Par Laurent Quevilly-Mainberte

A la Révolution, le sieur Le Sain tient des moines le manoir d'Yainville. Bien du clergé, il est mis en vente. Le Sain est preneur. Mais un concurrent se dresse contre lui: Poulain, dit Grandchamp, déjà acquéreur à l'abbaye. Qui va l'emporter ?


N° 140 Municipalité de Yainville, canton de Duclair, enregistré le 14 février 1791, mis en vente au 18e tableau le 16 février 1791,

Département de la Seine Inférieure, District de Caudebec
Soumission du sieur Poulain dit Grandchamp, marchand négociant demeurant à Caudebec pour l'acquisition de domaines nationaux.
Je soussigné Jean Bte poulain dit Grand champ, négociant demeurant à Caudebec déclare être dans l'intention de faire l'acquisition de domaines nationaux dont la désignation suit
1° une ferme nommée le manoir d'Yainville sise audit lieu dépendante de la cy devant manse conventuelle de l'abbaye de Jumièges ; consistant en masure et autres bâtiments, terres labourables, prés et bois taillis le tout contenant quatre vingt treize acres trois vergées dix neuf perches ou environ avec les grosses, menues et vertes dimes et chaparts affermés pour neuf années commencées à la Saint Michel 1786 au sieur Le Sain par bail passé devant le notaire de Jumièges le 27 décembre 1784 moyennant mille livres de fermage.

2) Une autre ferme sise en ladite paroisse d'Yainville consistante en masure, terre en labour, près et bois taillis le tout contenant quatorze acres une vergée douze perches ou environ affermée par les dits religieux de Jumièges et aussi dépendant de ladite abbaye audit sieur Le Sain moyennant trois cents cinquante livres de produit annuel suivant le bail qui lui a été fait pour 9 années commencées à la Saint-Michel 1786, en date du 27 décembre 1784.

Pour parvenir à l'acquisition des dites deux fermes, je me soumets à payer, sacoir pour celle contenante 14 a 1 Vée 12 perches la somme de six milles neuf cents trente livres de la manière déterminée par les dispositions des décrets et instructions de l'assemblée nationale des 14 et 31 may, 25, 26 et 29 juin dernier. Et pour celle contenante 93 a, 3 Vées, 19 p. ; je me soumets à en payer le prix de la manière déterminée par les mêmes mesures — décrets et conformément à l'évaluation qui en a été faite par la municipalité de Rouen, de laquelle je déclare m'y contenter.

En conséquence je me soumets à payer à la caisse l'extraordinaire ou en celle du district qui sera proposé, d'abord lors de l'acquisition l'acompte déterminé par les décrets suivant la nature des biens et ensuite le surplus du prix de la dite acquisition dans le terme de douze années le tout suivant les dispitions des dits décrets, promettant au surplus conformer absolument pour ma soumission jusqu'à l'entier acquittement du prix de la dite acquisition.

Fait à Caudebec ce 10 février.
JBste Poullain dit Grandchamp père.

La vente aux enchères



Une vente aux enchères de biens nationaux eut lieu le 22 avril 1791. Quand vint le tour du manoir d'Yainville, deux hommes vont s'affronter. Ecoutons le compte-rendu :


Ensuite on a procédé à la vente & adjudication de deux fermes situées en la paroisse de Yainville ayant appartenu aux religieux de Jumièges contenant cent six acres ou environ tenu par le sieur Le Sain pour neuf années qui finiront à Saint-Michel 1795 d'après la soumission du sieur Poulain dit Granchamp sur l'estimation de vingt un mille treize livres treize sols dépendants & tout & autant qu'en occupe actuellement le sieur Le Sain, les dittes fermes sont vendues ensemble vu l'impossibilité de les diviser & cependant cette vente est faite sans garantie des six perches en pature et buissons formant le numéro 11 situées au delà de la sente de Jumièges au Trait & réclamée par le sieur Louis Vautier.

Un certain Le Blanc enchérit

L'appel fait des commissaires de la municipalité se sont présentés les sieurs Jacques Raulin & Michel Levillain qui ont pris séance en cette qualité après quoy on a allumé le premier feu.

