Par
Laurent Quevilly-Mainberte
Je suis né à Caudebec-en-Caux le jeudi 19 juillet 1951. A 16 h 30 pour être précis. Et que veut dire Caudebec en vieux norrois ? "Ruisseau chaud", vous diront certains. "Ruisseau froid", répondront d'autres. C'est donc avec tiédeur que je revendique mon lieu de naissance la quasi-totalité de mes ancêtres étant attestés dans la presqu'île de Jumièges côté maternel tandis que les paternels gravitent autour de Duclair. Il me reste le privilège d'avoir vu le jour dans l'antique capitale du Pays de Caux. Mais je devais normalement naître à Yainville. Normalement...
En 1942, mes parents avaient accueilli un
premier garçon qui était passé, si
j'ose dire, comme une lettre à
la poste. L'événement
avait eu lieu dans la petite chaumière que la Commune louait
à ma famille, tout près de la mairie. Alors
pourquoi
aller
naître à
Caudebec ? C'est
qu'entre mon frère et moi, il y eut une fille : Catherine.
Le 18 décembre 1949, cet angelot ne séjourna que
quelques
heures sur cette basse terre. Sauf dans
ma tête. Plus tard j'allais souvent imaginer
qu'elle
vivait toujours, quelque
part, dans une ferme de Jumièges, recueillie par une famille
d'adoption. C'est le propre des enfants sans sépulture que
de
hanter nos rêves de gosses. Et puis, comme c'est souvent une
tradition, une cousine germaine sera appelée Catherine. Vous
l'avez peut-être connue. Blonde comme les blés. Eh
bien ce
fut en souvenir de ma sœur. Oui, ma sœur...
Cette
disparition
causa un immense chagrin à la maman. Lorsqu'elle
rédigea
ses vœux de bonne année, quelques jours plus tard,
elle le fit avec ce fatalisme très chrétien sans
doute
inspiré par
l'abbé Coupel. Lui qui justement écrira
à propos
de la mort
prématurée de ma mère :
" La vie
éternelle, c'est la réalité. Notre
passage ici-bas
est une ombre fugitive..."
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Décembre 49. La belle écriture d'Andréa Mainberte où se lit la résignation
Du coup, lorsque ma mère attend un
troisième enfant, votre serviteur, il est
absolument hors de question
d'accoucher dans
la petite chaumière communale. Ni même dans la
maison neuve que mon père vient
d'édifier seul, sente aux Gendarmes. Non, quand le terme
sera venu, Andréa ira accoucher à la
maternité de Caudebec. Par sécurité...

Cette
maternité, elle existe depuis
1910 dans le vieil hospice de Caudebec. Vieil hospice, car il est
attesté dès 1205, époque
où vivait mon ancêtre connu le plus
reculé : Hugues de
Mainberte. De quoi donner le vertige.
L'établissement fit quelques sauts de puce sur
la carte intra-muros du vieux Caudebec avant de
s'établir définitivement en bord de Seine en
1688. Ce fut
dans une maison
cédée par le sieur Noël de La
Bucaille.
Au cours de sa longue histoire, l'hospice
Saint-Julien accueillera des mendiants, des vieillards, des enfants,
des
militaires, des pensionnaires et tout de même des malades,
des
infirmes et quelques insensés,
enchaînés à un poteau.
Quand s'ouvre la maternité, en 1910,
seuls trois lits sont réservés aux parturientes.
En 1946, sous la
direction de sœur Saint-Benoît, une salle de cinq
lits est
aménagée. Supérieure,
prétendue miraculée de Lourdes, cette sage-femme
est entourée
d'aides-soignantes dans son service.
Trois autres religieuses de la congrégation Notre-Dame de Charité vivent et travaillent dans l'hospice : sœurs Saint-Henri, Sainte-Marie-Esther et Saint-Germain. Sans parler du personnel civil. Comme Mlle Auzou, au secrétariat et qui sera bientôt directrice. C'est donc là que je suis né, le 19 juillet 1951.
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J'ai
trois photos de l'événement. Ma mère
me donnant
le sein dans le dortoir aux murs recouverts d'un carrelage blanc.
Beaucoup de jeunes mamans ont été
photographiées avec ce décor. Puis on voit
Andréa
et moi arrivant à Yainville à bord de la
traction-avant.
