Par Laurent Quevilly
Le père noyé, le fils baroudeur dans la Royale... A une lettre près, les Varin avaient un nom prédestiné pour illustrer ces marins des bords de Seine happés dans les grandes batailles navales. Portraits choisis dans la galerie de mes ancêtres...
On le surnommait Saint Ethienne.
Né au Mesnil, châtain aux yeux bleus, Etienne Varin
accusait cinq
pieds sous la toise quand il fit, à 23 ans, son entrée dans un bataillon du
régiment des grenadiers de Gisors. Une circulaire royale du 20
mars 1750 évoque la qualité de ces unités. «
C’est une distinction et un honneur que le Roy a voulu faire
à ses grenadiers Royaux que de les admettre dans un corps tel
que celui des grenadiers de France, formé de
l’élite de ses troupes. »
Mais le 29 août 1760, on retrouve notre milicien à l'hôpital Saint-Louis de Lille. Il en sort le 9 septembre pour y retourner un mois plus tard. Sa sortie le 1er novembre met un point final à ses états de service.
Quatre ans plus tard, il se marie au Mesnil avec Madeleine Neveu. Au moins sept enfants naîtront de cette union. Et puis c'est le drame...
Nous sommes le 29 juillet 1785, par une douce soirée d'été. A Boscherville, quatre hommes du Mesnil s'affairent à charger un bateau de fruits qu'ils livreront à Duclair. Il y a là Pierre Boutard, Denis Renault, Jean-Baptiste Brigaux et Etienne Varin. La nuit tombe et chacun ramera à tour de rôle. A 10 h du soir, Varin se lève pour céder sa place. Mais il perd l'équilibre, tombe à l'eau. Et se noie sous les yeux de ses compagnons impuissants. La barque approchait du alors calvaire de Duclair dont la protection aura été défaillante.
Etienne avait 48 ans et venait tout juste d'être déclaré hors de service, autrement dit réformé de la Marine de guerre... La revue générale avait eu lieu le 26 juillet, soit trois jours avant le drame, et nombre des compatriotes de Varin avaient été, eux aussi, exemptés du service de l'Etat.
L'aîné des garçons, Etienne Victor, est alors âgé de 13 ans. Et ce n'est pas la noyade de son père qui l'empêchera d'être marin. Cette année 1785, il est apprenti navigateur...
Baptême du feu
A Toulon, une partie de la flotte commandée par des monarchistes a fait sécession et livré la ville au Anglais. A Brest, les services portuaires manquent de tout. Pour compenser l'émigration des officiers royalistes, on a fait appel à des cadres de la marchande, employés comme auxiliaires durant la guerre d'Indépendance des Etats-Unis. Les équipages, incomplets, indisciplinés, sont beaucoup moins entraînés aux manœuvres d'escadres que les marins anglais. Tout ceci sur fond d'instabilité politique.
A bord du Téméraire
Le temps de rallier le port breton, de découvrir Recouvrance, la Penfeld, notre marin normand est affecté le 19 avril 93 à bord du Téméraire, 74 canons, commandé par le citoyen Doré cadet. Il y monte le même jour que Pierre Nicolas Lecavillier, natif de Guerbaville et demeurant Heurteauville. Il sont vite rejoints par un autre pays, Pierre François Prunier, de Jumièges.
Lancé en 1782, le Téméraire est le premier d'une série standardisée de navires très rapides et manœuvriers. Mais en mauvais état. En mai 93, Brest est gagnée par l'agitation. La plupart des marins sont sans vêtements de rechange, beaucoup, souffrant du scorbut, n'ont à manger que de la viande salée. La révolte gronde.
Bientôt, le commandement sera assuré par Morel, un simple matelot bombardé lieutenant en pied puis capitaine de vaisseau.
Le 14 septembre, Varin est à Quiberon où stationne une grande partie de la flotte. Un ordre vient : intercepter un convoi hollandais. Mais les navires sont tous en avarie et des marins excédés réclament un retour à Brest. Alors, on lit sur chaque navire la relation des séditions de Toulon. Ce qui ne fait qu'aggraver les tensions. Seuls trois navires, dont le Téméraire, semblent fidèles aux représentants du gouvernement. L'escadre finit par rallier Brest, au grand dam des instances parisiennes. Ce n'est là qu'un aperçu du climat dans lequel baigne Varin.
Le 30 mai 1794, ayant quitté Brest, le Téméraire fait partie d'une flottille composée du Trajan et du Sans-Pareil où se trouve un autre de mes ancêtres, Jacques Lefrançois. Ces trois navires, sous les ordres du contre-amiral Nielly, rallient l'escadre de l'amiral Villaret-Joyeuse, aux prises avec les Anglais. L'enjeu : protéger un convoi de blé attendu d'Amérique. Ce jour-là, une brume épaisse enveloppe les deux armées. Le 1er juin, c'est la fameuse bataille navale de Prairial. Le Téméraire échange un feu nourri avec l'HMS Russel mais laisse porter vent arrière, son gréement étant endommagé.
Extrait du rapport du capitaine Morel : "Au commencement du combat, deux vaisseaux anglais ont coupé la ligne à notre troisième et quatrième vaisseau de l'avant ; l'Impétueux (capitaine Douville) s'est abordé avec un vaisseau anglais, sur l'arrière du Terrible (contre-amiral Bouvet), ils se sont démâtés et abîmés et ont obligé le reste de l'avant-garde d'arriver sous le vent à eux. Nous avions par notre travers deux vaisseaux de 74 à 80 canons et un vaisseau à trois ponts qui paraissait aussi avoir l'intention de couper la ligne, nos matelots de l'avant laissant un peu arriver, je fus obligé de les suivre, sans cela on aurait coupé la ligne devant moi..."
