Par Laurent Quevilly-Mainberte

Combien sommes-nous a être nés à la maternité de Caudebec-en-Caux ! C'est que cette vénérable institution fonctionna de 1910 à 1972. En voici l'historique sommaire. En hommage à sa dernière sage-femme...




Je suis né à Caudebec-en-Caux le jeudi 19 juillet 1951. A 16 h 30 pour être précis. Et que veut dire Caudebec en vieux norrois ? "Ruisseau chaud", vous diront certains. "Ruisseau froid", répondront d'autres. C'est donc avec tiédeur que je revendique mon lieu de naissance la quasi-totalité de mes ancêtres étant attestés dans la presqu'île de Jumièges côté maternel tandis que les paternels gravitent autour de Duclair. Il me reste le privilège d'avoir vu le jour dans l'antique capitale du Pays de Caux. Mais je devais normalement naître à Yainville. Normalement...

En 1942, mes parents avaient accueilli un premier garçon qui était passé, si j'ose dire, comme une lettre à la poste. L'événement avait eu lieu dans la petite chaumière que la Commune louait à ma famille, tout près de la mairie. Alors pourquoi aller naître à Caudebec ? C'est qu'entre mon frère et moi, il y eut une fille : Catherine. Le 18 décembre 1949, cet angelot ne séjourna que quelques heures sur cette basse terre. Sauf dans ma tête. Plus tard j'allais souvent imaginer qu'elle vivait toujours, quelque part, dans une ferme de Jumièges, recueillie par une famille d'adoption. C'est le propre des enfants sans sépulture que de hanter nos rêves de gosses. Et puis, comme c'est souvent une tradition, une cousine germaine sera appelée Catherine. Vous l'avez peut-être connue. Blonde comme les blés. Eh bien ce fut en souvenir de ma sœur. Oui, ma sœur...

Le chagrin d'une mère


Cette disparition causa un immense chagrin à la maman. Lorsqu'elle rédigea ses vœux de bonne année, quelques jours plus tard, elle le fit avec ce fatalisme très chrétien sans doute inspiré par l'abbé Coupel. Lui qui justement écrira à propos de la mort prématurée de ma mère : " La vie éternelle, c'est la réalité. Notre passage ici-bas est une ombre fugitive..."

Décembre 49. La belle écriture d'Andréa Mainberte où se lit la résignation

Du coup, lorsque ma mère attend un troisième enfant, votre serviteur, il est absolument hors de question d'accoucher dans la petite chaumière communale. Ni même dans la maison neuve que mon père vient d'édifier seul, sente aux Gendarmes. Non, quand le terme sera venu, Andréa ira accoucher à la maternité de Caudebec. Par sécurité...

Une vénérable institution



Cette maternité, elle existe depuis 1910 dans le vieil hospice de Caudebec. Vieil hospice, car il est attesté dès 1205, époque où vivait mon ancêtre connu le plus reculé : Hugues de Mainberte. De quoi donner le vertige.
L'établissement fit quelques sauts de puce sur la carte intra-muros du vieux Caudebec avant de s'établir définitivement en bord de Seine en 1688. Ce fut dans une maison cédée par le sieur Noël de La Bucaille. 
Au cours de sa longue histoire, l'hospice Saint-Julien accueillera des mendiants, des vieillards, des enfants, des militaires, des pensionnaires et tout de même des malades, des infirmes et quelques insensés, enchaînés à un poteau.
Quand s'ouvre la maternité, en 1910, seuls trois lits sont réservés aux parturientes. En 1946, sous la direction de sœur Saint-Benoît, une salle de cinq lits est aménagée. Supérieure, prétendue miraculée de Lourdes, cette sage-femme est entourée d'aides-soignantes dans son service.

Sœur Saint-Benoît est ici à gauche.

Trois autres religieuses de la congrégation Notre-Dame de Charité vivent et travaillent dans l'hospice : sœurs Saint-Henri, Sainte-Marie-Esther et Saint-Germain. Sans parler du personnel civil. Comme Mlle Auzou, au secrétariat et qui sera bientôt directrice. C'est donc là que je suis né, le 19 juillet 1951.

J'ai trois photos de l'événement. Ma mère me donnant le sein dans le dortoir aux murs recouverts d'un carrelage blanc. Beaucoup de jeunes mamans ont été photographiées avec ce décor. Puis on voit Andréa et moi arrivant à Yainville à bord de la traction-avant. Elle a l'air un peu déçue, elle qui s'était tant réjouie d'avoir une fille pour second enfant. Mais sur les autres images, elle retrouvera vite le sourire et ne me quittera plus des yeux.


