Par Laurent Quevilly
 et Marc Ribès

Comment diable ce jeu, né à la Ciotat, a-t-il pu s'enraciner en terre de dominos ! Préhistoire de la Pétanque yainvillaise...

Au café de l'Église, en bon Normand, on aura longtemps tapé la belote, la coinche ou encore le domino. Des parties à n'en plus finir. A tel point qu'après messe, le chantre faisait souvent attendre son curé qui, venu avec lui en voiture, s'impatientait de remonter à Jumièges. Plus d'une fois le choriste est rentré chez lui à pied.

Mais jusque dans les années 20, le dimanche, la jeunesse  jouait aussi à la "plaque". Les parties se disputaient sur ce que l'on appelait alors pompeusement la place du village, triangle étriqué dessiné par le croisement des routes devant le monument aux morts. Sur un petit billot de bois, la butte, chaque joueur mettait sa mise. Une pile de sous qu'il fallait "décaniller" en lançant un palet de plomb ou de fonte comme il s'en vendait chez le quincailler de Duclair.
On jouait généralement à six et l'ordre d'entrée en jeu se tirait à la courte-paille. Bref, on gagnait la monnaie tombée plus près de sa plaque que de la butte. Le reste retournait sur le billot de bois appelé encore... le bouchon. Oui, le bouchon. Voilà qui nous conduit tout droit à la pétanque. D'ailleurs, c'est sous ce nom que se joue le bouchon dans certaines parties de Normandie où il a perduré.

En 1959, après avoir transité par Le Trait, Roger et Jeannette Andrieu succèdent à Mme Greux au café de l'Église. Le couple nous vient du Midi. Aussitôt, le Méridional entraîne ses clients à l'ombre d'un cognassier sur le terrain situé entre la barrière de l'église et la petite maison normande occupée par Mme Convert. On joue aussi en contre-bas de l'établissement, près de la haie des Pourhomme. Et puis, les choses devenant sérieuses, le vaste espace s'étendant près de la Poste est très vite investi.

Pour structurer cette section un bureau fut constitué sous la présidence de son fondateur. Jean Ottomani en était le vice-président, Jean-Claude Gosse secrétaire, Michel Dufresne le secrétaire adjoint. Mme Roland Quevilly s'occupait de la trésorerie, secondée par Lucien Sénard. Enfin les membres du bureau étaient Jacques Bellet. Daniel Tueur et puis José Pascual et Christophe Ribès, fraîchement rapatriés d'Algérie et qui retrouvaient là un peu de soleil du Sud.

Et la section grandit avec bientôt une trentaine de joueurs formés au fil des entraînements. L'affiliation officielle à la Fédération française de Pétanque et de Jeu provençal n'intervint que quatre ans après le lancement du premier cochonnet. La nouvelle paraît dans le Journal officiel du 10 mars 1963. Année faste ! On voit deux triplettes accéder aux championnats de France. Les cadets Robert Coquin, Jacques Nouvel et Michel Pichon, les juniors Pierre Decaux, Christian et Jean-Marie Nouvel.






Jacques Nouvel et Michel Pichon, champions de Normandie, entourés de leurs adversaires.














En 1964, une triplette yainvillaise remporte le championnat de Seine-Maritime. Plusieurs titres de champions de Haute-Normandie suivront. En 1967, Jean-Claude Decaux et Jean-Claude Gosse accèdent encore au championnat du département.


Près du père-fondateur accroupi, un jeune joueur yainvillais réfléchit, une main sur la hanche, l'autre sous le menton. C'est Michel Pichon qui, hélas, sera terrassé à 18 ans sur le terrain de foot de Yainville...

Ci-dessous, un coupure de presse de l'époque. On voit que le concours est parrainé par Paris-Normandie et l'incontournable maison Ricard. Sympa. Mais faire oublier le cliché "Pastaga" de cette pratique sportive, car c'en est une à part entière, équilibrer la moyenne d'âge, féminiser les adhésions, tels sont trois des enjeux du club yainvillais. Et il y parviendra.




Quand la famille Andrieu quitte Yainville, en 1973, ce sont en tout une cinquantaine de coupes qui auront été gagnées  par les équipes locales depuis leur création
.


Un dirigeant de la fédération remet une coupe à Jean-Claude Decaux, Alain Chambellan , Jacquot Bellet avec le chapeau, Jean-Claude-Gosse, Pierrot Decaux...


Les participants aux six concours ouverts aux Yainvillais montent en puissance. Yainville remporte encore le Challenge Inter-clubs et espère bien récidiver en 86 pour se l'attribuer définitivement. Ce qui sera fait. C'est le président Gosse qui s'octroie le challenge du meilleur licencié devant Lias et Lobgeois.

Norbert Mauger président

Représentant de commerce né au Tronquay en 1928, Norbert Mauger reprend alors le café et dirige tout naturellement le club de pétanque sous la présidence d'honneur du maire de la commune, Henri Marcilloux. Jean-Claude Gosse est devenu vice-président, Madgid Zouaoua secrétaire, secondé par Jean-Claude Decaux, Marie Paul Bruneau trésorière avec Michel Quesney pour adjoint. Le bureau se compose enfin de Bernard Dubos, Jacques Chavet et Christian Bruneau.

Norbert Mauger.



Jacquot Bellet, Jean-Claude Decaux, Jean-Marie Nouvel, Alain Chambellan, Alain Bellet, Jean-Claude Gosse et Pierrot Decaux.