Ayant plié au premier choc, le Téméraire s'effaça durant ce combat au terme duquel sera capturé mon autre ascendant, Jacques Lefrançois sur un Sans-Pareil démâté. Varin, lui, s'en tirait à bon compte. Cette bataille navale se soldait par la perte de sept vaisseaux pour la marine française mais la fierté d'avoir protégé l'immense convoi de céréales venu des Etats-Unis et qui préservera la Nation de la famine.
Varin touche terre le 16 septembre. Mais remonte à bord du Téméraire dès le 22 pour une seconde campagne. Catastrophique....
Le Grand Hiver
Toujours sur le Téméraire, Varin sera de la campagne du Grand Hiver qui va s'élancer du goulet de Brest le 24 décembre 1794. Il s'agissait de prendre une revanche sur les Anglais après le combat de Prairial. Une flotte devait écumer le golfe de Gascogne, une escadre rallier la Guadeloupe, une autre Toulon. Mais les navires sont en mauvais état. Les équipages aussi. Et Neptune souffle sa colère. La coque du Téméraire est fortement endommagée dans la nuit du 30 au 31 décembre. Le lendemain, le navire fait eau et embarque 5 pouces à l'heure. Le 6 janvier, il pompe deux fois par quart, ce n'est pas encore bien grave. Le 13, signale 8 pouces qui, trois jours plus tard, en font 18. Il menace désormais de sombrer.
Le 24 janvier, un coup de vent isole le Téméraire du reste de sa flottile et il erre dans la tourmente. A bord, le maître d'équipage fait observer que les manœuvres, tant mortes que courantes, sont presque toutes pourries ; que, sitôt qu'on veut les raidir, elles cassent. A un moment, voyant un navire, le capitaine Morel fait virer de bord pour l'éviter. L'étrave se détache si fort des barbes que l'eau entre considérablement à bord et il est obligé de reprendre sa première route.
Le 27 janvier, à 11 h du matin, Varin aperçoit la terre, mais à cause de la brume personne ne peut la reconnaître. Le lendemain matin on reconnaît cette fois Plouguerneau et l'Ile de la Vierge au Sud. Varin aperçoit en même temps le Neptune. Les deux vaisseaux étaient donc entrés en Manche sans s'en apercevoir, ils avaient eu la chance extraordinaire de ne pas s'échouer sans espoir de salut sur Ouessant.
Le Téméraire fuit devant le temps en essayant de se diriger sur Saint-Malo, mouille au soir sous le cap Frehel et le lendemain entre enfin dans la cité corsaire. A temps. Là, faute de matériaux, il ne sera jamais entièrement réparé. Varin quitte le bord le 16 septembre 1795 mais repart pour une nouvelle campagne dès le 23. Elle le conduit jusqu'au 18 décembre 1795, date à laquelle il quitte définitivement ce navire resté cloué au quai et voué à la ruine.
La Danaé
Le 3 janvier 1796, le matelot Varin passe alors sur la Danaé, capitaine Giraudeau. Une courte campagne de deux mois qui s'achève le 9 mars suivant. A peine le temps de souffler, le 13, il est affecté sur la Surveillante. Oui, mais laquelle ?
Mystérieuse Surveillante
On aurait aimé le voir à bord de la Surveillante qui reste l'un des plus prestigieux navire de la Marine. Cette frégate de classe Iphigénie, armée de 32 canons, et lancée en 1778 est devenue célèbre pour son combat contre le HMS Québec lors de la guerre d'indépendance des États-Unis en 1779. Après ce combat, endommagée, elle parvient à regagner Brest.
On la retrouve en 1783 dans la mission qui annonce la fin de la guerre en Amérique. 1797 : la voilà engagée dans la désastreuse expédition d'Irlande. sous les ordres du capitaine Bernard. On la saborde après des dégâts irrémédiables dus à la tempête.
Mais les états de service du matelot Varin vont bien au-delà de cette catastrophe sur un navire portant ce nom et commandé par d'autres capitaines que Bernard. A ma demande, Anne des Déserts a bien voulu effectuer des recherches et a débusqué deux navires homonymes.
Un bail sur le César-Auguste
Le 12 décembre 1798, Varin passe sur le César-Auguste. Son commandement est bicéphale avec les capitaines Macouin et Péron jusqu'au 16 septembre 1799. Péron est ensuite son seul maître à bord pour deux campagnes. D'abord du 23 septembre 1799 au 17 septembre 1800. Puis du 23 septembre au 23 juillet 1801. Deux ans et demi, c'est long, malheureusement, on ne retrouve pas de trace notable de ce navire.
En quittant le César, notre homme n'accomplira plus que de très brèves campagnes, apparamment sans hitoire elles aussi.
Enfin le quartier-maître Varin termine sur la Révolution, du 19 septembre au 30 octobre 1801. Ce navire croisait en Méditerranée et poussait jusqu'à Saint-Domingue. Né à Dieppe en 1761, Pierre-Nicolas Rolland, son capitaine, sera contre-amiral, baron d'Empire, chevalier de la Légion d'Honneur... et de Saint-Louis selon les vents porteurs.
Il y avait maintenant bientôt neuf ans qu'Etienne Varin était dans la Royale. Il fut congédié de Brest 29 décembre 1801 et toucha Rouen le 15 janvier 1802 à bord du brick Les deux amis, capitaine Philippe Petitvalet, navire de commerce armé à Brest, venu de Roscoff et qui ramenait quelques quillards au pays...
Retour à la vie civile
Sept mois après son retour, le 4 août 1802, Etienne Victor est matelot sur le Républicain, capitaine Jean-Nicolas Boquié, de Dieppedalle. Retour le 31 août. 21 octobre 1802 : le même pour Marseille. Retour le 29 avril 1803...
