En 1896, Victor Eugène Ardouin-Dumazet fait pour nous le voyage de Caudebec à Barentin.


"Un train va partir pour Jumièges et Duclair d'où je gagnerai Barentin. Aujourd'hui le chemin de fer a son terminus à Caudebec, il doit être prolongé un jour sur Lillebonne et le Havre. Un embranchement franchira la Seine à 55 mètres au-dessus des hautes eaux, à Aizier, entre Quillebœuf et Caudebec ; le grand port du Havre se trouvera alors relié à Paris et au centre de la France par une ligne directe desservant Elbeuf. 

"La voie actuelle a de fréquents arrêts, on ne saurait s'en plaindre, cela permet de voir facilement le pays. A peine a-t-on dépassé Caudebec et l'on s'arrête en vue de la riante vallée de Saint-Wandrille, où l'industrie du tissage, disparue, a fait place à une fabrique de margarine installée par des Danois. De la margarine en cette Normandie aux plaines plantureuses, dans ce vallon idyllique de Saint-Wandrille dont les ruines romantiques d'une abbaye augmentent la beauté ! La colline se dresse abrupte, au-dessus d'une laisse de terres marécageuses conquise sur la Seine. En ce jour de grande marée, le fleuve a débordé, apportant son limon dans les oseraies qui commencent la conquête agricole de ces terres basses.

"Au-dessus de cette zone inondée descendent de la colline qui porte la forêt du Trait, des pentes douces couvertes d'herbages remplis d'arbres fruitiers. Pruniers, cerisiers, pêchers et poiriers sont en pleine floraison. La vallée est ample et claire, les villages sont blancs, tel Guerbaville, sur l'autre rive.

"Aux abords du village du Trait, le paysage se fait encore plus gai, des maisons moussues sont enfouies sous les arbres en fleurs. Au fond, sur un éperon, se dressent les ruines de Jumièges faisant face aux blanches falaises qui supportent la forêt de Brotonne. Le chemin de fer s'engage dans une dépression qui fut sans doute un passage pour le fleuve, où où Vauban a tenté jadis de creuser un lit nouveau pour éviter le grand méandre de Jumièges. Une station est au milieu de l'isthme ; elle permet de gagner Jumièges pour visiter l'abbaye.

"Ces ruines splendides ont été décrites bien souvent, elles sont parmi les plus célèbres de France, mais chaque jour les pierres tombent des tours et des murs de la nef.  Depuis la Révolution le superbe édifice s'en va ainsi par morceaux, les toits et les charpentes ont disparu, les murs maintenant s'éboulent. La basilique et les autres édifices religieux qui l'avoisinent semblent voués à une disparition complète. C'est une catastrophe pour l'art.

"Un chemin à travers la forêt de Jumièges m'a conduit à Duclair par le château du Taillis, si pittoresque avec ses constructions désordonnées. La ville est en façade sur la Seine, au pied de falaises bizarres, découpées dans la craie, près de l'embouchure de la Sainte-Austreberthe. C'est un petit port assez actif, doté de voies ferrées sur le quai et de grues pour le déchargement. L'activité industrielle de la vallée de Sainte-Austreberthe explique cet outillage maritime. Duclair est vite parcouru. Il n'y a pas de train avant 4 heures et demie du soir, je dois gagner Barentin à pied, mais la route est si belle que je ne puis regretter cette promenade dans la vallée où la Sainte-Austreberthe décrit des méandres parmi les prés, entre des saules étêtés et des peupliers. Malheureusement, la rivière est souillée par les eaux industrielles de Pavilly et de Barentin. Le vallon est étroit, boisé sur les pentes et, jusqu'au Paulu, fort solitaire. Là on retrouve les usines, entourées de maisons ouvrières

"Bientôt la route, longée par la voie ferrée, se borde de maisons formant une longue rue, c'est déjà Barentin ; les usines sont vastes, l'une d'elles a construit de grandes cités ouvrières au flanc de la colline, semblables par leur régularité à un camp permanent Les plus anciennes de ces maisons étaient de briques nues, les plus récentes ont des lignes moins banales ; couvertes en ardoises, percées de mansardes blanches, elles réconcilient un peu avec l'aspect de caserne des autres constructions. La ville de Barentin serait banale sans le grand viaduc qui porte sur 33 arches, à 27 mètres de hauteur et sur une longueur de 500 mètres le chemin de fer du Havre. Ce superbe ouvrage dominant la vallée verte donne au site un grand caractère."


SOURCE

Voyage en France de Victor Eugène Ardouin-Dumazet – 1896




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