37 ans de mandat ! A Yainville, on peut dire que Jean-Augustin Lafosse a traversé le siècle ceint d'une écharpe tricolore. Voici l'ébauche d'une biographie de ce maire qui restera l'un des plus marquants dans l'histoire du village...


Voilà un maire qui aura connu trois régimes : la Monarchie, l'Empire, la République. Quand Lafosse accède aux responsabilités, Yainville est encore figé dans l'ancien régime. C'est un petit bourg agricole dépourvu d'industrie et dont la seule préoccupation est de rouvrir son église, dénicher un curé et le loger.

Jean-Augustin Lafosse est né au Vaurouy le 24 octobre 1817. C'est un fils de bonne famille car ses parents, Jean-Louis Lafosse et Marie-Rose Ponty, sont de gros cultivateurs. Le document ci-contre nous montre son père acheter une ferme à la famille Grain en 1837.
Pierre Lafosse, grand-père de Jean-Augustin, avait eu aussi du bien au Vaurouy et sa chaumière avait été nationalisée à la Révolution, ce qui avait donné lieu à réclamation.

Le 12 juillet 1841, à 24 ans, Jean-Augustin Lafosse va épouser à Jumièges Marie Rosalie Heuzé, cultivatrice elle aussi.
Adjoint du sieur Mettérie, Lafosse, comme tous ses concitoyens, mène une cabale contre le maire en place, qualifié de voleur, dictateur et autres qualités.


Quand Metterie sera destitué, Lafosse ira chercher chez lui les documents de la municipalité. Certains manquent à l'appel, comme le registre d'état-civil de 1826.
L'église a rouvert ses portes depuis deux ans et l'abbé Lefebvre en est le curé.
Nous sommes alors à la fin de la Restauration et le nouveau maire commence par jurer fidélité au Roi. Nous sommes le 19 février 1848. Quelques jours plus tard, le 2, mars, Louis Philippe ayant été renversé, Lafosse donne son adhésion au gouvernement provisoire de la Seconde République. Avec ses conseillers, ils demande au commissaire du gouvernement le maintien du conseil d'Yainville jusqu'aux prochaines élections.
Entre temps, un des premiers actes du nouveau maire aura été de choisir un garde-champêtre entre deux anciens douaniers : François Lafosse et Honoré Grain. Les élus votent en faveur de Lafosse mais c'est le préfet qui tranchera. Notre maire a pour premier adjoint le citoyen Lambert.
S'il adhère à la République, le conseil d'Yainville n'épouse pas en revanche son idée de créer des ateliers de charité afin de résorber le chômage. On compte ici trop peu de manouvriers et ils sont employés aux travaux agricoles, l'exploitation des bois, les travaux des halages, des carrières...
Lafosse, déjà un classique à l'époque, dit traîner aussi comme un boulet la mauvaise gestion de son prédécesseur, notamment l'affaire Ouin. Et puis Yainville reste devoir de l'argent à Cottard qui a réalisé les travaux de l'église et dont on estime la facture trop élevée. Il faudra recourir à l'emprunt. On se remboursera par centimes additionnels et la vente de chemins déclassés.
Un nouveau conseil installé le 15 août 1848. Autoir de Lafosse, on trouve Jean Isidore Aubé, Quevremont aîné, Jacques Thuillier père, Antoine Sécard, Pierre Paul Grain, François Mabon, Jean-Louis Lafosse père, Joseph Jeanne et Thomas Grain.
Lafosse est élu maire par neuf suffrages contre un pour Mabon. Pour le poste d'adjoint, Aubé obtient sept voix contre trois pour Mabon.
En ouvrant la nouvelle mandature, on estima que les fossés courants et dormants de la communes nécessitaient des réparations urgentes ainsi que les digues pour se préserver des grandes inondations.

Le mandat de Lafosse sera marqué par l'ouverture de l'école, le développement des carrières, l'arrivée du train, la création du bac, la construction d'un presbytère, l'occupation prusienne...

 En 1862, l'école d'Yainville était installée dans sa ferme. La famille Lafosse occupe la partie centrale du village, près de l'église.

Les fermes de la famille Lafosse sont les deux bâtiments figurant en haut de ce plan.

Le trou des hoguettes...


Lafosse possédait aussi des propriétés à Jumièges. Précisément deux terrains cadastrés sous les numéros 756 et 757.


Voici les propriétés de Jean-Augustin Lafosse, maire de Yainville

Vers 1854, pour lutter contre les ravages du fleuve, il investit avec quelques autres dans l'édification d'une digue destinée à protéger la section A, contigue à ses propriété. Pour sa part, il sort 4000 F de sa poche. Quand à sa prairie, la 756, il dépense 3000F pour la protéger à l'aide d'un perré.

Seulement, la digue est bientôt détruite et il est impossible de poursuivre les travaux en amont, le long de la parcelle 756.
Aujourd'hui se dessine une échancrure de 150 m. Et l'érosion se poursuivra jusqu'à l'envahissement complet du terrain.

Les deux fils de Jean-Augustin seront impliqués dans la vie jumiégoise. Augustin, l'aîné, sera conseiller municipal et secrétaire du conseil de fabrique. Mais avant cela, en 1852, il fut le président de la fanfare de Jumièges dirigée par son frère Pierre.

Alors, le 18 décembre 1868, quatorze ans après les premiers travaux, Jean-Augustin Lafosse se tourne vers le Sénateur-Préfet. Soit on lui rembourse les frais engagés. Soit l'Etat prend à sa charge de nouveaux travaux de protection. Et ce, en puisant sur le fonds voté chaque année par le gouvernement pour les travaux d'entretien de la Seine.