Les archives maritimes restent muettes ensuite pendant une dizaine d'années. Sinon pour nous dire qu'Etienne est quartier maître le 22 janvier 1804 sur le bateau canonnier n° 202 commandé par le capitaine Marais. Il aura donc été rappelé dans la Marine impériale. Des bateaux canonniers furent construits à Boulogne à cette époque en vue d'une invasion de l'Angleterre par Napoléon.
Côté familial, la sœur d'Etienne, Marie Rose Elisabeth, s'était mariée en 1801 à Bardouville avec Jean Béranger, un agriculteur. La mère des Varin, veuve du noyé, ira vivre avec les nouveaux époux et mourir sous leur toit en 1808.
Son mariage
Etienne s'établit lui aussi à Bardouville. Et, comme sa sœur, il va aussi s'y marier. En janvier 1817, il est matelot sur le brick le Vaillant, capitaine Henry Delphin Boquié, de Dieppedalle, et se rend à Lisbonne. C'est un navire de 145 Tx construit à Bayonne en 1802. Il débarque à Rouen le 12 juillet. Pour se marier enfin. Et voici l'acte paraphé par mes quadisaïeux :
L'an 1817, le 1er septembre, à 4 heures de relevée, devant moi, maire, faisant fonction d'officier d'état civil, sont comparus en la maison communale pour contracter mariage, d'une part Etienne Victor Varin, 45 ans, marin domicilié en cette commune, fils majeur de feu Etienne Varin et de feue Madeleine Neveu, tous deux décédés en la commune de Duclair et Bardouville, d'autre part Marie Catherine Ferrand, 30 ans six mois, fille majeure de Jacques Ferrand et Marie Catherine Sauvage domiciliés en la commune de Surtauville, département de l'Eure, la dite future étant fille à gage à Bardouville. Les deux futurs époux sont accompagnés de Louis Pierr? âgé de 55 ans, jardiner, Michel Beaud? 61 ans, cultivateur, tous deux domiciliés en cette commune et amis du futur, Adrien Frémond (*), 41 ans, cultivateur, Félix Ouin(*), 21 ans, garde de propriété, tous deux demeurant à Bardouville et amis de la future.
(*) Originaire d Anneville, Abraham Adrien Frémont (Adrien x +Marie Anne Perdrix) a épousé à Bardouville le 19 fructidor de l'an VI Marie Elisabeth Mutel (Jean x Germaine Le Cointe).
(*) Félix Ouin mourut le 27 novembre 1821 alors qu'il était conservateur de biens.
D'un bord à l'autre...
La navigation sur la Seine est encore à la voile et repose essentiellement sur le transport de marchandises. Mais la marine en bois vit ses dernières années. La pêche est également une activité importante avec de petites unités.
Le 29 décembre 1817, Varin embarque à Rouen pour un voyage à Caen comme matelot sur l'Aimable Marguerite, sloop de 60 tonneaux construit à La Mailleraye en 1806. Le navire est immatriculé à Honfleur, capitaine Jean-Louis Heuzé, de Quillebeuf. Le 17 avril 1818, il débarque à Rouen.
Le 27 avril 1818, embarque sur le Batave, capitaine Benoist. 26 décembre, il débarque au Havre.
23 février 1819 : matelot sur l'Alexandrine, capitaine Boquié, pour Londres. Débarque le 26 juin à Rouen.
En septembre de cette année-là vient un premier garçon chez les Varin qui ne survit que quelques jours.
2 juin 1820, nouveau voyage sur l'Alexandrine. Débarque le 7 août à Rouen.
3 février 1821 : matelot sur la Jeanne Catherine, capitaine Vauquelin, allant au Havre, débarque à Rouen le 23 juin.
Le 3 juillet 1821, matelot sur le sloop l'Espoir de la Paix, 76 Tx, construit à Dieppedalle en 1805, capitaine Germain Liesse, de Guerbaville, allant à Cherbourg. Débarque à Rouen le 22 août.
Le 8 septembre 1821, matelot sur le Saint-Dominique, vieux sloop de 57 Tx construit à Dieppedalle en 1788, capitaine Etienne Dubosc, du Vieux-Port, allant au Havre. Débarque à Rouen le 9 janvier 1822.
Le 1er mars 1822, matelot sur la gribane l'Aimable Euphrosine, 71 tonneaux, lancée à Dieppedalle en 1808, capitaine Pierre Belfemme, de Rouen, allant au Havre.
Etienne Varin débarque à Rouen le 16 juillet. Le temps d'aller voir sa fille, Victoire Joséphine, née entre temps le 26 mai. C'est ma trisaïeule.
Varin réembarque sur le même le 22 août 1822 et débarque à Honfleur le 24 décembre 1822, veille de Noël...
La quille de la Royale...
Veille de Noël. Mais veille de la quille aussi. Du moins de la Royale. Etienne Varin sera rayé définitivement du service le 23 avril 1823. Désormais, il ne s'éloignera plus guère de Bardouville où l'on pratiquait l'arboriculture. Dans ses roselières et marais s'épanouissent l'iris et le roseau-massette. Les passereaux aquatiques y nichent, on voit aussi en bord de Seine le héron cendré. Les vergers sont peuplés de lérots, petits rats dormeurs qui grimpent aux pommiers et poiriers. Grives et fauvettes cohabitent avec la chouette chevêche.
Au coeur du grand bois est toujours un chêne plusieurs fois centenaire. Les enfants s'y sont succédé dans ses grosses branches accueillantes. Victoire Joséphine y a sûrement fait ses premiers pas. La vue sur la Seine est magnifique quand vous êtes près de l'église et du château du Corset-Rouge. Dans la chapelle pend une maquette de La Joséphine...
