On croyait le maire acquis à la bonne cause, les souscriptions engrangées. Que nenni ! Non seulement Lesain se rétracte. Mais sa capacité de nuisance anéantit la démarche de ses opposants. Résultat : ils démissionnent !
À Yainville, le feu couvait sous la braise. A la veille de Noël, la tension monte encore d'un cran. Ce jour-là, le fils du maire bat le tambour. Il doit annoncer la venue du Juge de Paix pour procéder à une enquête comodo et incomodo. Ordre du Préfet. "Comodo et incomodo" ? Qui qu'y dit !? Pour toute réponse, Victor Lesain a cette réplique inattendue : « Ne versez surtout pas vos souscriptions, votre argent sera perdu ! » Une provocation qui sème aussitôt la défiance dans tout le village.
De belles promesses oubliées
Les conséquences sont immédiates. Alors que nos six conseillers parcourent la commune pour recueillir les fonds promis par souscription, il se heurtent à l'hésitation des habitants. On baisse le nez, on se défile. Certains même se rétractent, influencés par les propos décourageants du maire et de son fils. Bientôt, le constat des partisans du projet est amère : « Beaucoup de personnes sont près de refuser de remplir l'obligation qu'ils ont prise... » Lesain a réussi son coup : faire échouer l'initiative populaire, discréditer les défenseurs de l'église
Un piège à conseillers
Mais l'hostilité franchit un nouveau cap. Lorsqu'ils s'achève une nouvelle séance houleuse chez le maire, un piège attend les conseillers dans l'obscurité du cimetière : « Sur le second gradin, écritont-ils au Préfet, il s'est trouvé une corde tendue, attachée à deux piquets, sur la longueur d'un mètre cinquante, élevée à seize centimètres de hauteur. » Précis. Et efficace que cet obstacle tendu pour provoquer la chute, blesser — voire pire. Le geste témoigne d'une violence latente, tapie dans l'ombre d'une querelle administrative déjà vive.
Il a tiré sur le coq !
Et comme si
cela ne suffisait pas, un dernier outrage vient frapper la
communauté au cœur : «
Il n'y a pas même jusqu'au coq de dessus notre clocher qui a
été tiré d'un coup de fusil
chargé à
balle, venant du côté de la
propriété de
Monsieur Lesain. » Le coq, symbole d'orgueil
communal, est abattu.
Alors ce 26 décembre 1843, au lendemain de Noël, les six mutins du conseil adressent une nouuvelle protestation vibrante au Préfet, déplorant des promesses trahie, une situation explosive.
« Nous pensions, d'après ce que vous aviez dit, que vous auriez révoqué le maire de notre commune », souirent-ils, désabusé. Mais rien n'a changé. Cabut, Chantin... À Jumièges, rappellent-ils, combien de maires ont été remplacés depuis 1840 pour des motifs bien légers. Pourquoi pas chez eux ! Oui, pourquoi alors qu'ici le maire fait l'unanimité contre lui ?
Le ton se durcit : « Vous nous imposez un homme renvoyé d'une autre commune et qui est l'ennemi juré de tous les habitants. Est-ce équitable, Monsieur le Préfet, nous vous le demandons ? »
À Yainville, l'atmosphère est devenue irrespirable, et même le presbytère, offert voici par Mademoiselle Delafenestre, risque d'être vendu par ses héritiers avec la complicité du maire. " Il se moque aussi bien de vous comme de nous et tous les jours ce sont les propos les plus grossiers. "
Et ils démissionnent !
Conscients que le scandale pourrait dégénérer, ils prennent une décision grave : « Nous vous prions d'accepter notre démission de conseillers municipaux. Plus tard, vous reconnaîtrez qui de vous ou de nous avait raison. »
A Rouen, le préfet réfléchit en homme pondéré. Aucune faute suffisamment grave n'est prouvée pour destituer le maire. L'enquête du Juge de Paix n'a pas confirmé sa destruction des murs de l'église. Le baron Dupont-Delaport conseille plutôt aux édiles de rester en poste, histoire de mieux freiner les "envahissements" qu'ils dénoncent.
Mais dans cette commune écartelée, où l'autorité municipale est contestée à chaque battement de tambour, combien de temps encore le calme pourra-t-il tenir avant que les passions, elles, ne se déchaînent....
Laurent QUEVILLY.
Pour suivre :
SOURCESDocuments numérisés aux archives départementales par Josiane et Jean-Yves Marchand.
Les textes originaux :