Ma première sortie officielle fut une promenade en landau par le chemin du bord de Seine qui mène aux Fontaines, lieu-dit qui marque la limite entre Yainville et Jumièges.  L'endroit a dû m'inspirer. Mon grand-père maternel, Emile Mainberte, y est né. C'est aussi le cadre d'une magnifique gravure anglaise où l'on voit les femmes de mon pays dans leur costume traditionnel.

Ma jumelle astrale


Quelques semaines après ma naissance, une femme qui avait accouché en même temps que ma mère et partagé ainsi son dortoir vint lui rendre visite à Yainville avec sa petite fille. Il fut tiré deux photos de ces retrouvailles. Toute ma vie, je me suis demandé qui pouvait bien être cette sœur cosmique. Et puis un jour, prenant le taureau par les cornes, Nathalie Lemière, la webmaster de Sequana-Normandie, a poussé la porte de la mairie de Caudebec...


J'appris alors que la première fille a qui j'ai fait du pied avait pour nom Annick Greverend, née quelques heures avant moi, le 18 juillet 1951. Épouse Dinard, elle sera infirmière à Caudebec. Or je fus un temps infirmier, époux d'une infirmière, père d'une infirmière. Et puis Annick est une grande collectionneuse de plaques photographiques. Le hasard ?...

Je suis donc entré en contact avec ma jumelle astrale. Réponse : " Un grand merci pour les photos et l'historique - très touchant ! Je pense que ma mère aurait été surprise que je lui montre ces photos. Celle-ci est décédée en septembre 2018 à l'âge de 95 ans. Elle a passé les cinq dernieres années de sa vie à l'Ehpad Maurice-Collet de Caudebec qui fut construit à la place de la maternité ou nous sommes nés."

Décidément, le hasard fait bien les choses.

Sœur Saint-Benoît. En 25 ans, combien d'entre nous a-t-elle mis au monde ?

Quand Annick m'écrivit, l'Ehpad Maurice-Collet était en pleine rénovation. Manque de place, vétusté des locaux. La maternité avait donc mis fin à son histoire depuis des lustres. En 1955, pourtant, on y comptait encore 120 naissances, soit 1174 journées hospitalières. Le 31 mai 1960, on y vit même débarquer des triplés. La capacité passa à 13 lits en 1963, sœur Saint-Benoît étant alors épaulée par trois aides-soignantes renforcées par une infirmière en 1966. En 1969, année où je quittais le pays pour la Royale, celle qui m'avait fait venir à la vie sentit sa fin prochaine. Elle décéda en 1972 et le préfet ferma la maternité.

Quelques mois après ma naissance, dans mon parc, me hissant trop tôt sur mes jambes, j'ai paraît-il failli anéantir le travail de sœur Saint-Benoît. En me changeant un soir, mes parents ouvrirent des yeux horrifiés sur ce qui sortait de mon fondement. Hernie ! Accouru, le médecin se montra fort pessimiste. Un bain de sel toute la nuit, et je fus ramené à la vie.

Hélas, vers mes 7 ans, ma mère fut emportée par un cancer du sein. Plus tard, mon père eut l'élégance de l'attribuer à mes morsures de nourrisson sevré trop tardivement...

A Caudebec pour la vie

"Né le 19 juillet à 16 h 30."J'ai toujours aimé cette précision d'horloger suisse car elle me permet une petite vantardise : Celle d'avoir obtenu mon permis de conduire avant mes 18 ans. Je l'ai passé en effet le jour pile de mon anniversaire... à 11h du matin ! Or je ne fus majeur que dans l'après-midi.

Je suis retourné roder quelques fois sur les lieux de ma naissance. Quand mon cousin Bernard Chéron, le passeur du bac d'Yainville, se retira à la maison de retraite Maurice-Collet, nous sommes allés le saluer dans ce bâtiment neuf dont les grandes baies vitrées donnent sur la Seine.
Une autre fois, ma cousine Catherine organisa une fête de famille à la Ferme de Saint-Pierre-de-Manneville. J'y ai retrouvé des amis d'enfance comme Jean-Jacques Lefebvre et Philippe Homo. J'ai profité de ce séjour pour pousser à Caudebec et poser devant l'hospice Saint-Julien.

Combien sommes nous aujourd'hui qui pouvons encore nous dire "nés à Caudebec-en-Caux". En 1988, jeune journaliste à Ouest-France, on me confia un billet quotidien sur le festival de Cornouaille, à Quimper. Au détour d'une phrase, j'ironisais sur le fait que l'on avait bien fait de voir en moi un spécialiste de la culture bretonne, "étant né à Caudebec-en-Caux". Aussitôt, depuis Radio-France, je reçus un coup de fil d'un autre journaliste quimpérois, Philippe Perhilou : " Qu'est ce que j'apprends, tu es né à Caudebec ? Figure-toi que moi aussi !" Immédiatement, nous avons fondé l'AJQNC, l'Association des journalistes quimpérois natifs de Caudebec-en-Caux. Et comme il faut être trois pour déclarer une association, nous attendons toujours le trésorier providentiel qui nous permettra d'apparaître au Journal officiel. Mais on ne désespère pas...