Elle a l'air un peu déçue, elle qui
s'était tant
réjouie
d'avoir une fille pour second enfant. Mais sur les autres images,
elle retrouvera vite le sourire et ne me quittera plus des yeux.
Ma première sortie officielle fut une promenade en landau
par
le chemin du bord de
Seine qui mène aux Fontaines, lieu-dit qui marque la limite
entre Yainville et Jumièges. L'endroit a
dû
m'inspirer. Mon grand-père maternel, Emile Mainberte, y est
né.
C'est
aussi le cadre
d'une magnifique gravure anglaise où l'on voit les femmes de
mon
pays dans
leur costume traditionnel.
Quelques semaines après ma naissance,
une femme qui avait accouché en même temps que ma
mère et partagé ainsi son dortoir vint lui
rendre visite à Yainville avec sa petite fille. Il fut
tiré deux photos
de ces
retrouvailles. Toute ma vie, je me suis demandé qui pouvait
bien
être cette sœur cosmique. Et
puis un jour, prenant le taureau par les cornes, Nathalie
Lemière, la webmaster de Sequana-Normandie, a
poussé la
porte de la mairie de Caudebec...
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J'appris alors que
la première fille a qui j'ai fait du pied avait pour nom
Annick
Greverend, née quelques heures avant moi, le 18 juillet
1951. Épouse
Dinard, elle sera infirmière à Caudebec. Or je
fus un temps
infirmier, époux d'une infirmière,
père d'une infirmière. Et puis Annick est une
grande collectionneuse de plaques photographiques. Le hasard ?...
Je
suis donc entré en contact avec ma jumelle astrale.
Réponse :
" Un grand merci pour les photos et l'historique - très
touchant
! Je pense que ma mère aurait été
surprise que je
lui montre ces photos. Celle-ci est
décédée en
septembre 2018 à l'âge de 95 ans. Elle a
passé
les cinq dernieres années de sa vie à l'Ehpad
Maurice-Collet de Caudebec qui fut construit à la place de
la
maternité ou nous sommes nés."
Décidément, le hasard fait bien les choses.
Sœur Saint-Benoît. En 25 ans, combien d'entre nous a-t-elle mis au monde ?
Quand
Annick m'écrivit, l'Ehpad Maurice-Collet était en
pleine
rénovation. Manque de place, vétusté
des locaux.
La maternité avait donc mis fin
à
son
histoire depuis des lustres. En 1955, pourtant, on y comptait encore
120 naissances, soit 1174
journées hospitalières. Le 31 mai 1960, on y vit
même débarquer
des triplés. La capacité passa à 13
lits en 1963,
sœur Saint-Benoît
étant alors épaulée par trois
aides-soignantes
renforcées par une
infirmière en 1966. En 1969, année où
je quittais
le pays pour la
Royale, celle qui m'avait fait venir à la vie sentit sa fin
prochaine. Elle décéda en 1972 et le
préfet ferma
la maternité.
Hélas, vers mes 7 ans, ma
mère fut
emportée par un cancer du sein. Plus tard, mon
père eut l'élégance
de l'attribuer à mes morsures de nourrisson sevré
trop tardivement...
"Né
le 19 juillet à 16 h 30."J'ai
toujours aimé cette précision d'horloger suisse
car elle
me permet une petite vantardise : Celle d'avoir obtenu
mon permis de conduire avant mes 18 ans. Je l'ai passé en
effet
le jour pile de mon anniversaire... à 11h du matin
! Or je ne fus majeur que dans l'après-midi.
Je
suis retourné roder quelques fois sur les lieux de ma
naissance. Quand
mon cousin Bernard Chéron, le passeur du bac d'Yainville, se
retira à la maison de retraite Maurice-Collet, nous sommes
allés le saluer dans ce bâtiment neuf dont les
grandes
baies vitrées donnent sur la Seine.
Une autre fois, ma cousine Catherine organisa une fête de
famille
à la Ferme de Saint-Pierre-de-Manneville. J'y ai
retrouvé des amis d'enfance comme Jean-Jacques Lefebvre et
Philippe Homo. J'ai profité de ce séjour pour
pousser à Caudebec et poser
devant
l'hospice Saint-Julien.
Rives-en-Seine ? Jamais !