En 1824, les Varin eurent un garçon, Jacques Etienne, puis vint une fille en 1827, Céleste Pauline? Plus tard, elle épousera un Clépoint. Depuis le 1er janvier, Etienne est admis à la demi-solde. Le 28 juin, il s'embarque comme matelot sur L'Aimable Elisa, capitaine Rousselin, allant au Havre. Le 24 avril 1828, le voilà sur la Francine, capitaine Duval. Il y reste plusieurs mois, au cabotage, avec un changement de capitaine en la personne de Hubert.
En 1829, la famille Guilbert, d'Yville et Anneville, vendit à Etienne une masure à Bardouville. Cette même année, notre ancêtre se démit de deux immeubles qu'il possédait toujours au Mesnil-sous-Jumièges au profit du douanier Robert-Christophe Sieurin.
Derniers embarquements...
Le 30 mars 1830, le matelot Varin passe sur la Victoire-Adélaïde, maître Auzoult. Il en débarque le 20 mai et s'embarque à Quillebeuf sur La Jeune Houzard, maître Houzard, qui rallie Cherbourg.
En juillet 31, il grimpe à bord de L'Hirondelle, capitaine Chéron, qui va également à Cherbourg. Il mène sur ce navire une seconde campagne conclue au Havre.
En avril 1832, Etienne retrouve la Jeune Houzard, maître Labé, allant à Caen.
Septembre 32 : La Rose Pauline, maître Colombel, allant de Rouen au Havre.
Juillet 33 : La jeune Hildegarde, maître Loison, pour Aiziers.
Juillet 35 : Le Bien Aimé, à Caudebec, maître Peine.
Mai 36 : La Bonne Mère, maître Vigé, pour Aiziers.
Mars 37 : le Pierre et la Rose, maître Fessard, pour Caudebec. Retour pour plusieurs mois sur La Bonne Mère en mars 38.
Le 16 avril 1840 enfin, embarque sur la Prudence, maître Viger, allant au cabotage.
Sa mort...
Etienne met sac à terre pour la toute dernière fois sur les quais de Rouen, le 22 août 1840. Il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Varin avait combattu pour la République. A 69 ans, il allait mourir sous un roi sans penser qu'un jour prochain s'effondrerait la monarchie. Il s'éteignit dans sa ferme, le 17 décembre 1841, à 4 h de l'après midi. Sa femme y restera seule. Deux hommes allèrent déclarer son décès en mairie : Jean Baptiste Nicolas Binard, un propriétaire voisin, pensionné de l'Etat, 60 ans et Jean Baptiste Joseph Lefebvre, jeune maçon de 26 ans. Eugène Varin avait encore été recensé comme marin en début d'année.
Le mardi 17 juin 2003 j'ai déjeuné à Boscherville, au café hanté par ma mère qui avait grandi en ces lieux. Puis je me suis rendu à la mairie de Bardouville. J'y fus reçu par deux saintes laïques qui me tendirent le registre où m'attendait le quartier-maître Varin.
Souces
Servuce militaire d'Etienne Varin père.: SHD/GR 2 Yc 56
Anne des Déserts, recherches le 5 décembre 2017 au Service Historique de la Défense, département Marine.
Jean-Pierre Derouard, La noyade en Seine au XVIIIe siècle dans 27 paroisses riveraines de la Seine maritime
Histoire de la marine française sous la Première République, Edouard Chevalier.
L'armée navale de l'Océan, LV Lachèse.
Col bleu.
Registres de l'Inscription maritime, Achives départementales de la Seine-Maritime. Etienne Varin figure sur le répertoire alphabétique 7P4-14, p. 146, 1785. Puis sur le registre des matelots allant jusqu'en 1796.
Mais le 29 août 1760, on retrouve notre milicien à l'hôpital Saint-Louis de Lille. Il en sort le 9 septembre pour y retourner un mois plus tard. Sa sortie le 1er novembre met un point final à ses états de service.
Quatre ans plus tard, il se marie au Mesnil avec Madeleine Neveu. Au moins sept enfants naîtront de cette union. Et puis c'est le drame...
Nous sommes le 29 juillet 1785, par une douce soirée d'été. A Boscherville, quatre hommes du Mesnil s'affairent à charger un bateau de fruits qu'ils livreront à Duclair. Il y a là Pierre Boutard, Denis Renault, Jean-Baptiste Brigaux et Etienne Varin. La nuit tombe et chacun ramera à tour de rôle. A 10 h du soir, Varin se lève pour céder sa place. Mais il perd l'équilibre, tombe à l'eau. Et se noie sous les yeux de ses compagnons impuissants. La barque approchait du alors calvaire de Duclair dont la protection aura été défaillante.

Etienne avait 48 ans et venait tout juste d'être déclaré hors de service, autrement dit réformé de la Marine de guerre... La revue générale avait eu lieu le 26 juillet, soit trois jours avant le drame, et nombre des compatriotes de Varin avaient été, eux aussi, exemptés du service de l'Etat.
Le
7 août suivant, à Saint-Paul, le sieur Berthault
découvre le cadavre du noyé qu'il maintient
à son
quai au bout d'une corde attachée à un saule. Les
gens de
la vicomté de l'eau sont bientôt sur place. Arrive
la
veuve de Varin, Marie Madeleine Neveu, accablée
d'infirmités et maintenant plongée dans le
malheur.