Rives-en-Seine ? Jamais !


Un autre fois, je ramenais des coques pêchées à l'île des Chevaliers. Quand un jeune gendarme me dresse procès-verbal, pour coquillages sous-taille. 

— Nom, prénom, lieu de naissance ?
— Caudebec-en-Caux. Mais ça s'appelle aujourd'hui Rives-en-Seine. Je ne m'y ferai jamais.

Un ange passe...

— Bon, code postal ?
— Alors, là, je suis bien incapable de vous le dire !...
— Comment ça,
s'emporte le hallebardier, vous ne connaissez pas le code postal de votre lieu de naissance !?
— Bah non, je n'ai fait que naître à la maternité et à l'époque, il n'y avait pas encore de code postal. En revanche, je puis vous dire que celui d'Yainville où j'habitais : c'est 76480 !
— Département ?
— Seine-Maritime. Enfin aujourd'hui. Moi, je suis né en Seine-Inférieure...

Fut-elle découragée par cet interrogatoire surréaliste ou plutôt respectueuse de mon grand âge? La Maréchaussée ne m'adressa qu'un simple rappel à l'ordre. Merci Caudebec !

Laurent QUEVILLY.
Sources


Histoire d'un hôpital rural, Jacqueline et Maurice Dragon, Association des amis du vieux Caudebec, 1990.


Caudebec-en-Caux, Les Cartophiles caudebecquais, 2006.

QUIZ

On ne retrouve pas sœur Saint-Benoît dans la liste officielle des miraculés de Lourdes. Si quelqu'un en sait plus sur elle, notamment sa véritable identité.

COMMENTAIRE

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Par Michel Mazot 13/07/2023 à 16:22:17

La maternité , j'y suis né le 13 juin 1949. Merci pour ce rappel historique et le photos. J'ai connu les enfants du dr Pétel au lycée de Lillebonne. Maman qui est très agée se souvient de son passage à la maternité. Depuis longtemps je rassemble des données généalogiques sur ma famille et je visite souvent l'excellent site de Laurent Quevilly pour compléter mes informations sur Jumièges et caudebec. Encore merci pour tout votre travail. Cordialement. Michel Mazot

Par CONTREMOULINS CHICOT 27/05/2023 à 14:13:37
Que dire! Trop bien pour ce journal , concernant tout ce que vous éprouvez, Annick et oui on se connait bien on habitait pas loin les uns des autres a la cité du marais à Caudebec , merci merci

Par Sabrina Pertuzon 26/05/2023 à 22:42:51
Je travaille à l EHPAD de Caudebec depuis 1994 (...) La dernière des sœurs a avoir quitté Caudebec était sœur Cécile.

Par Danièle Mockbel 26/05/2023 à 22:23:50
Je travaillais à la Maison de retraite de Caudebec-en-Caux et c'est sœur Saint-Benoist qui a mis au monde mon premier bébé avec l'aide du Dr Pétél, car il y avait quelques complications. Je vais avoir 75 ans. Mon fils est né le 19 mars 1969. Je travaillais en lingerie. J'ai repassé de nombreuses robes et voiles des sœurs. Quand j'ai commencé à travailler, en 1966, il y avait aussi Sœur Saint-Henri, Sœur Saint-Lazarre et Sœur Elisabeth. Ensuite, la communauté à beaucoup changé, il y a eu Sœur Marie Julienne, Sœur Saint-Pierre, Sœur Simon Pierre qui, je crois, était de Caudebec, son nom de famille était Leporc. Peut-être elle a de la famille encore sur Caudebec. J'ai travaillé 25 ans à la maison de retraite. SOUVENIRS ET AMITIÉS AVEC TOUTES LES PERSONNES QUE J'Y AI RENCONTRÉES.

Par Dorin Georges 26/05/2023 à 15:45:14
Je suis né le 9 Août 1949 à Caudebec en Caux ainsi que Arlette et Chantal mes sœurs et Marc mon frère, très intéressant le résumé sur la maternité de Caudebec. Amicalement.
Georges Dorin.

Par Nadine Ribes 24/05/2023 à 14:53:53
J'y suis née le 11 juin 1952, ma sœur le 12 novembre 1949.
Merci pour cet excellent récit sur l'historique de cette institution qui m'a fait découvrir non seulement mon lieu de naissance mais aussi celles qui m'ont aidées à venir au monde.





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