Le premier feu allumé, le sieur Le Blanc (#) a porté son offre à la somme de trente un mille quatre cents livres & vu que le feu s'est éteint sans enchère nouvelle le directoire, oui le procureur sindic, adjuge provisoirement les fermes dont il s'agit audit sieur Le Blanc et ordonne qu'il sera allumé un deuxième feu.

# demeurant à Paris

Le Blanc enchérit encore

Le deuxième feu allumé le sieur Le Blanc demeurant à Paris a porté son offre à la somme de trente six mille cent livres et vu que le feu s'est éteint sans enchère le directoire, oui le procureur sindic adjuge provisoirement l'objet dont il s'agit audit sieur Le Blanc et ordonne qu'il sera allumé un troisième feu.

Et encore !

Le troisième feu allume, le sieur Le Blanc a porté son offre à la somme de trente sept mile livres et vu que le feu s'est éteint sans enchère le directoire, oui le procureur sindic adjuge provisoirement les fermes dont il s'agit audit sieur Le Blanc & ordonne qu'il sera allumé un quatrième feu.

Ebran surenchérit

Le quatrième feu allumé, le sieur Michel Ebran, demeurant à Caudebec, a porté son offre à la somme de quarante mille livres & vu que le feu s'est éteint sans nouvelle enchère, le directoire, oui le procureur sindic, adjuge provisoirement les fermes dont ils s'agit au dit sieur Ebran & ordonne qu'il sera allumé un cinquième feu.

Et Ebran l'emporte !


Le cinquième feu allumé & éteint sans enchère, le directoire, oui le procureur sindic, adjuge définitivement l'objet dont il s'agit audit sieur Ebran au prix de quarante mille livres, aux charges mentionnées aux cahier & acte accordé audit sieur Ebran de ce qu'il a enchéri pour & au nom du sieur François Le Sain demeurant à Yainville, ce que le dit sieur Le sain a signé avec nous & les commissaires de la municipalité, signés Le Sain, Levillain, Rollain, Lenud, Herment & Fenestre.

Et c'est ainsi que le sieur Le Sain resta maître chez lui. On est tenté de voir dans ce sieur Le Blanc qui enchérit pour Poulain Granchamp un ascendant de Maurice Leblanc, l'auteur d'Arsène Lupin. Les Poulain et les Granchchamp eurent effectivement des liens familiaux au XIXe siècle. Et des intérêts fonciers au manoir d'Yainville. Mais l'aïeul de l'écrivain était, en 1791, tailleur de pierre à Rouen. A-t-il demeuré à Paris ? Voilà qui reste à établir...

Annexe


Du 22 avril 1791
Cahier des charges, clauses & conditions de la vente des biens nationaux compris la présente adjudication. A la charge par les adjudicataires

1° de prendre les biens rureaux dans l'état où ils ont sans fournitures ni répétition de mesure avec les servitudes tant actives que passives qui peuvent y être attachées

2° d'entretenir les baux aux clauses & conditions y exprimées parce que la jouissance prendra cours au profit des adjudicataires au jour de Saint-Michel prochain au moyen de quoi l'année de fermage provenant des fruits de la présente année 1791 appartiendra à la nation à quelque échéance qu'elle puis échoir.

3° de payer dans la quinzaine qui suivra l'adjudication dans la caisse de l'extraordinaire, ou entre les mains de M. Loche trésorier du district

Savoir

Ceux qui se rendront adjudicataires des maisons des emplacements dans les villes vingt pour cent du prix de leur adjudication dans le même délai de quinzaine. Ceux qui qui acquéreront des bois, des moulins des usines trente pour cent du prix de leur adjudication dans le même délai de quinze jours le surplus desdittes adjudications sera divisé en douze annuitées égalles payables en douze ans d'année en année, dans lesquelles sera porté l'intérêt du capital restant dû par les adjudicataires à cinq pour cent sans retenue.

A Défaut de payement du premier acompte ou d'une annuité échue il sera fait dans le mois à la dilligence de Monsieur le procureur général sindic sommation au débiteur d'effectuer son payement avec les intérêts du jour de l'échéance & dans le cas ou les adjudicataires ni auroient pas satisfait dans le délai de deux mois...

 

Laurent QUEVILLY.

Sources

Documents numérisés aux archives départementales par Josiane et Jean-Yves Marchand (soumission 1QP721, vente enchères 1QP425).



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