Hélas oui, ce corps qui a
séjourné plus d'une
semaine dans
l'eau est bien celui de son mari. Sur cet accident, on entendit aussi
les témoignages de Pierre Lambert, Pierre Delamare et
Bernard
Guébert, 32 ans, conducteur de bateaux du Mesnil. Sur mandement des sieurs Hébert et Marette, le corps de Varin fut inhumé à Duclair. Emu par la situation de ses brebis, l'abbé Le Faucheur, curé du Mesnil, obtient que l'on fit grâce à la veuve des 30 sols de justice. De modeste condition, elle était désormais chargée de cinq enfants. Elle en avait portés deux autres dans son sein et morts en bas-âge. |
Etienne Varin,
L'ancêtre
noyé 1737-1785 &1764 Marie Madeleine Neveu 1732-1808 | Etienne Victor Varin 1772-1841 &1817 Marie Catherine Ferrand 1787-1874 | Victoire Joséphine Varin 1822-1898 &1846 Pierre Jean Baptiste Vincent 1800-1886 | Léopoldine Vincent 1848-1893 &1873 Auguste Chéron 1846-1918/ | Joséphine Chéron 1874-1943 &1896 Henri Quevilly 1868-1949 | Raphaël Quevilly 1906-1994 &1937 Andréa Mainberte 1912-1958 | Laurent Quevilly 1951 ![]() |
L'aîné des garçons, Etienne Victor, est alors âgé de 13 ans. Et ce n'est pas la noyade de son père qui l'empêchera d'être marin. Cette année 1785, il est apprenti navigateur...
Baptême du feu
Nous
retrouvons Etienne à l'âge de 21 ans. C'est
maintenant un homme d'un mètre 60, châtain, les
yeux
bleus, une grande bouche et un nez épaté, le
visage ovale
avec un menton rond, le front large. Le 18 mars 1793, il est
levé comme matelot à Brest. Comme plus de 100.000
marins normands et bretons cette année-là... A ce jour, Varin cumule déjà plus de 54 mois au commerce et neuf mois dans la Royale. Et elle a sacrément besoin de redorer son blason, la Royale. |
Impropres à la navigation !
En 1783, à Jumièges, 17 fermier déclarent n'avoir jamais navigué. Ils sont classés impropres au service On compte sept Conihout prénommés Jean-Baptiste, Michel, Pierre-Nicolas,
Jean, Thomas et trois Pierre. Les autres fermiers ont pour noms Louis
Vastey, Pierre
Le Villain, Robert Huley, Nicolas Desmoulin, Etienne et
André
Thirel, Jean Royer, Paul et Nicolas Bocquet,. L'année
suivante,
on
les retrouvera tous... maîtres de bateau de
pêche ! |
A Toulon, une partie de la flotte commandée par des monarchistes a fait sécession et livré la ville au Anglais. A Brest, les services portuaires manquent de tout. Pour compenser l'émigration des officiers royalistes, on a fait appel à des cadres de la marchande, employés comme auxiliaires durant la guerre d'Indépendance des Etats-Unis. Les équipages, incomplets, indisciplinés, sont beaucoup moins entraînés aux manœuvres d'escadres que les marins anglais. Tout ceci sur fond d'instabilité politique.
A bord du Téméraire
Le temps de rallier le port breton, de découvrir Recouvrance, la Penfeld, notre marin normand est affecté le 19 avril 93 à bord du Téméraire, 74 canons, commandé par le citoyen Doré cadet. Il y monte le même jour que Pierre Nicolas Lecavillier, natif de Guerbaville et demeurant Heurteauville. Il sont vite rejoints par un autre pays, Pierre François Prunier, de Jumièges.
Lancé en 1782, le Téméraire est le premier d'une série standardisée de navires très rapides et manœuvriers. Mais en mauvais état. En mai 93, Brest est gagnée par l'agitation. La plupart des marins sont sans vêtements de rechange, beaucoup, souffrant du scorbut, n'ont à manger que de la viande salée. La révolte gronde.
Bientôt, le commandement sera assuré par Morel, un simple matelot bombardé lieutenant en pied puis capitaine de vaisseau.
Le 14 septembre, Varin est à Quiberon où stationne une grande partie de la flotte. Un ordre vient : intercepter un convoi hollandais. Mais les navires sont tous en avarie et des marins excédés réclament un retour à Brest. Alors, on lit sur chaque navire la relation des séditions de Toulon. Ce qui ne fait qu'aggraver les tensions. Seuls trois navires, dont le Téméraire, semblent fidèles aux représentants du gouvernement. L'escadre finit par rallier Brest, au grand dam des instances parisiennes. Ce n'est là qu'un aperçu du climat dans lequel baigne Varin.
Le 30 mai 1794, ayant quitté Brest, le Téméraire fait partie d'une flottille composée du Trajan et du Sans-Pareil où se trouve un autre de mes ancêtres, Jacques Lefrançois. Ces trois navires, sous les ordres du contre-amiral Nielly, rallient l'escadre de l'amiral Villaret-Joyeuse, aux prises avec les Anglais. L'enjeu : protéger un convoi de blé attendu d'Amérique. Ce jour-là, une brume épaisse enveloppe les deux armées. Le 1er juin, c'est la fameuse bataille navale de Prairial. Le Téméraire échange un feu nourri avec l'HMS Russel mais laisse porter vent arrière, son gréement étant endommagé.
Extrait du rapport du capitaine Morel : "Au commencement du combat, deux vaisseaux anglais ont coupé la ligne à notre troisième et quatrième vaisseau de l'avant ; l'Impétueux (capitaine Douville) s'est abordé avec un vaisseau anglais, sur l'arrière du Terrible (contre-amiral Bouvet), ils se sont démâtés et abîmés et ont obligé le reste de l'avant-garde d'arriver sous le vent à eux. Nous avions par notre travers deux vaisseaux de 74 à 80 canons et un vaisseau à trois ponts qui paraissait aussi avoir l'intention de couper la ligne, nos matelots de l'avant laissant un peu arriver, je fus obligé de les suivre, sans cela on aurait coupé la ligne devant moi..."
