Par Laurent Quevilly
A Paul Le Joncour
A Paul Le Joncour

Sous les ordres du vice-amiral Morard de Galles, l'armada totalise 46 navires, 15.000 hommes de troupe commandés par le général Hoche. Objectif : prêter main forte aux Irlandais pour créer une république alliée de la France. Et de là, envahir l'Angleterre. L'escadre emporte avec elle Wolfe Tone, avocat irlandais. Confiant en la victoire, on a appris ce chant :
Français sur les rives lointaines
Portons encor la Liberté
Des Irlandais brisons les chaînes
Fendons l'océan agité
Portons encor la Liberté
Des Irlandais brisons les chaînes
Fendons l'océan agité
Mais l'océan, il est plus qu'agité. Prise dans une épouvantable tempête, la flottille se disperse dans le désordre le plus total. pour se regrouper vaille que vaille...
Le général de Grouchy se souvient : "La frégate la Surveillante, sur laquelle j'étais monté, faisait partie de la division aux ordres du contre-amiral Nielly. Nous avons suivi les mouvements de l'armée jusqu'à l'entrée de la baie de Bantry, dans laquelle nous avions l'ordre de louvoyer, pendant que l'armée choisirait son mouillage.
C'était le 2 nivôse (22 décembre 1796) que nous avons vu terre. Nous avons tenu le vent le 3 et le 4, mais le 5 (25 décembre) la tempête devint telle que nous périssions infailliblement si nous n'avions laissé arriver vent arrière. Nous fûmes ainsi jetés au 53e degré et demi de latitude. Pendant une crise, nous essuyâmes des coups de mer si violents que, dans les nuits des 6 au 7, (26 au 27 décembre) tous nos plabords furent emportés, et avec eux les porte-manteaux des chasseurs à cheval du 7e régiment. Notre position devint enfin si critique, que nous fûmes forcés de jeter nos canons à la mer.
Le 8 (29 décembre), le temps se calma, et les vents devinrent à la fois favorables pour l'Espagne, la France et l'Irlande. Cette dernière terre étant notre destination fut celle que nous choisîmes, décidés, dans le cas où nous n'y trouverions aucuns des nôtres, à tenter à nous seuls une descente, préférant ainsi mourir glorieusement et les armes à la main au sort inévitable d'être engloutis au fond des eaux. Après trois jours de navigation, nous avons, le 11 (31 décembre), pris connaissance de la terre, et sommes entrés dans la baie de Bantry, où nous avons trouvé les vaisseaux le Redoutable et le Tourville (monté par Grattien) ; les frégates la Cocarde, la Romaine et le lougre le Renard. Le tout sous le commandement du chef de division Daugier, à bord duquel je me suis rendu avec le capitaine-commandant la Surveillante (Joseph Bernard). Ce dernier a remis au commandant un procès-verbal de l'état déplorable de sa frégate et lui a demandé une commission pour la vérifier. La commission nommée a décidé que la Surveillante était hors d'état de pouvoir rendre aucun service et que l'on ne pouvait, sans compromettre évidemment la surêté de son équipage et celle des passagers qu'elle avait à son bord, différer plus longtemps de la désarmer. En conséquence de cette décision, l'équipage et les troupes ont été répartis sur les autres bâtiments de la division, et la frégate a été coulée. Ce désarmement, ordonné le soir et exécuté dans la nuit du 14 nivôse, (3 janvier 1797) s'est fait avec tant de précipitation et de confusion qu'il a été de toute impossibilité à chacun de nous de sauver tous ses effets. On n'a pu sauver qu'une dizaine de selles sur environ deux cents qui se trouvaient à la cale, encore sont-elles à moitié pourries par la quantité d'eau que faisait notre bâtiment."
Le sabordage eut lieu à un mille des côtes, du côté de Glengarriff. Devant le mauvais temps persistant, décision est prise de regagner Brest. Bilan : un gigantesque fiasco tant en hommes qu'en vaisseaux perdus...
Seule une yole de la Résolue, en quête d'assistance, aura atteint une île où son équipage fut aussitôt capturé.
De nos jours, la yole de Bantry est une pièce de musée qui a inspiré des répliques utilisées notamment à Douarnenez et qu'affectionnait particulièrement feu mon ami Paul Le Joncour, terrrassé à bord de l'une d'elles. Quant à l'épave de la Surveillante, elle est classée monument national.
Thévenard., fils de vice-amiral, commandait le Wattigniy en Irlande. Ce navire faisait partie de l'arrière-garde avec la Surveillante. En 98, on retrouve Thévenard commandant de l'Aquilon qui fait partie de l'expédition de Bonaparte en Egypte. La flotte quitte Toulon en mai 98 et l'Aquilon est de la bataille d'Aboukir en août 98 où Thévenard est tué et son navire capturé.
Laurent QUEVILLY.
Souces
Service militaire d'Etienne Varin père.: SHD/GR 2 Yc 56
Anne des Déserts, recherches le 5 décembre 2017 au Service Historique de la Défense, département Marine.
Jean-Pierre Derouard, La noyade en Seine au XVIIIe siècle dans 27 paroisses riveraines de la Seine maritime
Histoire de la marine française sous la Première République, Edouard Chevalier.
L'armée navale de l'Océan, LV Lachèse.
Col bleu.
Registres de l'Inscription maritime, Achives départementales de la Seine-Maritime. Etienne Varin figure sur le répertoire alphabétique 7P4-14, p. 146, 1785. Puis sur le registre des matelots allant jusqu'en 1796.