1819 : le premier mariage gay de l'histoire
Par Laurent Quevilly

Amoureux, ils se marièrent et... n'eurent aucun enfant. Entre légende et réalité, voici l'histoire du tout premier mariage gay de l'histoire.

Dans les premiers mois de 1819 apparût à Baracoa un personnage aux allures distinguées et vêtu avec élégance. Blond aux yeux bleus, cet homme de 25 ans se présenta aussitôt au maire de la ville à qui il exhiba quelques papiers administratifs. Ils attestaient que ce médecin formé à Paris et Madrid pouvait exercer son art à Cuba.

Dans cette ville où vivaient de nombreux colons français réfugiés d'Haïti, le Dr Henry Faber ne fut pas long à établir sa clientèle et nouer des relations avec la bonne société du pays. On le vit bientôt au chevet d'une jeune et belle orpheline de 16 ans, Juana de Leon, souffrant de tuberculose. Après quelques hésitations, le médecin finit par avouer son profond amour à sa patiente et son désir le plus ardent de l'épouser. A ces douces et flatteuses déclarations qui touchèrent les fibres de son cœur, Juana laissa transparaître son consentement sur son visage de vierge.

Le 11 août 1819, les deux jeunes gens se jurèrent union éternelle devant le grand autel de l'église Notre-Dame-de-l'Assomption. Ce jour-là, la communauté française et les compatriotes de Juana de Leon débordèrent de joie et d'allégresse. Au point que les journaux de Santiago-de-Cuba rendirent compte de ces noces célébrées par Don Phelipe Sáname.

Trois mois s'écoulèrent durant lequel le couple fila le parfait amour dans sa demeure. Quand, un matin, la domestique pénétra par inadvertance dans le cabinet de toilette. Nu, le médecin y prenait son bain et grande fut la confusion de la soubrette. Plus grande encore sa surprise. Le Dr Faber a les seins rebondis et le pubis sans verge : c'est une femme !


Baracoa vue du fort. Au loin, le profil du Yunke, montagne que les compagnons de Colomb prirent pour une forteresse, dit la légende...

Qui donc est cette mystérieuse transsexuelle ? Née à Lausanne, elle s'appelle Henriette Faber. Ses grands-parents, Jean Faber et Isabelle Caven sont de riches amateurs d'art. Seulement, elle est orpheline et se repose sur son oncle, Henri, baron de Avivery, officier dans l'armée française. C'est lui qui, à Paris, lui fait épouser un compagnon d'armes, Jean-Baptiste Renaud. Elle aura de lui un enfant mort-né. On dira aussi que le fruit de cette union lui fut arraché pour satisfaire une baronne stérile. En 1808, Henriette accompagne en tout cas son mari en Autriche comme beaucoup d'épouses d'officiers. Hélas, Renaud meurt à la bataille de Wagram.
A 18 ans, retournée à Paris, Henriette devient alors Henry et revêt l'habit masculin pour étudier la médecine. Elle servira ainsi en qualité de chirurgien militaire en Prusse et lors de la campagne de Russie. Transférée en Espagne, prisonnière des troupes de Wellington lors de la bataille de Vitoria, elle exerça à l'hôpital de Miranda-de-Ebro. Après la paix de 1814, on la retrouve, toujours en homme, toujours comme médecin, tout d'abord à Fort-Louis, en Guadeloupe, puis à Cuba. Elle débarque à Santiago le 19 janvier 1809 du navire Helvetia. A Baracoa, le faux docteur Faber soignera gratis les indigents et alphabétisera des esclaves. Avec les révélations de sa camériste, l'image d'un saint homme vient d'exploser.

Ainsi découverte, Henriette Faber tenta aussitôt d'acheter le silence de sa bonne. En recevant une forte somme d'argent, celle-ci jura devant Dieu et devant la Vierge de ne rien révéler. Mais elle ne put tenir sa langue et ne tarda pas à rapporter la chose à une tante. Laquelle raconta l'incroyable nouvelle à une autre, puis une autre encore jusqu'à ce que tous les Français, les Espagnols, les Créoles, les Indiens de Baracoa en soient scandalisés.

Furieux, l'oncle de Juana accourut à la maison de sa nièce et se fit menaçant. Il allait dénoncer sur l'heure le prétendu Dr Faber pour faux et usage de faux et demander en justice que soit cassé ce mariage contre nature. Contre toute attente, baignée de larmes, Juana supplia son oncle de n'en rien faire : « Il est mon mari devant l'Eglise et devant Dieu et, en tant que médecin, il a juré de me guérir ! » Juana avoua n'avoir eu aucune relation sexuelle avec son époux. Il lui disait simplement que le cœur passait avant tout. Mais l'oncle ne voulut rien entendre.

Sachant l'affaire au tribunal, Henriette Faber demanda audience à l'évêque de La Havane, Mgr Juan Diaz Espeda. Elle lui raconta que fort jeune, elle avait eu l'immense peine de perdre une sœur. Juana lui rappelait trait pour trait la défunte. Apitoyé, le prélat l'assura de son soutien. Henriette revint alors à Santiago avouer sa vraie nature au tribunal. On s'en assura en la déshabillant. Avant de la condamner à dix années de réclusion dans une maison d'accueil pour femmes. Apprenant cela, l'évêque obtint sa grâce auprès du capitaine général de l'île à une condition : qu'Henriette quitte Cuba. Quelques jours plus tard, assure-t-on à Baracoa, elle partit pour la Floride...
Quant à Juana, elle affecta dès lors une infinie tristesse. Mais jamais aucune plainte ne sortit de sa bouche. Huit ans après cette affaire, elle consentit à se remarier avec une jeune homme aisé de la localité, Don Eduardo Miguel Chicoy, et lui donna de nombreux enfants.

Une représentation de Juana. (Musée de Baracoa).

En Floride, le faux docteur Faber continua d'exercer la médecine en habits d'homme. Il, ou moins elle se forgea une nouvelle réputation et gagna beaucoup d'argent. Jusqu'au jour où elle décida de se faire nonne au Mexique. Elle mourut sous le nom de sœur Madeleine. Mais, à Baracoa, une légende veut que Juana ait quitté un jour la ville pour rejoindre Henriette...


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