Rebondissement 600 ans après
 
Ce site était en ligne lorsque je reçus un jour le courriel d'une étudiante. C'était le rapport d'autopsie d'Agnès Sorel. Derrière le pseudonyme de Sidney, ma mystérieuse correspondante tenait à garder l'anonymat. Nous étions alors en 2004 et la Belle des Belles allait encore défrayer la chronique…


Tout est parti d'une délibération du conseil municipal de Loches, commune qui, on l'a vu, accueillit la dépouille d'Agnès alors que son cœur restait à Jumièges. Avec l'appui du Département d'Indre-et-Loire, on allait restaurer le logis royal. Le tombeau d'Agnès étant à l'étroit, il fut décidé de profiter de ces travaux pour le transférer à la collégiale Saint-Ours, près du château de Loches. Un retour à la case départ, en quelque sorte. Car c'est l'endroit où la Belle avait voulu reposer. Ce qui avait été respecté dans un premier temps. Mais le tombeau connut ensuite diverses fortunes. 

196 ans de pérégrinations !..

Le premier emplacement faisait effectivement suite aux souhaits testamentaires de la maîtresse du roi, assortis de quelques dons en faveur des chanoines.

Mais bientôt, le mausolée d'albâtre veillé par des anges gêne au service religieux. On le déplace vers le bas-côté de l'église. On l'ouvre. Et que trouve-t-on ! Un cercueil à trois parois contenant des herbes aromatiques, des ossements, une dentition parfaitement saine et une longue tresse d'un blond cendré... Ces restes sont rassemblés dans une urne.

A la Révolution, le mausolée subit des dégradations sur son second emplacement. Nez ébréché, mains cassées... Retrouvée, l'urne est elle-même profanée. Abandonnée dans un coin de jardin. Mais on finira par récupérer les restes d'Agnès qui sont exposés un temps à la Préfecture et recueillis dans un nouveau reliquaire.

1809. Restauré, le tombeau occupe le rez-de-chaussée du logis royal. Quand on l'ouvre encore pour y remettre les restes de la Belle. En 1970, il monte d'un étage.

Et nous voici donc en 2004. Les élus de Loches décident de le reconduire à son emplacement initial. Un archéologue inspiré propose du coup l'analyse des reliques de la défunte. Histoire de tenter de répondre, six siècles plus tard, à cette question: Agnès a-t-elle été empoisonnée? Au moins, quel âge avait-elle à sa disparition? Et puis, était-elle vraiment la Belle des Belles?...

Enquête post-mortem

Empoisonnée, Agnès? Des soupçons, on le sait, pesèrent sur Jacques Cœur mais aussi Louis XI. Louis XI dont le crâne, vénéré dans la crypte de Cléry, près d'Orléans, a lui aussi fait l'objet d'une analyse peu avant l'autopsie d'Agnès. Résultats: le royal crâne est en trois morceaux. Ils proviennent de trois personnes différentes... dont une femme!

Le mardi 24 septembre 2004, sous le feu des médias, le tombeau d'Agnès est ouvert devant un aréopage de scientifiques et de personnalités. C'est le CHU de Lille qui va procéder aux premières analyses. Dans un second temps interviendra l'institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale à Rosny-sous-Bois, Seine-Saint-Denis. Il s'attachera pour sa part à reconstituer son visage en trois dimensions. En tout, 22 spécialistes, 18 laboratoires et institutions sont impliqués dans l'affaire. Le Pr Charlier coordonnera le tout.

Passée d'abord au scanner, l'urne livre son contenu. Sur une vingtaine de centimètres, des matériaux divers: ossements humains, végétaux, pollen, bris de céramique. Et puis des morceaux de métal. Tout est nettoyé, étiqueté, analysé...