Le trou des hoguettes

L'ingénieur en chef des Ponts & Chaussées est consulté. Les travaux effectués en 1854 étaient une initiative d'intérêt purement privé. L'Etat, s'il avait été alors sollicité, n'aurait déjà pas porté la main au portefeuille. Pas plus qu'il n'a à le faire aujourd'hui. La dépense est estimée à 2.500F. Les travaux engagés permettraient à Lafosse de gagner 35 ares de terrains d'alluvions à son seul profit. Il n'y a pas ici de chemin de halage puisqu'il se situe sur la rive opposée. Bref, nous sortons totalement du cadre de l'intérêt général. Alors, le 24 février 1869, la réponse de l'Etat est nette : c'est non.



Localisation des trous des Hoguettes et des Hogues sur une

 carte de navigation communiquée par Jean-Pierre Derouard


Vingt ans plus tard, quand d'autres riverains comme Silvestre ou la veuve Denomaison formuleront le même type de demande, l'administration applaudira cette fois des deux mains. Va comprendre...

En 1881, Lafosse écrivit à de Coëne, président de la Société pour la défense de la vallée de la Seine.

Monsieur,

Vous avez bien voulu, par votre lettre du 29 septembre dernier, m'inviter à vous faire part des observations que pourrait me suggérer la lecture du rapport de M. J.-L. Vauthier, ingénieur, membre du conseil municipal de Paris à M. le maire de Rouen "sur l'amélioration dont sont encore susceptibles la Seine maritime et son estuaire.
Riverain de la Seine et témoin des phénomènes journaliers que produisent les courants de marée et ceux du jusant, ma conviction est que : tous les travaux qui tendraient à améliorer, à régulariséer le flot et le retour des eaux à la mer rendraient à la navigation d'abord et aux propriétaires riverains ensuite — et ils sont nombreux, — les plus signalés services.
Parmi ces moyens, j'ai la plus grande confiance :
1) Dans la prolongation des digues de la Seine au-delà de l'embouchure de la Risle, suivant le projet de M. Vauthier ou tout autre analogue.
2) dans l'établissement des berges indiguées des deux côtés du fleuve, et sans solution de conitnuité jusqu'à Rouen, déterminant le rétrécissement progressif et régulier du chenal.
La marée, alors, pénétrerait puissante et mesurée, elle n'accumulerait plus, comme aujourd'hui dans le lit du fleuve, le produit des érosions des berges, le jusant descendrait avec une immense puissance et abaisserait promptement, par une chasse énergique, le niveau des seuils qui entravent actuellement la navigation.
Les considérations de l'auteur et les conséquences qu'il tire des résultats déjà obtenus par les précédents travaux en faveur de ceux qu'il préconise m'ont paru de la plus grande justesse.
J'apporte donc l'adhésion la plus large à son projet.
Nota. — La commission n'aurait-elle pas à examiner si, à l'Etat, propriétaire des fleuves et de leurs halage et contre-halage, n'incombe pas l'obligation de garantie d'intégrité des propriétés particulières situées au-delà de ces voies ?
Recevez, Monsieur le président, mes respectueuses salutations.
Lafosse

Il serait vivement à désirer, conclut le journal, que, dans l'intérêt de l'œuvre, aussi bien que dans celui des propriétaires riverains de la Seine, M. le maire d'Yainville trouvât des imitateurs.

En décembre, Lafosse reprit ce texte sous forme de délibération et fit voter son conseil municipal. Il le signa en compagnie de "V. Lesain, Prévost etc."  Ce texte fut une nouvelle fois cité en exemple si bien que le  sieur Cordier le déposa sous forme de pétition sur le bureau du Sénat le 1er mars 83 :

Pétition no 18 (du 1er mars 1883) déposée par M. le sénateur CORDIER). — Les membres du conseil municipal de Yainville (Seine-Inférieure) adressent au Sénat une pétition relative aux travaux d'amélioration de la Seine maritime.

Rapport. — Les membres du conseil municipal de Yainville (Seine Inférieure) vous ont adressé une pétition appelant votre attention sur l'urgence d'améliorer le lit de la basse Seine à l'effet, pensent-ils, de mettre les riverains du fleuve à l'abri de ses débordements sur leurs propriétés ou du moins d'atténuer les effets de ses inondations.
Les pétitionnaires demandent : 1° Que les travaux de réparation des digues longitudinales soient entrepris le plus rapidement possible ;
2° Que les travaux d'amélioration du lit de la Seine maritime, en vue de porter le tirant d'eau à Un minimum de 7m30, soient exécutés de manière à compléter les travaux d'amélioration de la Seine fluviale ayant pour but d'y porter le tirant d'eau à 3m20.
Votre commission, sans vouloir préjuger les effets que ces travaux pourront produire sur les inondations lors des crues du fleuve, considère la demande des pétitionnaires comme intéressante et elle vous propose de la renvoyer au ministre des travaux publics. 


La mort de Lafosse intervint
à Yainville, le 3 mars 1884, et fut relatée ainsi par le journal Le Pilote. "Il s'est affaissé au moment où il achevait de déjeuner. La mort a été instantanée." Si l'on se réfère à l'état civil, Jean-Augustin Lafosse succomba au domicile de Mme Frémont, à 8h du matin. Son adjoint, Patrice Costé, rédigea l'acte de décès sans mentionner la qualité de maire du défunt. Il le dit natif de Duclair sans préciser la date, indiquant simplement qu'il était âgé de 70 ans. Son fils Augustin, propriétaire à Jumièges, 41 ans, signa en compagnie de l'instituteur, Paul Milliot. Patron des carrières, Emile Silvestre lui succéda.


Sources Hoguettes: Jean-Yves et Josiane Marchand, archives départementales. Rédaction : Laurent Quevilly
Etat civil d'Yainville.