Objet : lettre imaginaire
Le facteur a eu du mal à trouver cette
drôle d’adresse. Ce nom. Il a regardé
dans son annuaire, cherchant une Yvette Pascual à Gambetta. « C’est
quoi Gambetta, c’est où Oran ? »
Sourcils relevés sur des yeux curieux, il continuait
à chercher pendant un moment, très professionnel.
Comme il ne pouvait perdre trop de temps, il se tourna vers son
collègue Amed, qui lui dit tamponne l’enveloppe et
glisse là dans la case Algérie.
Et au bout d’un long mois, Yvette
reçut une enveloppe écrite à son nom,
datée de 1958. Surprise, curieuse, elle l’ouvrit
en se demandant qui pouvait bien lui envoyer cette jolie carte
anniversaire pour ses 14 ans. Assise sur un bord de trottoir. Elle lut :
Coucou Yvette,
je suis heureuse d’avoir pu t’écrire en ce joyeux jour d’été du 10 juin. Ma carte a mis beaucoup de temps, elle s’était perdue. Elle a longtemps voyagé, traversé terre et mer, mais enfin elle est arrivée pour te faire un gros bisou en ce jour heureux et te raconter.
Elle remonte le temps, elle te retrouve, petite
fille, dehors, comme tu le faisais souvent, attendant tes copines pour
aller jouer, dans la rue de ce joli quartier de Gambetta sous le ciel
bleu de ce pays de soleil, de chaleur, de mille senteurs odorantes, de
rires, de voix mélangées que tu comprends si
bien. Elle va t’accompagner jusqu’à ce
bord de falaise, assise sur ce muret, qui ouvrait grand ton regard, sur
le large d’une mer calme, sur ces barques qui dansaient, sur
ce long bateau blanc que tu suivais main en visière. Elle va
te rappeler tes frères et sœurs, ta
mémé, ton pépé, ta
mère Renée ton père José,
toutes ces milles amours qui t’ont construite, qui
t’ont aidée à sortir de la petite
enfance, pour devenir une jolie jeune fille.
J’arrête
ma petite carte, je n’ai plus la place
d’écrire et d’ailleurs, ce que je
pourrais mettre en plus, te ferait de la peine, il y a des choses que
tu n’as pas besoin de savoir, tu as encore le temps,
d’abord je t’en ai trop dit, pardonne moi, joyeux
anniversaire et sois heureuse.
Troublée, Yvette remis la carte dans son enveloppe. Elle savait qu’elle la relirait encore et encore.
