Dans la malle du grenier

La lettre d'une petite Yainvillaise
1913 ! Ce doit être
le document écrit le plus ancien conservé dans ma
famille. Cette lettre a été écrite par une sœur de
ma mère : Hélène Mainberte. Et elle est
émouvante...
A
la rentrée de 1913, alors âgée de 6 ans,
Hélène Mainberte partit su hameau de Claquevent, au bord de la
Seine pour rejoindre avec sa fratrie l'école de Yainville, alors
dirigée par M. Vimont, un instituteur plutôt
sévère et quelque peu bancal. Des yeux bleus,
c'est une petite blonde aux traits fins, bref, le physique
typique des Mainberte. Sa marraine n'est autre que sa sœur aînée,
Thérèse, qu'elle vouvoie. Manifestement, elle est une élève studieuse
car quatre mois après la rentrée, pour la nouvelle année, elle rédige
une lettre assez étonnante pour une gamine de cet âge, tant par la
qualité du texte que celle de son écriture. Sans doute lui fut-elle inspirée par
son maître. Voilà qui témoigne en tout cas de l'efficacité de sa
pédagogie. En voici le texte:

Je vous aime de tout mon
cœur et je viens vous le répéter à
l'occasion du nouvel an. Je vous remercie de votre tendre bonté
pour moi et vous prie d'agréer en même temps que ma
reconnaissance, mes vœux et mes souhaits de bonheur et de bonne
santé.
Je ne sais quoi vous dire de meilleur et je vous embrasse
chère Marraine bien affectueusement. Votre petite filleule.
Hélène Mainberte
Yainville, le 31 décembre 1913.
La Saint-Sylvestre passée, la nouvelle année qui s'ouvre
sera terrible. Elle commence par un temps exécrable. Elle
s'achèvera dans la guerre. A la mi-janvier, la Seine commence
à charrier des glaçons. A Yainville, les enfants font
glisser des "bargeoles" en bois dans les prairies inondées. On
se joue des frimas mais ce froid provoque des congestions. Primeurs et
légumes renchérissent.
Le dégel s'amorça enfin le 26 janvier et la Seine
retrouva son cours normal. Mais à la mi-mars sévit une
forte tempête. Chutes d'arbres, toitures arrachées, lignes
télégraphiques rompues. Si bien que la navigation cessa
de nouveau sur la Seine.
Hélas,
en avril la petite Hélène cessa de vivre dans sa 7e
année. On pensa à une méningite. Peut-être
une coqueluche... "Je vous aime de tout mon cœur",
écrivait-elle encore quatre mois plus tôt. Bien plus tard,
son frère Émile baptisera l'une de ses filles du
prénom d'Hélène, la petite blonde aux traits si
fins...
Née
à Yainville en 1896, Thérèse Mainberte, la
destinataire de la lettre, la confia au soir de sa vie à une
nièce, Raymonde Mainberte, qui a son tour m'en fit le
dépositaire avant de mourir. Je la conserve précieusement et y tiens comme à la prunelle de
mes yeux.
Laurent QUEVILLY-MAINBERTE.
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