Applaudi par 600 étudiants de la fac de Lille, le Pr Charlier livre ses premières observations anthropologiques et paléontologiques. Dans l'amphi, Sydney était là. Voici ce qu'elle m'écrivit: "Est-ce bien Agnès Sorel? Quelles sont les causes de son décès, était-ce un assassinat ou un "flux de ventre"? Il faut d'abord savoir qu'Agnès, selon les textes de l'époque, fut enterrée à Loches dans un triple sarcophage (plomb, chêne, cèdre), que celui-ci fut pillé en 1792 par les Jacobins qui jetèrent Agnès dans la fosse commune. Ses ossements furent récupérés et mis dans une urne.

  • l'urne : Il s'agit d'une urne très banale contenant 30 cm de dépôts organiques: - Un morceau de crâne, des restes de mandibules, des gravats. Les mandibules ont été édentées par quelques bourgeois de l'époque en quête de reliques. Le crâne porte des tâches grises et marron, il s'agit du plomb et des deux sortes de bois constituant le triple sarcophage qui sous l'action du liquide de putréfaction très acide s'est mélangé avec les restes de peau. Cette constatation permet de dire qu'il s'agit probablement du crâne d'Agnès.
  • Le crâne : Front bombé, nez triangulaire, yeux ronds, os malaire léger et allongé, pas de glabelle très prononcée. Il s'agit d'un crâne féminin
  • Les cheveux: Les restes de cheveux sont blonds, fins, d'une longueur d'environ 23 cm et sont encore coiffés. S'il s'agit bien d'Agnès Sorel, les peintures de la Dame de Beauté sont donc très réalistes.
  • Les côtes : Pas de maladies de type ostéoporose. Donc individu jeune
  • Les dents: Très peu usées. Dents de sagesse d'éclosion récente. L'individu avait entre 25 et 28 ans, soit environ l'âge du décès d'Agnès
  • Présence de fibres de soie caractéristiques du régime alimentaire des personnes de la cour. Individu de haut rang
  • Les restes osseux : Les muscles d'un individu modifient la structure de l'os. Plus un individu est musclé, plus les crêtes d'insertions de ces muscles sont prononcées. De même la masse corporelle contribue-t-elle à la forme de l'os. Les tissus mous imposent leur forme aux tissus durs. Corpulence d'Agnès: très fine sauf au niveau des cuisses et de la poitrine.

Conclusion : il s'agit du squelette d'une jeune femme blonde, d'environ 25/28 ans, ayant un régime alimentaire semblable à celui des gens de cour. Une reconstitution de son visage, des analyses d'ADN et des tests sur la cause de son décès sont en cours. Remarque: le plomb retrouvé sur les cheveux et sur les restes du corps est analysé afin de déterminer sa similitude avec celui du sarcophage. Si les résultats sont négatifs, on peut envisager un empoisonnement de la Dame de Beauté par le plomb dont les effets sur l'organisme humain se manifestent par des hémorragies digestives."

Agnès avait donc la peau très blanche, était d'une grande beauté et ressemblait à son gisant, au portrait de Fouquet. Les dents révèlent un âge: entre 23 à 27 ans. Elle serait donc née entre 1422 et 1426. Les ossements représentent 10% du squelette. Mais constituent des morceaux humains de la tête aux pieds. Et puis il y a les restes d'un fœtus de sept mois. Agnès serait donc morte en avortant ! Nulle trace du reste d'un baptême de ce quatrième enfant. Mort-né, il aurait été inhumé avec sa mère…

10.000 fois la dose !
 8 mars 2005: les restes quittent Lille pour retrouver Loches. 2 avril 2005: on marque le retour de la Belle en sa prime demeure par une fête médiévale. Devant un ministre, un Orléans et un Bourbon, ses descendants, le Pr Charlier révèle : Non, Agnès n'a pas été empoisonnée. Du moins à l'arsenic. Mais au mercure ! On en retrouve en effet en quantité considérable dans les restes examinés depuis six mois. Mais le mercure ne provient-il pas du plomb du sarcophage! Oui, il en contient. Mais en quantité infime… Les chercheurs ont notamment travaillé à partir d'un poil d'aisselle. Il regorge d'un mercure présent au moment du décès. La Sorel souffrait sans doute d'ascaridiose, une infection parasitaire touchant les intestins avec violence. Ou bien souffrait-elle de cette nouvelle grossesse. Toujours est-il qu'on lui administre des purges de vif argent associé à de la fougère mâle. Radical pour terrasser le lombric. On connaît bien la posologie depuis l'Antiquité. Là, la dose a été multipliée par 10.000 ! Et la Belle aura été foudroyée en deux ou trois jours. Elle a donc eté empoisonnée dès son arrivée à Jumièges. Mais par qui ?..

