Le 6 octobre 1834 mourut à Yainville un propriétaire terrien du nom de Désir Vautier. Propriétaire terrien, mais son domaine avait été maritime. Car on le vit sur nombre de bacs et navires de la région...
On l'appelle tantôt Désir, tantôt Désiré. Vautier avait 19 ans quand ce natif du Trait perdit son père, un marchand dont il avait hérité du prénom. Il fut aussitôt mis sous tutelle avec ses frères Louis, 16 ans, Adrien Simon, 13 ans et sa sœur Marie-Catherine, 7 ans.
Passager de Caudebec
Le
17 novembre 1783, on le retrouve à Caudebec.
Voilà trois
que Désir Vautier est
le passager de Caudebec lorsqu'il épouse la fille
d'un confrère, Catherine
Allais. On ne sait quel fut son rôle dans le naufrage du
bachot
de Caudebec, le samedi 14 janvier 1792. Le Journal de Rouen
affirme que
c'est à la cupidité d'Allais que l'on doit la
catastrophe. En ce jour de marché, il surchargea son
embarcation
vétuste pour faire passer 80 paysans se rendant vendre leurs
denrées en ville. On ne retrouve qu'un douzaine
d'inhumations
dans les registres de communes limitrophes et l'on sait que Duval,
greffier de la justice de Paix, sauva deux femmes.
En tout cas, Vautier est toujours à Caudebec, le
6 février 1803, jour où meurt son fils de 15 ans,
Louis, garçon
batelier.
A partir d'août 1808, Désir Vautier est
porté sur les registres de l'inscription maritime alors
qu'il
commande la Bonne Emilie,
de Caudebec, au petit cabotage. A partir d'octobre 1814, il est cette
fois le patron du Désiré
Delphin,
toujours
à Caudebec, puis il est domicilié à
Berville en
1817 alors que
son jeune fils navigue avec lui sur le même navire. En raison
de
son âge, Désir Vautier n'est bientôt
plus
mobilisable. Malheureusement, le registre des hors services de
l'époque a disparu. On ne saura onc pas comment se
déroule sa
carrière de marin. Mais il
semble qu'il ait élargi ses activités...
Jean-Pierre
Derouard a noté en effet que Désiré
Vautier, en 1812, détient les passages de Duclair la Roche
et
Jumièges. Il avoue que ses bateaux "font eau de toute part, des
planches sont mises au fond pour que le public ainsi que les chevaux ne
passent pas au travers". Mais, manifestement, il ne
manœuvre pas lui-même ses navires. Le mardi 27
février 1816, Catherine
Allais, sa femme, 52 ans, et sa fille de 30 ans sont
les passagères du bac de Duclair. Ce qui est
interdit.
Catherine va quitter Berville mais
"l'arrière du bateau
chargé de 30 personnes touchait sur la rive, ne pouvant le
dégager, (elle) demanda aux personnes
embarquées de se
porter à l'avant pour faire contrepoids et
dégager
l'arrière ; mais elles firent ce mouvement si
précipitamment que le bateau sombra à l'instant
sans
s'éloigner pour ainsi dire de la rive". Il y
eut trois
noyés. "Des
hommes auraient peut-être été
plus forts et le naufrage aurait peut-être
été
évité, estime le maire de Duclair,
mais "cette femme est
très forte et a toujours professé cet emploi." Vautier
sera condamné à six mois de prison pour homicide
involontaire. Cet accident fait dire au maire du Mesnil : "il n'est
point à ma connaissance que le passage (de la
Roche) soit
confié à des femmes ou enfants, c'est un homme de
46
à 47 ans qui s'en occupe."
Source : Jean-Pierre Derouard, A rames ou a voile, bacs et passages
d'eau de la Seine en aval de Rouen.
Les droits à percevoir sur les passages arrivaient à échéance et un nouvel affermage s'ouvrit le 1er janvier 1817 pour une période de six ans. C'est alors qu'un Vautier est attesté au passage de La Mailleraye en 1817 lorsque Désiré engage sa ferme et terres de Bliquetuit au profit de La Chèvre, passager de Duclair. Ce passager de la Mailleraye est manifestement un fils de Vautier dont les prénoms complets sont Pierre Désiré.
Le 4 décembre 1822, Philippe Vautier, autre fils de Désir, déclare renoncer à la navigation pour professer l'état de cafetier.
En 1823
est lancée à La Mailleraye la Minerve,
47 tonneaux, pour Désir Vautier, du Trait, qui la revend
très vite après un voyage entre Rouen et Caudebec.
En juillet 1823, les sieurs Vautier et Lécuyer, de Duclair,
achètent la Louise
Félicité,
construite à Dieppedalle en l'an 12, 41 Tx, non
pontée, appartenant à Clément
Mainière, de
Duclair, qui naviguait entre Rouen et Caudebec.