Un autre fois, je ramenais des coques pêchées à l'île des Chevaliers. Quand un jeune gendarme me dresse procès-verbal, pour coquillages sous-taille.
— Nom,
prénom, lieu
de naissance ?
— Caudebec-en-Caux. Mais ça s'appelle aujourd'hui
Rives-en-Seine. Je ne m'y ferai jamais.
Un ange passe...
— Bon, code postal
?
— Alors, là, je suis bien incapable de vous le
dire !...
— Comment ça,
s'emporte le hallebardier, vous
ne connaissez pas le code postal de
votre lieu de naissance !?
— Bah non, je n'ai fait que naître
à
la maternité et à l'époque, il n'y
avait pas
encore de code postal. En revanche, je puis vous dire que celui
d'Yainville où j'habitais : c'est 76480 !
— Département ?
— Seine-Maritime. Enfin aujourd'hui. Moi, je suis
né en
Seine-Inférieure...
Fut-elle
découragée
par cet interrogatoire surréaliste ou plutôt
respectueuse de mon grand âge? La
Maréchaussée ne m'adressa qu'un simple rappel
à
l'ordre. Merci Caudebec !
Caudebec-en-Caux, Les
Cartophiles caudebecquais, 2006.
On ne retrouve pas sœur Saint-Benoît dans la liste officielle des miraculés de Lourdes. Si quelqu'un en sait plus sur elle, notamment sa véritable identité.
COMMENTAIRE
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Par Michel Mazot 13/07/2023
à 16:22:17
La
maternité , j'y suis
né le 13 juin 1949. Merci
pour ce rappel historique et le photos. J'ai connu les enfants du dr
Pétel au lycée de Lillebonne. Maman qui est
très agée se souvient de son passage à
la maternité. Depuis longtemps je rassemble des
données généalogiques sur ma famille
et je visite souvent l'excellent site de Laurent Quevilly pour
compléter mes informations sur Jumièges et
caudebec. Encore merci pour tout votre travail. Cordialement. Michel
Mazot
Par CONTREMOULINS CHICOT 27/05/2023 à 14:13:37 Que
dire! Trop bien pour ce
journal , concernant tout ce que vous éprouvez, Annick et
oui on se connait bien on habitait pas loin les uns des autres a la
cité du marais à Caudebec , merci merci
Par Sabrina Pertuzon 26/05/2023 à 22:42:51 Je
travaille à l EHPAD
de Caudebec depuis 1994 (...) La dernière des
sœurs a avoir quitté Caudebec était
sœur Cécile.
Par Danièle Mockbel 26/05/2023 à 22:23:50 Je
travaillais à la
Maison de retraite de Caudebec-en-Caux et c'est sœur
Saint-Benoist qui a mis au monde mon premier bébé
avec l'aide du Dr Pétél, car il y avait quelques
complications. Je vais avoir 75 ans. Mon fils est né le 19
mars 1969. Je travaillais en lingerie. J'ai repassé de
nombreuses robes et voiles des sœurs. Quand j'ai
commencé à travailler, en 1966, il y avait aussi
Sœur Saint-Henri, Sœur Saint-Lazarre et
Sœur Elisabeth. Ensuite, la communauté
à beaucoup changé, il y a eu Sœur Marie
Julienne, Sœur Saint-Pierre, Sœur Simon Pierre qui,
je crois, était de Caudebec, son nom de famille
était Leporc. Peut-être elle a de la famille
encore sur Caudebec. J'ai travaillé 25 ans à la
maison de retraite. SOUVENIRS ET AMITIÉS AVEC TOUTES LES
PERSONNES QUE J'Y AI RENCONTRÉES.
Par Dorin Georges 26/05/2023 à 15:45:14 Je
suis né le 9
Août 1949 à Caudebec en Caux ainsi que Arlette et
Chantal mes sœurs et Marc mon frère,
très intéressant le résumé
sur la maternité de Caudebec. Amicalement.
Georges Dorin. Par Nadine Ribes 24/05/2023 à 14:53:53 J'y suis
née le 11
juin 1952, ma sœur le 12 novembre 1949.
Merci pour cet excellent récit sur l'historique de cette institution qui m'a fait découvrir non seulement mon lieu de naissance mais aussi celles qui m'ont aidées à venir au monde.
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