Par Laurent Quevilly-Mainberte
Yainville tenait en Athanase Leroy un maire rustique qui amusait beaucoup Sacha Guitry. Au point que le maître en parle quelque part dans son œuvre. En février 1907, Athanase se fendit d'un arrêté visant à réglementer l'usage de la cloche d'Yainville.
Doté d'un bon sens paysan, Athanase Leroy savait prévoir les pires catastrophes, animé qu'il était par le sens du bien commun. Tenez, imaginez un instant que la fièvre jaune fauche subitement la majeure partie de la population d'Yainville et qu'on enterre à tour de bras des jours durant, vous entendez d'ici les sonneries funéraires ? De quoi devenir fou ! Et puis si jamais le clocher menace d'écraser les paroissiens, là, sous les battements répétés de la cloche. Eh bien Athanase Leroy prend aussitôt des mesures d'urgence : il commence par demander un rapport à un architecte compétent, puis écrit au préfet, fait porter sa lettre à Rouen par la diligence. Et attend la réponse. Oui, il a tout prévu notre maire, pour ne pas dire notre père à tous. Par exemple, il imagine que le curé de Jumièges, qui dessert alors sa paroisse, peut très bien se réveiller à 3h du matin avec l'envie subite descendre à Yainville pour y sonner la cloche. Oui, comme ça, comme une envie de pisser. Voilà qui mérite bien une interdiction, non ? Beau prince, Athanase Leroy consent cependant à confier une clef de l'église à son desservant. On ne sait jamais, elle pourrait lui être utile... Alors, un jour de février 1907, venu de sa ferme des Fontaines où, paraît-il, ne coulait pas que de l'eau, il soumit ce projet d'arrêté à son conseil municipal aussitôt subjugué :

Le maire,
considérant que pour assurer dans de bonnes conditions l'ordre et la régularité dans les sonneries civiles et religieuses qui seront effectuées avec la cloche qui existe dans le clocher, propriété communale, il y a lieu de réglementer ces sonneries ;

considérant qu'aucune association culturelle n'a été constituée dans la commune ;
vu la loi du 5 avril 1884, art. 95 et 96;
vu la loi du 9 décembre 1905, art. 27 ;
vu le décret du 16 mars 1906, art. 51, 52, 50 ;
vu la loi du 2 janvier 1907.

Arrête :

Art. 1er. Les sonneries religieuses seront faites suivant les usages antérieurs et de façon à assurer dans des conditions normales le service du culte.

Art 2. La durée de chaque sonnerie ne pourra excéder quinze minutes, cependant le jour des morts pourra être annoncé par les sonneries prolongées usitées actuellement.

Art. III. En temps d'épidémie, le maire pourra, avec l'autorisation du préfet, faire suspendre la sonnerie pour les cérémonies funèbres.

Art IV. Le ministre du culte ne pourra, pour quelque raison que ce soit, faire sonner les cloches avant quatre heures du matin, depuis Pâques jusqu'au 31 octobre et ni avant 5h du matin depuis le premier novembre jusqu'à Pâques, et après 10h du soir en tous temps, excepté la nuit de Noël.

Art V. Les sonneries civiles seront faites dans les conditions ci-après :

1) pour annoncer les angélus du matin, midi et soir,
2) pour annoncer le passage officiel du président de la République ou d'un ministre,
3° la veille de la fête nationale à 6 heures du soir et le jour de cette fête à 6 heures du matin et à midi,
4) lorsqu'il sera nécessaire de réunir les habitants pour prévenir et arrêter quelqu'accident de nature à exiger leur concours, comme dans le cas d'incendie, d'inondation et dans tous les autres cas de la nécessité publique.
5) pour annoncer les fêtes officielles organisées par l'administration municipale ou avec son concours

Art. VI. La sonnerie des cloches en volée est interdite pendant les orages.

Art. VII. Si le clocher étant dans un état de solidité insuffisant, le mouvement des cloches présentait un réel danger, le maire pourra, sur l'avis conforme d'un architecte et après en avoir référé au préfet, interdire provisoirement les sonneries.

Art. VIII. Le maire, représentant la commune, aura une clef de l'église, ainsi que le sonneur désigné pour exécuter les sonneries civiles qui recevra de ce chef une indemnité fixée par le conseil municipal. Le curé, en sa qualité d'occupant, aura également une clef de l'église et du clocher ainsi que le sonneur chargé des sonneries religieuses.

Art. IX. La gendarmerie et le garde-champêtre sont chargés de l'exécution du présent arrêté.

Fait à Yainville, le 24 février 1907.

Le Maire
Leroy.


Source


Délibérations du conseil municipal, mairie d'Yainville. Numérisation : Edith Lebourgeois, transcription : Laurent Quevilly.