Ayant plié au premier choc, le Téméraire s'effaça durant ce combat au terme duquel sera capturé mon autre ascendant, Jacques Lefrançois sur un Sans-Pareil démâté. Varin, lui, s'en tirait à bon compte. Cette bataille navale se soldait par la perte de sept vaisseaux pour la marine française mais la fierté d'avoir protégé l'immense convoi de céréales venu des Etats-Unis et qui préservera la Nation de la famine.
Varin touche terre le 16 septembre. Mais remonte à bord du Téméraire dès le 22 pour une seconde campagne. Catastrophique....
Le Grand Hiver
Toujours sur le Téméraire, Varin sera de la campagne du Grand Hiver qui va s'élancer du goulet de Brest le 24 décembre 1794. Il s'agissait de prendre une revanche sur les Anglais après le combat de Prairial. Une flotte devait écumer le golfe de Gascogne, une escadre rallier la Guadeloupe, une autre Toulon. Mais les navires sont en mauvais état. Les équipages aussi. Et Neptune souffle sa colère. La coque du Téméraire est fortement endommagée dans la nuit du 30 au 31 décembre. Le lendemain, le navire fait eau et embarque 5 pouces à l'heure. Le 6 janvier, il pompe deux fois par quart, ce n'est pas encore bien grave. Le 13, signale 8 pouces qui, trois jours plus tard, en font 18. Il menace désormais de sombrer.
Le 24 janvier, un coup de vent isole le Téméraire du reste de sa flottile et il erre dans la tourmente. A bord, le maître d'équipage fait observer que les manœuvres, tant mortes que courantes, sont presque toutes pourries ; que, sitôt qu'on veut les raidir, elles cassent. A un moment, voyant un navire, le capitaine Morel fait virer de bord pour l'éviter. L'étrave se détache si fort des barbes que l'eau entre considérablement à bord et il est obligé de reprendre sa première route.
Le 27 janvier, à 11 h du matin, Varin aperçoit la terre, mais à cause de la brume personne ne peut la reconnaître. Le lendemain matin on reconnaît cette fois Plouguerneau et l'Ile de la Vierge au Sud. Varin aperçoit en même temps le Neptune. Les deux vaisseaux étaient donc entrés en Manche sans s'en apercevoir, ils avaient eu la chance extraordinaire de ne pas s'échouer sans espoir de salut sur Ouessant.
Le Téméraire fuit devant le temps en essayant de se diriger sur Saint-Malo, mouille au soir sous le cap Frehel et le lendemain entre enfin dans la cité corsaire. A temps. Là, faute de matériaux, il ne sera jamais entièrement réparé. Varin quitte le bord le 16 septembre 1795 mais repart pour une nouvelle campagne dès le 23. Elle le conduit jusqu'au 18 décembre 1795, date à laquelle il quitte définitivement ce navire resté cloué au quai et voué à la ruine.
La Danaé
Le 3 janvier 1796, le matelot Varin passe alors sur la Danaé, capitaine Giraudeau. Une courte campagne de deux mois qui s'achève le 9 mars suivant. A peine le temps de souffler, le 13, il est affecté sur la Surveillante. Oui, mais laquelle ?
Mystérieuse Surveillante
On aurait aimé le voir à bord de la Surveillante qui reste l'un des plus prestigieux navire de la Marine. Cette frégate de classe Iphigénie, armée de 32 canons, et lancée en 1778 est devenue célèbre pour son combat contre le HMS Québec lors de la guerre d'indépendance des États-Unis en 1779. Après ce combat, endommagée, elle parvient à regagner Brest.
On la retrouve en 1783 dans la mission qui annonce la fin de la guerre en Amérique. 1797 : la voilà engagée dans la désastreuse expédition d'Irlande. sous les ordres du capitaine Bernard. On la saborde après des dégâts irrémédiables dus à la tempête.

Mais les états de service du matelot Varin vont bien au-delà de cette catastrophe sur un navire portant ce nom et commandé par d'autres capitaines que Bernard. A ma demande, Anne des Déserts a bien voulu effectuer des recherches et a débusqué deux navires homonymes.
Le premier est un brick construit à Bordeaux en 1788, réquisitionné en avril 1793 et dont la coque fut doublée en cuivre en 1794. Le second est un bateau canonnier attesté en 1795 et armé à Boulogne. Quoi qu'il en soit, après ces nouvelles campagnes de deux ans et demi, Varin est maintenant quartier-maitre... |
Ses campagnes sur la Surveillante
selon l'inscription maritime
1) du 3 mars au 16 septembre 1796, capitaine Cossé. 2) du 22 septembre 1796 au 16 septembre 1797, capitaines Cossé et Hamon. 3) du 22 septembre 1797 au 16 septembre 1798, capitaines Hamon et Thévenard. 4) du 22 septembre au 29 novembre 1798 capitaine Thévenard. |
Un bail sur le César-Auguste
Le 12 décembre 1798, Varin passe sur le César-Auguste. Son commandement est bicéphale avec les capitaines Macouin et Péron jusqu'au 16 septembre 1799. Péron est ensuite son seul maître à bord pour deux campagnes. D'abord du 23 septembre 1799 au 17 septembre 1800. Puis du 23 septembre au 23 juillet 1801. Deux ans et demi, c'est long, malheureusement, on ne retrouve pas de trace notable de ce navire.
