Par Laurent Quevilly-Mainberte

Mais qu'est devenue Marguerite Florentine Mutel ! Native d'Yainville, elle s'est évanouie dans la nature en 1920. Depuis des années, sa petite-fille cherche à retrouver sa trace...

Avant d'aborder le cœur du sujet, il nous faut embarquer d'abord à bord d'une gribane. Henri Clovis Mutel était né à Saint-Jean-de-Folleville, en 1863. Pressé par la nature, il se maria au Trait avec Charlotte Lesage, alors enceinte de plusieurs mois. Le couple s'établit à Yainville dont les carrières fournissaient du travail à nombre d'ouvriers..
Un temps, Henri Clovis est patron de la Suzanne, un bachot du port de 50 tonneaux appartenant à Guibert, le carrier de Claquevent et construit à Yainville quelques années plus tôt. Et quand il n'est pas sur l'eau à livrer les pierres nécessaires à l'endiguement de la Seine, Henri Clovis est également terrassier.
Quant à son épouse, elle est marchande de quatre saisons.


Les gribanes d'Yainville. Henri Clovis Mutel fut batelier sur l'une de ces embarcations.


Parmi les cinq enfants du couple, tous nés à Yainville, Marguerite Florentine Charlotte Mutel a vu le jour le 19 août 1895. Outre l'instituteur, M. Hébert, l'un des témoins de sa naissance fut Albert Colignon, ouvrier carrier. Sans doute un collègue de travail d'Henri Clovis.

1920 : elle disparaît du foyer


Les années ont passé. La famille Mutel a quitté Yainville et c'est à Rouen que Marguerite Florentine, âgée maintenant de 19 ans, épouse, le 22 juin 1914, Aubert Couturier.
Trois filles vont naître de cette union. Quand soudain, en août 1920, Marguerite Florentine disparaît du foyer conjugal, laissant derrière elle trois enfants en bas-âge. Son époux demandera le divorce. Il l'obtint le 26 mai 1922. Mais, s'étant évaporée dans la nature sans laisser d'adresse, sa femme ne parut jamais devant le tribunal.

Henri Clovis Mutel, l'ancien terrassier de Claquevent, demeurait alors à Rouen, 119, rue des Charrettes. C'est là qu'il recueillit ses trois petites-filles. Il est mort en 1931 et sa femme le suivit dans la tombe sept ans plus tard.

Quant à Aubert Couturier, il était semble-t-il gardien-de-la-paix ainsi que son frère Louis et tous deux auraient démissionné de leurs fonctions dans les années 20. Aubert est décédé en 1948 dans un hopital de Villeurbanne. Curieusement, ses papiers le disaient toujours époux Mutel.


Vaines recherches


Il est parfois aisé de remonter jusqu'au XVIe siècle pour établir son arbre généalogique. Il est en revanche très rare de buter sur la seconde génération de ses ancêtres. Ces dernières années, Laurence, la petit-fille de Marguerite Florentine, cherche à retrouver la trace de sa grand-mère disparue donc en 1920. Elle s'est adressée au Ministère de la Justice, aux Archives départementales. En vain. Pas assez de dates, pas assez de faits précis. Laurence a fait le tour des cimetières de Rouen et sa banlieue, épluché le Journal de Rouen, l'état-civil, enquêté du côté des orphelinats où, à Troyes, une fille de Marguerite Florentine a vécu jusqu'à ses 18 ans. Rien. Alors, elle imagine le pire...
Les sœurs Couturier se sont manifestement perdues de vue et ne correspondaient plus que pour les vœux de fin d'année. Aucune d'entre elles n'évoquait le sort de leur mère disparue. Mais qui sait si, un jour, Laurence ne trouvera pas ici réponse à ses questions.


Laurent QUEVILLY.

N.D.L.R. Les fichiers de décès pis en ligne par l'Insee pour le bonheur des généalogistes ne comportent aucun décès de ce nom. Conclusion: soit Marguerite Florentine Mutel est décédée avant 1970 en France, éventuellement très jeune, soit à un tout autre date à l'étranger.

Vos réactions



Laurence B. D. : Texte bien structuré dans l'énoncé des faits que nous pouvons, Monique, Edith et moi, certifier exacts, étant "les têtes chercheuses" du chemin de vie de Marguerite Florentine, notre grand-mère. Peut-être quelqu'un aurait-il entendu parler d'une anecdote  à son sujet ? Nous remercions Laurent Quevilly pour le récit  et l'illustration.
Laurence



En droit, la disparition de Marguerite relève de ce que l’on appelait autrefois une absence, c’est-à-dire la situation d'une personne dont on ne sait si elle est vivante ou morte. En 1920, la procédure de déclaration d’absence existait, mais elle était longue et rigide : il fallait attendre dix ans sans nouvelles pour que la justice puisse officiellement présumer le décès, voire vingt ans sans opposition pour le déclarer définitif.

Or ici, Marguerite s’évapore sans laisser de trace. Elle ne se présente pas à l’audience de divorce, et aucun acte officiel ne signale sa présence ou son décès dans les décennies qui suivent. Cela en dit long sur le statut des femmes dans la société de l’époque : une épouse peut disparaître, littéralement, sans qu’aucune administration ne s’en émeuve durablement. Le divorce est accordé sans elle, la garde des enfants revient naturellement au grand-père paternel, et le silence se referme. La République ne s’embarrasse pas de ce qui reste alors une "histoire de femmes".
Une situation plus fréquente qu’il n’y paraît

Le cas de Marguerite n’est pas isolé. Des femmes disparues au lendemain de la Première Guerre mondiale, il y en eut plusieurs, souvent poussées par la pauvreté, la honte sociale, ou la pression d’un foyer devenu insoutenable. 1920, c’est l’entre-deux mondes : les hommes sont revenus des tranchées, blessés ou brisés, les familles sont recomposées ou éclatées, et les femmes, parfois, s’éclipsent pour refaire leur vie ailleurs, sous un autre nom. La société patriarcale n’offre ni refuge, ni solution.

La récurrence de ces disparitions familiales, souvent tues ou camouflées, rend la tâche des généalogistes d’aujourd’hui vertigineuse. Soudain, une branche se rompt sans avertir. On cherche dans les cimetières, les journaux, les orphelinats… et on ne trouve rien. Le vide administratif devient le miroir de l’effacement social.
Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, cette histoire résonne comme un appel. Elle pose la question de la mémoire des femmes, de leur droit à être identifiées, retrouvées, reconnues dans les archives et les récits familiaux. Elle rappelle aussi que la justice, si précise quand il s’agit d’ancre et de câbles électriques (comme dans l’affaire Sharpe), peut rester aveugle face aux silences de la vie privée.

Enfin, elle dit l’espoir obstiné de Laurence, la petite-fille, qui continue de chercher. Peut-être, quelque part, dans une fiche oubliée d’un registre colonial, d’un mariage sous pseudonyme, ou d’un cimetière d’outre-mer, repose la réponse.

Car Marguerite Florentine Mutel ne s’est pas effacée : elle attend d’être retrouvée.