Jean-Pierre Derouard
Des
relations entre les deux rives
Le
1er mai 1816, la découverte d'un noyé
à Barneville illustre les
relations entre ce village des bords de Seine et son
vis-à-vis, Le
Mesnil-sous-Jumièges. L'analyse de Jean-Pierre Derouard... |
Barneville-sur-Seine
et Mesnil-sous-Jumièges sont sur
la rivière de Seine :
on le sait, Barneville sur la rive gauche, le Mesnil sur la rive
droite, Barneville sur la rive concave et le Mesnil sur la rive
convexe du méandre de Jumièges. Les deux communes
sont vis-à-vis :
de Barneville, quand on traverse la Seine, on arrive au Mesnil
– et
vice versa. Des bords de Seine de Barneville, il est sans doute plus
facile de se rendre au Mesnil qu’à Yville, le
chemin étant
souvent interrompu par l’érosion du trou
de la Roche (parfois dit trou des Rouges-Terres), ou que sur le
plateau du Roumois, les chemins y menant étant fort pentus
et très
étroits et le chemin de halage qui suit la rive est
constamment
signalé comme impraticable.
Etat
civil de Barneville sur Seine, 1er
mai 1816
Archives
Départementales de l’Eure, 8MI262, pages 143-144
du registre
1813-1822
L’an mil huit cent seize le premier jour de mai cinq heures du soir nous adjoint de la cne de Barneville sur Seine canton de Routot arrondissement de Pont-Audemer sur la déclaration que vient de nous faire Pierre Danger domicilié en cette commune demeurant sur la rivière de Seine qu'il vient d'arrêter un cadavre qui flottait à la rivière et qu'il l'a fait attaché à son quai selon l'apparence les bruits publics ce cadavre serait celui d'un nommé Vauquelin du mesnil-sous-jumièges village situé vis à vis et sur la rive opposée que le corps paraissait dans un tel état de pourriture qu'il serait peut-être difficile de le reconnaître avons fait défense de tirer le cadavre de l'eau avant que nous y fussions présent avec la famille Vauquelin que l'on a de suite fait avertir nous nous sommes transporté chez ledit Pierre Danger a 6 heures du soir ou nous avons trouvé la femme et la fille Vauquelin en présence de 12 témoins dont 4 ont signé avec nous savoir Pierre Danger Pierre Armand du Mesnil monsieur Bouteiller lieutenant aux douanes Pierre Michel Denis employé nous avons demandé à ces femmes a quelles marques elle pourraient reconnaître l'une son mari l'autre son père puisque le cadavre paraissait tout pourri et a quelle époque Vauquelin avait disparu de sa maison elles ont répondu qu'il avait disparu le 12 décembre dernier et qu'on pourrait peut-être le reconnaître à ses habits il avait des sabots des bas bruns côtelés une culotte courte de velours sans boucles aux jarretières et par dessus un pantalon de cordois brun un gilet brun avec des manches d'étoffe blanche et par dessus un autre gilet brun à poches point de cravate un bonnet de laine nous avons ensuite fait retirer le cadavre de l'eau il était putréfié mais entier et ne paraissait porter aucune marque de violence et malgré la putréfaction nous avons distingué parfaitement ses bas de laine côtelés et sans talons on lui a retiré en entier son pantalon de cordois brun sous lequel il avait effectivement une culotte de velours sans boucle aux jarretières on pouvait également distinguer ses 2 gilets dont celui de dessus à poches et le cou sans cravate le tout tel qu'il avait été désigné par la femme et la fille Vauquelin…copie adressée à monsieur le procureur du roi et une autre à monsieur le maire du Mesnil vu que la famille Vauquelin a demandé que le corps fut repassé sur l'autre rive de la Seine pour être inhumé au Mesnil, ce que nous avons promis.
Ledit Vauquelin était né le 22 avril 1754 nommé Pierre Nicolas fils de Robert et Magdeleine Nobert en la commune du Mesnil sous Jumièges.
