Par Laurent Quevilly-Mainberte
En 1894, une chenille jusque là pratiquement inoffensive commet des ravages inattendus chez les arboriculteurs. Une crise économique va frapper la presqu’île. Comme aux temps de la Révolution. C’est Henri Alais, l’instituteur du Mesnil, qui va alerter Fouché, le président du comice agricole, Noël et Houzeau, deux scientifiques.Fouché
et Noël, commis par le préfet, viennent mesurer les
dégâts : « Non
seulement les feuilles, les bourgeons et les fleurs des pommiers sont
dévorés. Mais encore une grande partie de la
jeune écorce. On croirait voir des arbres ayant subi les
atteintes d'un immense incendie ; certaines espèces,
notamment la reinette de Caux et les pommiers de pigeon, ont un aspect
noirâtre qui désole et leurs
propriétaires se demandent s'il ne serait pas
préférable de les abattre et de les
brûler, tellement ils désespèrent de
les voir revenir à la vigueur.
Les
chemins sont noirs des
excréments des chenilles, qui sont si nombreuses sur les
arbres qu'un grand nombre d'entre elles n'y trouvant plus de nourriture
meurent de faim et attaquent les végétaux des
environs, les ormes, les cerisiers, les aubépines, les
tilleuls en sont couverts…
C'est
à la
tombée du jour surtout que les chenilles de la cheimatobie
commencent à manger, et l'on entend alors sous les arbres un
bruit rappelant une averse de grêle, causé par la
chute des excréments qui forment sur le sol une couche
noire. »
« Le
fléau, qui au début de son apparition atteignait
à peine 10 hectares s’est étendu depuis
cinq ans sur une surface de 50 hectares et menace aujourd’hui
d’en envahir près de 1.000. Cette rapide
propagation s'explique aisément par le rapprochement
excessif des plantations de pruniers, dans lesquelles les branches des
arbres se rejoignent ce qui permet aux cheimatobies de circuler
d’un arbre sur l’autre et de favoriser ainsi la
contagion.
« Les pertes éprouvées par les habitants de Jumièges et de Mesnil-sous-Jumièges, victimes des ravages causés à leurs pruniers par la cheimatobi, sont évaluées (depuis 5 ans) à plus de 300.000 francs, et ces cultivateurs sont à la veille d'une ruine complète si des dispositions ne sont pas prises… Beaucoup de petits fermiers ont dû renoncer à la culture des prunes. Ceux qui possédaient quelques économies languissent en attendant une fin prochaine. »
Un remède contre ce fléau ? Le goudron de Norvège, sur une bande de papier, à 1,50m du sol. Manifestement, le remède finira, oserons-nous dire, par porter ses fruits… Les premiers à s’y essayer auront été Célestin Lamy au Mesnil, Eléonor Lambert et Louis Lamy à Jumièges. On cite aussi Bescherelle à Berville. Mais la réussite la plus spectaculaire, c’est une femme, Mme Gosse, de Jumièges, qui l’obtient sur son hectare de verger. Dès 1890, au début de l’épidémie, elle a utilisé la méthode. Elle récolte ainsi 400 paniers de prunes en 1893, et 1000 en 1894 quand les plantations de ses voisins sont dévastées. Pour elle, c’est une pleine année.
Annuaire des cinq départements de la Normandie / publié par l'Association normande, 1897