Laurent QUEVILLY.

Pièce annexe
Texte de 1627 perpétuant l'engagement des moines de Jumièges à célébrer le souvenir d'Agnès.

"pour le salut de la dicte défunte et à ce qu'elle soyt doresnadvent participante ès prière et oroysons et autres bienfaits de nostre dite église et soyons tenus de dire et célébrer dorenadvent perpétuellement et à toujours en notre dicte esglise c'est ascavoir par chacun jour, une messe basse de requiem, à commencer le vinquatrième de ce présent moy qu'il sera vigile de la feste de l'Annonciation nostre dame et par chacun an,le dixième jour du mois de février qui est à jour que la dite défunte alla de vie à trespas, ung obit solennel à diacre et soubz diacre avec vigile de mort le jour précédent et fournir de vestementz, luminaire et aultres choses pour ce nécessaires à nos despens, nous ayent nagueres baillé et délivré comptant huit centz saluz d'or, de soixante deux au marc, pour yceux convertir en emploer à l'achapt de soixante livres tournois de rente qui seront le propre domaine et héritage d'ycelle église, et ce à ce nous ayent baillé lettres du Roy et forme de charte par les quelles le dit seigneur nous donne congé et licence de acquérir quant et partout où bon nous semblera en son royaux, hors fief noble, les dits soixante livres de rente et icelle dès maitenant pour lors ait admorti, sans ce que pour ce nous convienne payer finance à lui et à ses successeurs. Savoir faisons que, pour le bien et le profit de nostre dicte eglise, nous, pour ce assemblez en nostre chapitre, ainsi qu'il est accoustumé faire en tel cas, avons juré et promis, jorons et promettons par ces présentes d'ung commun accord et consentement, tant pour nous que nos successeurs abbés et religieux de la dite eglise, que doresnadvent nous fairons, célèbrerons et continuerons le service dessus-dit, ainsi et par la forme et manière que dit est, soubz obligation de tous les biens meubles et immeubles de nostre dict eglise, presens et advenir, sans jamais aller ne venir à l'encontre. En tesmoing des quelles choses, nous avons mis à ces presentes nos propres sceaux. Ce fut fait le XIVe jour du mois de mars l'an de grace mille quatre centz quarante neuf. (1450 pour nous puisque l'année commençait alors à Pâques). En tesmoin des quelles choses nous, garde des dits sceaux à la relation du dit tabellion avons mis à ce présent vidimus ou transcript l'un des sceaux dessus-dicts. Ce fut fait en l'an, jour et moiz, premier dicts.

Collation faicte sur l'original en parchemin dont la copie est ci-dessus transcripte par moi soubz signé Angot sergent civil de la cour et de la chambre des enquêtes, ce vingt quatrième jour de novembre mil six cent vingt sept à la requête de nous dits prieur et religieux de l'abbaye de Jumiege, non obstant la non comparance de Maître Jacques Tallon, procureur du dit Jehan Leroy, seigneur de Landin, pour ce duement sommé par Maître Robert Collombel huissier en la cour de.... suivant la dite collation et en vertu de l'arrest daté du premier jour de juin mil six cent vingt sept, donné sur la requête présentée par les ditz prieurs et religieux, pour leur valoir et service qu'il appartiendra. Fait comme dessus. Signé: de Letrille."

Note du chevalier ardant, décembre 2020, Facebook

Le site, construit et habité depuis l’époque gauloise, se situe sur une butte qui surmonte une boucle de la Seine.