Etat
civil du Mesnil-sous-Jumièges, 2 mai 1816
Archives
Départementales de la Seine-Maritime, 3E999,
page 7 du registre 1816-1822
L’an
mil huit cent seize, le jeudi deux mai à cinq heures
d’après-midi ;
par devant nous maire, officier de l’état civil en
la commune du
Mesnil sous Jumièges canton de Duclair
département de la
Seine-Inférieure sont comparus Pierre Robert Vauquelin
âgé de
vingt-six ans, cultivateur, et François Clerel,
âgé de
quarante-quatre ans, journalier, tous deux demeurant en cette
commune, le premier neveu du deffunt, et le deuxième ami du
deffunt
ci-après ; lesquels m’ont
déclaré que Pierre Nicolas
Vauquelin âgé de soixante un ans né et
domicillié en cette
commune en son vivant cultivateur, fils de feu Robert et de feu
Madeleine Nobert ses père et mère demeurant en
cette commune et
époux de Marie Rose Conihout est mort le douze
décembre dernier
dans la rivière de Seine et trouvé le long de la
masure de Pierre
Danger cultivateur demeurant en la commune de Barneville sur Seine
ainsi qu’il apert par le procès verbal de monsieur
Rouget adjoint
du maire de laditte commune de Barneville sur Seine en date du
premier de ce mois pourquoi j’ai rédigé
le présent acte que les
dits comparants ont signé avec moy lecture faite le jour
mois et an
que dessus.
Pierre Danger, cultivateur, demeurant Barneville sur la rivière de Seine remarque un corps flottant sur la Seine. N’écoutant que son devoir, il l’arrête, ce qui demande sans doute qu’il ait utilisé une embarcation, et, suivant la loi, le fait attacher pour ne pas qu’il ne risque pas d’être emporté par le courant, à son quai (acte de Barneville) ou le long de sa masure (acte du Mesnil). L’heure de la découverte n’est pas précisée, mais Danger se renseigne à moins qu’on ne se soit présenté spontanément. Les bruits publics permettent de mettre un nom sur le cadavre : Vauquelin, habitant du Mesnil-sous-Jumièges.
A 5 heures du soir, Danger fait sa déclaration, sans perdre de temps après sa découverte, au service d’état civil de sa commune auprès de monsieur Rouget, adjoint au maire – il est au bord de la Seine et le centre de Barneville se trouve sur le plateau. A lire l’acte, il n’y a pas eu enquête d’une autorité comme le juge de paix, le cadavre n’est pas visité par un officier de santé comme cela arrive dans de nombreux cas – il est vrai qu’il est en état de décomposition – mais copie de l’acte sera envoyée au procureur. On interdit à Danger de retirer le cadavre de l’eau avant visite faite.
6 heures du soir : l’officier d’état civil se transporte chez Pierre Danger où la femme et la fille Vauquelin ont été amenées. Douze témoins se présentent : la scène amène la foule ! A remarquer : deux douaniers.
Vauquelin avait disparu le 12 décembre précédent (il porte plusieurs couches de vêtements, il devait faire froid), 140 jours plus tôt, presque 5 mois avant. Le cadavre paraît tout pourri et ne peut être reconnu que grâce à ses habits que la femme et la fille Vauquelin décrivent très exactement. L’officier d’état civil les ôte ensuite couche par couche du cadavre enfin retiré de l’eau et les décrit au fur et à mesure : il ne subsiste aucun doute sur l’identité du cadavre.
Vauquelin est inhumé le lendemain soir au Mesnil, à la demande de la famille. Le transport d’un noyé dans son village d’origine pour y être inhumé est une rareté. C’était sans doute de toute façon la solution la plus simple.Encore en 1879, le maire de Barneville demandera l’entretien du chemin du halage : « En outre pour enlever le corps des décédés on est obligé de faire des brèches dans les propriétés voisines pour accéder au chemin qui accède au cimetière communal. »
Le Mesnil se trouve sur l’autre rive de la Seine : l’enquête demande au moins trois traversées de la Seine, peut-être quatre, voire cinq, qui n’ont visiblement posé aucun problème ; et un aller-retour s’est fait en moins d’une heure, entre 5 heures et 6 heures le 1er mai. La Seine est à cet endroit large d’environ 250 mètres (chiffre de 1861).
Source
Archives
départementales de l'Eure et de la Seine-Maritime.