeville...

Les Macchi après guerre...



A la Libération, Pierre Macchi siégera brièvement au sein du conseil municipal aux côtés de mon père. Malade, alors sans profession, il est décédé prématurément le 26 mars 1952 à 47 ans.
Quant à Jules, redevenu forgeron, il fut naturalisé en 1946. Cette année-là, Adéo, l'aîné, est fabriquant de voitures d'enfants dans le Doubs, Prima, lingère, élève seule ses deux enfants à Paris, Pierre entrepreneur de maçonnerie à Yainville, Eliseo peintre-décorateur dans le Doubs, Arthur sergent-chef en Allemagne. Bel exemple d'intégration.
Chef des FFI d'Yainville, François Charles écrira de Jules : "Italien naturalisé Français. A servi dans la Légion. A fait un an et demi de maquis en Haute-Savoie. Fait prisonnier, s'est évadé  et a pris du service dans nos rangs. Nous a fourni des armes."
Celui qui fredonnait souvent Le chant des Partisans mourra le 13 mars 2000 au moulin de Montarichard, à Saint-Dizier, dans la Creuse.


J'ai le vague souvenir d'avoir rencontré Prima Macchi chez sa belle-sœur Hjoerdis. Du moins j'ai très souvent entendu prononcé son prénom. Et même si le refrain signifie "Comme au début", comment ne pas penser à la chanson italienne très en vogue alors, Come prima...


Laurent QUEVILLY.
avec le concours de
Nathalie BARTHÉLÉMY.

Pour suivre. La Libération :

SOURCES


Recherches de Nathalie Barthélémy sur les Macchi.
Gilbert Fromager, le canton de Duclair, 1925-1950.