 L’histoire du manoir est ainsi bien antérieure à la venue d’Agnès Sorel. Autrefois appelé manoir de la Vigne, ce dernier a appartenu jusqu’à la Révolution à l’abbaye de Jumièges, se trouvant non loin de là. Les princes capétiens et les visiteurs de l’abbaye y étaient logés lors de leurs séjours dans la région. L’architecture du lieu montre que le bâtiment a vraisemblablement été réutilisé et remanié au cours des siècles. La construction du manoir d’Agnès Sorel remonterait à 1325 et celle de la chapelle à 1345. Les armes de Jumièges et de la Normandie figurait dans la décoration des lieux.

Le rez-de chaussée du bâtiment principal était constitué de deux appartements destinés aux gens exploitant la ferme. Au 1er étage se trouvaient une pièce de service (avec cheminée), une chambre et une salle (avec cheminée également), dédiés à une fonction de réception. A ce même étage, la chapelle, par laquelle on pouvait accéder par un escalier intérieur et un escalier extérieur, accueillait les habitants du manoir mais aussi les gens de ferme. A proximité du puits, un bâtiment logeait les cuisines et était relié à l’origine au grand bâtiment.

Au début de l’année 1450, Agnès Sorel (qui a donc donné son nom au manoir) vient rejoindre le roi Charles VII, installé à Jumièges pour terminer de reconquérir la Normandie et en finir avec la Guerre de Cent ans. Enceinte, elle s’installe au manoir de la Vigne et met au monde un fœtus de 7 mois, qui ne survivra pas. Elle meurt peu de temps après, le 9 février 1450 à l’âge de 28 ans, empoisonnée par du mercure. Le mystère reste entier quant à cet empoisonnement : a-t-elle été assassinée ou bien est-elle morte à la suite d’un surdosage de ce médicament sensé soigner ses maux de ventres ? Quoiqu’il en soit, après sa mort, son cœur sera placé dans un monument de la collégiale de Jumièges, tandis que son corps reposera à Loches. Ses trois premières filles, légitimées par le Roi, feront des mariages dans l’aristocratie et Agnès deviendra, de manière posthume, la belle grand-mère de Diane de Poitiers ! Sa descendance nourrira ainsi les familles royales européennes pendant les siècles à venir.

Les travaux de restauration, financés avec l’aide de subventions de l’Etat (pas de subventions des régions et plus de subventions du département) mais surtout avec les fonds personnels du propriétaire.


SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES


- Chronique de Charles VII, par Jean Chartier, publié par Vallet de Viriville en 1858.
- Communication d’Elisabeth Grémillet, présidente des Amis du château de Tancarville, à Laurent Quevilly,  février 2007.
- Recherches historiques sur Agnès Sorel, Vallet de Viriville.
- Mémoires de Marguerite de Vallois, par Jean-François Broncart, 1713.
- Histoire de France, Henry Martin.
- Journal d'un bourgeois de Paris, 1449.
- Le manoir de Mesnil-soubz-Jumièges, Mme Robert Mettais-Cartier, Imprimerie Léon Gy, Rouen, 1929.
- Journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie après la sédition des Nu-Pieds (1639-40), publié en 1842 par Amable Floquet.
- Jumièges, Ulric Guttinguer, Imprimerie Nicétas Periaux, Rouen, 1839.
- Charles Nodier, La Seine et ses bords, 1836.
- Jumièges, Edward Montier, éditions Defontaine, 1923.
- Itinéraire des bateaux à vapeur, B. Saint-Edme, Librairie Bourdin, 1836.
- De Pavilly à Jumièges, Charles de Beaurepaire, Imprimerie Delesques, 1898.
- Histoire de l'abbaye de Jumièges, par un religieux bénédictin.
- Bibliothèque de l'école des chartes, 1859.
- Les Gémétiques N° 2, Martial Grain.
- Bulletin de la société de l'histoire de France, 1856.
 - Communications d’une étudiante en médecine à Lille et les dépêches AFP d'avril 2005.   

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