Un Vautier est encore attesté au passage de La Mailleraye en 1824. En 1826, Vautier père est noté "présent" et demeurant à Caudebec par l'administration maritime.
Maître de poste ?Désir
Vautier, de 1830 à 1833, s'est-il porté
acquéreur du brevet de maître de poste
à Duclair.
Un parfait homonyme est en effet attesté durant cette
période au relais de poste du chef-lieu de canton. Cet achat
n'obligeait pas son titulaire a être présent sur
place.
En 1830, l'administration maritime note : "d'après les renseignements fournis par le syndic des gens de mer à Caudebec, le sieur Vautier demeure à Gainville (sic) où il vit de son bien."
C'est en effet à Yainville, avec la qualité de propriétaire, que Désir Vautier père rendit l'âme le 6 octobre 1834, à 3 h de relevée. Michel Boisguillaume, le garde-Champêtre et Gosse, l'écrivain public de Jumièges signèrent l'acte de décès. Sa veuve lui survécut dix ans. Elle, c'est son gendre, Jean-Jacques Lescuyer, débitant de tabac à Yainville, qui lui ferma les yeux. C'était un ancien marin natif de Bliquetuit attesté en l'an 3. Lescuyer s'est marié à Marie Vautier au Trait en 1819. En 1851, Lécuyer, à 56 ans, est cette fois débitant d'eau de vie. Il mourra à Yainville en 1858. Son épouse le suivit trois ans plus tard dans la tombe, à l'ombre de l'église Saint-André, étant alors cafetière.
Désiré filsPierre-Désiré Vautier, appelé parfois Désir, comme son père, est né le 17 avril 1785 à Caudebec et fut fidèle à son hérédité. Le 15 octobre 1807, toujours à Caudebec, il épouse une fille originaire de Vatteville, Marie-Françoise Legendre. Le 23 septembre, il venait juste de quitter l'ancienne capitale du Pays de Caux pour s'installer dans une maison du Trait, sans doute celle du passage de La Mailleraye. Car on le dit passager de la Mailleraye dans les registres de l'inscription de 1816. Mais de 1817 à 1830 il fait plusieurs campagnes de navigation en Seine à bord de différents navires : le Désiré, le Pierre-Désiré, le Désiré-Delphin, le Fort-Constant, les Deux-Amis. A partir du 30 mars 1831, on le retrouve à la pêche fluviale à La Mailleraye puis Villequier sur le Pierre. Le 8 mars 1835, il embarque sur l'Espérance.
En mars 1836, ayant 50 ans d'âge, il est rayé des matricules pour être porté sur les hors services, folio 128 n° 309. On le dit propriétaire et cultivateur avec pour prénom Pierre-Désir quand il acquiert, en 1839, de la famille Capelle, un verger au Trait avec maison couverte de paille. Mais en 1840, avec Désir pour seul prénom, on le dit maître passager d'eau au Trait alors qu'il achète des Rollin une prairie près de la Seine. Mais il continue alors à mener des campagnes de pêche.
Adjudication des droits a percevoir au passage d'eau de la Mailleraie. Le pair de France, préfet, donne avis que l'adjudication des droits à percevoir au passage d'eau de là Mailleraie, de 1843 a 1849, annoncée pour le 14 de ce mois (voir le Journal de Rouen du 4 avril), est renvoyée au vendredi 28 avril courant et aura lieu aux mémes lieu, heure et conditions qui avaient été indiqués, excepté que l'adjudicataire devra prendre l'obligalion de fournir à ses frais un nouveau bac de forme et dimensions pareilles à l'ancien, ainsi que les objets nécessaires à l'exploitation, conformément aux articles 1er à 5 des clauses spéciales du cahier des charges qui est tenu à la disposition de tous lea intéressés, à la préfecture.
Le 13 avril 1843, le Journal de Rouen prévient : "Le grand bac du passage d'eau de La Mailleraie étant tout-à-fait hors de service, I'usage en a été totalemerit interdit ; mais l'ordre d'en construire un neuf vient d'être donné, et il y a lieu de croire que le service du bac pourra être repris vers la fin du mois prochain."
27 mai : "Le public est informé que le service du grand bac destiné à passer les voitures sur la Seine, à La Mailleraie, sera rétabli à partir du 10 juin prochain au plus lard et que toutes voitures de routage, quel que soit leur poids pourront être passées avec promptitude et sécurité."
En 1845, sous la Restauration, Désir Vautier fils affiche ses opinions en naviguant sur le Napoléon. Son dernier embarquement fut sur l'Espérance en 1856. C'est un navire d'un tonneau construit à La Mailleraye en 1834 et qui porte six hommes d'équipage. Inactif les derniers mois de sa vie, Vautier meurt le 10 avril 1858, à 9h, "sur les quais de Caudebec", alors qu'on le dit toujours "maître pêcheur au Trait". L'un des témoins est Prosper Landrin, pêcheur à Jumièges.