En quittant le César, notre homme n'accomplira plus que de très brèves campagnes, apparamment sans hitoire elles aussi.
Le 24 juillet 1801, Varin sert quelques jours sur le Patriote puis est
reversé sur le Mont-Blanc,
vaisseau de ligne de 74 canons, de la classe Téméraire,
où il sera sous les ordres du capitaine Magon de
Médine. Le Mont-Blanc participera bientôt à l'expédition désastreuse de Saint-Domingue. Sans Varin qui avait assez donné. il quitte le bord le 10 septembre 1801, trois mois avant le départ et échappe ainsi aux soubresauts de l'indépendance d'Haïti... |
La mort de Guébert
Venant du Patriote, justement, un "pays" de Varin entra à l'hôpital de Brest le 4 février 1801 et y mourut le 20. C'était Louis Pierre Bernard Guébert, le fils du conducteur de bateau qui nous avons aperçu au tout début de ce récit. |
Enfin le quartier-maître Varin termine sur la Révolution, du 19 septembre au 30 octobre 1801. Ce navire croisait en Méditerranée et poussait jusqu'à Saint-Domingue. Né à Dieppe en 1761, Pierre-Nicolas Rolland, son capitaine, sera contre-amiral, baron d'Empire, chevalier de la Légion d'Honneur... et de Saint-Louis selon les vents porteurs.
Il y avait maintenant bientôt neuf ans qu'Etienne Varin était dans la Royale. Il fut congédié de Brest 29 décembre 1801 et toucha Rouen le 15 janvier 1802 à bord du brick Les deux amis, capitaine Philippe Petitvalet, navire de commerce armé à Brest, venu de Roscoff et qui ramenait quelques quillards au pays...
Retour à la vie civile
Sept mois après son retour, le 4 août 1802, Etienne Victor est matelot sur le Républicain, capitaine Jean-Nicolas Boquié, de Dieppedalle. Retour le 31 août. 21 octobre 1802 : le même pour Marseille. Retour le 29 avril 1803...
Les archives maritimes restent muettes ensuite pendant une dizaine d'années. Sinon pour nous dire qu'Etienne est quartier maître le 22 janvier 1804 sur le bateau canonnier n° 202 commandé par le capitaine Marais. Il aura donc été rappelé dans la Marine impériale. Des bateaux canonniers furent construits à Boulogne à cette époque en vue d'une invasion de l'Angleterre par Napoléon.
Côté familial, la sœur d'Etienne, Marie Rose Elisabeth, s'était mariée en 1801 à Bardouville avec Jean Béranger, un agriculteur. La mère des Varin, veuve du noyé, ira vivre avec les nouveaux époux et mourir sous leur toit en 1808.
Son mariage
Etienne s'établit lui aussi à Bardouville. Et, comme sa sœur, il va aussi s'y marier. En janvier 1817, il est matelot sur le brick le Vaillant, capitaine Henry Delphin Boquié, de Dieppedalle, et se rend à Lisbonne. C'est un navire de 145 Tx construit à Bayonne en 1802. Il débarque à Rouen le 12 juillet. Pour se marier enfin. Et voici l'acte paraphé par mes quadisaïeux :
L'an 1817, le 1er septembre, à 4 heures de relevée, devant moi, maire, faisant fonction d'officier d'état civil, sont comparus en la maison communale pour contracter mariage, d'une part Etienne Victor Varin, 45 ans, marin domicilié en cette commune, fils majeur de feu Etienne Varin et de feue Madeleine Neveu, tous deux décédés en la commune de Duclair et Bardouville, d'autre part Marie Catherine Ferrand, 30 ans six mois, fille majeure de Jacques Ferrand et Marie Catherine Sauvage domiciliés en la commune de Surtauville, département de l'Eure, la dite future étant fille à gage à Bardouville. Les deux futurs époux sont accompagnés de Louis Pierr? âgé de 55 ans, jardiner, Michel Beaud? 61 ans, cultivateur, tous deux domiciliés en cette commune et amis du futur, Adrien Frémond (*), 41 ans, cultivateur, Félix Ouin(*), 21 ans, garde de propriété, tous deux demeurant à Bardouville et amis de la future.
(*) Originaire d Anneville, Abraham Adrien Frémont (Adrien x +Marie Anne Perdrix) a épousé à Bardouville le 19 fructidor de l'an VI Marie Elisabeth Mutel (Jean x Germaine Le Cointe).
(*) Félix Ouin mourut le 27 novembre 1821 alors qu'il était conservateur de biens.
D'un bord à l'autre...
La navigation sur la Seine est encore à la voile et repose essentiellement sur le transport de marchandises. Mais la marine en bois vit ses dernières années. La pêche est également une activité importante avec de petites unités.
Le 29 décembre 1817, Varin embarque à Rouen pour un voyage à Caen comme matelot sur l'Aimable Marguerite, sloop de 60 tonneaux construit à La Mailleraye en 1806. Le navire est immatriculé à Honfleur, capitaine Jean-Louis Heuzé, de Quillebeuf. Le 17 avril 1818, il débarque à Rouen.
Le 27 avril 1818, embarque sur le Batave, capitaine Benoist. 26 décembre, il débarque au Havre.
23 février 1819 : matelot sur l'Alexandrine, capitaine Boquié, pour Londres. Débarque le 26 juin à Rouen.
En septembre de cette année-là vient un premier garçon chez les Varin qui ne survit que quelques jours.
2 juin 1820, nouveau voyage sur l'Alexandrine. Débarque le 7 août à Rouen.
3 février 1821 : matelot sur la Jeanne Catherine, capitaine Vauquelin, allant au Havre, débarque à Rouen le 23 juin.