En 1977, on compte plus de 50 licenciés. Chaque concours organisé à Yainville voit s'inscrire plusieurs dizaines de doublettes. 1977, c'est aussi l'année où une triplette yainvillaise gagne encore les championnats de Seine-Maritime et se qualifie pour les épreuves nationales à la Courneuve. Il s'agit de Gérard Bonamy, Jean-Claude Decaux et Bruno Villers.
Le jour de la Sainte-Madeleine, on verra un challenge Pierre-Decaux remporté par les deux frères de ce nom : Michel et Hervé Decaux. Pour financer le club, un bal est donné, des concours de dominos organisés, bref, les fondamentaux normands...

Jean-Claude Gosse président

En 1980, Norbert Mauger passe la main pour présider le comité des fêtes. Un nouveau bureau est alors constitué, présidé par Jean-Claude Gosse. Vice-président : Marcel Pastor, pied-noir lui aussi. Secrétaire : Christian Pimont. Trésorier : Patrice Pourhomme secondé par Michel Quesnay. Les membres du bureau sont Michel Homo et Christian Guest.

En 1983, le nombre de licenciés est redescendu à 36, dont deux juniors, mais plusieurs concours sont organisés chaque année : deux officiels réservés aux licenciés, trois en doublettes formées et trois à la mêlée tournante, tous réservés aux licenciés.
Toujours en 1983, un challenge inter-clubs fut créé entre Anneville, Duclair, Varengeville et Yainville. Dès la première rencontre, trois équipes yainvillaises mettent leur club en position de remporter le challenge. On le doit à Amourette-Rougerole, Nouvel-Marie, Pastor-Pimont qui figurent aux trois premières places. Patronné par le comité des fêtes, le challenge Pierre-Decaux a toujours lieu sans le cadre de la Sainte-Madeleine.


L'heure de compter les points.

1984 : la Pétanque yainvillaise termine la saison avec 44 licenciés qui raflent le Trophée Inter-club grâce à trois victoire sur quatre. Quant aux concours ouverts aux Yainvillais, licenciés ou non, ils se disputent... sans disputes, "la qualité première du joueur de boule étant de savoir perdre avec le sourire", rappelle le club.


1985 voit le club retrouver 50 licenciés. Il démarre la saison avec le concours fédéral. Yainville et Duclair se marquent à la culotte dans les quatre rencontres inter-clubs. Désormais, on attribuera par ailleurs un trophée annuel du meilleur licencié.




Le premier terrain au centre de Yainville après aménagements


En 1986, Yainville organise deux concours fédéraux. Ainsi s'écrivait alors l'histoire du club : de nombreuses victoires en Inter-Club, des joueurs bien placés dans le concours fédéral comme en juin 88 où plusieurs équipes accèdent aux quarts de finales.

L'année du bicentenaire de la Révolution, la paire Amourette-Rougeole se distingue encore en remportant le concours de la Sainte-Madeleine. Les trois meilleurs joueurs du club sont à lors les citoyens Lefèbvre, Lias et Rougeolle.


Aménagé en 1996, le second terrain à l'emplacement de l'ancien poste de garde de la centrale...

Aménagé en 1996 près du bac, doté d'un abri, le nouveau terrain communal fut inauguré par l'accueil de 80 doublettes. On comptait alors 45 licenciés. La vie du club ? La voilà résumée avé l'accent :

— Ho ! petit, et la pétanque, ça marche ?

— Si ça marche ? Je veux ! Une cinquantaine de licenciés dont, tenez-vous bien, une femme... Des anciens qui roulent bien puisqu'ils ont terminée premiers de leur catégorie sur le secteur de Rouen en 1996. Un concours plus de 55 ans avec 72 doublettes. Un concours seniors avec 59. Et puis, un concours par mois réservé aux Yainvillais, licenciés ou non, la Sainte-Madeleine qui approche. Comme tu vois, le bureau ne manque pas de boulot et grâce aux petits coups de main de quelques bénévoles, on se débrouille plutôt bien.

— Au fait, les terrains, tu les a essayés ?

— Pas mal, hein ! Alors, si tu ne tâtes pas le petit à chaque mène, change de sport ou prends des notes. Bon, salut, j'ai une belle à faire. La prochaine fois, amène tes boules, on en fera une petite...



En 1999, pour les 40 ans du club, le bureau s'étoffe avec l"arrivée de Denis Pastor, Jean-Louis Lias, Serge Boutard, Michel Decaux, Alain Foutrel, Dominique Lefèbvre, Jean-Claude Rivette...

Jean-Claude Gosse passa le relais en 2014. Licencié dès la déclaration officielle du club, il l'avait présidé 35 ans. Un bail. Un bail aussi long que son mandat au conseil municipal. Patrice Pourhomme lui succéda, Joseph Vastey étant secrétaire, Jean-Louis Lias trésorier.

C'est l'année des 50 ans du club, le 8 septembre 2019, que Jean-Claude s'éteignit à Rouen. Il avait 81 ans.

Depuis, mais ça, c'est une autre histoire, bien des noms se sont encore inscrits au palmarès de club qui avait fait ses premiers carreaux à l'ombre du cognassier. Il aura donné de beaux fruits.


Rédaction : Laurent QUEVILLY.
documentation : Marc RIBÈS