Le 3 juillet 1821, matelot sur le sloop l'Espoir de la Paix, 76 Tx, construit à Dieppedalle en 1805, capitaine Germain Liesse, de Guerbaville, allant à Cherbourg. Débarque à Rouen le 22 août.
Le 8 septembre 1821, matelot sur le Saint-Dominique, vieux sloop de 57 Tx construit à Dieppedalle en 1788, capitaine Etienne Dubosc, du Vieux-Port, allant au Havre. Débarque à Rouen le 9 janvier 1822.
Le 1er mars 1822, matelot sur la gribane l'Aimable Euphrosine, 71 tonneaux, lancée à Dieppedalle en 1808, capitaine Pierre Belfemme, de Rouen, allant au Havre.
Etienne Varin débarque à Rouen le 16 juillet. Le temps d'aller voir sa fille, Victoire Joséphine, née entre temps le 26 mai. C'est ma trisaïeule.
Varin réembarque sur le même le 22 août 1822 et débarque à Honfleur le 24 décembre 1822, veille de Noël...
La quille de la Royale...
Veille de Noël. Mais veille de la quille aussi. Du moins de la Royale. Etienne Varin sera rayé définitivement du service le 23 avril 1823. Désormais, il ne s'éloignera plus guère de Bardouville où l'on pratiquait l'arboriculture. Dans ses roselières et marais s'épanouissent l'iris et le roseau-massette. Les passereaux aquatiques y nichent, on voit aussi en bord de Seine le héron cendré. Les vergers sont peuplés de lérots, petits rats dormeurs qui grimpent aux pommiers et poiriers. Grives et fauvettes cohabitent avec la chouette chevêche.
Au coeur du grand bois est toujours un chêne plusieurs fois centenaire. Les enfants s'y sont succédé dans ses grosses branches accueillantes. Victoire Joséphine y a sûrement fait ses premiers pas. La vue sur la Seine est magnifique quand vous êtes près de l'église et du château du Corset-Rouge. Dans la chapelle pend une maquette de La Joséphine...
En 1824, les Varin eurent un garçon, Jacques Etienne, puis vint une fille en 1827, Céleste Pauline? Plus tard, elle épousera un Clépoint. Depuis le 1er janvier, Etienne est admis à la demi-solde. Le 28 juin, il s'embarque comme matelot sur L'Aimable Elisa, capitaine Rousselin, allant au Havre. Le 24 avril 1828, le voilà sur la Francine, capitaine Duval. Il y reste plusieurs mois, au cabotage, avec un changement de capitaine en la personne de Hubert.
En 1829, la famille Guilbert, d'Yville et Anneville, vendit à Etienne une masure à Bardouville. Cette même année, notre ancêtre se démit de deux immeubles qu'il possédait toujours au Mesnil-sous-Jumièges au profit du douanier Robert-Christophe Sieurin.
Derniers embarquements...
Le 30 mars 1830, le matelot Varin passe sur la Victoire-Adélaïde, maître Auzoult. Il en débarque le 20 mai et s'embarque à Quillebeuf sur La Jeune Houzard, maître Houzard, qui rallie Cherbourg.
En juillet 31, il grimpe à bord de L'Hirondelle, capitaine Chéron, qui va également à Cherbourg. Il mène sur ce navire une seconde campagne conclue au Havre.
En avril 1832, Etienne retrouve la Jeune Houzard, maître Labé, allant à Caen.
Septembre 32 : La Rose Pauline, maître Colombel, allant de Rouen au Havre.
Juillet 33 : La jeune Hildegarde, maître Loison, pour Aiziers.
Juillet 35 : Le Bien Aimé, à Caudebec, maître Peine.
Mai 36 : La Bonne Mère, maître Vigé, pour Aiziers.
Mars 37 : le Pierre et la Rose, maître Fessard, pour Caudebec. Retour pour plusieurs mois sur La Bonne Mère en mars 38.
Le 16 avril 1840 enfin, embarque sur la Prudence, maître Viger, allant au cabotage.
Sa mort...
Etienne met sac à terre pour la toute dernière fois sur les quais de Rouen, le 22 août 1840. Il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Varin avait combattu pour la République. A 69 ans, il allait mourir sous un roi sans penser qu'un jour prochain s'effondrerait la monarchie. Il s'éteignit dans sa ferme, le 17 décembre 1841, à 4 h de l'après midi. Sa femme y restera seule. Deux hommes allèrent déclarer son décès en mairie : Jean Baptiste Nicolas Binard, un propriétaire voisin, pensionné de l'Etat, 60 ans et Jean Baptiste Joseph Lefebvre, jeune maçon de 26 ans. Eugène Varin avait encore été recensé comme marin en début d'année.
Le mardi 17 juin 2003 j'ai déjeuné à Boscherville, au café hanté par ma mère qui avait grandi en ces lieux. Puis je me suis rendu à la mairie de Bardouville. J'y fus reçu par deux saintes laïques qui me tendirent le registre où m'attendait le quartier-maître Varin.
Laurent QUEVILLY.
Souces
Servuce militaire d'Etienne Varin père.: SHD/GR 2 Yc 56
Anne des Déserts, recherches le 5 décembre 2017 au Service Historique de la Défense, département Marine.
Jean-Pierre Derouard, La noyade en Seine au XVIIIe siècle dans 27 paroisses riveraines de la Seine maritime

Histoire de la marine française sous la Première République, Edouard Chevalier.
L'armée navale de l'Océan, LV Lachèse.
Col bleu.
Registres de l'Inscription maritime, Achives départementales de la Seine-Maritime. Etienne Varin figure sur le répertoire alphabétique 7P4-14, p. 146, 1785. Puis sur le registre des matelots allant jusqu'en 1796.